Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en !

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rachmaninoff
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par rachmaninoff »

C'est un sujet très intéressant et important, auquel je réfléchis beaucoup depuis pas mal de temps, et qui concerne je pense tous les pianistes, de tous niveaux.
Avant tout je pense qu'il faut distinguer, même s'il y a parfois un lien, les maniérismes "sonores" (de phrasés, de rubato, etc.) de l'emphase gestuelle. Par exemple Horowitz, d'une économie de mouvements folle (âge oblige, sûrement, me direz-vous), mais bien moins sobre dans son jeu (ralentis, décalages MG-MD, accents exacerbés...). Je n'irais pas jusqu'à qualifier ça de "maniéré", même si par moments on n'en est pas loin.

Concernant Chopin, évidemment la diversité des oeuvres est telle qu'on ne peut pas tout à fait généraliser. Le maniérisme peut être le bienvenu dans les Scherzi par exemple, où finalement une interprétation sobre perd pas mal de sens. Bien sûr, dans les Mazurkas et les Nocturnes, c'est plus délicat.

Prenons un exemple : l'op.48 n°2. Le maniérisme principal concerne ici, je pense, le rubato. Ça ne pardonne pas. Quelques tendances comme ça qui me viennent à l'esprit (si tant est que cela ait un sens, classées du "plus" au "moins" maniéré) :

- La guimauve, le Chopin qui dégouline : Onay. Très peu pour moi, j'en ai mal à l'estomac.

- Quelques tangages par-ci, par-là : Arrau, Pires. Dans la Tribune, le jeu de Pires avait été qualifié de "théâtral", c'est tout à fait approprié je trouve.

- Un Chopin sobre parsemé de quelques libertés : Leonskaya, Sokolov.

- La plus parfaite alliance entre sobriété et poésie (non non ce n'est pas du tout objectif :mrgreen: ) : Lympany, Rubinstein. Lympany dans les Nocturnes, pour moi c'est le must. Une version incroyable, que je pense préférer légèrement à celle de Rubinstein, qui n'en reste pas moins elle aussi au sommet.

- Chopin mis à nu : Pollini. C'est une version qui à la fois me perturbe et m'intéresse follement, comme tout ce que fait Pollini. L'ensemble a un caractère si direct, si désincarné qu'on a presque l'impression de ne plus voir que le squelette de l'oeuvre. Je ne sais toujours pas si j'aime ou pas, en fait je crois que je ne peux pas dire, je suis juste sûr que je trouve ça fascinant.

Certes, ces "classements" valent ce qu'ils valent... c'est subjectif, pas exhaustif, ce ne sont que mes impressions. Ça montre en tout cas à quel point les différences d'interprétation sont exacerbées dans les Nocturnes en particulier. Heureusement, tous les goûts et tous les Chopin sont dans la nature (même si j'ai du mal à imaginer qu'on puisse aimer la guimauve. La vraie guimauve pourquoi pas, mais le Chopin-guimauve, bonjour les dégâts...).

Pour les motivés, il y a sur Youtube une Tribune de France Musique de 1981 sur la Sonate funèbre dont j'ai écouté quelques minutes, ça doit être très intéressant de comparer les visions stylistiques de l'époque avec celles d'aujourd'hui (et, comme le disait Sylvie, la façon de parler des tribuns avec ce que l'on entend de nos jours à la radio).
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Lee
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Lee »

=D> Quand tu reviens sur PM, tu es au sommet de ton art, une réponse complète à la question, 20/20. Vive les vacances, merci beaucoup ! J'ai tout écouté sauf la Tribune sur la sonate Funèbre.
rachmaninoff a écrit :- Pollini...L'ensemble a un caractère si direct, si désincarné qu'on a presque l'impression de ne plus voir que le squelette de l'oeuvre. Je ne sais toujours pas si j'aime ou pas, en fait je crois que je ne peux pas dire, je suis juste sûr que je trouve ça fascinant.

Certes, ces "classements" valent ce qu'ils valent... c'est subjectif, pas exhaustif, ce ne sont que mes impressions. Ça montre en tout cas à quel point les différences d'interprétation sont exacerbées dans les Nocturnes en particulier. Heureusement, tous les goûts et tous les Chopin sont dans la nature (même si j'ai du mal à imaginer qu'on puisse aimer la guimauve. La vraie guimauve pourquoi pas, mais le Chopin-guimauve, bonjour les dégâts...).
Et voilà les différences subjectives : de tous tes exemples, le seul que je ne supporte pas est Pollini, ça me donne envie de réécouter ton exemple guimauve. (Récemment dans un autre fil on a évoqué quelques anciens enregistrements moins froids que je n'ai pas encore écoutés.) Chopin a dit qu'il cherchait à exprimer l'âme et le coeur, pas notre squelette ou nos os ! Le pire sont les séquences des notes répétées dans la main gauche ou les accords enchainés, avec sa façon de jouer presque sans nuance, ça ressemble être joué par numérique automatiquement. Je suis persuadée Chopin ne jouait pas sa musique comme ça, ce n'est pas possible...

Juste une autre remarque, Leonskaya ne me semblait pas de tout sobre, donc c'est très intéressant d'avoir ces impressions.
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Presto
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Presto »

Spianissimo a écrit : C'est vraiment très subjectif tout ça. Pour moi, un Chopin certes maniéré mais chantant (le 1er) et un Chopin ciselé certes, mais trop rapide et froid (le 2nd).
Ben non, :wink: Je manque de distance envers cette version, mais pour moi c'est un exemple de miracle musical, un jeu discret, classique, direct mais d'une intensité rare. Tempi rapides oui, mais j'aime bien cette urgence, bref, on doit être en plein dans les questions de goût.

Mais je dois être un peu bizarre, car comme exemple de Chopin insupportable, maniéré, sirupeux à souhait, prétentieux tellement les effets sont appuyés, (réalisation superlative bien sûr, mais que je m'en moque !) je donnerais volontiers cette version du 1er concerto qui ne manque pas de partisans sur le forum :
https://www.youtube.com/watch?v=S1Iv2JJc-Qc
Avec Lipatti, c'est la chaire de poule assurée : https://www.youtube.com/watch?v=Yx4PQOX1IRo
Paradoxalement, je ne vois pas grand chose de maniéré dans Cortot : https://www.youtube.com/watch?v=KVqlIjwP1l8
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Mona
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Mona »

Ce fil est très intéressant. Merci Rachmaninoff pour les exemples donnés, sur un même Nocturne, ça illustre tout à fait le thème de ce fil. Et en effet, c'est là où l'on réalise qu'il est objectivement difficile de taxer tel jeu de "maniéré" ou de "sobre", tant l'appréciation subjective entre en jeu. Et tant mieux. Pour l'un, une interprétation sera dégoulinante de mièvrerie, tandis que pour l'autre, elle sera pleine de sensibilité. Un jeu paraîtra désincarné là où un autre le ressentira sobre mais sans froideur.

Lee, tu trouves que le jeu de Leonskaya n'est pas sobre. Peut être faut il se mettre d'accord sur ce que l'on entend par "sobre" ? Est ce que pour toi, sobre = froid ? Comment ressens tu son interprétation ? Pour ma part, un jeu "sobre" ce serait un jeu sans "chichis", sans emphase excessive, mais n'empêchant nullement l'expression de la sensibilité, bien au contraire. Les interprétations qui me touchent le plus sont celles qui précisément savent rester sobres, avec une sensibilité qui affleure en permanence sans jamais "déborder" en dégoulinades infâmes, rubato excessifs, inflexions larmoyantes. Où l'on perd justement à ce moment toute l'âme de la pièce. L'exemple parfait à mon sens, mais ce n'est pas sur Chopin, c'est Brendel dans le 2° mouvement de la Sonate D959 de Schubert (que je citerais aussi volontiers en exemple dans l'autre fil "Les oeuvres à se flinguer"). Pour moi, cette pièce exprime le sommet du désespoir et du déchirement humains, mais avec quelque chose qui reste, paradoxalement, très intime, très intérieur, comme si on touchait au dénuement absolu de l'âme. Et justement, cette intimité là ne peut s'exprimer que dans un jeu "sobre", pudique, qui respecte la pureté de l'oeuvre... C'est ainsi que je ressens le jeu de Brendel : il se met au service de cette pièce, sans jamais verser dans un sentimentalisme de mauvais goût. Il laisse parler le texte, en dégage l'essence.

https://www.youtube.com/watch?v=Il6-lZYDpqY

Rachmaninoff, quand tu parles du jeu de Pollini comme quelque chose qui dégagerait le squelette de l'oeuvre, ça m'évoque irrésistiblement l'écriture de M. Duras (pas celle des débuts, plus celle de l'après Lol V. Stein). Elle même faisait part de ses tentatives d'arriver à l'"os" du mot, comme pour dévoiler la structure du langage, en la mettant à nu. D'où une écriture dépouillée à l'extrême, où tous les codes de l'écriture (jusque dans sa forme syntaxique) et du roman classique s'effaçaient.
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rachmaninoff
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par rachmaninoff »

Lee a écrit :Juste une autre remarque, Leonskaya ne me semblait pas de tout sobre, donc c'est très intéressant d'avoir ces impressions.
À vrai dire j'ai hésité pour son cas, elle me semble en fait plutôt se situer entre les "tangueurs" et Sokolov, mais comme le dit Mona, je ne ressens pas ses libertés comme des "chichis" (je ne sais pas si la Tribune a mis un copyright sur ce mot, mais il convient parfaitement). J'aurais peut-être dû faire une catégorie spéciale "Leonskaya" (après tout, logiquement, il faudrait autant de catégories qu'il n'y a de pianistes...).
Lee a écrit :le seul que je ne supporte pas est Pollini
Son cas est tellement particulier... J'avais lu ces échanges sur PM, en diagonale. Pour moi c'est vraiment ça, une recherche de neutralité poussée à l'extrême. C'est sûrement hors de propos, en tout cas ce n'est à mon sens évidemment pas une version de référence, à écouter pour découvrir ces Nocturnes. Mais c'est tout de même très intéressant, dans le sens où justement, on a cette neutralité. Le jeu de Pollini me touche beaucoup, non pas au "premier degré" avec le morceau lui-même (pour les maniéristes), non pas au "deuxième degré" avec la distanciation par rapport au morceau d'un Rubinstein ou d'une Lympany, mais justement au-delà de ça : c'est précisément cette froideur qui me fascine, ce côté désincarné. J'ai un peu l'impression d'être devant une sorte d'abîme, devant un monde glacial, abstrait, austère, des mornes plaines vides. Ça fait presque peur parfois, d'ailleurs. Et n'est-ce pas ça, la musique ? Être transporté dans un autre monde, transcendé ? Pollini le fait, pour moi, à sa manière, même si évidemment c'est très détourné. Alors je ne sais pas si ce sont ses intentions premières, ce n'est pas impossible après tout, en tout cas c'est comme ça que je perçois son interprétation. Et j'aime beaucoup.
Mona a écrit :L'exemple parfait à mon sens, mais ce n'est pas sur Chopin, c'est Brendel dans le 2° mouvement de la Sonate D959 de Schubert
Tout à fait d'accord avec toi sur cette question de la sobriété, Mona. Par contre c'est drôle je n'aurais pas cité Brendel, mais Kempff. Le tempo y est encore plus stable, l'expression plus directe, l'interprète me semble encore plus distant... c'est d'une beauté à couper le souffle (cette reprise du premier thème, à 5:28, c'est "à se flinguer", justement !).
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Jacques Béziat
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Jacques Béziat »

Bon, je reviens malgré tout commenter, les exemples de rachmaninoff étant judicieux ! :)
rachmaninoff a écrit :
- La guimauve, le Chopin qui dégouline : Onay. Très peu pour moi, j'en ai mal à l'estomac.
Je suis d'accord, c'est lent et le décalage systématique de la mélodie donne un peu mal au cœur, une façon de jouer très slave, en fait, il y a tellement de sirop sur le gâteau que ça déborde sur les doigts et autour de la bouche... :mrgreen:

Mais ça peut plaire aux gourmands... :D
- Quelques tangages par-ci, par-là : Arrau, Pires. Dans la Tribune, le jeu de Pires avait été qualifié de "théâtral", c'est tout à fait approprié je trouve.
Ça va mieux déjà, en effet, j'aime néanmoins beaucoup la version de Arrau, c'est beau bien que très expressif, mais sans excès de maniérisme à mon avis.
- Un Chopin sobre parsemé de quelques libertés : Leonskaya, Sokolov.
Ah ! Sokolov, je voulais en parler, voilà qui tombe à pic, l'un de mes pianistes préférés, j'adore sa façon directe de jeu, sans fioritures, il faut que j'écoute ses Prokofiev, ça doit déménager, mamma mia !!!
La plus parfaite alliance entre sobriété et poésie (non non ce n'est pas du tout objectif :mrgreen: ) : Lympany, Rubinstein.
Effectivement, Rubinstein joue cette pièce avec beaucoup de simplicité, j'aime !! À l'opposé de Onay !
Les notes de la mélodie coïncident avec la basse des accords sans que que cette mélodie s'en trouve amoindrie ou moins claire, comme quoi...

Merci pour ces exemples, très parlants, mais bien entendu, chacun aura le droit de ne pas être d'accord !! 8)
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Lee
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Lee »

Mona a écrit :Lee, tu trouves que le jeu de Leonskaya n'est pas sobre. Peut être faut il se mettre d'accord sur ce que l'on entend par "sobre" ? Est ce que pour toi, sobre = froid ? Comment ressens tu son interprétation ?
Justement je n'étais pas trop sûre ce qui voulait dire "sobre", car Yves Nat l'exemple de JPS ne me fait pas penser à la sobriété. J'aime beaucoup l'interprétation de Leonskaya, elle fait habité et très expressive. Sokolov me semble clairement sobre, quand je compare Sokolov avec Leonskaya, c'est evident. Parfois on sent presque qu'il prend une distance dans ses notes, comme ils sont lointains...c'est difficile d'expliquer, c'est comment il joue. J'apprécie toujours Sokolov mais ce n'est pas le Chopin que je trouve le plus poignant. Le Chopin de Pires me parle bien plus.

EDIT Je remets pour comparer le même nocturne que Rachmaninoff, cité en haut par JPS, peut-être un peu perdu dans les messages :
par Tamas Vasary est joué avec une belle sonorité qui fait peut-être pardonner les "maniérismes" (moins présents à la reprise du thème) : https://www.youtube.com/watch?v=Nj8HL0D94wg
Modifié en dernier par Lee le dim. 06 mars, 2016 11:13, modifié 2 fois.
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Lee »

Presto a écrit :
Spianissimo a écrit : C'est vraiment très subjectif tout ça. Pour moi, un Chopin certes maniéré mais chantant (le 1er) et un Chopin ciselé certes, mais trop rapide et froid (le 2nd).
Ben non, :wink: Je manque de distance envers cette version, mais pour moi c'est un exemple de miracle musical, un jeu discret, classique, direct mais d'une intensité rare. Tempi rapides oui, mais j'aime bien cette urgence, bref, on doit être en plein dans les questions de goût.
Mais même si vos goûts ne sont pas les mêmes, vous êtes bien d'accord que le premier est maniéré et le deuxième épuré, c'est ça qui est intéressant.
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chris76
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par chris76 »

°
Modifié en dernier par chris76 le dim. 02 déc., 2018 8:33, modifié 1 fois.
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Mona
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Mona »

rachmaninoff a écrit :[
Mona a écrit :L'exemple parfait à mon sens, mais ce n'est pas sur Chopin, c'est Brendel dans le 2° mouvement de la Sonate D959 de Schubert
Tout à fait d'accord avec toi sur cette question de la sobriété, Mona. Par contre c'est drôle je n'aurais pas cité Brendel, mais Kempff. Le tempo y est encore plus stable, l'expression plus directe, l'interprète me semble encore plus distant... c'est d'une beauté à couper le souffle (cette reprise du premier thème, à 5:28, c'est "à se flinguer", justement !).
Ah je ne connaissais pas cette version de Kempff et en effet, c'est poignant.... C'est, je crois, ce qui me fascine le plus chez les pianistes de cette trempe : tant d' (apparente...) simplicité et d'expressivité mêlées....
Lee a écrit :
Mona a écrit :Lee, tu trouves que le jeu de Leonskaya n'est pas sobre. Peut être faut il se mettre d'accord sur ce que l'on entend par "sobre" ? Est ce que pour toi, sobre = froid ? Comment ressens tu son interprétation ?
Justement je n'étais pas trop sûre ce qui voulait dire "sobre", car Yves Nat l'exemple de JPS ne me fait pas penser à la sobriété. J'aime beaucoup l'interprétation de Leonskaya, elle fait habité et très expressive. Sokolov me semble clairement sobre, quand je compare Sokolov avec Leonskaya, c'est evident. Parfois on sent presque qu'il prend une distance dans ses notes, comme ils sont lointains...c'est difficile d'expliquer, c'est comment il joue. J'apprécie toujours Sokolov mais ce n'est pas le Chopin que je trouve le plus poignant. Le Chopin de Pires me parle bien plus.
Merci Lee pour cette précision. Au final, je trouve ça plutôt rassurant de voir que les ressentis des uns et des autres sont si différents.... ce serait plutôt triste si nous nous étions tous touchés de la même façon par les mêmes choses...
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Lee
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Lee »

...sauf que pour les pianistes, surtout des amateurs, nous avons besoin des bons répères pour ce qui est "too much" d'un coté ou d'un autre...non ? :?
rachmaninoff a écrit :Pollini...Je ne sais toujours pas si j'aime ou pas, en fait je crois que je ne peux pas dire, je suis juste sûr que je trouve ça fascinant.
rachmaninoff a écrit :Pollini...c'est comme ça que je perçois son interprétation. Et j'aime beaucoup.
Tiens j'ai raté ton dernier message, rachmaninoff. C'est grâce à notre discussion que tu t'es décidé, c'était mon message qui préférait le guimauve que Pollini ? :mrgreen: C'est intéressant ce que tu dis concernant un autre monde, pour moi c'est la science fiction, un monde dans lequel les robots apparaissent plus humains que les humains, qui semblent les robots. J'accorde Pollini une chose qui pourrait nous aider dans nos recherches : je crois que pour réussir ce qu'il fait, il faut une technique comme un robot, précise et aiguisée comme un rasoir, absolument parfait. C'est peut-être cette perfection qui te fascine, et ce qui me repousse.
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rachmaninoff
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par rachmaninoff »

J'avoue y avoir réfléchi, même si c'est vrai que ça peut faire un peu girouette là, haha ! Comment expliquer la distinction... Disons que "j'aime" ce qu'il fait dans le sens où sa singularité me fascine, ouvre des horizons nouveaux, vers lesquels on peut se diriger ou pas... Ce n'est pas absolument pas le même amour que ce que je ressens avec les interprétations de Lympany et Rubinstein. J'avoue que tout ça est assez difficile à exprimer (comme toujours en musique)... Je l'ai bien dit, son Chopin n'est à mon avis absolument pas "le" Chopin idéal pour moi. Et c'est dommage que tu entendes quelque chose de robotique, je n'ai pas du tout cette impression : certes c'est froid, on est tout à fait d'accord là-dessus, mais je n'irais pas jusqu'à parler d'un jeu robotique...

Et s'il faut choisir entre la guimauve et Pollini, je n'hésite pas une seule seconde pour ce dernier ! Chopin prônait la simplicité. Alors oui, Pollini en est un extrémiste, je suis tout à fait d'accord, mais je trouve qu'il a au moins le mérite d'aller dans cette direction (certes très loin, encore une fois), alors que les Gülsin Onay et consorts vont selon moi à contresens de cette idée. Enfin, évidemment, ce n'est que mon avis, il y en a d'autres, et fort heureusement d'ailleurs !
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Lee »

Dans Wikipedia il parle des critiques de Pollini pour son conservatisme émotionnel, c'est peut-être la façon la plus neutre de le décrire. Je ne comprends pas l'intérêt de Chopin sans émotion ou presque, je crois que c'est aussi contresens qu'Onay, mais comme on a vu, c'est subjectif. Nous sommes d'accord sur Lympany (ce que j'ai entendu, merci pour m'avoir signalé, je vais continuer mes écoutes). 8)

Par contre, nous pourrions peut-être avancer sur ce qui constitue les maniérismes. Si j'ai bien compris les maniérismes sont trop de :
- rubato
- ralentis
- emphases ou accents exacerbés
- phrasés exaggerés
- intentions ou pulsions trop voyantes
- décalages MD MG
- non legato (ceci est mon impression en écoutant des anciens enregistrements appelé maniéré)
- plus généralement, les libertés d'expression, à l'extrème ce qui n'est pas indiqué ou divergeant du texte

Si les PMistes ont les autres éléments à ajouter, ça m'intéresse. "Chichis" (qui était dans le message d'Arabesque aussi) ne m'aide pas, surtout que j'aime les chichis, mais à l'américain, c'est à dire avec la cannelle. :wink:
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par nox »

Je ne suis pas sûr qu'on puisse établir une liste aussi facilement.
"Ralenti" par exemple n'est en soi pas du tout une indication de "maniérisme".

Le maniérisme c'est une faute de goût. Et ça peut consister à employer des éléments expressifs parfaitement valables en soi (extraits de ta liste par exemple), mais de manière complètement inappropriée.
Le plus souvent, ce qui m'agace, c'est le fait de donner à un passage magnifique de sobriété et de justesse une expressivité disproportionnée. Un peu comme si le pianiste avait besoin de te tenir la main : "Regarde bien cette modulation, regarde ! C'est triste, hein ? Mais c'est joli ! Non ?". On a envie de dire "Tais-toi, et laisse parler Chopin".
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Lee »

En haut de la liste j'ai mis "trop" pour appliquer à tout.

By the way, joyeux anniversaire nox ! (C'est bête que les femmes ont pris ta journée. :twisted: )
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par nox »

Merci beaucoup.

Oui, j'ai noté le trop. Mais je trouve qu'il n'est pas possible de faire une liste, même si je comprends l'idée. Le maniérisme on peut se dire effectivement que c'est un excès de quelque chose, mais peu importe quoi d'un point de vue technique. C'est souvent un excès d'emphase, et ça peut se manifester de tellement de manière...
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Lee
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Lee »

Et a contrario, qu'est-ce qui un jeu trop froid ? Comment ne pas déborder sur l'autre extrème ?
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Jacques Béziat
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Jacques Béziat »

rachmaninoff a écrit :J

Et s'il faut choisir entre la guimauve et Pollini, je n'hésite pas une seule seconde pour ce dernier ! Chopin prônait la simplicité. !
D'accord et oui, Chopin lui-même n'aurait sans doute pas voulu qu'on boursoufle ses œuvres au point que le font la plupart des pianistes aujourd'hui, à l'opposé de la simplicité qu'il prônait lui-même, nous dirions aujourd'hui une certaine retenue, ou une certaine pudeur.

J'ai l'impression dans la plupart des interprétations d'un concours de maniérisme plus qu'autre chose, alors que l'écriture de Chopin parle d'elle-même, un zeste de sentiments et d'effets par ci par là suffit à rendre toute la poésie et l'émotion, à mon avis.

Cela me fait penser à de la bonne cuisine naturelle bio, savamment cuisinée, à laquelle on ajouterait trop de sauce et d'aromates. :)

J'ai été « élevé » dans la musique de Bach, et sans doute ai-je gardé cet esprit que « les notes suffisent d'elles-mêmes », mais bien entendu une interprétation expressive est nécessaire pour Chopin, et sans doute davantage pour Schumann, tout en gardant de la sobriété et de la pudeur dans l'expression.

Mais là encore, c'est un avis personnel.
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par nox »

Lee a écrit :Et a contrario, qu'est-ce qui un jeu trop froid ? Comment ne pas déborder sur l'autre extrème ?
Ah ! C'est une excellente question, dont je n'ai pas la réponse, puisque je suis manifestement dans cette catégorie (vos avis sur mes 8 préludes étaient très tranchés dans ce sens :) ).
Je vais suivre les réponses avec attention !
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Jacques Béziat
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Re: Chopin et les "maniérismes" des interprètes : parlons-en

Message par Jacques Béziat »

Lee a écrit :Et a contrario, qu'est-ce qui un jeu trop froid ? Comment ne pas déborder sur l'autre extrème ?
Impossible de définir des frontières ou des normes.
Personnellement je crains moins un jeu jugé par certains trop froid que trop chaud, au moins dans le premier cas la partition et son esprit ont plus de chances d'être respectés (sauf si on élude les indications d'expressivité du compositeur).
Bach au clavier réussit à donner de l'émotion et de l'expressivité, donc au clavecin ou à l'orgue, pratiquement sans ralentis ni nuances, sans un iota de maniérisme, seuls des plans sonores différents étaient possibles en changeant de clavier ou de jeux, et pourtant l'émotion est là.
Avec Mozart, inutile également d'en rajouter des tonnes comme je le dis souvent, la simplicité et le naturel me semblent de rigueur.

Avec Chopin on semble tomber dans un piège, celui de l'affect hypertrophié, et là ça me gêne avec certains pianistes, sans même parler de la gestuelle et des mimiques qui suivent, oui je sais chacun fait comme il l'entend et il faut fermer les yeux c'est sûr, et là je le parle pas de la prodigieuse Argerich qui reste sobre par rapport à d'autres.
Il est vrai qu'à l'orgue on nous enseignait de rester de marbre, fonction oblige, sans doute suis-je à côté de la tradition de certaines écoles (?) ou traditions pianistiques. :mrgreen:

De la sobriété dans le jeu comme dans la gestuelle, voilà ce qui me plaît chez certains pianistes, non majoritaires, mais ce sont mes exemples.

Ensuite, chaque auditeur mettra ses limites dans de qu'il jugera trop ou trop peu expressif.
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