Bon ! Que d'avis ! Un grand merci à tous de consacrer du temps à l'écoute de ces préludes et à cette discussion !
*se retrousse les manches*
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Jean-Luc a écrit :
- n°1 : c'est un peu sage, et loin de l'agitato requis pour ce prélude. Augmenter le tempo n'est pas résoudre la question, c'est vraiment le côté presque tourmenté qui manque
- n°2 : j'aime beaucoup le côté implacable que tu rends. Presque pas de rubato ici me convient bien, l'atmosphère est là. Peut-être juste les accords de la fin sont un peu trop "plats" (il est marqué sostenuto dans mon édition)
- n°3 : très réussi, c'est le meilleur des 8 à mon avis. Un détail de rien : à la mesure 8, l'accord arpégé MD est un peu sec (le la est pourtant une blanche?); je ne sais pas si c'est volontaire ou pas.
- n°4 : c'est un tout petit peu vite pour un largo. Ca manque aussi d'un peu d'expression (ou de phrasé?) à la MD.
- n°5 : très réussi aussi je trouve, mais parfois c'est un peu "hâché", je ne sais pas comment dire
- n°6 : là aussi, ca manque de phrasé à la MG. La fin est très belle.
- n°7 : tu n'aimes pas ce prélude on dirait...

C'est un peu expédié (sauf la fin qui est très bien). Les accords se répètent trop de la même manière, il faudrait les timbrer un peu différemment à chaque fois.
Merci JL pour ces avis ! Sur le 1, je ne pressens pas ce "agitato" comme synonyme de "tourmenté", ce qui explique un peu ma vision de ce prélude. Dans l'esprit, il me fait un peu penser à la première étude d'exécution transcendante de Liszt. Je le vois comme une ouverture du cycle, sur laquelle il ne faut pas se poser trop de questions.
Sur le 4, encore une fois, c'est un largo, mais un largo en C barré ! Il faut sentir la pulsation à la blanche, et donc ça implique pour moi un tempo pas trop lent. Mais toutes les critiques se regroupent sur celui-là, je vais essayer de le repenser. Par contre je garde mon tempo, et mon non-rubato

Je vais chercher ailleurs, peut-être dans le côté flottant de la main gauche dont parle JPS.
Sur le 6, qu'entends-tu par "manque de phrasé" ?
Le 7, non, je l'aime beaucoup. Mais il faut le jouer très simplement, il n'y a presque rien de noté, c'est une sorte de réminiscence lointaine et vague de mazurka. Donc c'est un choix.
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@fugue : aaah merci !

Je désespérais de réussir à communiquer ce que je voulais sur ces préludes.
Merci pour ton écoute !
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Florestan a écrit :Salut nox, et merci d'enrichir ce fil.
Ba c'est le mien
Florestan a écrit :
Pour le troisième, très difficile, un excès de rigueur rythmique nuit un peu à l'épanouissement du chant, surtout quand il y a des accords arpégés, qu'il est je pense quasiment impossible de jouer bien sans élargir un peu le tempo. Peut-être qu'un peu plus de pédale à quelques endroits clés ne nuirait pas, surtout mesure 16 et 17, ce qui permet de jouer les notes répétées avec plus de souplesse et qui fera "enfler" le son avec à propos à mon sens.
Je suis en phase avec ces remarques. Comme je l'ai dit le problème de ce prélude, c'est qu'avant de se préoccuper de bien faire chanter la main droite, il faut être à l'aise avec la gauche et ça demande du temps.
Mais tu as parfaitement raison sur ces avis.
Florestan a écrit :
Je trouve que tu passes complètement à côté du quatrième, et absolument pas pour une question de tempo. Cette sobriété que tu revendiques trouve ici sa limite à mon avis.
Pourtant encore une fois, pourquoi faire de ce prélude ce qu'il n'est pas ?
Regardons la partition ! Il n'y a presque rien ! Très peu de nuances, quasiment aucune indication d'expression à part un stretto et un smorzando. Et cet accompagnement invariable et chromatique à la main gauche, ces accords nus et répétés. Et encore cette mélodie très simple, presque inexistante. Harmoniquement : du chromatisme, inexorable. Et le tout à la blanche ! C'est si peu "chopinien" dans l'esprit. Alors pourquoi, au nom de quoi, ce besoin de mettre des rubatos à certains endroits ? C'est fondé sur quoi ? L'écriture ne le suggère pas, aucune indication ne va dans ce sens ! La manière d'écrire de Chopin est très révélatrice en général dans ses oeuvres, et quand il faut être très expressif, c'est très perceptible : l'accompagnement qui laisse un peu plus de place, les inflexions suggérées par la ligne mélodique, les modulations. Ici rien de tout ça. Alors en faire, pourquoi ? Juste parce que c'est du Chopin ?
Florestan a écrit :
la musique notée sur la partition suffit déjà à tout exprimer
J'avoue que cette phrase me laisse perplexe. La musique notée n'exprime rien du tout, la musique ne se communique qu'au moyen d'une réappropriation par l'interprète. La sobriété est un trait de caractère, elle ne suffit pas comme projet d'interprétation. Et parfois elle sert de paravent à l'absence d'inspiration.
Ce que je veux dire, c'est qu'il est inutile de chercher à exprimer des choses qui n'existent pas. Ces préludes sont remarquablement bien écrits, courts et précis. Précis dans leur expression et justes dans leur écriture. Donc l'expressivité, il faut la trouver les quelques indications présentes, les indices laissés par Chopin. Si on se base sur un vague ressenti, on ouvre la porte au n'importe quoi, au risque de tomber dans le pathos "regardez comme je suis malheureux". Un danger omni-présent chez Chopin.
Florestan a écrit :
Je dirais qu'il faut écouter la main droite, et jouer la main gauche sans y penser, où plutôt en cherchant à "charger" la note du haut sur sa durée. Il me semble que tu écoutes beaucoup trop la main gauche parce que tu cherches à la tenir bien stable, et que c'est le chant que tu joues sans y penser: ça bride considérablement l'effet produit.
Je suis en phase avec ça, et je vais creuser dans ce sens. C'est une bonne piste.
Florestan a écrit :
Chopin c'est aussi la nostalgie, la volubilité, la férocité, la fièvre, la tension intérieure. Et une peine profonde qui est exprimée ici, et qu'à mon avis, à force d'avoir peur de la surjouer, tu ne joues pas du tout. Je me permets cette franchise parce que je suis convaincu que tu es capable de jouer ça beaucoup mieux, et que parfois chez toi le musicien est bridé par le critique.
Une peine profonde, peut-être, mais justement exprimée avec beaucoup de pudeur, comme toujours chez Chopin. Le danger est d'en faire trop, d'en faire une sorte de lamentation, ce qui n'est absolument pas le cas pour moi. C'est un équilibre délicat à trouver, et que je n'ai manifestement pas encore saisi.
Florestan a écrit :
Le septième est très bien, simple. Un seul détail, mais qui a son importance: tu changes la pédale après la barre de mesure, et pas sur la noire qui précède.
La pédale est délicate, car si on la change dès la noire, et même dès le début de la mesure, on absorbe la dissonance de la double-croche. Donc je la mets en début de mesure et je change une demi-pédale sur le second temps.
Florestan a écrit :
Désolé si mon propos est parfois un peu ...raide, j'ai essayé de donner mon sentiment avec le plus de sincérité possible.
C'est ce qu'il faut ! Et ce sont de très bons avis, même si je ne les partage pas tous. Au bout d'un moment c'est une affaire de conception, mais une chose est sûre, j'ai mal communiqué la mienne. Musicalement ces préludes sont vraiment délicats, même les plus "simples".
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JPS1827 a écrit :
Bravo pour le 3ème très réussi ! je te fais deux remarques : lors de la difficile formule en la majeur de la main gauche, il est absolument inutile de se presser autant pour arpéger à droite, je pense que Chopin écrit instinctivement un arpégé à droite ici car il sait qu'il faut un tout petit peu de temps pour aller chercher le ré de la main gauche qui commence la mesure suivante ; loin d'être une liberté ce minuscule temps améliore le confort à la fois du pianiste et de l'auditeur ; d'autre part, ne te focalise sur le fait de faire tomber les doubles croches de la main droite exactement en même temps que la 4ème double croche du temps correspondant de la main gauche, il faut jouer souplement avec le rythme exact et donner rendez-vous aux deux mains sur le temps qui suit, tu joueras tout aussi exact et plus souple ; mais ce sont des broutilles, il est vraiment bien tel quel.
Tu as absolument raison, et mon prof m'a fait exactement la même réflexion. J'ai du mal à la mettre en pratique car je suis encore beaucoup trop focalisé sur ma main gauche. Ceci dit, je me rends compte que j'entends beaucoup d'imperfections dans mes traits quand je le joue, alors qu'à l'écoute ici ça passe plutôt bien. Du coup ça me libèrera un peu lorsque je le jouerai dorénavant.
JPS1827 a écrit :
Le 4ème pourrait être plus dépressif et mystérieux en faisant plus "flotter" la main gauche par moments (les accords sont un peu trop uniformément présents à mon goût, tu as dû les travailler avec soin, mais je peux me laisser convaincre par ce côté obsédant en l'écoutant) et en écoutant plus les valeurs longues de la main droite se prolonger.
Comme je l'ai dit dans ma réponse à JL, ce côté "flottant" est une bonne piste. Il faut que je vois comment la mettre en pratique. Bref, celui-là est à creuser encore.
JPS1827 a écrit :
Pour le 8, ce n'est pas un cadeau. Le début est bien, il faut que tu le rodes encore. Je l'avais un peu travaillé l'été dernier avec quelques autres avant de devoir arrêter faute de temps. J'avais découvert que la façon habituelle dont on envisage mentalement la formule de la main droite (une octave brisée, 4 notes plus ou moins conjointes, une octave brisée etc.) était complètement inopérante et j'avais travaillé avec succès de la manière suivante : poser le pouce, attendre une demi-seconde, puis très vite et en bougeant les doigts le moins possible, dégouliner do-sol-si-la-fa-ré ré do. Puis accélérer le mouvement en gardant quasiment l'idée d'un arrêt sur le pouce (même si on ne s'arrête pas du tout en fait). Il est hors de question d'essayer d'ajuster le 5ème doigt de la main gauche avec la 5ème note du groupe de la main droite, et il faut attaquer le pouce gauche de tout près en évitant de "laisser tomber" la main dessus (si j'introduis un mouvement vertical de la main gauche entre les groupes de 4 notes, je contrarie complètement ma main droite qui ne peut plus jouer). Enfin je te donne mes impressions, ce n'est pas sûr que ça te serve à quelque chose (chacun trouve ses chemins mentaux pour arriver à jouer ce genre de truc difficile).
Pour moi j'ai surtout un problème d'endurance sur celui-là, comme dans la seconde novelette de Schumann par exemple. Comme il y a du "pouce-pouce" tout au long du morceau, ce côté de la main finit toujours par crisper. Il faut que je trouve le "truc"...
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Yapluka a écrit :
Nous avons déjà eu (au moins) une discussion sur ce thème

: je maintiens que l'on ne peux pas savoir vraiment comment Chopin jouait, car les descriptions de ses admirateurs ne peuvent pas être, par principe, objectives
Mais, est-il nécessaire d'être objectif pour parler de rubato ? Comme si jouer avec du rubato c'était mal. Je ne vois pas pourquoi ses "admirateurs" (ses élèves principalement) écriraient qu'il jouait sans rubato si ce n'était pas le cas ! S'il jouait avec rubato, ils auraient eux-même appris à jouer de cette façon, et n'auraient eu aucune raison de le cacher.
Pourquoi ne pas faire confiance à tous ces témoignages ?
Par ailleurs, il n'est pas question uniquement de manière de jouer, mais aussi de manière d'être ! Et Chopin était loin d'être le romantique triste, nostalgique et maladif qu'on dépeint souvent. C'est pour moi une musique extrêmement subtile, fine, délicate, introspective, que le rubato excessif transforme trop souvent en bouillon romantique.
Introspectif me semble vraiment le mot juste : c'est tourné vers l'intérieur, et non pas vers l'extérieur. Il n'y a aucun paraître.
Yapluka a écrit :
Tu as le droit d'avoir cette conception

, mais tu dois accepter que l'on puisse avoir une autre, sans que l'on puisse dire avec certitude, lequel des deux est dans l'erreur

...
Je l'accepte, pas de soucis. Le fait que je défende mon point de vue ne veut pas dire que je n'en tolère aucun autre !
Yapluka a écrit :
Je pense que ta conception est partagée par la grande majorité de ceux qui sont passés par le conservatoire (c'est le cas de ton prof, non

?) : je l'ai entendue si souvent ...
Si tu l'entends souvent, ça n'est pas pour rien

Mais ceci dit, non, je maintiens qu'il n'y a aucun lien avec le fait d'être passé par le conservatoire. Au conservatoire, il n'y a pas un consensus pour dire qu'il faut jouer de telle ou telle manière. Chaque professeur a son avis, et le fait qu'ils exercent dans un conservatoire ou non n'y change rien.