Brahms et Schumann

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Jean-Luc
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Re: Brahms et Schumann

Message par Jean-Luc »

JPS1827 a écrit :
Jean-Luc a écrit :Après, il faut savoir si tu joues "pour plaire aux membres du jury" ou si tu joues pour "donner quelque chose à ton auditoire". Il me semble que le plus intéressant est la 2ème option. Non :wink: ?
En fait ça peut plaire aux membres du jury que tu donnes quelque chose à ton auditoire (le jury fait partie de l'auditoire !), mais ce n'est pas garanti, loin de là.
Non bien sûr. De toutes façons, rien n'est garanti le jour d'un concours.
Je mettais juste en balance une interprétation qui serait presque artificielle (et qui, du coup, risquerait d'être ennuyeuse) à une interprétation sincère et personnelle. Il y a déjà tant à faire pour s'exprimer et dire quelque chose de juste à travers la musique! Si en plus on se force à plaire au membres du jury, c'est encore moins garanti...
huizinga
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Re: Brahms et Schumann

Message par huizinga »

Je me demande si tous les musiciens professionnels se posent de telles questions pour des choses finalement si insignifiantes en soi. Dans une vie, que représente finalement le fait de ralentir un peu trop ou un peu moins dans un morceau? Ce doit être assez terrible à vivre au quotidien si c'était le cas. Constamment se sentir analysé et jugé pour les moindres détails. Mais c'est au nom de l'Art effectivement...
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JPS1827
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Re: Brahms et Schumann

Message par JPS1827 »

Jean-Luc a écrit :[ Il y a déjà tant à faire pour s'exprimer et dire quelque chose de juste à travers la musique! Si en plus on se force à plaire au membres du jury, c'est encore moins garanti...
Tout à fait d'accord !!!
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katy
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Re: Brahms et Schumann

Message par katy »

Ce qui est dommage nox c'est que tu as des moyens enviables et que tu sembles là assez torturé ... Peut-être n'as-tu pas trouvé un cadre qui te permette de t'épanouir pleinement et de donner un sens à ta pratique ? Par exemple la formation d'un ensemble de musique de chambre, que sais-je...
J'ai le cas dans ma famille d'un pianiste de très haut niveau (il a d'ailleurs déjà été distingué sur ce forum) qui fait partie d'une association de pianistes à l'Ecole normale, qui ont à la fois des postes très élevés et un niveau pianistique d'excellence, et il donne beaucoup de concerts avec cet ensemble, même avec orchestre, vraiment il s'éclate !
Et puis d'ailleurs quelqu'un qui comme lui consacre tant de temps à son piano, donne plus de concerts que certains professionnels est-il encore tout à fait un amateur, même s'il ne touche rien ? Les frontières sont-elles si hermétiques ? Par exemple, peut-on mettre sur le même plan un professeur de piano qui ne se produit jamais en concert et un concertiste ?
Il y a peu, j'ai discuté avec un prof à Mulhouse titulaire d'un 1er prix de piano du CNSM, il donne très peu de concerts, il est totalement inconnu et quand je lui ai demandé en bafouillant si je pouvais prendre des cours avec lui il m'a répondu qu'enseigner le piano était son métier, qu'il faisait cela depuis 37 ans, avec des élèves de tous les niveaux et je ne pense pas qu'il méprise qui que que soit. D'ailleurs franchement le musicien qui se permettrait même en privé de critiquer un amateur est vraiment un imbécile qui n'a rien compris à l'esprit de la musique...
Et si l'on prend par exemple le cas de Jonathan Gilad, qui est ingénieur (des-ponts-et-chaussées je crois) et pianiste concertiste, il est quoi alors lui...?
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Oupsi
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

JPS1827 a écrit :En quelque sorte tu t'es mis en tête de cueillir par la perfection de ton jeu le public que précisément on ne peut pas cueillir, celui qui se targue perpétuellement d'être celui "à qui on ne la fait pas".
Ah ben voilà...

Heureusement qu'il y a les autres!
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

Trop de réponses. Je ne vais pas répondre à tous, surtout si je suis tout seul contre le reste du monde :)
Marie-France a écrit :nox, ta valeur, je suis sûre que tu la connais. La reconnaissance des autres c'est plus compliqué, et en as-tu tant besoin? Ne peux-tu avancer sans cela?
Non je ne la connais pas justement, je me cherche. Je peux continuer à avancer comme ça, mais c'est juste que je ne sais pas où j'en suis, ni où je vais. On joue toujours dans le but de plaire, de procurer du plaisir aux autres. Le niveau pour faire plaisir au public lambda, je pense l'avoir. Maintenant je cherche plus loin, je veux passer une étape en quelque sorte.
Jean-Luc a écrit :Si tu as "peur" de te faire mal juger par un jury de concours pour ce ralenti (qui pour moi est un détail tout à fait secondaire*), alors ne le fais pas.
Mais j'ai tout aussi "peur" de me faire mal juger en ne le faisant pas ! Je reprends tes termes mais ça n'est pas une histoire de peur. Je travaille un morceau et je cherche la meilleure interprétation. En cherchant je me rends compte que la majorité des interprètes font une entorse à la partition en ajoutant des ralentis qui n'y sont pas, alors que la partition a du sens également sans ces ralentis. C'est quand même légitime que je m'interroge, non ? Je jouais sans au début, et mon prof m'a dit "non, ce n'est pas correct, il faut ralentir", je cherche à comprendre.
JPS1827 a écrit :Mais nox, ce que tu décris se produit exactement de la même façon dans le monde professionnel. Des tas de prestations assez médiocres sont jugées géniales par un public conditionné à l'idée qu'il est venu entendre quelque chose de bien (en plus il a payé cher).
Mais les professionnels sont également jugés par beaucoup de connaisseurs, des critiques, d'autres musiciens professionnels, etc... et ils peuvent recueillir des avis plus approfondis s'ils le souhaitent.
huizinga a écrit :Je me demande si tous les musiciens professionnels se posent de telles questions pour des choses finalement si insignifiantes en soi. Dans une vie, que représente finalement le fait de ralentir un peu trop ou un peu moins dans un morceau? Ce doit être assez terrible à vivre au quotidien si c'était le cas. Constamment se sentir analysé et jugé pour les moindres détails. Mais c'est au nom de l'Art effectivement...
Comme je l'ai dit, Dinu Lipatti (je crois) par exemple disait dans une interview que pour travailler un nouveau morceau, il commençait par l'étudier pendant des semaines sans toucher le piano. Si le morceau n'est pas clair dans ta tête, il ne le sera pas dans tes doigts. Parfois un ralenti, une nuance, un tempo, ça fait toute la différence. D'ailleurs dans les interprétations des grands pianistes, c'est souvent inconsciemment sur des petits détails que tout se joue, et c'est des petits riens qui font au final qu'on est plus touché par telle ou telle version.
Comme chez Chopin, c'est souvent la main gauche, l'accompagnement, qui fait toute la différence, alors que tout le monde se focalise sur la mélodie.

Je répondrai aux autres plus tard éventuellement. Je remercie de toute façon tout le monde pour vos réponses. Je ne souhaitais pas emmener la discussion sur ce terrain un peu torturé, j'exposais juste mes interrogations sur une pièce de Schumann à la base :)
huizinga
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Re: Brahms et Schumann

Message par huizinga »

nox a écrit : Comme je l'ai dit, Dinu Lipatti (je crois) par exemple disait dans une interview que pour travailler un nouveau morceau, il commençait par l'étudier pendant des semaines sans toucher le piano. Si le morceau n'est pas clair dans ta tête, il ne le sera pas dans tes doigts. Parfois un ralenti, une nuance, un tempo, ça fait toute la différence. D'ailleurs dans les interprétations des grands pianistes, c'est souvent inconsciemment sur des petits détails que tout se joue, et c'est des petits riens qui font au final qu'on est plus touché par telle ou telle version.
Mais on a l'impression à te lire que tout doit être pensé et intellectualisé. Alors que la musique, c'est plus qu'un exercice intellectuel. C'est important bien sûr que certaines choses aient été réfléchies. Mais il y a aussi la dimension ressentie, vécue. Et ça, ça ne peut pas toujours être pensé ou mis en mots. Il y a des choses en musique qui ne peuvent pas s'apprendre par un travail de pensée. C'est ce fameux "feeling" indicible.

Et puis, au final, comme dit ma prof, il faudrait pouvoir tout oublier et ne jouer que ce que l'on sent instinctivement.

Cela m'a fait repenser au livre de Monique Deschaussées, "l'homme et le piano", dont je vous livre un passage un peu en rapport avec ceci (page 105): "la musique, comme tout art, a deux aspects: l'un pratique, rationnel, en un mot technique, l'autre métaphysique. L'artiste [...] ne peut se contenter de la maîtrise technique. Il part à la découverte du mystère qui demeure caché, qui est d'ordre métaphysique et se situe au-delà de l'entendement.
Le monde occidental est beaucoup plus basé sur la technique et la précision; l'oriental sur le sens métaphysique de la création et le secret de l'être. C'est l'union de ces deux conceptions qui permet d'atteindre le coeur des éléments, dans leur essence profonde."
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

Mais comme tu le dis, avant d'oublier il faut savoir. La musique, comme tu le dis très bien, c'est "plus qu'un exercice intellectuel", ce qui sous-entend que c'est aussi (voire surtout) un exercice intellectuel. Il ne faut pas sous estimer cette part là et tout laisser à l'intuition.
On ne peut pas tout faire au feeling. Pour dépasser un certain stade, assimiler le morceau, il faut savoir, comprendre ce qu'on fait, ce qu'on veut. Sinon on reste dans le flou. Tant mieux si tout est clair sans qu'on ait besoin d'étudier le texte, mais parfois ça ne suffit pas.

Et quand tu vises un niveau d'interprétation qui te permette d'atteindre un niveau suffisant pour certains concours, il ne faut pas craindre de chercher un peu plus loin que d'habitude.
Il faut savoir où tu veux aller, ce que tu dois dire, ce que tu veux exprimer. Ca justifie bien de se poser quelques questions...
Souvent les interprètes se plongent dans les manuscrits, comparent les éditions, s'imprègnent de la vie du compositeur, étudient le contexte historique d'une oeuvre etc...

C'est fou qu'une seule question déclenche tellement de polémiques :roll:
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Oupsi
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

Polémique, je ne sais pas. J'ai plutôt l'impression d'être invitée dans le laboratoire musical, là où les choses s'expérimentent, se cherchent, se pensent...
Ce genre de discussions, quand chacun fait vraiment l'effort de préciser sa pensée, ce qui a été généreusement le cas ici, c'est vraiment passionnant, je suis sûre que je relirai ce fil car il nourrit bien des méditations.

Sur ce, je retourne à mon petit piano!
Jean-Luc
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Re: Brahms et Schumann

Message par Jean-Luc »

Nox, ne te poses pas en victime pour avoir posé cette question... :D
Elle est bien légitime, et je crois que tout le monde comprend tes interrogations.
Cela donne lieu à des échanges intéressants qui en disent très long sur la perception de chacun vis-à-vis de la musique, de son apréhension, de sa compréhension.
Pour une fois qu'on n'a pas notre troll de l'été surgi de nulle part, hein...
Donc merci de l'avoir posée :wink: !

Juste une question suite à ton dernier post : supposons que ton prof ne t'ait pas repris sur ces ralentis, qu'il soit d'accord avec cette non-rupture de tempo, et donc qu'il ne t'ait rien dit. Je pense bien que tu lui aurais certainement posé LA question autour de laquelle on tourne ici même. Finalement peu importe la réponse de ton prof puisqu'il est d'accord avec toi. Il t'aurait peut-être dit "Ce n'est pas écrit comme ça. Et même si Michelangeli ou Richter ou je ne sais qui, ralentit à ces endroits, ce n'est pas écrit..."
Mais aurais-tu continué à te poser cette question sur ta propre interprétation, ne sachant comment faire?
huizinga
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Re: Brahms et Schumann

Message par huizinga »

nox a écrit :Mais comme tu le dis, avant d'oublier il faut savoir. La musique, comme tu le dis très bien, c'est "plus qu'un exercice intellectuel", ce qui sous-entend que c'est aussi (voire surtout) un exercice intellectuel. Il ne faut pas sous estimer cette part là et tout laisser à l'intuition.
On ne peut pas tout faire au feeling. Pour dépasser un certain stade, assimiler le morceau, il faut savoir, comprendre ce qu'on fait, ce qu'on veut. Sinon on reste dans le flou. Tant mieux si tout est clair sans qu'on ait besoin d'étudier le texte, mais parfois ça ne suffit pas.

Et quand tu vises un niveau d'interprétation qui te permette d'atteindre un niveau suffisant pour certains concours, il ne faut pas craindre de chercher un peu plus loin que d'habitude.
Il faut savoir où tu veux aller, ce que tu dois dire, ce que tu veux exprimer. Ca justifie bien de se poser quelques questions...
Souvent les interprètes se plongent dans les manuscrits, comparent les éditions, s'imprègnent de la vie du compositeur, étudient le contexte historique d'une oeuvre etc...
Le fait de rajouter des choses qui ne sont pas écrites tout en respectant le texte (ce n'est pas incompatible), cela peut aussi constituer un choix d'interprétation. C'est ce que je voulais dire plus haut en fait et que d'autres ont déjà dit, je crois: On peut ressentir une nécessité interne (ce "feeling") de faire telles ou telles choses dans un morceau même si objectivement, au niveau intellectuel, rien ne l'impose. Interpréter c'est aussi accorder une certaine liberté, une parole à son Moi, en tant que sujet - conscient ou inconscient d'ailleurs -, en tant qu'être qui ressent et éprouve des choses personnelles. C'est aussi faire les choses comme on les sent une fois que toutes les indications écrites ont été respectées.
D'ailleurs rien n'empêche d'être très empirique quand on se pose de telles questions: Au lieu de "penser" et faire une étude musicologique, on peut aussi essayer en pratique plusieurs façons de faire et retenir celle qu'on préfère.
Pour prolonger cette discussion, je me demande comment Glenn Gould a procédé dans ses oeuvres pour Bach, lui qui avait pour réputation de ne rien faire comme les autres? Il faut dire aussi que le texte des partitions de Bach offre beaucoup de liberté.
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

huizinga a écrit :Le fait de rajouter des choses qui ne sont pas écrites tout en respectant le texte (ce n'est pas incompatible), cela peut aussi constituer un choix d'interprétation. C'est ce que je voulais dire plus haut en fait et que d'autres ont déjà dit, je crois: On peut ressentir une nécessité interne (ce "feeling") de faire telles ou telles choses dans un morceau même si objectivement, au niveau intellectuel, rien ne l'impose.
Mais je suis en phase avec ça depuis le début, je l'ai mis en gras un peu plus haut ! Il n'est pas question de suivre à la lettre la partition et d'en rester là ! Evidemment qu'il y a des non-dits ! Mais toute la question est de savoir si en l'occurrence le fait de faire ces ralentis contredit la partition ou non. Pour moi oui. Schumann indique beaucoup de petits ralentis dans cette pièce, il est assez précis sur les tempi, les ambiances, les enchaînements. Quand il a voulu des ralentis ou/et des points d'orgue entre 2 parties, il les a noté. Alors pourquoi en faire ailleurs si rien n'est écrit ?
C'est la question que je me posais au départ. Me répondre des choses comme "peu importe, fais comme tu le sens, l'essentiel c'est que tu sois convaincu etc..." ça ne me fait pas avancer d'un fifrelin. Comme je l'ai dit, faire "comme on le sent", ça a ses limites.
huizinga a écrit :D'ailleurs rien n'empêche d'être très empirique quand on se pose de telles questions: Au lieu de "penser" et faire une étude musicologique, on peut aussi essayer en pratique plusieurs façons de faire et retenir celle qu'on préfère.
Oui éventuellement, mais d'une part je pense que si on étudie bien l'oeuvre, l'écriture, le contexte, la plupart de ces choix s'imposent d'eux-mêmes, et d'autre part ces choix doivent se faire dans les limites posées par la partition. Encore une fois la question est ici de savoir si on les dépasse ou non.
Jean-Luc a écrit :Juste une question suite à ton dernier post : supposons que ton prof ne t'ait pas repris sur ces ralentis, qu'il soit d'accord avec cette non-rupture de tempo, et donc qu'il ne t'ait rien dit. Je pense bien que tu lui aurais certainement posé LA question autour de laquelle on tourne ici même. Finalement peu importe la réponse de ton prof puisqu'il est d'accord avec toi. Il t'aurait peut-être dit "Ce n'est pas écrit comme ça. Et même si Michelangeli ou Richter ou je ne sais qui, ralentit à ces endroits, ce n'est pas écrit..."
Mais aurais-tu continué à te poser cette question sur ta propre interprétation, ne sachant comment faire?
Eh bien oui, mais un peu moins, puisque j'aurais eu au moins un appui. Je n'aurais toujours pas compris pourquoi tous ces grands interprètes, bien meilleurs et bien plus savants que moi, jouent de cette façon. Mais j'aurais au moins un avis sur lequel m'appuyer.
En l'occurrence, à part quelques forumistes, personne ne semble partager mon avis, ni mon prof, ni les interprètes que j'ai écouté. Il y a quand même de quoi s'interroger.
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Oupsi
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

En ce qui concerne la compréhension du "pourquoi", je pense que l'explication d'Okay est très convaincante.
C'est un peu comme au théâtre, les didascalies. Théâtre classique, on a juste "Il entre". "Il sort". "En aparté". C'est tout. Tout le reste était hyper codifié, donc s'il n'y avait rien d'écrit, cela ne voulait pas dire qu'il ne fallait rien faire, mais juste que tout le monde savait ce qu'il fallait faire. La "chorégraphie", le jeu de scène étaient implicites et culturellement partagés. Bon jusque là c'est clair.
Vient l'époque moderne. On commence à tout remettre en cause, à tout interroger, le texte, le silence, le rapport à l'espace, l'entre-deux des comédiens, etc etc. et donc les didascalies aussi. On commence à écrire des choses très précises, ou à ne rien écrire du tout. Il n'y a plus ce naturel partagé disons "d'exécution". Ce n'est pas tant que chacun peut faire ce qu'il veut, c'est juste que chacun doit réfléchir à la cohérence qu'il voit dans l'oeuvre, au sens qu'il voit dans l'oeuvre, parce que la part codifiée est bien moindre (même si on peut dire que cette capillarotraction permanente est elle aussi un "code", celui d'une époque) et parce que l'auteur veut constuire un monde, et non seulement y participer comme à l'âge classique.
Cela veut dire que les metteurs en scène, même lorsqu'ils reprennent un répertoire ancien, lui appliquent cette démarche "moderne", parce que si on jouait Racine comme au temps de Racine, vu qu'on ne partage plus les codes, on n'y comprendrait rien et on s'ennuierait ferme.

Pour en revenir à Schumann, compositeur très littéraire dans le sens même des choses écrites et simultanément"cachées", cryptées, des jeux et des énigmes musicales, et très "dramatique" dans le sens du théâtre, même si ce n'est pas du tout dans le sens de Wagner, je pense que ces interrogations ont leur raison d'être. Peut-être que pour les interprètes que tu as écoutés, "il va de soi" que la transition doit être entendue, marquée par un ralentissement, parce que sinon ils pensent qu'ils perdent la sensation du changement tels qu'ils la perçoivent. Toi tu vois plutôt un changement brusque et non anticipé. Peut-être que très précisément le changement d'atmosphère purement dramatique n'est pas quelquechose que Schuman noterait (il ne noterait alors que les changements "non dramatiques", c'est à dire les changements liés au discours seulement). Ça franchement je n'en sais rien, mais la réflexion doit peut-être aller dans ce sens là. Consulter d'autres partitions Carnavalesques de Schumann, ou qui expriment comme celle-ci des "mini-mondes simultanés", des dualités, et puis décider.

Ça arrive (et heureusement!) qu'une interprétation soit très différente de ce qu'on a l'habitude d'écouter, et nous surprenne. L'auditeur se dit, tiens, c'est bizarre, c'est "nouveau". S'il est musicien il va aller regarder la partition, et alors constatera qu'il y a quelque chose de différent par rapport à la partition, ou au contraire que bizarrement c'est tout à fait ce qu'il y a écrit dans la partition. Ou encore que la partition n'empêche pas, n'interdit pas cette inteprétation.
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Re: Brahms et Schumann

Message par JPS1827 »

nox a écrit : Quand il a voulu des ralentis ou/et des points d'orgue entre 2 parties, il les a noté. Alors pourquoi en faire ailleurs si rien n'est écrit ?

Oupsi te donne une réponse à cette question : peut-être que Schumann n'écrit que ce qui ne lui paraît pas évident pour l'interprète ; le compositeur ne peut pas écrire tout ce qu'il veut, il donne des indications sur ce qu'il ne veut pas qu'on oublie de faire, peut-être que ces petits ralentis étaient évidents pour lui en fonction des codes de l'époque (ou pas, et dans l'impossibilité de savoir, fais ce qui te paraît le plus adapté à ce que tu veux faire passer).
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

Non, franchement je n'y crois pas.
Pour certaines transitions le ralenti est explicitement noté, les deux parties sont nettement séparées, et pour d'autres non.

A la limite, le ralenti (qui n'est pas noté, donc) avant la première partie syncopée est le moins évident de tous, puisque les deux parties s'enchaînent dans la même mesure, sans le moindre soupir, sans la moindre pause, sans changement de tempo. On ne peut pas dire que le fait de ralentir soit évident, et pourtant rien n'est noté.
Et même s'il faut faire ne serait-ce qu'un léger ralenti, on dispose comme tu l'as rappelé plus haut d'une foultitude d'indications permettant de noter ces subtilités : allargando, ritardando, rallentendo, slentando...

Enfin comme vous l'avez dit, les éditeurs rajoutent souvent des indications qui leur semblent évidentes même si le compositeur n'a rien noté. Or aucun ajout de l'éditeur en ce sens.

Bref toute la question est : est ce que Schumann voulait vraiment qu'on ne fasse aucun ralenti à cet endroit là ? Si oui, je pense qu'il faut au contraire jouer sur cet enchaînement inhabituel et cette juxtaposition brusque de deux ambiances distinctes. C'est quelque chose qui me semble très difficile à rendre, et je me demande juste si le jeu en vaut la chandelle.

Pour résumer et renouer avec les considérations plus générales de la discussion (qui je pense intéressent plus de monde, vu que tout le monde n'a pas le nez dans la partition de Schumann) : parfois l'interprète exploite des non-dits, en les considérant comme une liberté laissée par le compositeur, alors que ces non-dits sont peut-être une indication en eux-même. Le compositeur n'indique rien parce qu'il ne veut rien de plus.
C'est ce que disait Mylène avec l'exemple du troisième scherzo et la manière de jouer les descentes de croches dans la partie chorale.
Je pense également à des choses comme les gymnopédies de Satie, qui comportent très peu d'indications de nuance et de dynamique, et où la difficulté réside précisément dans la simplicité. Il faut exprimer beaucoup en bougeant peu. L'absence d'indications est dans ce cas plus une contrainte qu'une liberté.
Modifié en dernier par nox le mar. 31 juil., 2012 11:08, modifié 1 fois.
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

Et bien dans ce cas, Nox, je pense que tu devrais défendre cette vision, parce que tu y as réfléchi et que ça se tient. Le fait de ne pas anticiper un changement dramatique a autant de sens que le fait de l'anticiper, mais ce n'est pas le même sens bien sûr. Et ça peut créer, par contraste avec ce qui serait attendu, une sensation rythmique pas inintéressante.

En plus, bien sûr un compositeur ne va pas remplir sa partition de "ne pas" (ne pas ralentir... ne pas faire ci, ne pas faire ça), quoique parfois on trouve ça aussi.

La palette est riche en tout cas!

EDIT entretemps ton message est beaucoup plus long que tout à l'heure, bon je poste quand même
nox
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Re: Brahms et Schumann

Message par nox »

Oui je vais essayer de le jouer dans ce sens, mais c'est beaucoup plus difficile à rendre, et je ne sais pas si tout ce travail aboutira à quelque chose de potable.
J'aurais aimé trouver une interprétation sur laquelle me baser pour le coup :mrgreen:

Et puis je ne peux pas croire que je sois le premier à me poser la question. Or si personne ne le fait, ça veut dire qu'il y a clairement des contre-arguments qui ont fait pencher la balance dans l'autre sens pour tous les autres pianistes. Ca m'intrigue, parce que le contre-argument "c'est évident" ne résiste pas selon moi à une lecture appliquée de la partition.
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Oupsi
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Re: Brahms et Schumann

Message par Oupsi »

peut-être la version de Vladimir Ashkenazy? Ça donne quelque chose de plus haletant.

(et le contre-argument que je te proposais, à titre d'hypothèse, c'était une distinction discours/action, pas du tout "c'est évident")
Modifié en dernier par Oupsi le mar. 31 juil., 2012 11:25, modifié 1 fois.
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natty_dread78
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Re: Brahms et Schumann

Message par natty_dread78 »

Salut,
Nox, je ne vois pas pourquoi tu te tortures l'esprit. Fais comme toi tu penses. Tu ne sens pas de ralenti à cet endroit la, n'en fais pas. Joue ton interprétation, avec ta personnalité.
N'essaie pas de plaire au public ou au jury, mais plutot de leur apporter ta vision de l'oeuvre, et non une pale copie de ce qui se fait ailleurs. Au moins, ce sera beaucoup plus satisfaisant pour toi.
Evidemment, si on n'est pas très bon artiste, ca ne marchera pas très bien. On n'a rien à apporter ou bien ce qu'on apporte est de mauvais gout (pas du "beau"). Mais au moins, on ne singe pas bêtement les autres.
L'art c'est de la création, pas de la copie.
In piano veritas.
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Re: Brahms et Schumann

Message par JPS1827 »

Rappelle-toi que quand Poulenc pense que tout le monde va ralentir quelque part, et qu'il ne le veut pas il écrit "surtout sans ralentir", c'est donc bien qu'il perçoit que ce qu'il écrit contient des codes implicites.
Je viens de revoir la partition et je t'écris ce que je ferais si je le jouais (en fait pas grand-chose)
- une très discrète virgule avant la première partie syncopée (il faut que l'oreille ait le temps de saisir le changement) mais sans ralentir avant (mais sans précipiter non plus)
- ce qui est écrit jusqu'au Tempo wie zuvor, en faisant attention de bien marteler les fins de phrase en accords sans les précipiter mais sans les ralentir franchement. A la fin des deux lignes j'allongerais légèrement le soupir avant le départ du motif pointé qui contient plus tard l'évocation de la Marseillaise.
- je poserais assez largement, martelés, les fa fa fa qui amorcent le Höchst lebhaft pour ne pas donner l'impression qu'on "se casse le nez dessus", ainsi que les trois accords qui concluent les deux lignes suivantes
- pareil pour les accords qui concluent l'épisode avant le Tempo wie im Anfang, accords que je ferais s'éloigner mystérieusement en les détendant un peu

En fait assez peu de choses qui ne soient écrites. Mais j'ai vraiment l'impression que ça ne me gênerait pas du tout qu'on ralentisse par exemple la fin du premier épisode avant les syncopes si c'est bien fait.
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