pianomanga a écrit : jeu. 04 janv., 2018 22:36
Mince alors après avoir lu quelques témoignages de personnes ayant l'oreille absolue je comprends pourquoi on m'avait dit que c'était un poison.
Je une question pour ceux qui la possède depuis toujours:
Du fait que vous entendez les noms plutôt que les hauteurs, comment ressentez vous la musique ? Par exemple, si je comprends bien vous n'entendez pas les intervalles. Donc j'ai l'impression que ce n'est pas les couleurs harmoniques qui font travailler votre imagination. Est-ce le fait d'entendre le nom des notes qui vous raconte une histoire, qui vous reconnecte à des souvenirs ? Comment différenciez deux morceaux ? Est-ce à chaque fois qu'une suite de notes ou ressentez-les vous différemment ? Si oui en fonction de quoi ?
Excusez moi ça fait un peu plus d'une question mais je suis vraiment curieux depuis un moment sur ces questions du ressentis.
Pianomanga, comme tu n'es pas revenu(e) depuis le 4 janvier je ne sais pas si ça vaut la peine de te répondre, mais bon, voilà.
Je n'ai pas l'oreille absolue mais je pense que je comprends bien ce qu'on entend par là... et je pense que toi tu n'as pas bien compris ce que c'est.
Les personnes qui ont l'oreille absolue entendent exactement la même chose que toi et moi ! Y compris les intervalles, les harmoniques etc. La différence c'est qu'elles ont appris à
nommer les notes, c'est-à-dire qu'elles ont appris à
associer un nom à une hauteur de note et que lorsqu'elles entendent (et reconnaissent) cette hauteur,
le nom de la note leur vient à l'esprit.
La difficulté que ces personnes ont avec les intervalles, ce n'est pas qu'elles ne les entendent pas, c'est que si elles doivent les
nommer, genre 'c'est une quinte' ou 'c'est une quarte', pour un examen par exemple, elles nomment d'abord dans leur tête chacune des notes séparément (parce qu'elles les reconnaissent instantanément) et
déduisent ensuite le
nom de l'intervalle à partir de leurs connaissances du solfège. Il leur faut donc un peu plus de temps pour nommer un intervalle (moins d'une seconde quand même) qu'il n'en faut à quelqu'un qui n'a pas l'oreille absolue et qui s'est bien entraîné à reconnaître les intervalles et à les nommer (ce que font tous les étudiants de conservatoire). Mais bien entendu, la personne qui a l'oreille absolue pourrait très bien elle aussi s'entraîner à reconnaître et nommer immmédiatement les intervalles en tant qu'intervalles plutôt qu'en tant que deux notes reconnues individuellement. Par contre, il est probable que cet entraînement soit difficile pour elles, parce qu'elles entendent déjà instantanément chacune des notes (et les nomment dans leur tête); elles devraient donc s'empêcher de penser d'abord aux notes - y perdant du temps - donc au bout du compte elles n'y gagneraient rien du tout.
Mais tout cela a été mesuré dans le cadre de tests en laboratoire où on demandait à des musiciens de
nommer des intervalles et où on mesurait leur temps de réaction (en fractions de secondes !). C'est dans ce cadre qu'on a mesuré que les personnes qui ont l'oreille absolue prennent plus de temps (en fractions de secondes) à nommer les intervalles que les 'oreilles relatives'. Dans la vie musicale normale tout cela n'a aucune importance et je t'assure que les 'oreilles absolues' entendent la musique exactement comme toi et moi (enfin, je veux dire comme toute oreille relative normalement constituée).
Mais alors, pourquoi des musiciens (je suppose ?) qui ont l'oreille absolue t'ont dit que c'était un poison ? Je ne connais pas forcément toutes les raisons possibles, mais il y en a au moins une facile à comprendre: lorsqu'un instrument n'est pas accordé au La 440, pour un musicien qui a l'oreille absolue il sonne faux, même s'il est parfaitement accordé, au La 415 par exemple. Imagine une musiciene qui lit une partition de Bach ou de Vivaldi et qui doit la jouer sur instrument d'époque, à un diapason différent donc, généralement plus bas (les groupes qui jouent sur instruments d'époque jouent souvent au La 415) . Elle lit un La sur la partition mais ce qu'elle jouera sur son instrument accordé plus bas sonnera pour elle comme un Sol dièse. Il faut donc qu'elle transpose continuellement dans sa tête, une gymnastique mentale qui peut être fatigante! Bien sûr ça s'apprend et ça peut devenir un automatisme si on doit le faire souvent. Les musiciens qui jouent d'un instrument transpositeur l'apprennent bien, même s'ils ont l'oreille absolue. Ajoute à cela que les orchestres philharmoniques ne s'accordent pas tous au La 440 - de nos jours ils tendent à s'accorder de plus en plus haut, parce que ça sonne plus brillant ! Combien de musiciens de l'orchestre philharmonique de Berlin ont l'oreille absolue ? Plusieurs, sans doute... comment aiment-ils jouer au La 446 ? À leur oreille ils jouent faux tout le temps... Il faut croire qu'on s'habitue.
Ce qui est probablement beaucoup plus difficile à supporter, c'est le vieillissement physiologique de l'oreille, car en vieillissant, on entend graduellement les sons de plus en plus haut, c'est-à-dire que la même hauteur de note sonne de plus en plus aigu à notre oreille à mesure qu'on vieillit. Donc de plus en plus faux si on a l'oreille absolue... J'ai déjà lu un article où une musicienne âgée (connue mais j'ai oublié qui) s'en plaignait amèrement.