J'aimerais vous conseiller ce livre dont j'ai commencé la lecture hier-soir.
Captivant car Il faut savoir que non seulement écrivaine, Nancy Huston est pianiste.
"Si tu invitais trente personnes chez toi, des êtres que tu as aimés et que tu aimes, pour t’écouter jouer au clavecin, pendant une heure et demie, «Les Variations Goldberg» de Bach, et si ce concert se déroulait comme un songe d’une nuit d’été, c’est-à-dire si toi, Liliane, tu parvenais à faire vibrer ces trente personnes comme autant de Variations, chacune à un diapason différent — (il te faudrait pour cela osciller entre le souvenir et la spéculation ; il te faudrait surtout maîtriser tes peurs) — peut-être alors tous tes fragments de musique s’animeraient-ils enfin dans une même coulée, et cela s’appellerait «Les Variations Goldberg», romance."
Tel est le propos de ce roman, tel que le caractérise Nancy Huston de ses propres mots.
Il s'agit de son premier roman, paru en 1981. Celui-ci fait non seulement ressortir la place qu’occupe la musique classique dans la culture occidentale, mais aussi l’effacement du sujet devant ce qu’on nomme la « grande musique ».
Ses
Variations Goldberg sont comme la transposition de l'artefact musical dans un roman car le livre emprunte sa structure au schéma des Variations aux Goldberg (32 chapitres [aria, 30 variations et enfin aria] en intégrant, pour chacune, les réflexions de ses auditeurs lors d’une soirée musicale. Nancy Huston pénètre dans le cerveau de chacun au rythme des fameuses variations.
Chaque invité a droit à sa variation et au fur et à mesure, un nouveau point de vue se fait entendre. Ainsi, par ce très beau découpage, l'assemblage vient dès lors associer à l’œuvre de Bach un ensemble de comportements et d’attitudes, des malaises du corps à l’exaltation, de la lutte des classes à la différence entre les approches féminine et masculine de la performance et de l’audition musicales.
Le roman opère ainsi un comme un détournement du caractère bourgeois qui maintient les « grands classiques » dans les cimes de la pureté et de la perfection pour nous faire plutôt entendre ici la voix des auditeurs de cette soirée, qu’ils soient amateurs passionnés, interprètes harassés, ou tout simplement auditeurs récalcitrants.
Une belle occasion d'explorer une dimension de ce qui fait notre rapport à la culture, à la création, toujours avec la même distance qu'est supposé avoir le concertiste lorsqu'il exécute une œuvre en se demandant pourquoi et pour qui il le fait, pour lui, pour honorer le compositeur, pour le public, pour rien, pour la gloire ?
Absolument superbe !