Chopin, Albeniz et tutti quanti

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Okay
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Okay »

Enfin eu le temps de t’écouter hier soir.

Je suis ravi d’avoir piqué ta curiosité au sujet de Iberia, visiblement c’est une musique qui te va bien.
Beaucoup de bonnes (et d’excellentes) choses dans ton Albeniz. Mes remarques sont pour aller encore plus loin. Le début est sérieux comme il se doit, peut-être pas assez sec dès le départ, mais le climat est là. Le staccato pourrait être un poil plus rugueux. L’entrée du thème legato chante bien, avec un beau son tout en gardant la sobriété nécessaire (ce que tu fais dans cette phrase devrait t’inspirer pour les Chopin en général, j’y viens plus bas).
Avant la première entrée des cloches (la première section fortissimo), la montée d’accords alternée en fa majeur pourrait être un peu plus débridée. Il me semble qu’Albeniz demande une accélération (pas la partition sous les yeux). Le climat de cette section est bien rendu, il y a le côté grandiose et massif, notamment imposé par les basses lointaines. C’est précis et propre, du beau travail.
Dans la section suivante, celle avec les points d’orgues partout, le chant lent et l’accompagnement qui maintient l’écriture alternée, c’est pas mal mais il y a moyen de faire encore mieux. Notamment, il ne faut pas craindre d’exécuter clairement les rall. et rit. à presque chaque mesure. C’est une improvisation de guitare et le rythme doit être volontairement instable et très libre. C’est trop rigide. Les sursauts de chants plus forts vers la fin de cette section manquent un peu de fier caractère espagnol (là où il y a les mordants). Le son est soigné et c’est très important. Dans cette partie, il faut trouver un son magique, ça ne peut se travailler que sur un très beau piano.
Attention à la stabilité rythmique dans la réexposition du premier thème (quand ça repart en do# majeur). Il y a de minuscules ralentissements, et dans une musique aussi carrée ça s’entend un peu. Le retour des cloches en si majeur est tout aussi réussi, peut-être même un peu mieux car plus sécurisé, tu alanguis moins le tempo au départ.
Alors je te tire vraiment mon chapeau pour l’horrible passage (à jouer, pas à entendre, car la finesse du contrepoint y est miraculeuse) autour de la 5e minute. Non seulement, il y a les notes, mais des plans sonores nets dans cet espace très étriqué (pire que les Goldberg à 2 claviers), et de jolies inflexions rythmiques qui donnent vie à ce génial retour du thème principal. Vraiment bravo. (Au passage, j’aurais aimé le même traitement musical dans ton 5e prélude de Chopin). Une petite remarque sur la suite de ce passage (juste avant le 3/8) : l’écriture est répétitive et le discours est trop statique. Il faut élargir, utiliser la gradation en faisant de plus en plus attendre les octaves de sol par exemple.
Le 3/8 est bien mené, il faut jouer vite et trépidant,on y est. La conclusion a le bon climat extatique et supporte bien son extrême lenteur grâce à un son soigné. Attention cependant au soin de certains accords, dont les notes ne sont pas parfaitement simultanées. Peut-être à cause de l’effet de l’una corda sur la mécanique du piano droit.

Encore bravo pour l’ensemble, ça a fière allure et constitue un bel ajout à ton répertoire.


On passe à Chopin.
D’avance désolé si je répète certaines remarques qui ont déjà été faites, je n’ai pas lu en détail tous les nombreux retours. Je te laisse prendre et jeter ce que tu veux dans ce qui suit, trier ce qui te semblerait objectif de ce qui m’est plus personnel.
Tout d’abord, je partage avec toi une philosophie d’éviter l’épanchement et les caricatures romantiques. Par contre, je suis en profond désaccord avec le dogme du « tout ce qui est utile est écrit sur la partition ». Cette thèse peut dans une faible mesure s’appliquer à des compositeurs comme Ravel et Albeniz, car ils surchargent d’annotations. Chopin, impossible pour moi (et également mon quart d’origine polonaise). Pour moi, le symbole de cette épure, pudeur, sobriété, fierté, virilité, c’est Artur Rubinstein. Le continuateur c’est Kristian Zimmerman. C’est Rubinstein qui le premier a fait le grand ménage, et nettoyé sa musique de tous les épanchements salonards. Je sens dans ton jeu et ton discours une volonté proche et absolument louable, sauf que ton nettoyage est parfois particulièrement agressif. La musique de Chopin y est souvent encore plus décapée que par l’austère Pollini.
Pour conclure ces remarques générales, voilà pour moi le plus important. Une volonté de sobriété et de voir en Chopin un certain classicisme se défend parfaitement. Cependant, cela ne doit jamais au grand jamais nous dispenser de respecter le chant. Je n’ai plus la phrase célèbre de Chopin exactement en tête, mais on lui attribue des propos incitant à garder la main gauche très stable et main la droite absolument libre au dessus. Je passe au détail des préludes :

Prélude 1. Peut-être celui que j’ai le moins aimé. J’y vois une improvisation, une mise en doigts. Pas une revisite du 1er prélude du CBT1, ça c’est l’opus 10 n°1. Je jouerais ça déjà plus vite, mais surtout plus libre. C’est vraiment trop strict, et pas du tout agité. Pour le coup c’est noté sur la partition. Il y a une phrase en arche et plein de petits détails harmoniques à souligner. Le crescendo est là dans l’intensité, mais il faut aussi serrer. Je vois ça culminer fort et vite, puis se détendre. Les dernières mesures sur l’harmonie de fa majeur sont trop répétitives, et méritent aussi une sonorité plus transparente.

Prélude 2. Pas mal du tout celui là. J’aime beaucoup ton tempo et tu traduis bien son côté sombrement fatal. Le son de la main droite est bien rond, mais ça pourrait phraser un peu plus par endroits. Attention à la pédale. Il faut prendre une décision et s’y tenir du début à la fin. C’est moderne et chromatique, donc ça supporte mal une pédale imprécise. Elle est assez souvent bien placée, mais pas toujours. Une possibilité, la mettre toutes les 2 croches et la vider sur la 2e croche (tu fais souvent ça je crois et ça sonne bien ; quelle que soit ta solution, ne pas en changer en route).

Prélude 3. Superbe travail de main gauche. C’est bien égal, et on en sent pas de différence entre les différentes formulations qui demandent pourtant des positions différentes (et peu confortables). Par contre, désolé, mais pour reprendre un mot que mon prof me disant souvent, c’est trop « prosaïque ». Essaie de jouer la main droite seule, je rejoins les commentaires suggérant de totalement la dissocier de la gauche. Tant pis si ça décale les mains. Mais tu peux aussi assouplir la gauche sur les 2-3 dernières doubles de chaque mesure. Le mot clé de cette pièce pour moi, c’est « virevoltant ».

Prélude 4. Je trouve certaines critiques exagérées sur celui-ci. Notamment, le tempo ne me choque pas. C’est peut-être un poil vite, et encore, ça passe bien. Je suis d’accord avec toi sur le C barré, et tu le joues bien en C barré, alors qu’on l’entend souvent en 8/8, ce que je trouve insupportable. La main gauche est très belle, beau son, bonne pédalisation, et soin d’isoler avec parcimonie quelques trouvailles harmoniques. Bravo là dessus. Par contre, la droite, ça ne va pas car ça ne chante presque pas. Dans le début, je ne sens pas le si comme la conséquence du do. Il ne s’agit de pas de romantiser ou de décaler les mains, mais au minimum de phraser, et absolument partout. Le gruppetto est rigide : tu joues 4 triples. Si Chopin voulait ça il l’aurait écrit, donc il faut jouer bien plus libre, et surtout vocal.

Prélude 5. Tu t’en sors vraiment bien digitalement, il y a eu beaucoup de boulot pour en arriver là. Mais ce prélude demande pas mal de créativité (ce n’est pas incompatible avec pudeur, sobriété, etc.). Et il manque un peu de structure. D’accord, c’est un mouvement perpétuel, mais par exemple on ne sent pas les départs de phrases. Le toucher pourrait être plus léger dans les passages plus piano. Et si tu le peux, gagner aussi quelques points de métronomes.

Prélude 6. Il est pas mal, mieux que le 4 dans l’ensemble. J’aime bien le rendu de la main droite, qui ne néglige pas le phrasé tout en restant en arrière plan, et on a les "gouttes d'eau". Par endroits, la main gauche doit davantage chanter. C’est spécifiquement au violoncelle, instrument que Chopin appréciait particulièrement, que le chant est dédié. Ceci a deux conséquences très importantes : 1/ plus les intervalles sont disjoints plus ça prend du temps pour les combler (comme pour un chanteur, mais encore plus sur le manche d’un violoncelle), 2/ plus on est dans le grave plus ça prend du temps pour chanter. Notamment, les 2 descentes (je crois notées sostenuto) sont expédiées, on ne peut pas tirer un chant vers les tréfonds du grave en étant indifférent à ces principes. Prendre le temps de poser le chant et respecter la respiration naturelle des intervalles te permettrait de mieux traduire la douleur de cette musique, sans pour autant jouer maniéré.

Prélude 7. J’ai beaucoup aimé. Il y a deux partis pris possibles pour celui-là. Soit on fait une mazurka un peu allante, soit on se permet de rêver un peu. Tu as opté pour la seconde possibilité. Ton phrasé fonctionne bien ici, les fins de phrases sont là, et surtout ça respire. Un détail : pour le coup, pas sûr que Chopin ait indiqué de ralentir à la toute fin.

Prélude 8. C’est celui qui supporte le plus mal l’épure. Je ne vais pas développer car je l’ai enregistré, et ma vidéo traduit la vision romantique que j’en ai. Je seconde JPS sur son conseil de travail technique, c’est exactement ça. Pour le problème d’endurance, je pense que tu n’as pas encore trouvé le toucher adéquat dans les petites notes, que j’entends encore trop dans le clavier.


Les autres enregistrements, je ne connais pas du tout, donc je ne vais pas me permettre de commenter. Mais souligner que j’ai réellement pris plaisir à découvrir ces pièces.
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Oupsi
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Oupsi »

Okay a écrit :Prélude 6. Il est pas mal, mieux que le 4 dans l’ensemble. J’aime bien le rendu de la main droite, qui ne néglige pas le phrasé tout en restant en arrière plan, et on a les "gouttes d'eau". Par endroits, la main gauche doit davantage chanter. C’est spécifiquement au violoncelle, instrument que Chopin appréciait particulièrement, que le chant est dédié. Ceci a deux conséquences très importantes : 1/ plus les intervalles sont disjoints plus ça prend du temps pour les combler (comme pour un chanteur, mais encore plus sur le manche d’un violoncelle), 2/ plus on est dans le grave plus ça prend du temps pour chanter. Notamment, les 2 descentes (je crois notées sostenuto) sont expédiées, on ne peut pas tirer un chant vers les tréfonds du grave en étant indifférent à ces principes. Prendre le temps de poser le chant et respecter la respiration naturelle des intervalles te permettrait de mieux traduire la douleur de cette musique, sans pour autant jouer maniéré.
Voilà un commentaire très inspirant!
Jean-Luc
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Jean-Luc »

Eh bien Okay, pour les préludes de Chopin, je suis en totale phase avec toi.
Mais c'est quand même du beau travail de la part de nox :) !
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Okay
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Okay »

Jean-Luc a écrit :Mais c'est quand même du beau travail de la part de nox :) !
C'est absolument indéniable. Les aspects plus négatifs de mes remarques questionnent directement les concéptions qui sont des choix de nox, mais en aucun cas le travail. Au passage, il faut quand même noter que les 8 préludes sont enregistrés enchainés.
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Merci Okay d'avoir pris le temps d'écouter et de répondre de manière aussi riche et détaillée.
***
ALBENIZ
***
Okay a écrit :Le début est sérieux comme il se doit, peut-être pas assez sec dès le départ, mais le climat est là. Le staccato pourrait être un poil plus rugueux.
Tiens c'est marrant, j'avais peur que ça soit trop sec justement ! Je vais avoir objectivement du mal à faire mieux sans revoir mon geste et jouer plus du doigt que je ne le fais actuellement. A voir...
Okay a écrit : Avant la première entrée des cloches (la première section fortissimo), la montée d’accords alternée en fa majeur pourrait être un peu plus débridée. Il me semble qu’Albeniz demande une accélération (pas la partition sous les yeux).
Ah, si oui tu fais bien de me l'indiquer, je suis passé complètement à côté !
Okay a écrit : Dans la section suivante, celle avec les points d’orgues partout, le chant lent et l’accompagnement qui maintient l’écriture alternée, c’est pas mal mais il y a moyen de faire encore mieux. Notamment, il ne faut pas craindre d’exécuter clairement les rall. et rit. à presque chaque mesure. C’est une improvisation de guitare et le rythme doit être volontairement instable et très libre. C’est trop rigide.
Ah, là je suis un peu plus partagé. Je veux maintenir l'unité de cette section, et justement ne pas trop accentuer ni les accélérations/ralentis ni les respirations. C'est un choix. J'essayais de jouer ça de manière plus franche au début mais je ne suis pas parvenu à un rendu qui me satisfasse. Il faudrait que je réessaye maintenant que j'ai le morceau plus dans la tête et les doigts.
Okay a écrit :Les sursauts de chants plus forts vers la fin de cette section manquent un peu de fier caractère espagnol (là où il y a les mordants).
Ah, j'essaye en théorie de bien les marquer, mais ils sont dans la una corda, donc peut-être pas assez mordants ? Je vais essayer de revoir ça.
Okay a écrit : Alors je te tire vraiment mon chapeau pour l’horrible passage (à jouer, pas à entendre, car la finesse du contrepoint y est miraculeuse) autour de la 5e minute. Non seulement, il y a les notes, mais des plans sonores nets dans cet espace très étriqué (pire que les Goldberg à 2 claviers), et de jolies inflexions rythmiques qui donnent vie à ce génial retour du thème principal. Vraiment bravo.
Merci, pourtant c'est encore assez éloigné de ce que je voudrais obtenir. Pour les plans sonores, je trouve que la version de Lang Lang est un modèle du genre ! Je serai curieux de savoir ce que tu en penses.
Okay a écrit :Une petite remarque sur la suite de ce passage (juste avant le 3/8) : l’écriture est répétitive et le discours est trop statique. Il faut élargir, utiliser la gradation en faisant de plus en plus attendre les octaves de sol par exemple.
Oui en effet, je ne suis pas à l'aise dans ce passage, imbriqué entre deux passages vraiment éprouvants. Et ça s'entend. Il faut que je prenne de l'assurance et que je sois plus franc musicalement, comme tu le dis.

***
CHOPIN
***
Okay a écrit :je suis en profond désaccord avec le dogme du « tout ce qui est utile est écrit sur la partition ». Cette thèse peut dans une faible mesure s’appliquer à des compositeurs comme Ravel et Albeniz, car ils surchargent d’annotations. Chopin, impossible pour moi (et également mon quart d’origine polonaise).
Eh bien, y'en a du polonais sur ce forum :)
Par contre attention, quand je dis que la partition contient toutes les indications nécessaires, je ne parle pas forcément d'indications directes du compositeur, mais aussi des choses révélées par l'écriture de manière indirecte, voire très indirecte.
Typiquement pour moi l'écriture du prélude n°4 indique qu'il ne faut pas faire de rubato, ou vraiment très peu. C'est évidemment mon interprétation de l'écriture, mais néanmoins ce que je veux dire c'est que le choix de faire ou non du rubato (c'est un exemple) doit s'appuyer sur un élément concret, et pas juste reposer sur une vague impression ou sur un préjugé du style "c'est Chopin et c'est triste".
Okay a écrit : Pour conclure ces remarques générales, voilà pour moi le plus important. Une volonté de sobriété et de voir en Chopin un certain classicisme se défend parfaitement. Cependant, cela ne doit jamais au grand jamais nous dispenser de respecter le chant. Je n’ai plus la phrase célèbre de Chopin exactement en tête, mais on lui attribue des propos incitant à garder la main gauche très stable et main la droite absolument libre au dessus.
Je suis en phase avec tout ça, et loin de moi l'idée de "ne pas respecter le chant".
Okay a écrit : Prélude 1. Peut-être celui que j’ai le moins aimé. J’y vois une improvisation, une mise en doigts. Pas une revisite du 1er prélude du CBT1, ça c’est l’opus 10 n°1. Je jouerais ça déjà plus vite, mais surtout plus libre. C’est vraiment trop strict, et pas du tout agité. Pour le coup c’est noté sur la partition. Il y a une phrase en arche et plein de petits détails harmoniques à souligner. Le crescendo est là dans l’intensité, mais il faut aussi serrer. Je vois ça culminer fort et vite, puis se détendre. Les dernières mesures sur l’harmonie de fa majeur sont trop répétitives, et méritent aussi une sonorité plus transparente.
Je le vois différemment, plutôt comme une ouverture de cycle qui doit conserver une certaine simplicité, raison pour laquelle j'ai choisi de le jouer en restant assez "droit" (peut-être trop, donc).
Par contre je suis d'accord sur les dernières mesures, il faut que j'en fasse quelque chose de mieux.
Okay a écrit :Attention à la pédale. Il faut prendre une décision et s’y tenir du début à la fin.
Petit malin ! Effectivement, j'ai du mal à tenir ma pédale du début à la fin.
Initialement, je la changeais toutes les 4 croches. Ca donnait un joli mélange mais c'était très périlleux de tenir une sonorité suffisamment transparente à la main gauche pour ne pas tout noyer. Du coup je change toutes les deux croches, mais à certains endroits j'ai conservé mes anciennes habitudes et je la garde plus longtemps. Il faut que j'y fasse plus attention.
Okay a écrit : Prélude 3. Superbe travail de main gauche. C’est bien égal, et on en sent pas de différence entre les différentes formulations qui demandent pourtant des positions différentes (et peu confortables). Par contre, désolé, mais pour reprendre un mot que mon prof me disant souvent, c’est trop « prosaïque ». Essaie de jouer la main droite seule, je rejoins les commentaires suggérant de totalement la dissocier de la gauche. Tant pis si ça décale les mains. Mais tu peux aussi assouplir la gauche sur les 2-3 dernières doubles de chaque mesure. Le mot clé de cette pièce pour moi, c’est « virevoltant ».
Parfaitement en phase avec tout ça.
Okay a écrit : Par contre, la droite, ça ne va pas car ça ne chante presque pas. Dans le début, je ne sens pas le si comme la conséquence du do. Il ne s’agit de pas de romantiser ou de décaler les mains, mais au minimum de phraser, et absolument partout. Le gruppetto est rigide : tu joues 4 triples. Si Chopin voulait ça il l’aurait écrit, donc il faut jouer bien plus libre, et surtout vocal.
En phase avec tout ça.
Okay a écrit : Prélude 5. Tu t’en sors vraiment bien digitalement, il y a eu beaucoup de boulot pour en arriver là. Mais ce prélude demande pas mal de créativité (ce n’est pas incompatible avec pudeur, sobriété, etc.). Et il manque un peu de structure. D’accord, c’est un mouvement perpétuel, mais par exemple on ne sent pas les départs de phrases. Le toucher pourrait être plus léger dans les passages plus piano. Et si tu le peux, gagner aussi quelques points de métronomes.
Quelques points de métronomes, pas dans l'immédiat. Mais ça viendra peut-être. Pour le reste je commence juste à être à l'aise digitalement, donc je vais pouvoir me libérer je l'espère de plus en plus et en faire quelque chose de plus musical.
Okay a écrit : Prélude 6. Il est pas mal, mieux que le 4 dans l’ensemble. J’aime bien le rendu de la main droite, qui ne néglige pas le phrasé tout en restant en arrière plan, et on a les "gouttes d'eau". Par endroits, la main gauche doit davantage chanter. C’est spécifiquement au violoncelle, instrument que Chopin appréciait particulièrement, que le chant est dédié. Ceci a deux conséquences très importantes : 1/ plus les intervalles sont disjoints plus ça prend du temps pour les combler (comme pour un chanteur, mais encore plus sur le manche d’un violoncelle), 2/ plus on est dans le grave plus ça prend du temps pour chanter. Notamment, les 2 descentes (je crois notées sostenuto) sont expédiées, on ne peut pas tirer un chant vers les tréfonds du grave en étant indifférent à ces principes. Prendre le temps de poser le chant et respecter la respiration naturelle des intervalles te permettrait de mieux traduire la douleur de cette musique, sans pour autant jouer maniéré.
J'ai une conception de ce prélude qui, je finis par le croire en lisant vos avis, est très personnelle. Je ne vois pas ça comme un véritable chant, mais comme quelque chose de plus...pas glacial, mais plus figé. Je ne trouve pas le mot juste. Une certaine résignation, que je veux rendre par ce côté très "uniforme". Mais j'exprime mal mon idée, aussi bien pianistiquement que verbalement. Il faut que je repense tout ça, en essayant de conserver mon objectif de rendu final.


Merci encore pour tous ces conseils. Décidément ces préludes vous inspirent :)
Je vais aussi enregistrer les 8 premiers de l'op.11 de Scriabine à l'occasion.
Modifié en dernier par nox le lun. 08 avr., 2013 17:06, modifié 1 fois.
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Okay a écrit :Au passage, il faut quand même noter que les 8 préludes sont enregistrés enchainés.
Oui et non, ils sont enchaînés mais j'ai joué deux fois de suite les 6 et 7 et n'ai gardé que la meilleure version (c'est marrant hein ? Pourtant ce sont ce ne sont pas les plus compliqués). Donc j'ai juste coupé ça au montage :)
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par bigrounours »

nox a écrit :
Okay a écrit :Au passage, il faut quand même noter que les 8 préludes sont enregistrés enchainés.
Oui et non, ils sont enchaînés mais j'ai joué deux fois de suite les 6 et 7 et n'ai gardé que la meilleure version (c'est marrant hein ? Pourtant ce sont ce ne sont pas les plus compliqués). Donc j'ai juste coupé ça au montage :)
Mouai, à mes yeux ça reste une vraie prouesse. Moi pour enregistrer une seule pièce je m'y reprends au moins 10 fois, quand ça n'est pas 20 ou 30 : stress de l'enregistrement + jouer sans faute ça n'est pas vraiment mon fort...
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Oupsi
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Oupsi »

Tiens moi aussi j'ai un peu de sang polonais dans les veines. J'ai peut-être des cousins sur le forum! En fait c'est un peu plus compliqué, à l'époque c'était la Poméranie orientale. Mais effectivement l'une des ramifications de cette branche de ma famille est devenue polonaise.

Sinon je n'ai pas encore écouté les autres morceaux, mais c'est sur ma liste des choses à faire. En tout cas c'est bien passionnant tous ces commentaires .
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

bigrounours a écrit : Mouai, à mes yeux ça reste une vraie prouesse. Moi pour enregistrer une seule pièce je m'y reprends au moins 10 fois, quand ça n'est pas 20 ou 30 : stress de l'enregistrement + jouer sans faute ça n'est pas vraiment mon fort...
Ah non mais que ça soit clair : j'ai été le premier surpris de réussir à sortir ça d'un trait ! (ou presque)
Me demande pas de le refaire :mrgreen:
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Okay
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Okay »

nox a écrit :Par contre attention, quand je dis que la partition contient toutes les indications nécessaires, je ne parle pas forcément d'indications directes du compositeur, mais aussi des choses révélées par l'écriture de manière indirecte, voire très indirecte.
Typiquement pour moi l'écriture du prélude n°4 indique qu'il ne faut pas faire de rubato, ou vraiment très peu. C'est évidemment mon interprétation de l'écriture, mais néanmoins ce que je veux dire c'est que le choix de faire ou non du rubato (c'est un exemple) doit s'appuyer sur un élément concret, et pas juste reposer sur une vague impression ou sur un préjugé du style "c'est Chopin et c'est triste".
Tout à fait d'accord, rubato minimal pour le Prélude 4.
En fait, je commence à percevoir un gros quiproquo dans les échanges précédents. Chanter/phraser et introduire du rubato sont deux choses absolument distinctes. En tout cas pour ma part, je ne pensais pas au rubato dans mes remarques.
Prenons un exemple extrême : trois lignes de doubles croches non stop dans du Mozart. Hors de question de jouer ça rubato, ça serait bien trop maniéré. Par contre, négliger le phrasé appauvrirait significativement le suivi. Même si a priori, ces trois lignes seraient des figurations et non pas une claire ligne de chant. Ce que je veux montrer, c'est qu'on peut phraser une ligne sans en bousculer le rythme, ou en altérer la nuance globale. Et en effet, le phrasé fait partie des indications indirectes.
Je pense que c'est la porte d'entrée pour arriver à une interprétation vivante mais sobre.
Florestan
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Florestan »

Je crois surtout que chacun a une définition personnelle du rubato, et qu'il serait pratique de s'entendre sur la même.
Pour moi le rubato est une manière de libérer le chant, lui conférer souplesse et élan, et participe au phrasé. Il peut s'exercer dans un cadre rythmique rigide, ce n'est pas forcément ralentir ou accélérer. Ce sont toutes les petites libertés que peut prendre un soliste par rapport à son accompagnement, micro-décalages, notes serrées ou élargies, croches qui se "triolisent" un brin etc. Pour schématiser je dirais que le rubato ne peut s'appliquer qu'à des motifs qui ont une cohérence mélodique.
Le fait d'accélérer ou de ralentir est dans mon esprit plus une forme de respiration générale, souvent liée à l'harmonie et à la structure.
Dans le cas du quatrième prélude, les croches de l'accompagnement s'élargissent sur les notes du chant pour le laisser s'exprimer et se serrent un peu sur la durée de la note pour la soutenir. Ce mouvement n'a pas besoin d'être exagéré, mais il me semble absolument naturel et on l'entend à divers degrés sur quasiment toutes les interprétations de maitres.
Pour ma part je ne me suis jamais demandé comment il fallait le jouer. C'est typiquement le genre de pièce que je laisse sortir comme ça vient, en privilégiant la sensation. J'essaie d'être bien dedans, j'essaie de chanter. Et comme le souligne JPS ça ne sort jamais deux fois pareil.
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JPS1827
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par JPS1827 »

Je viens d'écouter les préludes de Szymanovsky. Tu joues les n° 1, 2, 4 et 8 de cette série. Evidemment quand on joue ce genre d'œuvre on n'est pas dans la même position que quand on joue le 4ème prélude de Chopin. On se retrouve à devoir faire apprécier au public une musique peu connue et négligée par les autres pianistes. Une fois le problème posé de la sorte, je trouve que tu tiens bien ce pari. Je ne suis pas sûr de les avoir déjà entendus et je les ai trouvés très intéressants dans ton interprétation, phrasé soigné, son tout à fait approprié, ambiance onirique… Je ne vais pas te faire de remarques de détail, mais plutôt une suggestion générale : chacun de ces préludes comporte dans sa deuxième page un point culminant expressif, où le thème devient plus insistant et plus agité et je pense que tu gagnerais à faire sonner ce moment de façon plus animée, ou exaltée, et plus ample dans chacun des préludes. Je pense que c'est surtout une question de pédale (ça a l'air compliqué de trouver des pédales qui soutiennent bien le son sans mélanger tout, il faut faire des essais). Sinon, bravo pour avoir travaillé cette série que tu joues très bien, et que je t'encourage à compléter.
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Merci !
JPS1827 a écrit :bravo pour avoir travaillé cette série que tu joues très bien, et que je t'encourage à compléter.
C'est déjà le cas, j'ai travaillé les neuf, c'est juste que je ne connaissais par coeur que ces quatre là quand j'ai fait l'enregistrement. Je complèterai à l'occasion.
nox
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par nox »

Juste un petit message pour compléter l'enregistrement d'Albeniz, et inviter ceux qui ne connaissent pas le premier morceau du cycle d'Iberia à le découvrir.

J'ajoute donc :
- Evocation (Albeniz), interprété à l'occasion d'une rencontre Capriccio 94 (bon, je mets du temps à maîtriser le piano qui a une attaque très très très très très brillante, et du coup je rate tous mes premiers ornements :mrgreen: ), et filmé par un aimable participant, que je remercie au passage :)

EDIT : ah, et en relisant je retombe là-dessus
Okay a écrit : Avant la première entrée des cloches (la première section fortissimo), la montée d’accords alternée en fa majeur pourrait être un peu plus débridée. Il me semble qu’Albeniz demande une accélération (pas la partition sous les yeux).
Après vérification, non, je ne vois aucune indication d'accélération à cet endroit, en tout cas dans mon édition.
Florestan
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Florestan »

Je ne suis pas du tout familier de cette musique mais je trouve ça plutôt bien senti. Et tu fais montre d'une belle aisance en situation "publique", avec un tempo assez lent bien maitrisé (pas facile de concilier stress et lenteur..). Chapeau et merci pour la découverte!
Peacherine_Rag
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Re: Chopin, Albeniz et tutti quanti

Message par Peacherine_Rag »

Bonsoir nox, et d'abord bravo pour cet énorme investissement. J'ai essayé d'écouter avec attention les préludes de Chopin, et je dois dire que tu m'as sacrément épaté !!

-1er prélude : très clair, assez apaisé (je crois que c'est censé être "agitato" mais bon...). Tu as bien su trouver l'aspect "praeludium" du coup ça donne vraiment envie d'écouter la suite.

-2ème : Belle ambiance blafarde et morose à la main gauche. Je trouve que la main droite est un peu légère, en surface. Peut-être qu'en gardant tes doigts au fond du clavier tu pourrais lui donner plus de profondeur.

-3ème : Encore une fois main gauche très belle, toucher perlé et léger. (un chouia plus vite et ce serait parfait!)

-4ème : Alors là bravo. Parce que pour réussir à trouver une version aussi originale et personnelle sur le net avec tous les enregistrements qui ont été fait, faut être endurant. J'aime la sobriété et la noblesse de ta mélodie, et surtout les micro-inflexions dynamiques des accords de la main gauche. Ca relance la phrase (et surtout ça rend la progression harmonique beaucoup plus expressive). Tu as beaucoup de goût...

-5ème : Sûrement le prélude le plus étrange des 24. J'ai tellement l'habitude de l'entendre jouer de façon désorganisé que là il m'a l'air un peu trop sage. Tu as été peu être un peu trop scrupuleux vis-à-vis du rythme, mais d'un autre côté, ça permet d' entendre tous les petits contrechants.

-6ème : ENFIN une version sans trop de rubato. Ca change tout. Le thème de la main gauche qui est joué d'habitude comme un chant au violoncelle devient là presque une mélodie de marche funèbre. La main droite, discrète et imperturbable, est vraiment belle, et la main gauche chante et respire très bien. Tu as du faire un gros boulot pour l'indépendance.

7ème : Très meugnon.

8ème : Bon alors certes il n'y a pas encore le tumulte et la passion nécessaire, mais au moins ça a le mérite d'être très clair (ce qui est déjà un acquis colossal dans ce prélude aussi difficile qu'une étude). Dans quelques temps je pense qu'il sera au point.

En tout cas merci beaucoup, je pense que je te piquerai quelques bonnes idées si jamais je me lance dans ces Préludes !
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