Mais vous savez quel est le problème de toucher avec le système silent?
Sur un piano, si vous jouez tout doucement, le son est très doux ou peu fort, mais si vous jouez trop doucement, le son ne se déclenche pas et le marteau est relâché avant de toucher la corde, bien, on appelle cela l'échappement me semble-t-il. Sur un piano silent, cette particularité mécanique de l'échappement est réglée différemment (la nécessité technique de cela m'échappe justement) : le seuil de déclenchement de ce mécanisme est plus haut, si bien qu'il vous faut jouer plus fort pour obtenir le son le plus doux, et donc, en comparaison du même piano acoustique, vous aurez d'abord moins de possibilités de jouer des nuances très douces et très calmes. Cet état de fait donne au toucher un point dur à l'enfoncement de la touche, plus haut que sur un piano réglé traditionnellement, et ce point dur de l'échappement réglé plus haut peut donner l'impression d'un clavier spongieux ou grippé si vous avez pour point de comparaison un autre clavier immédiatement à côté de vous, c'est vrai. Toutefois, certaines situations de jeu, comme avec la pédale una corda, la sensation de mollesse dans le clavier est bien plus accentuée qu'avec un échappement réglé pour le système silent. Dans le cas de jeu avec la sourdine en feutre, le toucher est bien plus altéré encore que dans les deix situations précédentes.
Ceci vaut en théorie. En pratique, il faut considérer plusieurs choses.
Premièrement, ce réglage ne diffère pas forcément de beaucoup relativement au piano acoustique (en fait, il faut déjà avoir une sensibilité pour sentir cette différence, un néophyte ne la remarquerait pas), et cela est d'autant plus vrai que le piano est un piano récent avec des capteurs optiques équipant son système silent. Ensuite, le problème est plus flagrant sur un piano plus prestigieux, car sur un petit piano de toute façon, on ne peut pas tellement bien énoncer des nuances d'amplitude, car la mécanique est trop imprécise. Sur un petit piano (disons d'étude) vous avez une peu tout le son tout de suite très fort, tandis que si vous montez en qualité vous pouvez nuancer davantage comme la mécanique est plus précise.
Ensuite, lorsque vous prenez l'habitude de jouer votre piano (au casque ou acoustiquement), comme vous souhaitez tout de même exprimer des nuances, vous apprenez à compenser ce point de l'échappement et développant une jeu plus précis : exprimer une nuance ne viendra pas du fait de jouer tout doucement, mais de jouer avec une vitesse plus grande pour passer ce point d'échappement, et en même temps une frappe moins forte. Vous vous adaptez et vous apprenez à jouer le clavier tel qu'il est, et bientôt vous n'avez plus l'impression d'avoir un clavier spongieux, parce que vous augmentez la vitesse de la frappe tout en apprenant à retenir la force de cette frappe. Vous apprenez en somme à jouer les nuances sur un instrument qui demande une plus grande précision que d'ordinaire, et c'est en cela que le toucher est modifié. Mais vous y gagnez en réalité, car lorsque vous revenez sur un piano strictement acoustique, tout semble fluide et facile, les nuances sont plus simples à exprimer et vous avez acquis une vitesse de frappe (ou une force d'inertie dans la frappe si vous voulez) dans une grande précision de force de la note jouée. Tout semble alors plus facile. Ensuite, en revenant à votre piano silent, vous êtes déçu un temps, c'est plus difficile à la maison!
Mais il n'en demeure pas moins que vous avez un instrument qui demande cette précision de jeu et que vous pouvez jouer jour et nuit sans déranger personne.
Non seulement vous jouez davantage (d'autant que le jeu au casque est différent : personne en vous entend, vous pouvez répéter des heures le même passage sans avoir le sentiment de gêner ou de lasser), mais vous vous entrainez à une pratique un peu plus exigeante que sur un piano ordinaire. Vous vous musclez les doigts à jouer plus franchement, avec une certaine quantité de force donnée, sans tâtonner, et aussi plus vite, avec une impulsion plus rapide, de manière plus articulée, comme si vous étiez dans la situation de devoir retenir une force excessive, vous tenez votre jeu de plus près, et ainsi est-ce un avantage aussi dans l'absolu (en attendant le pavillon de banlieue où jouer sans déranger personne sur un piano strictement acoustique...)
Enfin il y a un dernier avantage qui me parait décisif même s'il est d'une autre nature. Un piano silent est un investissement de plusieurs milliers d'euros pour les premiers prix. Si vous achetez un clavier numérique à 500 euros, théoriquement vous avez un outil pour travailler, mais êtes-vous certain que l'effort que ce piètre investissement vous a coûté, avec sa limitation sonore et mécanique, sa piètre plastique et son toucher inconsistant, etc. va vous retenir longtemps? La musique est une passion exigeante, à partir d'un certain niveau, variable selon les progrès, la passion prend le pas sur l'effort ; mais le temps de parvenir à cette étape, vous avez certainement mille occasions de faire autre chose que de travailler la musique sur votre médiocre clavier. Si vous achetez un piano silent, vous avez une motivation supplémentaire, celle de tenir votre engagement face à l'instrument et de progresser. Pourquoi? Parce que cela vous a coûté vos économies ou au moins une partie substantielle (une voiture, un voyage, une cave à vin, que sais-je?)
Aussi personne n'a raison en effet, mais vous aurez peut-être moins de facilité à faire admettre à votre entourage la nécessité de l'achat d'un clavier numérique après un piano (ou pire, inversement), pour toutes sortes de raisons. Vous retarderez alors peut-être l'un de ces achats complémentaires indéfiniment sans progresser musicalement, en vous avachissant devant Roland Garros puis Wimbledon puis le foot puis la F1 en buvant de la bière et en perdant ainsi un précieux temps que vous auriez pu espérer passer à vous sauver la vie en apprenant à mieux jouer de votre instrument, et vous mourrez ainsi précocement d'un arrêt cardiaque après une atroce et interminable agonie morale et télévisuelle.
Donc si si si, compte tenu de tout cela, bach_addict a bel et bien tort, c'est à présent absolument établi!
Il faut aller voir son marchand de piano, essayer un même modèle avec et sans silent, et se faire une idée. Si vous ne sentez pas de différence de toucher, vous ne souffrirez pas de cela probablement ; si vous sentez une différence, demandez-vous si vous serez capable de la surmonter ou si elle vous restera toujours sur le cœur, et dans ce dernier cas, en vue du pavillon de banlieue, je vous conseille de vous procurer au plus vite
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