Point d'histoire sur les récitals

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Lee
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Re: Point d'histoire sur les récitals

Message par Lee »

Dans À Nous Paris ils parlent de ces concerts http://terpsichore-festival.com en octobre qui seront à la salle Érard :
"Au bonheur de satisfaire la curiosité de ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans ce lieu historique au plein sens du terme (Liszt y 'inventa' le récital de piano en 1836)"...

Je ne savais même pas que les concerts ont lieu toujours à la salle Érard.
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jean-séb
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Re: Point d'histoire sur les récitals

Message par jean-séb »

Lee a écrit :Je ne savais même pas que les concerts ont lieu toujours à la salle Érard.
Merci pour l'info, Lee. Je l'ignorais aussi, mais pour une bonne raison, c'est qu'il n'y en avait pas, je pense. En effet, d'après ce que je viens de lire en googlant, la salle vient juste d'être réouverte au public. Il y a des photos et des détails intéressants sur ce site :
http://pietondeparis.canalblog.com/arch ... 17705.html
Quelques pubs pour la salle :
http://www.abcsalles.com/prive/fr/fiche ... ETqpxaMJmU
http://www.abcsalles.com/pro/fr/fiche_p ... ETq3RaMJmU

Avec la salle du Conservatoire, ça doit être la seule salle parisienne témoin de cet âge d'or du piano au XIXe siècle. Car ses grandes concurrentes la salle Herz et la salle Pleyel (celle de la rue Rochechouart) ont disparu. Pour ceux que des pélerinages parisiens intéresseraient, voici les principales salles de concert de l'époque, d'après un guide touristique de 1853 :
Image

edit : après quelques recherches, je me demande si la salle actuelle qu'on loue est bien celle qu'on appelait la salle (ou le salon) Erard où se donnaient les concerts. La gravure qu'on voit sur la page historique Erard très intéressante des Pianos Esther :
http://www.pianosesther.be/Erard.htm
montre une salle bien différente. La salle qu'on loue ressemble plus à un grand salon ou une pièce de bal d'un hôtel particulier.
Line-Marie

Re: Point d'histoire sur les récitals

Message par Line-Marie »

:D ah super intéressant. Merci Lee et Jean Seb
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jean-séb
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Re: Point d'histoire sur les récitals

Message par jean-séb »

Je rapatrie dans ce fil cette digression venue dans un autre fil :
pianophile-pianomane a écrit : lun. 13 août, 2018 11:11
jean-séb a écrit : dim. 12 août, 2018 15:58
Bien qu'on le répète souvent, je crois que ce n'est pas tout à fait exact. Un certain nombre de pianistes jouaient déjà des œuvres d'autres compositeurs. Mais c'était souvent intégré dans un programme assez touffu et divers, avec plusieurs interprètes, et puis il faut probablement distinguer entre concerts privés et concerts publics payants. Quoi qu'il en soit, je trouve dans l'introduction de la Méthode complète de piano de Herz (1830) des considérations pas très éloignées des nôtres :

https://books.google.fr/books?id=WBlDAA ... &q&f=false
Je ne connaissais pas ce point de vue là.
C’est très intéressant d’avoir recours à d’autres sources. Alors peut-être que cette histoire de Liszt n’est qu’une légende... mais bon, ça a quand même été quelqu’un d’extraordinairement novateur, talentueux et généreux.
viewtopic.php?p=344022#p344022
C'est l'occasion d'essayer de faire le point sur cette histoire maintes fois répétées de "Liszt a inventé le récital".

Déjà, nous voici pris entre des versions contradictoires dans les messages de ce fil :
la salle Érard :
"Au bonheur de satisfaire la curiosité de ceux qui n'ont jamais mis les pieds dans ce lieu historique au plein sens du terme (Liszt y 'inventa' le récital de piano en 1836)"...
tout ceci dure jusqu’à 1840, date à laquelle Liszt inventa le Récital lors d’un concert à Londres.
Il fut le premier à intégrer des œuvres d’autres compositeurs à son programme.
Alors, 1836 ou 1840, Paris ou Londres ? Et de quoi parle-t-on exactement, du mot ou de la chose ? Et si c’est la chose, quelle chose ?

Dans un article de l’Obs du 6 août 2016, Jacques Drillon semble opter pour 1840, Londres et explique à la fois la nouveauté du mot « récital » et en quoi consiste la nouveauté de la chose elle-même.
Le jour où Liszt a inventé le récital
A Londres, le 9 juin 1840, Franz Liszt joua, sur un pianoforte, Beethoven et Schubert. L'événement fut baptisé “récital”.
Littré a peut-être connu la chose, mais ignore le mot « récital ». Mallarmé le cite en anglais, sans accent et entre guillemets (1872) ; et l'édition de 1932-1935 du Dictionnaire de l'Académie, jamais pressée, l'ignore encore. C'est un pianiste et compositeur, Franz Liszt, qui inventa la chose et reprit le mot anglais, à Londres, en 1840. On pouvait lire, placardées sur les Hanover Square Rooms, ces affiches(*) :
Mr. Liszt will give, at Two o' clock on Tuesday morning, June 9, RECITALS on the PIANOFORTE on the following works : Scherzo and finale from Beethoven's Pastorale Symphony, Serenade by Schubert, Ave Maria by Schubert, Hexameron, Neapolitan Tarentelles, Grand Galop chromatique.
La presse se demande aussitôt: «How can one recite on the piano ?», ou qualifie l'entreprise de «curious exhibition». On voit que la chose n'est guère habituelle. Liszt a essayé d'autres formulations: «monologue pianistique», «soliloque musical», sans succès. Et c'est un musicien anglais, Frederick Beale, auquel s'ouvre un Liszt désireux de nommer son entreprise, qui lui suggère celui de recital (déclamation publique, et par cœur). Chaque pièce déclamée (ou chantée) était un recital. D'où le pluriel de l'affiche.
Le concert payant existait. En 1725, Philidor, qui est plus resté dans l'Histoire comme joueur d'échecs que comme compositeur, avait fondé le Concert spirituel: une institution qui permettait à tous, et non à un seul public d'invités, d'écouter de la musique pour elle-même, et non pas relativement à une pratique politique ou religieuse, et en payant sa place: un véritable tournant dans les pratiques sociales. Et l'on peut remonter plus loin, avec la famille Barberini, qui avait construit un Opéra de 3000 places à Rome, et inventé l'opéra public et payant à Venise en 1637.
Mais Liszt est le premier à avoir eu l'idée de jouer par cœur tout un programme devant une salle d'anonymes payants, à garder en tête ce qu'on appelle aujourd'hui un «répertoire» (qui allait de Bach à Chopin), à placer son piano de telle sorte que le couvercle renvoie le son vers la salle, et tout cela en étant seul sur scène. «J'ai osé donner une série de concerts à moi tout seul, tranchant du Louis XIV, et disant cavalièrement au public : le concert, c'est moi.»
Parfois, il jouait sur deux pianos différents, parce qu'il en cassait fréquemment les cordes, mais aussi pour qu'on pût admirer ses deux profils. Hugues Schmitt, dans un article consacré à cette performance, rappelle que Liszt était une sorte d'orateur de la musique. Voilà pourquoi le mot recital lui allait: il était un tribun, un héros, un demi-dieu ; il cite les pages bien connues de Mme Boissier, la mère d'une élève du pianiste-compositeur: «Liszt dit une phrase musicale comme personne», il «déclame comme un grand acteur, cherchant avec ses doigts à atteindre l'expression juste», il «se sert de la musique comme d'un langage énergique, propre à tout».
Jusqu'à lui, les « récitals » étaient donnés dans des salons (ou bien dans un bistrot, comme faisait Bach), devant un public choisi, qui ne payait pas toujours, et par de vulgaires domestiques, nommés Mozart ou Haydn. (Seul Beethoven, à la force du poignet, s'était imposé comme un égal des aristocrates qui l'écoutaient. «Des princes, avait-il dit à l'un d'entre eux, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n'y a qu'un seul Beethoven.»)
C'est que Liszt n'a pas seulement inventé le récital moderne, et avec lui le récitaliste moderne, car son exemple fut suivi par des musiciens qui furent les premiers interprètes professionnels (Hans von Bülow, Carl Tausig, mais aussi des quatuors, des chefs d'orchestre): il a inventé la célébrité. La vraie, celle qui pénètre dans toutes les couches sociales.
On n'imagine pas les délires populaires qui l'accompagnaient en tournée, les cortèges, les fêtes. On conservait ses fonds de cognac, ses mégots de cigare. Le critique Vladimir Stassov écrit: «Beaucoup perdaient la raison. Tous voulaient la perdre.» En inventant le récital, Liszt a inventé le show.
https://bibliobs.nouvelobs.com/actualit ... cital.html

Le site etymonline dit que le mot "recital" dans son sens musical est noté dès 1811
https://www.etymonline.com/word/recital
et un dictionnaire précise que c’est dans le « Complete Dictionary of Music » de Busby de 1811. Mais à en juger par une édition légèrement postérieure de ce dictionnaire (1827) que je trouve en ligne, le sens est légèrement différent :
Formerly the general name of any performance with a single voice. But at present only applied to recitative.
https://books.google.fr/books?id=uJFRAA ... &q&f=false
Je note toutefois qu'on trouve déjà "recital" dans la version anglaise (1779) du Dictionnaire de Musique de Jean-Jacques Rousseau (1768), où le mot est utilisé pour traduire ce que Rousseau avait appelé le "récit".
https://books.google.fr/books?id=1e8ZAQ ... &q&f=false
https://books.google.fr/books?id=hX2DEp ... &q&f=false
Selon Rousseau,
RÉCIT, s. m. Nom générique de tout ce qui se chante à voix seule : on dit, un récit de basse, un récit de haute-contre. Ce mot s'applique même en ce sens aux instruments ; on dit un récit de violon, de flûte , de hautbois. En un mot réciter c'est chanter ou jouer seul une partie quelconque, par opposition au chœur et à la symphonie en général, où plusieurs chantent ou jouent la même partie à l'unisson.
Nous n’en sommes donc pas encore au récital pour piano, mais on comprend l'évolution possible.
Quant à la chose elle-même, il n’est pas entièrement clair pour moi de voir ce que Liszt a inventé. D’autres pianistes que lui donnaient, sous d’autres noms, des récitals de piano (peut-être pas par cœur, en revanche). Par exemple, voici le compte rendu d’un « concert historique » de Moscheles à la salle Hanover Square le 27 janvier 1836 :
https://books.google.fr/books?id=te0qAA ... &q&f=false
Le programme de cette séance était digne du plus grand intérêt ; divisé en deux parties, il présentait une suite de vingt-deux morceaux de piano rangés dans l'ordre suivant :
1. Dominique Scarlatti, lento patetico et allegro extraits de ses leçons de clavecin.
2. Jean Sébastien Bach, toccate et fugue (en ré mineur).
3. W. Friedmann Bach, fils aîné du précédent, polonaise et fugue (en fa mineur).
4. Charles-Philippe-Emmanuel, second fils de JeanSébastien Bach, prélude et fugue (en ut mineur).
5. Jean Christophe, troisième fils de Jean-Sébastien Bach, andante alla sicilienne et fugue (en ut mineur).
6. Jean Chrétien, le plus jeune des fils de Bach, sonate.
7. Handel, courante, fugue et gigue (en sol mineur).
8. Woelfl, extraits de sa sonate intitulée : Non plus ultrà.
9. Dussek, extraits de sa sonate intitulée : Plus ultrà.
10. Steibelt, études (en mi bémol majeur et en ut majeur).
11. Clementi, allegro cantabile (tiré de son Gradus ad Parnassum.)
12. J. B. Cramer, études (en mi majeur et en sol mineur).
13. Field, romance pour le piano.
14. Hummel, études(en fa dièse mineur, et en ré bémol majeur).
15. Herz (Henri), étude (en la mineur).
16. Potter, étude (en ut dièse mineur).
17. Chopin, étude (en sol bémol majeur).
18. Mendelssohn, mélodie originale et grand prélude.
19. Thalberg, étude (en si mineur).
20. Moscheles, deux études caractéristiques nouvelles.
DEUXIÈME PARTIE.
21. Beethoven, grande sonate appasionata (en fa mineur, œuvre 57, en trois mouvements).
22. C. M. de Weber grande sonate (en mi mineur, en quatre mouvements, terminée par la Tarentelle).
Moscheles avait juste prévu d’intercaler quatre chants pour rompre la monotonie pianistique et c’est peut-être en ce sens que ce n’est pas un récital pur.


(*) On peut voir la "réclame" faite pour ce concert dans des journaux de l'époque comme l'Athenaeum ou le Musical World :
https://books.google.fr/books?id=2XFPAQ ... &q&f=false
https://books.google.fr/books?id=aecqAA ... &q&f=false
On remarque quand même qu'à la même époque un pianiste comme Dohler semble faire aussi des récitals, sans les appeler ainsi.

Sur cette question, on peut aussi utilement consulter ces liens :
https://www.cairn.info/revue-etudes-ger ... ge-473.htm
https://books.google.fr/books?id=lCw4cx ... &q&f=false
https://books.google.fr/books?id=B86vCw ... &q&f=false
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jean-séb
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Re: Point d'histoire sur les récitals

Message par jean-séb »

Mais alors ce concert de Liszt en 1836 dans les salons Erard, était-ce un récital ou pas ?
Il y a un site fabuleux qui permet d’y répondre, c’est
http://www.liszt.cnrs.fr/
auquel on accède par inscription (gratuite) et qui donne la liste, le détail, les annonces, les comptes rendus de tous les concerts de Liszt. On y retrouve le concert du 28 mai 1836, avec comme programme :
1. Liszt, Franz. Grande valse di Bravura. LW A32a. // Liszt, Franz
2. Liszt, Franz. Trois airs suisses. No 1. Improvisata sur le Ranz des vaches. LW A27a (Huber, Franz). // Liszt, Franz
3. Liszt, Franz. Soirées musicales de Rossini. LW A36 (Rossini, Gioacchino – Pepoli, Carlo comte. Soirées musicales). // Liszt, Franz
Il s’agissait d’un concert privé en présence notamment de Pierre Érard, Pierre Simon Ballanche, Ferdinand baron d’Eckstein, Charles comte de Montalembert, Giacomo Meyerbeer, Adolphe Nourrit, Ferdinand Denis, François Leuret, Théophile de Ferrière, Fryderyk Chopin, Eugène Delacroix, Louis Boulanger, Émile Barrault.
Ce n’était donc pas un récital, en ce sens que Liszt a bien joué du Liszt et probablement par cœur mais devant un public restreint d’amis et non en concert public payant.
En regardant dans l’ensemble des concerts antérieurs à 1836, on voit que ceux de Paris étaient le plus souvent des concerts privés. Néanmoins, on trouve ça et là, par exemple à Boulogne-sur-mer en 1827 ou à Marseille en 1826, des concerts publics où Liszt a joué un programme varié, incluant des pièces de lui (notamment des improvisations), mais aussi d’autres auteurs. Est-ce que ces programmes, pas encore appelés récitals, en sont quand même ?
Après 1840, on voit plus facilement des concerts qui, sans s’appeler forcément récitals, en sont quand même, par exemple celui donné le 27 avril 1841 à Orléans, annoncé en ces termes dans une gazette :
Voici une nouvelle à faire pâmer d’aise tous les dilettanti. On annonce l’arrivée à Orléans de M. Listz [sic], le célèbre pianiste, dont la réputation est si grande dans le monde musical, Listz, qui donne des concerts à lui seul, habile qu’il est à transformer le plus ingrat de tous les instrumens en un orchestre complet. C’est une bonne fortune pour Orléans, et dont chacun, nous n’en doutons pas, s’empressera de profiter. Qu’il nous suffise d’annoncer qu’un concert sera donné par M. Liszt, vendredi prochain 16 avril, dans l’une des salles de la mairie. — Prix du billet, 4 fr. — On souscrit d’avance chez tous les marchands de musique.
Le programme en était :
1. Liszt, Franz. Ouverture de l’opéra Guillaume Tell. LW A54 (Rossini, Gioacchino – Jouy, Étienne de ; Bis, Hippolyte. Guillaume Tell). // Liszt, Franz
2. Liszt, Franz. Lied de Franz Schubert. // Liszt, Franz
3. Liszt, Franz. Lied de Franz Schubert. // Liszt, Franz
4. Liszt, Franz. Réminiscences de Lucie di Lammermoor. LW A22 (Donizetti, Gaetano – Cammarano, Salvatore. Lucia di Lammermoor). // Liszt, Franz
5. Liszt, Franz. Réminiscences de Robert le Diable. LW A78 (Meyerbeer, Giacomo – Scribe, Eugène ; Delavigne, Germain. Robert le Diable). // Liszt, Franz
6. Liszt, Franz. Grand galop chromatique. LW A43. // Liszt, Franz
7. Liszt, Franz. Improvisation sur des motifs des Puritains (Bellini, Vincenzo – Pepoli, Carlo comte. I Puritani). // Liszt, Franz
Les journaux donnent des comptes rendus enthousiastes du concert qui font bien sentir la nouveauté :
Six morceaux de piano exécutés coup sur coup, par le même artiste ! — Certes, le programme offrait une perspective peu rassurante pour ceux qui avant tout aiment la variété. Eh bien ! en dépit des prévisions, le succès a été complet.
Avez-vous entendu Liszt ? L’admirable artiste ! quelle âme ! quel feu ! avec quelle vigueur l’instrument résonne ! ces morceaux d’ivoire d’une expression si sèche et si incomplète, il les anime de toute la passion qui circule dans ses veines. Sous ses doigts inspirés le piano acquiert presque de la sensibilité. C’est le triomphe de la difficulté vaincue !
Les pianistes étaient émerveillés de la vigueur de l’agilité prodigieuse de son doigter ; et réellement, en entendant cette multiplicité de notes qui jaillissaient de tous les octaves du piano, en entendant Listz [sic] faire à la fois un chant, une variation sur ce chant et une basse pour l’accompagner, on ne pouvait se défendre d’examiner un peu les mains de l’artiste, pour voir si le nombre de ses doigts était bien celui que constatent les anatomistes ; on comprenait parfaitement l’idée spirituelle de Dantan, qui a donné à la statuette de Listz dix doigts à chaque main.
Mais ce qui nous étonne plus encore que le doigter de Listz, c’est l’expression qu’il est parvenu à donner à un instrument aussi ingrat. — Qu’un violoniste, dont les doigts agissent directement sur les cordes, dont la main dirige l’archet, qui peut modifier les vibrations, altérer les notes, les élever où [sic] les abaisser ; qu’un flûtiste, qui, par l’écartement ou le rapprochement de ses lèvres, peut enfler ou diminuer le son et même modifier sa nature, obtiennent, avec leur instrument, des chants qui se rapprochent de ceux que peut rendre la voix humaine, il n’y a rien là de bien étonnant ; mais comment ne pas s’émerveiller en voyant un pianiste mettre en mouvement des touches, des marteaux, n’agir sur les cordes que par l’intermédiaire d’une machine, et cependant donner à son chant une expression aussi exquise !
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