Avant tout je pense qu'il faut distinguer, même s'il y a parfois un lien, les maniérismes "sonores" (de phrasés, de rubato, etc.) de l'emphase gestuelle. Par exemple Horowitz, d'une économie de mouvements folle (âge oblige, sûrement, me direz-vous), mais bien moins sobre dans son jeu (ralentis, décalages MG-MD, accents exacerbés...). Je n'irais pas jusqu'à qualifier ça de "maniéré", même si par moments on n'en est pas loin.
Concernant Chopin, évidemment la diversité des oeuvres est telle qu'on ne peut pas tout à fait généraliser. Le maniérisme peut être le bienvenu dans les Scherzi par exemple, où finalement une interprétation sobre perd pas mal de sens. Bien sûr, dans les Mazurkas et les Nocturnes, c'est plus délicat.
Prenons un exemple : l'op.48 n°2. Le maniérisme principal concerne ici, je pense, le rubato. Ça ne pardonne pas. Quelques tendances comme ça qui me viennent à l'esprit (si tant est que cela ait un sens, classées du "plus" au "moins" maniéré) :
- La guimauve, le Chopin qui dégouline : Onay. Très peu pour moi, j'en ai mal à l'estomac.
- Quelques tangages par-ci, par-là : Arrau, Pires. Dans la Tribune, le jeu de Pires avait été qualifié de "théâtral", c'est tout à fait approprié je trouve.
- Un Chopin sobre parsemé de quelques libertés : Leonskaya, Sokolov.
- La plus parfaite alliance entre sobriété et poésie (non non ce n'est pas du tout objectif

- Chopin mis à nu : Pollini. C'est une version qui à la fois me perturbe et m'intéresse follement, comme tout ce que fait Pollini. L'ensemble a un caractère si direct, si désincarné qu'on a presque l'impression de ne plus voir que le squelette de l'oeuvre. Je ne sais toujours pas si j'aime ou pas, en fait je crois que je ne peux pas dire, je suis juste sûr que je trouve ça fascinant.
Certes, ces "classements" valent ce qu'ils valent... c'est subjectif, pas exhaustif, ce ne sont que mes impressions. Ça montre en tout cas à quel point les différences d'interprétation sont exacerbées dans les Nocturnes en particulier. Heureusement, tous les goûts et tous les Chopin sont dans la nature (même si j'ai du mal à imaginer qu'on puisse aimer la guimauve. La vraie guimauve pourquoi pas, mais le Chopin-guimauve, bonjour les dégâts...).
Pour les motivés, il y a sur Youtube une Tribune de France Musique de 1981 sur la Sonate funèbre dont j'ai écouté quelques minutes, ça doit être très intéressant de comparer les visions stylistiques de l'époque avec celles d'aujourd'hui (et, comme le disait Sylvie, la façon de parler des tribuns avec ce que l'on entend de nos jours à la radio).