Concert de Daniil Trifonov hier à la Philharmonie de Paris
Au programme,
Tchaïkovski - Sonate pour piano op.80
Chopin
Valse en mi majeur
Valse en fa mineur op. 70 n° 2
Valse en la bémol majeur op.64 n°3
Valse en ré bémol majeur op.64 n°1
Valse en la mineur op. 34 n° 2
Valse en mi mineur
Samuel Barber - Sonate en mi bémol mineur op.26
Tchaïkovski - Suite de La Belle au bois dormant (arrangement Mikhaïl Pletnev)
Enfin je pouvais voir le phénomène en action, et le moins qu'on puisse dire, c'est que c'est un personnage.
Il débarque sur scène, version Raspoutine, cheveux longs et barbe hirsute, se jette sur le piano comme un mort de faim (malheur aux retardataires qui écouteront depuis le couloir), et enchaîne plus de deux heures de récital comme une tornade.
J'ai trouvé la première partie un peu décevante, en tout cas en deçà de ce que j'attendais: la salle est très grande, la pédale forte un peu lourde, sa sonate de Tchaikovski m'a semblé un peu fouillis, en fait.
Mais il frappe par sa facilité technique, c'est évident. C'est une bête de concert, le bonhomme est rodé et très professionnel.
Les valses de Chopin qui se succèdent m'ont eu l'air envoyées à la va-vite, presque bâclées, comme si elles n'étaient là que pour faire vendre; un Chopin purement alimentaire, sans beaucoup de charme et pratiquement aucune émotion. J'ai eu l'impression qu'il s'ennuyait. Je ne suis même pas certain qu'il les ai toutes faites.
L'entracte arrive là dessus, je suis un peu déçu. Il joue bien certes, techniquement c'est parfait, mais finalement je ne ressens pas grand-chose d'autre.
Puis le deuxième acte arrive. On commence par Barber.
Et là instantanément quelque chose se passe, Trifonov se lâche, essaye des choses, se met enfin à "jouer" pour de bon, enfin sa personnalité déborde, et le piano délivre tout ce qu'un piano peut offrir. Moi qui ne connaissait absolument pas cette oeuvre, qui ne suis pas du tout intéressé par ce style, et qui ne connais pas bien Barber non plus, je prends une claque énorme. La palette de Trifonov est énorme, le jeu des nuances est incessant, travaillé, poli, étudié, la facilité technique se met au service de la musicalité, et enfin sa personnalité ressort.
Enfin!
Casse-noisettes version Pletnev est un déroulé des capacités de l'artiste, prouesses après prouesses. Tout passe sans difficulté, sans heurts, parfaitement huilé, et sa technique se met au service de la musique. C'est beau, c'est chaleureux, c'est chantant, une très jolie performance. Ses pianissimos sont diaboliquement légers (quel toucher!), les fortissimos puissants et tempêtueux, je commence à repenser au ballet, j'imagine des danseurs, Tchaikovski enfin joué comme il doit l'être.
Je finis le deuxième acte un peu sonné, et je me rends compte que j'ai un énorme sourire en travers de la figure depuis une grosse demi-heure qui commence à me faire mal aux joues
Deux rappels tranquilles en supplément, que j'ai déjà oublié. Je suis encore dans un autre monde.
J'ai eu une impression curieuse vis-à-vis de ce concert, finalement. J'ai eu l'impression de voir un premier acte purement "alimentaire", sans beaucoup de personnalité, et un deuxième acte brillant et explosif, comme si Trifonov montrait deux aspects de sa personne: un côté froid, méthodique et extrêmement contrôlé, le côté "bête de concours", le professionnel parfaitement rodé; et un côté "fou", brillant, intime et complexe, enthousiaste et assez enfantin finalement, de sa deuxième partie.
C'était une très belle expérience musicale en tout cas, et techniquement c'est clairement le meilleur pianiste que j'ai pu croiser jusqu'ici. Mais pourquoi cette impression de double personnalité? Il reste un mystère pour moi, je n'en ai pas appris davantage sur lui cette fois-ci. Il semble mettre une distance entre lui et le public, pas de sourire, pas d'interaction, des entrées et des sorties express, il ne laisse rien s'échapper, je n'ai pas vu de plaisir dans sa performance. J'ai pu entrevoir sa personnalité dans Barber, mais c'est tout.
On aimerait le connaître mieux, mais il ne se livre pas.
Enfin, ça fait plusieurs fois que je vais dans cette salle, et à chaque fois je me dis qu'elle est trop grande pour un concert de piano. Je ne la trouve tout simplement pas adaptée, et surtout pour les compositions les plus intimistes. Je préfère le théâtre des Champs Elysées, de loin.
La sortie du concert était assez sympathique, il y avait un concert de Baby Metal à 200m de là qui finissait en même temps. Le contraste était plutôt amusant.