Ce fil est magnifique, quelle merveille idée Lee !
Vos témoignages me touchent comme c'est pas possible, m'incitent aussi à me recueillir sur ma propre histoire. Savoir ce que j'écrirais si j'écrivais sur ce sujet.
Piano-panier, j'imagine que tu connais ce livre "Power Patate" :
http://www.florenceservanschreiber.com/ ... er-patate/
C'est drôle parce qu'à l'inverse de vous tous, mes professeurs ont toujours joué devant moi, pour me faire sentir certaines choses. Si je devais écrire, il y en aurait à dire. Impossible de faire court. Tellement de personnes à remercier.
Tout d'abord ce médecin qui a dit à mes parents quand j'étais tout petit : ouh là, là, il a de toutes petites mains... Il faudrait qu'il joue d'un instrument de musique... Alors ce n'a pas été un problème, pas du tout une obligation pour moi. Parce que la première fois que j'ai vu un piano, c'était chez ma grand mère. C'était un vieux vieux piano droit, tout fatigué, cadre en bois, bien faux.. J'avais cinq ans je crois. Je me suis assis là, tant bien que mal, complètement ébahi de voir que lorsqu'on posait ses doigts, cela faisait des sons... J'ai passé là toute l'après-midi, mes doigts contre les vieilles touches d'ivoire, heureux comme un fou. Un crève coeur quand il a fallu partir.
Alors du coup on s'est dit que ce serait bien pour moi le piano... pour mes mains.
Cela a duré pas mal de temps comme ça, le rituel chez ma grand mère, et à chaque fois on ne pouvait plus me décoller du piano. Si bien qu'un jour (je pense que c'était un an plus tard), ma grand mère a laissé le piano venir s'installer chez moi, avec, dans le trousseau, le nom d'une prof à aller voir : Madame Guédamour...
Ma grand-mère, on aurait cru quelqu'un du XIXème siècle. Mais c'était rien à côté de madame Guédamour. SI je devais écrire à cette dernière, je la remercierai tout d'abord d'avoir pu pénétrer chez elle. Parce qu'elle habitait juste à côté de la maison de Georges Méliès (dont mon père m'avait souvent parlé). Dommage cette maison a été détruite depuis. Comment a-t-on pu laisser détruire ce joyau, lieu d'histoire ? Alors voilà, de son jardin, je pouvais entrapercevoir un bout du jardin de ce prestidigitateur des images et cela me faisait rêver.
Je la remercierais aussi de m'avoir fait découvrir qu'il existait des pianos à queue (elle avait un crapaud), et surtout, de m'avoir tapé sur les doigts dès la deuxième leçon (vous savez le truc où l'on vous met une pièce sur le dos de la main, qui ne doit pas tomber... et si elle tombe... malheur à vous.)
Je la remercierais parce que je n'ai plus du tout voulu y retourner... me disant qu'il fallait que je me débrouille tout seul.
Je n'arrêtais pas de jouer.. essayant de retrouver les airs que j'aimais, essayant aussi d'en faire quelque chose. Je la remercierais parce que je sais que c'est cela qui m'a développé l'oreille. Qui m'a donné aussi une espèce d'approche qui faisait que je n'ai jamais eu peur du piano. Un terrain de liberté. J'ai fait ça pendant des années et des années... Sont passés par là les morceaux des Beatles, des Stones, des Moody Blues, Simon and Garfunkel et autres Elton John, CSN&Y dont je relevais les morceaux qui me plaisaient à l'oreille... Vous savez.. Lady Madonna, Martha my dear, For no One, Hey Jude, Let it be... Ruby Tuesday... Night in white satin, Like a bridge troubled water, Sorry seems to be the hardest word, Don't let it bring you down (version du disque After the gold Rush), After the Gold Rush... et peut-être une centaine d'autres... et puis j'adorais écouter Fats Waller... Et tout le ragtime, dont j'ai appris à "faire la pompe".
Dans le lot, il faut aussi remercier ma grand mère, parce que le piano, il ne tenait pas l'accord (les chevilles qui flottaient un peu trop dans le bois). J'ai acheté une clé pour accorder et j'y passais des heures... Il restait un peu juste un quart d'heure et puis tout était à refaire : cela m'a donné le goût de l'effort.
J'ai quand même refait un petit passage avec une autre prof, mais qui ne m'a pas donné le goût. Mais bon, j'ai pu travailler du Czerny, Hanon, des sonatines... Mais là aussi j'ai très vite quitté...
Et alors est arrivé ce disque : le Köln concert de Keith Jarrett. Je suis tombé fou de la quatrième face : Memories of tomorrow
https://www.youtube.com/watch?v=plHspS6JlG4. J'ai mis plus de 6 mois à le relever (faisant jouer surtout ma mémoire et des signes cabalistiques de mon cru) ... Sauf que j'étais bien avancé, parce que si j'avais une bonne oreille, j'avais une technique bac - 12, et c'était impossible pour moi de jouer ses phrases rapides... Et ce morceau, je voulais tellement le jouer. Je n'avais jamais entendu quelque chose de tel auparavant.
Alors là, j'ai pris les grands moyens et me suis inscrit au conservatoire national de région de Montreuil. J'avais 18 ans.
On y prenait les adultes, mais il fallait faire un an de solfège avant de pouvoir entrer en classe de piano. Et c'est là que je veux remercier ma prof de solfège... Il faut imaginer la scène... A l'époque il n'y avait pas de classe "adulte" proprement dite. Alors au solfège, j'ai démarré à zéro.. J'étais avec des tous petits... mais bon, au bout d'à peine une semaine, comme j'avais bon, j'ai sauté une classe. Et là, j'y suis resté 1 mois, et puis j'ai encore sauté une classe... et je suis arrivé dans la classe de madame ... (je ne me souviens plus de son nom, hélas). Et elle n'a pas voulu se plier à la règle qu'il fallait attendre encore avant que je puisse commencer à jouer du piano... Je me rappellerais toujours de son geste, me prenant après un cours par la main, me disant "viens, on va tenter un truc"... Alors on est monté au quatrième étage, dans la classe de Monsieur RIchard. Elle a plaidé ma cause, d'une façon incroyable. Alors monsieur RIchard m'a fait assoir devant le piano, me demandant de lui jouer quelque chose. C'était un beau Steinway quart de queue. Je crois que j'ai joué un truc d'Elton John. Pendant cela, il n'arrêtait pas de donner des petits coups sur mes coudes...
Il a accepté de me prendre tout de suite dans sa classe à une seule condition : que j'accepte de reprendre avec lui tout à zéro. Parce ce que rien n'y était : pas de poids de bras, aucune "technique"... Si je pouvais lui écrire maintenant, je le remercierais de nouveau pour tous les moments merveilleux que j'ai passés avec lui, de m'avoir permis aussi d'assister après mon cours, à celui qu'il donnait à son élève la plus avancée (avec son accord), qui préparait le conservatoire de Paris. Une vraie merveille les discussions qu'ils avaient à propos des oeuvres. Une merveille aussi quand il se mettait au piano, juste pour montrer une petit chose. Le son qu'il avait !!! Et moi, j'étais comme une éponge.
Je le remercierais de cette phrase qu'il a eue alors que j'avais passé l'examen de fin d'année (au conservatoire on était obligé) et que je me suis étalé pendant le deuxième morceau (la quatrième invention de Bach). Au début cela avait bien commencé, puis au moment de jouer la quatrième invention s'est passé pour moi quelque chose de déstabilisant. J'étais là, et je regardais jouer mes doigts, qui jouaient tout seul. Le fait d'y attacher de l'importance, de me dire que ce n'était pas normal, a fait que cela a commencé à partir en quenouille. Puis grand blanc... alors j'ai improvisé pendant au moins quatre mesures un truc, un peu dans le style, pour essayer de rattraper le fil en route, de me raccrocher à une branche. J'ai mis cela sur le compte du trac.
Le retrouvant plus tard, après être sorti de la scène, il m'a dit : "tu sais, il n'y a que les musiciens sans talent qui n'ont jamais le trac. Ce que tu as joué était superbe".
Je le remercierais aussi, de sa réaction, le jour où je lui ai amené une partition des suites canadiennes d'Oscar Peterson, en lui disant que j'aimerais la jouer (j'étais un peu dans mes petits souliers... d'oser lui apporter quelque chose qui n'était pas du "classique"). Il s'est installé, à commencé à déchiffrer à vue, jouant cela merveilleusement me disant : "mais qu'est ce que c'est bien écrit !!!), comme une merveilleuse découverte pour lui. "Je l'emporte avec moi, comme ça, je vais t'écrire tous les doigtés.. Et si tu veux, viens me voir tel jour au conservatoire de Bobigny (il en était le directeur, outre être prof aussi dans le conservatoire de Montreuil), on regardera cela ensemble". C'était un énorme privilège de venir chez-lui. Il habitait tout l'étage en haut du conservatoire. C'était immense. Il avait plusieurs piano à queue, des pianos qu'on lui avait offerts... Avant d'être prof, il avait été un grand concertiste, avait dû arrêter après avoir eu un accident de voiture qui lui avait emporté le bas de la jambe gauche, remplacé par une prothèse. Il avait travaillé tout le recueil des suites. M'en a joué une en me montrant le plaisir qu'il avait à le faire, swinguant comme un malade... Comme pour me dire : j'ai bien compris ce que tu aimais par dessus-tout, et c'est une merveilleuse musique, aussi valable que n'importe quel auteur classique.
Je le remercierais aussi, de m'avoir dit, après deux ans de ses cours : "Christophe, il faut que tu te sauves d'ici. Ton truc c'est le jazz. Trouve-toi un bon professeur. Je suis heureux, je t'ai remis sur de bons rails. Et puis, rien ne t'empêche de revenir au classique plus tard." "Surtout, ne perds pas de temps".
La suite une autre fois...
Christof