Chopin, Albeniz et tutti quanti

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jean-séb
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par jean-séb »

nox a écrit :Je trouve très intéressant le parallèle avec Szymanowski justement. Pourquoi cette retenue qui convient si bien selon toi à la musique de Szymanowski n'aurait-elle pas le même impact dans la musique de Chopin ?
mieuvotar a écrit :j'ai écouté tes Szymanowski. Que j'aime aussi beaucoup. Curieux d’ailleurs que pour cet autre Polonais, on trouve chez toi beaucoup plus d'expressivité que dans tes préludes Chopin. L'esprit de ton jeu dans Szymanowski aurait pu se retrouver tout aussi bien chez Chopin.
nox a écrit :Pour les Szymanowski, c'est marrant, pour jean-séb justement j'appliquais à ces pièces la même sobriété qu'à Chopin, mais ça leur allait mieux. Pour toi non, je suis plus "romantique" dans Szymanowski, donc ?
On peut donner de l'expressivité (c'est le mot employé par mieuvotar) sans être romantique. La musique post-romantique de Szymanowski, en tout cas ces pièces que tu as choisies, est peut-être plus facile à interpréter de manière expressive mais sans pathos ou emphase que Chopin. J'avoue que je ne sais pas le pourquoi de cet effet.
N.-B. Je me suis permis de modifier légèrement ton titre.
Florestan
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Florestan »

Salut nox, et merci d'enrichir ce fil.
J'ai écouté tes préludes attentivement. Je pense que dans l'ensemble les rapides sont plus réussis que les autres.
Plus en détail, je trouve le 1er réussi, et je pense qu'il doit vraiment bien sortir sur un piano à queue. Le deuxième est assez raide et trop direct à mon goût, mais il n'a jamais fait partie de mes préférés...
Pour le troisième, très difficile, un excès de rigueur rythmique nuit un peu à l'épanouissement du chant, surtout quand il y a des accords arpégés, qu'il est je pense quasiment impossible de jouer bien sans élargir un peu le tempo. Peut-être qu'un peu plus de pédale à quelques endroits clés ne nuirait pas, surtout mesure 16 et 17, ce qui permet de jouer les notes répétées avec plus de souplesse et qui fera "enfler" le son avec à propos à mon sens. Mais c'est déjà une belle performance.
Je trouve que tu passes complètement à côté du quatrième, et absolument pas pour une question de tempo. Cette sobriété que tu revendiques trouve ici sa limite à mon avis.
la musique notée sur la partition suffit déjà à tout exprimer
J'avoue que cette phrase me laisse perplexe. La musique notée n'exprime rien du tout, la musique ne se communique qu'au moyen d'une réappropriation par l'interprète. La sobriété est un trait de caractère, elle ne suffit pas comme projet d'interprétation. Et parfois elle sert de paravent à l'absence d'inspiration.
Ce prélude est noté expressivo, et c'est il me semble la seule fois que cet adjectif est utilisé dans le cahier. Je trouve ta mélodie beaucoup trop monocorde, les trois premières mesures sont strictement identiques, et la rigueur rythmique renforce le côté prévisible. Je pense que c'est une question d'approche. Je dirais qu'il faut écouter la main droite, et jouer la main gauche sans y penser, où plutôt en cherchant à "charger" la note du haut sur sa durée. Il me semble que tu écoutes beaucoup trop la main gauche parce que tu cherches à la tenir bien stable, et que c'est le chant que tu joues sans y penser: ça bride considérablement l'effet produit. Puisque tu cites Kissin, je t'invite à réécouter la richesse dynamique de sa ligne mélodique, la tension et la souplesse dont il fait preuve ici.
Chopin, ce n'est pas le "Sturm und Drang", le mélodrame romantique. C'est la noblesse et la pudeur, la retenue et l'introspection.
Chopin c'est aussi la nostalgie, la volubilité, la férocité, la fièvre, la tension intérieure. Et une peine profonde qui est exprimée ici, et qu'à mon avis, à force d'avoir peur de la surjouer, tu ne joues pas du tout. Je me permets cette franchise parce que je suis convaincu que tu es capable de jouer ça beaucoup mieux, et que parfois chez toi le musicien est bridé par le critique.
Le cinquième est bien je trouve, peut-être un peu avare en pédale.
Le sixième est beaucoup plus "senti" que le quatrième je trouve, souple dans ses phrasés initiaux (mais un peu lourd sur la pédale). Je trouve la phrase descendante de la fin un peu (beaucoup) abrupte (j'aurais tendance à traduire sostenuto par intense), et sa répétition trop identique (p, puis pp), mais je trouve l'ensemble cohérent, un peu survolé peut-être.
Le septième est très bien, simple. Un seul détail, mais qui a son importance: tu changes la pédale après la barre de mesure, et pas sur la noire qui précède.
Contrairement à toi je trouve le 8ème très bien, le flot est naturel et la virtuosité de très haut niveau. J'ai des suées rien qu'en regardant la partition...

Désolé si mon propos est parfois un peu ...raide, j'ai essayé de donner mon sentiment avec le plus de sincérité possible.

Bonne continuation!
Modifié en dernier par Florestan le dim. 07 avr., 2013 17:32, modifié 2 fois.
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JPS1827
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Re: Chopin, Albeniz y tutti quanti

Message par JPS1827 »

Je viens d'écouter Chopin. Pour ma part, je trouve que tu défends bien le parti de sobriété que tu as pris (et qui correspond tout à fait à mon goût personnel de surcroît).
Le 1er pourrait être un peu plus agitato et sonner un peu plus dans les crescendo (je crois que c'est une question de pédale, on ne peut pas la mettre exactement de la même façon d'un bout à l'autre, il faut parfois la changer un peu moins brusquement).
Le 2ème me plaît bien comme ça.
Bravo pour le 3ème très réussi ! je te fais deux remarques : lors de la difficile formule en la majeur de la main gauche, il est absolument inutile de se presser autant pour arpéger à droite, je pense que Chopin écrit instinctivement un arpégé à droite ici car il sait qu'il faut un tout petit peu de temps pour aller chercher le ré de la main gauche qui commence la mesure suivante ; loin d'être une liberté ce minuscule temps améliore le confort à la fois du pianiste et de l'auditeur ; d'autre part, ne te focalise sur le fait de faire tomber les doubles croches de la main droite exactement en même temps que la 4ème double croche du temps correspondant de la main gauche, il faut jouer souplement avec le rythme exact et donner rendez-vous aux deux mains sur le temps qui suit, tu joueras tout aussi exact et plus souple ; mais ce sont des broutilles, il est vraiment bien tel quel.
Le 4ème pourrait être plus dépressif et mystérieux en faisant plus "flotter" la main gauche par moments (les accords sont un peu trop uniformément présents à mon goût, tu as dû les travailler avec soin, mais je peux me laisser convaincre par ce côté obsédant en l'écoutant) et en écoutant plus les valeurs longues de la main droite se prolonger.
Bravo pour le 5ème, pas facile du tout. Un petit peu plus de pédale en augmentant un peu la prééminence de la main droite sur la gauche et ce sera génial.
Le 6, c'est, comme le 4, le genre de truc qu'on ne joue jamais deux fois de la même façon. Pour moi, l'atmosphère est celle d'un insondable regret… rien à voir avec plus ou moins de rubato. C'est assez difficile d'y être narratif sans devenir grandiloquent.
Le 7 je trouve que Jean-Luc y est sévère, je le trouve bien. C'est une sorte de pause à laquelle il faut accorder peu d'importance en fait.
Pour le 8, ce n'est pas un cadeau. Le début est bien, il faut que tu le rodes encore. Je l'avais un peu travaillé l'été dernier avec quelques autres avant de devoir arrêter faute de temps. J'avais découvert que la façon habituelle dont on envisage mentalement la formule de la main droite (une octave brisée, 4 notes plus ou moins conjointes, une octave brisée etc.) était complètement inopérante et j'avais travaillé avec succès de la manière suivante : poser le pouce, attendre une demi-seconde, puis très vite et en bougeant les doigts le moins possible, dégouliner do-sol-si-la-fa-do. Puis accélérer le mouvement en gardant quasiment l'idée d'un arrêt sur le pouce (même si on ne s'arrête pas du tout en fait). Il est hors de question d'essayer d'ajuster le 5ème doigt de la main gauche avec la 5ème note du groupe de la main droite, et il faut attaquer le pouce gauche de tout près en évitant de "laisser tomber" la main dessus (si j'introduis un mouvement vertical de la main gauche entre les groupes de 4 notes, je contrarie complètement ma main droite qui ne peut plus jouer). Enfin je te donne mes impressions, ce n'est pas sûr que ça te serve à quelque chose (chacun trouve ses chemins mentaux pour arriver à jouer ce genre de truc difficile).

Effectivement c'est casse-gueule en concours. Par contre si tu joues très bien une sélection genre 1, 8, 12, 16, 19, 24, ça peut être très payant (les jurys étant ce qu'ils sont). Bon courage pour la suite.
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Yapluka
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Re: Chopin, Albeniz y tutti quanti

Message par Yapluka »

nox a écrit :...
Sur le 4, ça confirme un peu mon impression détaillée dans ma réponse à jean-séb juste au-dessus. Ce prélude est un des plus connus, or c'est celui qui vous "choque" le plus par sa sobriété. J'y vois une relation de cause à effet, peut-être à tort encore une fois.
D'une manière générale, comme je l'ai déjà dit, c'est pour moi une erreur de trop s'épancher dans la musique de Chopin, et de la "surjouer" en quelque sorte, alors que la musique notée sur la partition suffit déjà à tout exprimer.
"Choquer" n'est pas le mot qui convient : je dirais plutôt que ton choix d'interprétation ne me convient pas (ce qui ne veut pas dire que tu as tort de faire ce choix :mrgreen: )
nox a écrit :...Pas la peine de presser ce pauvre Frederic comme un citron !
Chopin, ce n'est pas le "Sturm und Drang", le mélodrame romantique. C'est la noblesse et la pudeur, la retenue et l'introspection.
Nous avons déjà eu (au moins) une discussion sur ce thème 8) : je maintiens que l'on ne peux pas savoir vraiment comment Chopin jouait, car les descriptions de ses admirateurs ne peuvent pas être, par principe, objectives ... Je t'avais parlé du point de vue sur lui de Berlioz :wink: , et affirmé que ce point de vue n'était pas unique ... et bien je suis tombé par hasard (je tombe souvent par hasard :mrgreen: !) sur un point de vue similaire que je te livre in extenso :
"Dans la recherche de dissonances déchirant l'oreille, de transitions torturées, de modulations perçantes, de contorsions répugnantes de la mélodie et du rythme, Chopin est tout à fait infatigable ... Si monsieur Chopin avait soumis cette musique à un Maître, celui-ci, espérons-le, l'aurait déchirée et jetée à ses pieds, et c'est symboliquement ce que nous souhaitons faire."
Cette prose est d'un certain L. Rellstab, dans un journal (je suppose) nommé "Iris", publié à Berlin le 5 juillet 1833.
Moi je tiens cet extrait du "dictionnaire de la bêtise" ( :mrgreen: :mrgreen: ), publié chez Robert Laffont (collection "Bouquins")
nox a écrit : Pour les préludes 6 et 7 par exemple, je suis convaincu à 100% que le rubato est une erreur.
Bref, c'est ma conception des choses, et je ne ferai aucune concession sur les tempi ou le rubato. Il faut donc que je trouve d'autres leviers d'actions pour accentuer la musicalité, casser cette impression de froideur.
Tu as le droit d'avoir cette conception :wink: , mais tu dois accepter que l'on puisse avoir une autre, sans que l'on puisse dire avec certitude, lequel des deux est dans l'erreur :wink: ...
nox a écrit : Pour répondre à Yapluka, ça n'a par contre rien à voir avec le conservatoire. C'est une conception de la musique de Chopin que je n'avais justement pas quand j'étudiais au conservatoire. Cette voie de la sobriété dans Chopin est en tout cas celle défendue par mon professeur à l'école normale, chopinien reconnu dont l'avis a tout de même un certain poids à mes yeux, ce qui me conforte dans mes choix.
Je pense que ta conception est partagée par la grande majorité de ceux qui sont passés par le conservatoire (c'est le cas de ton prof, non :wink: ?) : je l'ai entendue si souvent ... La seule chose qui me gène là-dedans ç'est lorsqu'on affirme que c'est la façon dont Chopin jouait [-X ...Personne n'en sait rien !
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jean-séb
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Re: Chopin, Albeniz y tutti quanti

Message par jean-séb »

Yapluka a écrit :"Dans la recherche de dissonances déchirant l'oreille, de transitions torturées, de modulations perçantes, de contorsions répugnantes de la mélodie et du rythme, Chopin est tout à fait infatigable ... Si monsieur Chopin avait soumis cette musique à un Maître, celui-ci, espérons-le, l'aurait déchirée et jetée à ses pieds, et c'est symboliquement ce que nous souhaitons faire."
Cette prose est d'un certain L. Rellstab, dans un journal (je suppose) nommé "Iris", publié à Berlin le 5 juillet 1833.
Moi je tiens cet extrait du "dictionnaire de la bêtise" ( :mrgreen: :mrgreen: ), publié chez Robert Laffont (collection "Bouquins")
Ah, ah, il te suffisait de lire ce forum :
viewtopic.php?f=9&t=10104&p=170279&hili ... ab#p170279
avec des informations en prime sur Rellstab ! :lol:
Mais comme je le disais là-bas, cette critique concerne les mazurkas de l'opus 7, pas les préludes.
nox
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Re: Chopin, Albeniz y tutti quanti

Message par nox »

Bon ! Que d'avis ! Un grand merci à tous de consacrer du temps à l'écoute de ces préludes et à cette discussion !
*se retrousse les manches*

***
Jean-Luc a écrit : - n°1 : c'est un peu sage, et loin de l'agitato requis pour ce prélude. Augmenter le tempo n'est pas résoudre la question, c'est vraiment le côté presque tourmenté qui manque
- n°2 : j'aime beaucoup le côté implacable que tu rends. Presque pas de rubato ici me convient bien, l'atmosphère est là. Peut-être juste les accords de la fin sont un peu trop "plats" (il est marqué sostenuto dans mon édition)
- n°3 : très réussi, c'est le meilleur des 8 à mon avis. Un détail de rien : à la mesure 8, l'accord arpégé MD est un peu sec (le la est pourtant une blanche?); je ne sais pas si c'est volontaire ou pas.
- n°4 : c'est un tout petit peu vite pour un largo. Ca manque aussi d'un peu d'expression (ou de phrasé?) à la MD.
- n°5 : très réussi aussi je trouve, mais parfois c'est un peu "hâché", je ne sais pas comment dire
- n°6 : là aussi, ca manque de phrasé à la MG. La fin est très belle.
- n°7 : tu n'aimes pas ce prélude on dirait... :) C'est un peu expédié (sauf la fin qui est très bien). Les accords se répètent trop de la même manière, il faudrait les timbrer un peu différemment à chaque fois.
Merci JL pour ces avis ! Sur le 1, je ne pressens pas ce "agitato" comme synonyme de "tourmenté", ce qui explique un peu ma vision de ce prélude. Dans l'esprit, il me fait un peu penser à la première étude d'exécution transcendante de Liszt. Je le vois comme une ouverture du cycle, sur laquelle il ne faut pas se poser trop de questions.
Sur le 4, encore une fois, c'est un largo, mais un largo en C barré ! Il faut sentir la pulsation à la blanche, et donc ça implique pour moi un tempo pas trop lent. Mais toutes les critiques se regroupent sur celui-là, je vais essayer de le repenser. Par contre je garde mon tempo, et mon non-rubato :mrgreen: Je vais chercher ailleurs, peut-être dans le côté flottant de la main gauche dont parle JPS.
Sur le 6, qu'entends-tu par "manque de phrasé" ?
Le 7, non, je l'aime beaucoup. Mais il faut le jouer très simplement, il n'y a presque rien de noté, c'est une sorte de réminiscence lointaine et vague de mazurka. Donc c'est un choix.

***
@fugue : aaah merci ! :) Je désespérais de réussir à communiquer ce que je voulais sur ces préludes.
Merci pour ton écoute !

***
Florestan a écrit :Salut nox, et merci d'enrichir ce fil.
Ba c'est le mien :mrgreen:
Florestan a écrit : Pour le troisième, très difficile, un excès de rigueur rythmique nuit un peu à l'épanouissement du chant, surtout quand il y a des accords arpégés, qu'il est je pense quasiment impossible de jouer bien sans élargir un peu le tempo. Peut-être qu'un peu plus de pédale à quelques endroits clés ne nuirait pas, surtout mesure 16 et 17, ce qui permet de jouer les notes répétées avec plus de souplesse et qui fera "enfler" le son avec à propos à mon sens.
Je suis en phase avec ces remarques. Comme je l'ai dit le problème de ce prélude, c'est qu'avant de se préoccuper de bien faire chanter la main droite, il faut être à l'aise avec la gauche et ça demande du temps.
Mais tu as parfaitement raison sur ces avis.
Florestan a écrit : Je trouve que tu passes complètement à côté du quatrième, et absolument pas pour une question de tempo. Cette sobriété que tu revendiques trouve ici sa limite à mon avis.
Pourtant encore une fois, pourquoi faire de ce prélude ce qu'il n'est pas ?
Regardons la partition ! Il n'y a presque rien ! Très peu de nuances, quasiment aucune indication d'expression à part un stretto et un smorzando. Et cet accompagnement invariable et chromatique à la main gauche, ces accords nus et répétés. Et encore cette mélodie très simple, presque inexistante. Harmoniquement : du chromatisme, inexorable. Et le tout à la blanche ! C'est si peu "chopinien" dans l'esprit. Alors pourquoi, au nom de quoi, ce besoin de mettre des rubatos à certains endroits ? C'est fondé sur quoi ? L'écriture ne le suggère pas, aucune indication ne va dans ce sens ! La manière d'écrire de Chopin est très révélatrice en général dans ses oeuvres, et quand il faut être très expressif, c'est très perceptible : l'accompagnement qui laisse un peu plus de place, les inflexions suggérées par la ligne mélodique, les modulations. Ici rien de tout ça. Alors en faire, pourquoi ? Juste parce que c'est du Chopin ?
Florestan a écrit :
la musique notée sur la partition suffit déjà à tout exprimer
J'avoue que cette phrase me laisse perplexe. La musique notée n'exprime rien du tout, la musique ne se communique qu'au moyen d'une réappropriation par l'interprète. La sobriété est un trait de caractère, elle ne suffit pas comme projet d'interprétation. Et parfois elle sert de paravent à l'absence d'inspiration.
Ce que je veux dire, c'est qu'il est inutile de chercher à exprimer des choses qui n'existent pas. Ces préludes sont remarquablement bien écrits, courts et précis. Précis dans leur expression et justes dans leur écriture. Donc l'expressivité, il faut la trouver les quelques indications présentes, les indices laissés par Chopin. Si on se base sur un vague ressenti, on ouvre la porte au n'importe quoi, au risque de tomber dans le pathos "regardez comme je suis malheureux". Un danger omni-présent chez Chopin.
Florestan a écrit : Je dirais qu'il faut écouter la main droite, et jouer la main gauche sans y penser, où plutôt en cherchant à "charger" la note du haut sur sa durée. Il me semble que tu écoutes beaucoup trop la main gauche parce que tu cherches à la tenir bien stable, et que c'est le chant que tu joues sans y penser: ça bride considérablement l'effet produit.
Je suis en phase avec ça, et je vais creuser dans ce sens. C'est une bonne piste.
Florestan a écrit : Chopin c'est aussi la nostalgie, la volubilité, la férocité, la fièvre, la tension intérieure. Et une peine profonde qui est exprimée ici, et qu'à mon avis, à force d'avoir peur de la surjouer, tu ne joues pas du tout. Je me permets cette franchise parce que je suis convaincu que tu es capable de jouer ça beaucoup mieux, et que parfois chez toi le musicien est bridé par le critique.
Une peine profonde, peut-être, mais justement exprimée avec beaucoup de pudeur, comme toujours chez Chopin. Le danger est d'en faire trop, d'en faire une sorte de lamentation, ce qui n'est absolument pas le cas pour moi. C'est un équilibre délicat à trouver, et que je n'ai manifestement pas encore saisi.
Florestan a écrit : Le septième est très bien, simple. Un seul détail, mais qui a son importance: tu changes la pédale après la barre de mesure, et pas sur la noire qui précède.
La pédale est délicate, car si on la change dès la noire, et même dès le début de la mesure, on absorbe la dissonance de la double-croche. Donc je la mets en début de mesure et je change une demi-pédale sur le second temps.
Florestan a écrit : Désolé si mon propos est parfois un peu ...raide, j'ai essayé de donner mon sentiment avec le plus de sincérité possible.
C'est ce qu'il faut ! Et ce sont de très bons avis, même si je ne les partage pas tous. Au bout d'un moment c'est une affaire de conception, mais une chose est sûre, j'ai mal communiqué la mienne. Musicalement ces préludes sont vraiment délicats, même les plus "simples".

***
JPS1827 a écrit : Bravo pour le 3ème très réussi ! je te fais deux remarques : lors de la difficile formule en la majeur de la main gauche, il est absolument inutile de se presser autant pour arpéger à droite, je pense que Chopin écrit instinctivement un arpégé à droite ici car il sait qu'il faut un tout petit peu de temps pour aller chercher le ré de la main gauche qui commence la mesure suivante ; loin d'être une liberté ce minuscule temps améliore le confort à la fois du pianiste et de l'auditeur ; d'autre part, ne te focalise sur le fait de faire tomber les doubles croches de la main droite exactement en même temps que la 4ème double croche du temps correspondant de la main gauche, il faut jouer souplement avec le rythme exact et donner rendez-vous aux deux mains sur le temps qui suit, tu joueras tout aussi exact et plus souple ; mais ce sont des broutilles, il est vraiment bien tel quel.
Tu as absolument raison, et mon prof m'a fait exactement la même réflexion. J'ai du mal à la mettre en pratique car je suis encore beaucoup trop focalisé sur ma main gauche. Ceci dit, je me rends compte que j'entends beaucoup d'imperfections dans mes traits quand je le joue, alors qu'à l'écoute ici ça passe plutôt bien. Du coup ça me libèrera un peu lorsque je le jouerai dorénavant.
JPS1827 a écrit : Le 4ème pourrait être plus dépressif et mystérieux en faisant plus "flotter" la main gauche par moments (les accords sont un peu trop uniformément présents à mon goût, tu as dû les travailler avec soin, mais je peux me laisser convaincre par ce côté obsédant en l'écoutant) et en écoutant plus les valeurs longues de la main droite se prolonger.
Comme je l'ai dit dans ma réponse à JL, ce côté "flottant" est une bonne piste. Il faut que je vois comment la mettre en pratique. Bref, celui-là est à creuser encore.
JPS1827 a écrit : Pour le 8, ce n'est pas un cadeau. Le début est bien, il faut que tu le rodes encore. Je l'avais un peu travaillé l'été dernier avec quelques autres avant de devoir arrêter faute de temps. J'avais découvert que la façon habituelle dont on envisage mentalement la formule de la main droite (une octave brisée, 4 notes plus ou moins conjointes, une octave brisée etc.) était complètement inopérante et j'avais travaillé avec succès de la manière suivante : poser le pouce, attendre une demi-seconde, puis très vite et en bougeant les doigts le moins possible, dégouliner do-sol-si-la-fa-do. Puis accélérer le mouvement en gardant quasiment l'idée d'un arrêt sur le pouce (même si on ne s'arrête pas du tout en fait). Il est hors de question d'essayer d'ajuster le 5ème doigt de la main gauche avec la 5ème note du groupe de la main droite, et il faut attaquer le pouce gauche de tout près en évitant de "laisser tomber" la main dessus (si j'introduis un mouvement vertical de la main gauche entre les groupes de 4 notes, je contrarie complètement ma main droite qui ne peut plus jouer). Enfin je te donne mes impressions, ce n'est pas sûr que ça te serve à quelque chose (chacun trouve ses chemins mentaux pour arriver à jouer ce genre de truc difficile).
Pour moi j'ai surtout un problème d'endurance sur celui-là, comme dans la seconde novelette de Schumann par exemple. Comme il y a du "pouce-pouce" tout au long du morceau, ce côté de la main finit toujours par crisper. Il faut que je trouve le "truc"...

***
Yapluka a écrit : Nous avons déjà eu (au moins) une discussion sur ce thème 8) : je maintiens que l'on ne peux pas savoir vraiment comment Chopin jouait, car les descriptions de ses admirateurs ne peuvent pas être, par principe, objectives
Mais, est-il nécessaire d'être objectif pour parler de rubato ? Comme si jouer avec du rubato c'était mal. Je ne vois pas pourquoi ses "admirateurs" (ses élèves principalement) écriraient qu'il jouait sans rubato si ce n'était pas le cas ! S'il jouait avec rubato, ils auraient eux-même appris à jouer de cette façon, et n'auraient eu aucune raison de le cacher.
Pourquoi ne pas faire confiance à tous ces témoignages ?
Par ailleurs, il n'est pas question uniquement de manière de jouer, mais aussi de manière d'être ! Et Chopin était loin d'être le romantique triste, nostalgique et maladif qu'on dépeint souvent. C'est pour moi une musique extrêmement subtile, fine, délicate, introspective, que le rubato excessif transforme trop souvent en bouillon romantique.
Introspectif me semble vraiment le mot juste : c'est tourné vers l'intérieur, et non pas vers l'extérieur. Il n'y a aucun paraître.
Yapluka a écrit : Tu as le droit d'avoir cette conception :wink: , mais tu dois accepter que l'on puisse avoir une autre, sans que l'on puisse dire avec certitude, lequel des deux est dans l'erreur :wink: ...
Je l'accepte, pas de soucis. Le fait que je défende mon point de vue ne veut pas dire que je n'en tolère aucun autre ! :)
Yapluka a écrit : Je pense que ta conception est partagée par la grande majorité de ceux qui sont passés par le conservatoire (c'est le cas de ton prof, non :wink: ?) : je l'ai entendue si souvent ...
Si tu l'entends souvent, ça n'est pas pour rien :)
Mais ceci dit, non, je maintiens qu'il n'y a aucun lien avec le fait d'être passé par le conservatoire. Au conservatoire, il n'y a pas un consensus pour dire qu'il faut jouer de telle ou telle manière. Chaque professeur a son avis, et le fait qu'ils exercent dans un conservatoire ou non n'y change rien.
Jean-Luc
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Re: Chopin, Albeniz y tutti quanti

Message par Jean-Luc »

nox a écrit :Sur le 6, qu'entends-tu par "manque de phrasé" ?
Je dirai plutôt que ça ne chante pas assez, et c'est (à mon goût) un peu trop métronomique. Je ne parle pas de rubato.
Je suis tout à fait d'accord avec le fait qu'on entend beaucoup de choses très "ampoulées" chez Chopin, qui font ressortir un esprit chichiteux que je n'aime pas. Tu as donc absolument raison de vouloir rester "simple". Mais il ne faut pas tomber dans l'excès inverse non plus. La musique de Chopin est toujours inspirée du "bel canto" italien.
Un bon chanteur ne chante jamais note à note, il pense toute la phrase. Il y a un élan je dirais, qui manque un peu dans ce prélude.
nox
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Re: Chopin, Albeniz y tutti quanti

Message par nox »

Jean-Luc a écrit :La musique de Chopin est toujours inspirée du "bel canto" italien.
Pas "toujours", justement. Pas ici pour moi. Mais je suis d'accord avec toi, il faut trouver le bon équilibre, c'est délicat, je vais encore chercher.
Florestan
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Florestan »

Sans vouloir rentrer dans une stérile partie de ping-pong, cher nox, quelques remarques.
L'écriture est une façon extrêmement incomplète de transmettre la musique. Beaucoup d'interprétations suivent les indications de ce prélude en étant très différentes les unes des autres. Ce qui les rend différentes ne peut souvent pas être écrit. Un phrasé, un timbre, un subtil décalage à un moment précis de la phrase, un ralenti ou un léger stretto pour accompagner telle résolution harmonique, une façon de révéler à un certain moment une voix dans les accords, bref toutes sortes de détails qui ne se révèlent souvent que sous les doigts, et qui rendent une interprétation unique et vivante. Tu mets en avant une sorte de recherche de la vérité qui à mon humble avis est une illusion. Je crois que c''est une des caractéristiques d'une oeuvre véritable, cette capacité à échapper à son créateur, à avoir une vie propre, à pouvoir se recréer sous toutes sortes d'éclairages sans perdre sa cohérence. C'est pourquoi je crois qu'une interprétation réussie est le résultat d'une rencontre dans laquelle l'interprète n'est pas le seul à faire des compromis. Il y a beaucoup d'interprétations que je trouve superbes même si je les sens très éloignées de ma manière, et impossible à imiter pour moi, pas pour des raisons techniques mais biologiques. Il faut composer avec sa nature et ses émotions, son rythme intérieur et sa façon de chanter.
La manière d'écrire de Chopin est très révélatrice en général dans ses oeuvres, et quand il faut être très expressif, c'est très perceptible : l'accompagnement qui laisse un peu plus de place, les inflexions suggérées par la ligne mélodique, les modulations. Ici rien de tout ça. Alors en faire, pourquoi ? Juste parce que c'est du Chopin ?
Je ne comprends pas de quoi tu parles. Si Chopin veut que ça soit joué de façon expressive, il marque expressivo. Et il ne le marque pas si souvent que ça.

De plus je trouve que tu exagères la simplicité de l'écriture. C'est certes simple à l'oeil mais il y a énormément de choses à creuser dans les relations entre cette ligne statique et les harmonies glissantes qui la sous-tendent , ces tensions qui se résolvent par de nouvelles et qui éclairent à chaque fois la même note d'une nouvelle lumière. C'est très subtil et très organique en fait. Et ça reste une plainte. Et j'aimerais savoir sur quels critères tu te bases pour dire que "c'est si peu chopinien"?

Pour finir et puisque tu poses la question "pourquoi, pourquoi, au nom de quoi faire ça dans Chopin si ce n'est pas écrit?", je dirais: pour libérer l'émotion contenue par ces notes. Parce que c'est de ça dont il est question au bout du compte: l'émotion. Et si je me suis permis de te faire ces remarques c'est juste qu'à mon avis tu n'y parviens pas dans ce cas, pas par faute de moyens mais parce que ton concept bâillonne ta muse!
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Florestan a écrit : L'écriture est une façon extrêmement incomplète de transmettre la musique.
Dès le début, je ne suis pas d'accord. Pas "incomplète". L'écriture contient pour moi toutes les indications nécessaires, après tout dépend des choix d'interprétations qu'on fait de ces indications.
Florestan a écrit : Beaucoup d'interprétations suivent les indications de ce prélude en étant très différentes les unes des autres. Ce qui les rend différentes ne peut souvent pas être écrit. Un phrasé, un timbre, un subtil décalage à un moment précis de la phrase, un ralenti ou un léger stretto pour accompagner telle résolution harmonique, une façon de révéler à un certain moment une voix dans les accords, bref toutes sortes de détails qui ne se révèlent souvent que sous les doigts, et qui rendent une interprétation unique et vivante.
Sur ça je suis d'accord, dans les grandes lignes, mais par exemple ici l'écriture ne suggère aucun ralenti ou stretto pour moi, raison pour laquelle je m'y refuse. Pour le reste, phrasé, timbre, et autres détails oui, c'est justement là-dessus aussi que je vais essayer de travailler pour ce prélude.
Florestan a écrit : Tu mets en avant une sorte de recherche de la vérité qui à mon humble avis est une illusion. Je crois que c''est une des caractéristiques d'une oeuvre véritable, cette capacité à échapper à son créateur, à avoir une vie propre, à pouvoir se recréer sous toutes sortes d'éclairages sans perdre sa cohérence. C'est pourquoi je crois qu'une interprétation réussie est le résultat d'une rencontre dans laquelle l'interprète n'est pas le seul à faire des compromis. Il y a beaucoup d'interprétations que je trouve superbes même si je les sens très éloignées de ma manière, et impossible à imiter pour moi, pas pour des raisons techniques mais biologiques. Il faut composer avec sa nature et ses émotions, son rythme intérieur et sa façon de chanter.
On ne parle pas de la même chose, je parle bien ici de contradiction avec les indications de Chopin. On n'est pas dans la concession.
Pour le reste, c'est un très vaste débat, je ne suis pas sûr qu'il faille l'engager ici.
Florestan a écrit : Je ne comprends pas de quoi tu parles. Si Chopin veut que ça soit joué de façon expressive, il marque expressivo. Et il ne le marque pas si souvent que ça.
Justement, tu ne vas jouer expressif que lorsque Chopin va marquer "espressivo" ? J'espère bien que non ! Par ailleurs il n'est pas question ici d'être expressif ou de ne pas l'être. Evidemment qu'il faut être expressif, et je le suis à ma manière, mais je le communique mal, ce que je dois donc retravailler. Mais l'atmosphère restera scrupuleusement la même, et pas davantage de rubato !
Ce que je veux dire c'est que le rubato de Chopin on ne peut pas en faire partout simplement sous prétexte que c'est du Chopin et/ou que c'est "triste". Quand Chopin veut du rubato, l'écriture l'indique assez bien, parce qu'elle laisse la place pour ce rubato justement ! Ici point ! Ces croches inexorables à la main gauche, cette absence d'indication expressive et cette mélodie minimaliste (alors que c'est en général dans le chant, le bel canto, qu'on place le rubato chopinien justement), sont au contraire une indication demandant selon moi une grande sobriété d'expression.
Florestan a écrit : De plus je trouve que tu exagères la simplicité de l'écriture. C'est certes simple à l'oeil mais il y a énormément de choses à creuser dans les relations entre cette ligne statique et les harmonies glissantes qui la sous-tendent , ces tensions qui se résolvent par de nouvelles et qui éclairent à chaque fois la même note d'une nouvelle lumière. C'est très subtil et très organique en fait. Et ça reste une plainte. Et j'aimerais savoir sur quels critères tu te bases pour dire que "c'est si peu chopinien"?
On peut toujours trouver des choses, c'est certain, mais l'écriture n'en reste pas moins minimaliste ! Un rythme unique, une mélodie simplissime (presque pas une mélodie en fait) etc...Si ça ce n'est pas une écriture simple...Et c'est volontaire ! Il faut conserver précieusement cette simplicité quand on interprète ce prélude, sinon on trahit l'intention de Chopin.
Florestan a écrit : Pour finir et puisque tu poses la question "pourquoi, pourquoi, au nom de quoi faire ça dans Chopin si ce n'est pas écrit?", je dirais: pour libérer l'émotion contenue par ces notes. Parce que c'est de ça qu'il est question au bout du compte: l'émotion. Et si je me suis permis de te faire ces remarques c'est juste qu'à mon avis tu n'y parviens pas dans ce cas, pas par faute de moyens mais parce que ton concept bâillonne ta muse!
Eh bien pour moi il faut libérer l'émotion sans recourir à ces artifices de rubato. Raison pour laquelle je vais chercher ailleurs :)
Modifié en dernier par nox le dim. 07 avr., 2013 19:44, modifié 1 fois.
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JPS1827
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par JPS1827 »

C'est une discussion intéressante, mais nous l'avons eue déjà à plusieurs reprises sur le forum.
Florestan a écrit : … la recherche de la vérité est à mon humble avis une illusion. Je crois que c''est une des caractéristiques d'une oeuvre véritable, cette capacité à échapper à son créateur, à avoir une vie propre, à pouvoir se recréer sous toutes sortes d'éclairages sans perdre sa cohérence. C'est pourquoi je crois qu'une interprétation réussie est le résultat d'une rencontre dans laquelle l'interprète n'est pas le seul à faire des compromis. Il y a beaucoup d'interprétations que je trouve superbes même si je les sens très éloignées de ma manière, et impossible à imiter pour moi, pas pour des raisons techniques mais biologiques. Il faut composer avec sa nature et ses émotions, son rythme intérieur et sa façon de chanter.
Je suis absolument d'accord avec ça, et je l'ai déjà dit, et c'est d'ailleurs pourquoi je vous trouve sévères avec ce 4ème prélude (que je ne trouve pas si passionnant que ça personnellement). Je vais d'abord me concentrer sur le premier : on peut y voir le geste audacieux et conquérant du fougueux romantique qui, avec la résonance du premier do grave, réévalue d'emblée les moyens que lui offre son instrument, puis les révèle au public avec cette page passionnée, ou bien une simple introduction modulante tendant la main au premier prélude du CBT (conception plus difficile à défendre). Finalement je pense qu'entre ces deux opposés aucune conception ne me gêne foncièrement du moment qu'elle me paraît compréhensible et que ça ne m'ennuie pas à écouter.
Pour le 4ème, on peut dire que c'est le genre de pièce très connue, abordée par tous les apprentis pianistes adultes, qu'on a tendance à charger à la longue d'une émotion qu'elle ne peut réellement contenir (en dehors des poncifs du genre "la plus grande émotion est dans le silence" ou "dans le dépouillement" etc.). Je crois que bon gré mal gré il faut nous résoudre à l'entendre d'une façon autre que celle qu'on s'imagine avoir en tête, et essayer de se demander objectivement si l'idée que nous présente nox est tenable, et avec quelles améliorations dans la réalisation. Pour moi, c'est tenable mais ça demande encore un peu de travail.

PS : nox a posté en même temps que moi. Juste une remarque : le côté inexorable ne signifie pas régularité physique parfaite, il y a même une sacrée différence entre les deux !
Modifié en dernier par JPS1827 le dim. 07 avr., 2013 19:43, modifié 1 fois.
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Oupsi
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Oupsi »

J'ai écouté les préludes avec grand intérêt et admiration. C'est du très beau Chopin et du très beau piano.
Par rapport à ce qui a été dit, je n'ai pas grand chose à ajouter, sinon des remarques disons par association d'idées, concernant le 4e et le 6e préludes notamment. Personnellement, j'aime le 6e un peu plus lent (c'est lento assai, très lent) et il s'agit de décider ce que représente le motif répétitif. Là j'y vois quelque chose d'implacable sans grandiloquence, comme le fil des parques, c'est juste du fil à tisser et un travail manuel, il n'y a presque pas de quoi fouetter un chat mais ça veut quand même dire la mort. A contrario, la main gauche est éminemment vivante, rebelle, courageuse, ça me fait penser au "J'arrive!" de la chanson de Brel (pardon pour ces associations qui pourront sembler incongrues) Mais bon, ça c'est une question d'interprétation et c'est donc subjectif.
Après, il y a une question que je me pose, concernant le 4e. Il y a les accords très réguliers et une main droite qui chante, mais ce chant porte sur des notes longues. Donc, la question musicale que je me pose est: ne faudrait-il pas soutenir ce chant (disons par illusion auditive) en rendant les accords un peu moins réguliers, non pas rythmiquement (au contraire là la régularité est de mise), mais en introduisant une micro dynamique qui ferait que les accords "soutiennent" indirectement le chant de la main droite? Parce que, quoi qu'on fasse, une fois la note longue jouée, elle ne fait que vibrer vers l'extinction, elle ne "chante" plus, elle est dans sa ligne de vibration point barre. Donc ce sont les accords qui peuvent introduire, très subtilement, l'illusion que ça continue à chanter à droite. Je ne sais pas si c'est clair ce que je raconte, ni ce que tu en penses?
Donc c'est plus une question qu'une remarque, et en fait c'est un grand bravo.
EDIT entretemps plein d'autres commentaires, tant pis je poste tel quel, je lirai les autres commentaires plus tard!
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JPS1827
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par JPS1827 »

Oupsi a écrit :la question musicale que je me pose est: ne faudrait-il pas soutenir ce chant (disons par illusion auditive) en rendant les accords un peu moins réguliers, non pas rythmiquement (au contraire là la régularité est de mise), mais en introduisant une micro dynamique qui ferait que les accords "soutiennent" indirectement le chant de la main droite? Parce que, quoi qu'on fasse, une fois la note longue jouée, elle ne fait que vibrer vers l'extinction, elle ne "chante" plus, elle est dans sa ligne de vibration point barre. Donc ce sont les accords qui peuvent introduire, très subtilement, l'illusion que ça continue à chanter à droite. Je ne sais pas si c'est clair ce que je raconte, ni ce que tu en penses?
Bravo Oupsi, je trouve ça bien senti, mais c'est souvent difficile à mettre en œuvre ! je viens juste d'écrire en éditant mon post précédent qu'"inexorable" ne signifie pas "parfaitement régulier".
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Merci à toi Oupsi pour ton écoute et tes avis, que j'ajoute à la longue liste de choses à faire :mrgreen:
Je suis ravi en tout cas que ces préludes donnent lieu à de telles discussions !
J'attends avec autant d'impatience vos avis sur Szymanowski et surtout sur Albeniz, que je compte travailler beaucoup en vue d'éventuels concours/concerts l'année prochaine.
Florestan
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Florestan »

Nox, humble défenseur de la Vérité dans l' Art, polémiste répétitif...

Tu dis
La manière d'écrire de Chopin est très révélatrice en général dans ses oeuvres, et quand il faut être très expressif, c'est très perceptible
Je réponds
Je ne comprends pas de quoi tu parles. Si Chopin veut que ça soit joué de façon expressive, il marque expressivo. Et il ne le marque pas si souvent que ça.
Tu réponds
Justement, tu ne vas jouer expressif que lorsque Chopin va marquer "espressivo" ? J'espère bien que non ! Par ailleurs il n'est pas question ici d'être expressif ou de ne pas l'être.
Au secours!
typiquement le genre de dialogue de sourd que je préfère éviter.

Je suis sur que tu trouveras ta manière, et ce sera très bien. En tout cas, ce sera la tienne.
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Florestan a écrit :Nox, humble défenseur de la Vérité dans l' Art, polémiste répétitif...
Arrêtez avec ça, c'est pénible. Je défends mes convictions c'est tout. J'ai reconnu mes torts sur 90% des remarques que vous m'avez faites, sur celles sur lesquelles je suis en désaccord, je vous explique pourquoi.
Florestan a écrit : Tu dis
La manière d'écrire de Chopin est très révélatrice en général dans ses oeuvres, et quand il faut être très expressif, c'est très perceptible
Je réponds
Je ne comprends pas de quoi tu parles. Si Chopin veut que ça soit joué de façon expressive, il marque expressivo. Et il ne le marque pas si souvent que ça.
Tu réponds
Justement, tu ne vas jouer expressif que lorsque Chopin va marquer "espressivo" ? J'espère bien que non ! Par ailleurs il n'est pas question ici d'être expressif ou de ne pas l'être.
Ma première phrase dit "s'il faut être très expressif" au sens "utiliser un rubato appuyé", raison pour laquelle je dis à la fin qu'il n'est pas question d'être expressif ou pas. De toute façon je ne vois pas de quel morceau on pourrait dire qu'il ne faut pas être expressif.
Ici pour moi l'indication "espressivo" vient un peu contrebalancer l'écriture pour rappeler qu'il ne faut pas tomber dans l'excès, et jouer cette pièce froidement. Mais elle n'indique pas qu'il faut "surjouer" en ajoutant du rubato sur cette ligne mélodique sobre qui selon moi doit pouvoir s'en passer.
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Florestan »

Tu défends tes convictions, exactement. C'est une conception de la communication, ce n'est pas la seule. Tu donnes parfois à tes interlocuteurs la désagréable impression d'être les sparring-partners de ton amélioration personnelle, la contradiction nécessaire au renforcement de tes certitudes. J'ai beaucoup donné dans ce registre alors excuse moi de n'avoir pas envie de te suivre. Question de parcours, c'est tout. N'y vois aucune animosité de ma part.
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Il n'est pas question de "me suivre", je ne mène rien dans la mesure où je ne parle pas tout seul. Je vous explique mes convictions, vous m'expliquez les vôtres, et chacun défend sa position, ce qui prouve que c'est une question peu évidente.
Bref, aucune animosité de ma part non plus, mais simplement une certaine perplexité sur le ton soudain de la discussion.
Passons...Merci encore pour tes conseils et avis divers.
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Re: Chopin, Albeniz y tutti quanti

Message par Jean-Luc »

nox a écrit :
Jean-Luc a écrit :La musique de Chopin est toujours inspirée du "bel canto" italien.
Pas "toujours", justement. Pas ici pour moi. Mais je suis d'accord avec toi, il faut trouver le bon équilibre, c'est délicat, je vais encore chercher.
Ce serait intéressant que tu développes. Je trouve, au contraire, que la mélodie confiée à la MG très chantante, très bel canto en somme. On pourrait aisément imaginer un violoncelle à defaut d'un baryton... :wink:
Florestan
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Florestan »

Juste un petit détail technique que j'ai omis.
La pédale est délicate, car si on la change dès la noire, et même dès le début de la mesure, on absorbe la dissonance de la double-croche. Donc je la mets en début de mesure et je change une demi-pédale sur le second temps.
Ce que je voulais dire c'est qu'on entend l'accord précédent résonner avec l'intervalle qui débute chaque phrase. Chopin indique de lever le pied sur chaque troisième temps qui débute une phrase, puis de la remettre sur le premier temps suivant et de "nettoyer" sur le deuxième temps. C'est évidemment un détail, et tu n'es pas le seul à utiliser la pédale ainsi, mais je trouve que c'est plus gracieux d'entendre ces intervalles sonner dans le vide, chaque petite phrase part alors de presque rien.
Bonnes recherches!
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