J'ai 2 semaines de congés dont la première en train de finir, et je suis en train de retravailler une partie des transcendantes de Liszt (1 à 5, 8 et 10). Ca fait vraiment du bien de faire sortir ses doigts d'une période d'hibernation !!!
J'avais prévu initialement (dans mon post de présentation) de reprendre l'opus 10 de Chopin, mais finalement, j'ai jeté mon dévolu sur le cahier de Liszt
Je suis donc notamment sur Mazeppa en ce moment, et je me cherche un peu dans la conception du premier énoncé du thème à la 2e page. Je tiens à deux choses en particulier, que personne ne fait dans aucune des versions enregistrées que je connais. D'abord je voudrais la ligne de thème suivie et chantée, en dépit des déplacements et de la puissance, une vraie phrase quoi, pas une succession d'accords frappés de manière indépendante. Et en deuxième, je n'envisage pas de ne pas respecter le (difficile) doigté que Liszt indique pour les tierces chromatiques (les deux mains uniquement avec 2-4). Je pense qu'il faut les rendre assez martelées et crescendo, pas l'espèce de bouillie fuyante ultra précipitée noyée de pédale qu'on entend trop souvent. L'effet rendu avec le doigté de l'auteur n'a vraiment rien à voir.
Ma question est donc la suivante. Connaissez vous un(e) pianiste qui a gravé une version qui chante ce beau thème, et qui visiblement respecte l'intention musicale du compositeur pour l'accompagnement de tierces ???
Je lancerai peut être un peu plus tard un autre topic adjacent sur un sujet qui me brûle depuis des années. Je trouve que pour une partie des études ou pour quelques passages, la version initiale de 1837 est supérieure - j'entends musicalement - à la version finale de 1851 que tout le monde joue désormais. Evidemment c'est parfois beaucoup plus difficile (bien que pas toujours), mais il y a des surprises harmoniques avec une modernité plus hardie que 14 ans après, et certaines sections moins prosaïques. Je regrette personnellement certains choix du compositeur dans son ultime révision.
Si jamais ça intéresse du monde je préciserai avec des exemples...
Quelle ambition ! Tu t'es fixé un sacré programme.
Je connais mal la version de 1837, mais pour le peu que j'en ai vu, c'est si difficile techniquement qu'il est difficile de se concentrer sur la musicalité. D'une manière générale, je trouve qu'il y a dans cette première version effectivement de belles choses qui ont disparues dans la version définitive, mais je trouve tout de même cette dernière version plus aboutie, moins chargée.
C'est un peu pareil pour la première version de la Vallée d'Obermann. C'est magnifique harmoniquement, mais parfois un peu lourd, et moins limpide dans la structure finale de la pièce, je trouve.
Concernant le doigté, ce doigté de Liszt, qu'on retrouve dans beaucoup de ses oeuvres (rhapsodies n9 et 15 par exemple il me semble), apporte certainement beaucoup quand il est parfaitement maîtrisé et exécuté. Mais cela demande un travail conséquent je pense. Je ne connais personne qui l'utilise (mais en même temps je connais pas grand monde qui soit capable de jouer cette pièce). Perso je pense qu'il vaut mieux utiliser un doigté classique plutôt que risquer une exécution médiocre avec un autre doigté mal maîtrisé. Il y a déjà assez à faire dans ce morceau
Concernant le thème, le problème c'est qu'on ne peut lier ni avec la pédale, ni avec les mains, ce qui explique peut-être que tu ne trouves pas de version qui te convienne. Je pense qu'il faut tout faire en jouant sur la sonorité et le poids, pour arriver à quelque chose comme cette version (que j'aime beaucoup) peut être...
En fait ce programme est moins ambitieux qu'il en à l'air ! Je ne suis pas en train de dire, tiens si je montais la moitié des transcendantes en 15 jours ... la ce serait juste du troll. Non, ce sont bien sûr de vieilles connaissances que je me remets dans les doigts pour le plaisir - à part WIld Jagd que je n'aimais pas trop et qui est en fait géniale ! J'avais travaillé les 2, 4 et 5 au CNR et présenté la 5 à l'entrée du CNSM ... il y a presque 10 ans !!
Pour Mazzepa, je persiste à vouloir garder ce doigté de tierces car il interdit de les jouer legato. Avec encore du travail, ça va bien passer. C'est vrai que Berezowky nous livre ici un vrai chant, ce que peu réalisent... mais j'aime un peu moins le côté démonstratif de son jeu, et surtout je n'entends rien de ses tierces, totalement avalées dans la vitesse et la pédale.
Je suis assez d'accord avec tes remarques sur la version 1837, qui à ce côté grandiloquent, de la révolution pianistique du Liszt de ces années, qu'il a canalisé par la suite. Les accords sont parfois à la limite du percussif, saturés de sons dans les registres extrêmes du clavier. Je conçois ce que tu dis par plus fluide. J'ajouterais même que les morceaux sont souvent plus justes de visée dans leur versions finales. Cependant je précise quelques exemples où je préfère la version initiale ... ou pas. Ca donnera quelques indications sur les différences pour les intéressés. La partition est disponible ici : [url]http://imslp.org/wiki/Grandes_études,_S.137_(Liszt,_Franz)[/url]
A noter également que Leslie Howard a enregistré les Grandes Etudes, et qu'on les trouve presque toutes facilement sur youtube.
- Etude 1. J'adore le côté épique de l'accord en ronde main droite fa-do-ré dernière mesure première ligne 2e page. Le do a glissé par la suite vers in si b que je trouve bien plus neutre. Le ton était vraiment donné avec cet accord pour "préluder" à la suite.
- Etude 2. Le caractère de la pièce est changé par la suppression de la figure horrible 2-octave autour de laquelle la pièce était conçue. Ce qui permet bien sûr de jouer beaucoup plus vite la version finale, où on a juste des battements alternés à la place, bien plus aisés. Je préfère ici 1851, car déjà le morceau est plus faisable, et il a ce caractère plus piquant permis par la vitesse. On a ici un vrai petit scherzo plein d'ironie, qui était une machine plus lourde à mettre en branle en 1837.
- Etude 3. Le même morceau en 1851, la section centrale agitée de quelques lignes en moins. J'aimais bien ce passage, peut être encore une fois jugé trop épique et hors sujet au milieu de la pastorale Paysage. On peut y souscrire.
- Etude 4. Un de mes plus gros regrets de la version finale. Liszt ajoute dans Mazeppa une introduction et une conclusion pour faire de l'étude un vrai poème. Je les trouve tout aussi inutiles l'une que l'autre, la pièce était plus unie et cohérente sans. Je trouve bâclée musicalement la cascade d'accords diminués introductive, et péremptoire cette conclusion pseudo littéraire. De plus dans l'énoncé du thème, il avait gardé en 1837 pour l'accompagnement la figure de croisements de l'exercice juvénile de 1826, que je trouve bien plus intelligible harmoniquement que les chromatismes futurs, plus anonymes et vides de musique. Le caractère est aussi très différent, j'adore le Patetico de 1837, c'est vraiment prenant ce romantisme. Le thème habillé ainsi hante beaucoup plus la mémoire. La version finale est plus fiévreuse, plus folle, il veut davantage y décrire la chevauchée de Mazeppa... Pour moi le vrai gain de la version finale est la réexposition du thème - piano - après la section centrale, assez endiablée et hérissée d'appoggiatures.
- Etude 5. Quasiment le même morceau, allégé en 1851 de quelques notes qui alourdissaient cette danse impalpable. Plus juste, une vraie réussite.
- Etude 6. Encore une fois très proche, à part que tout le début devait se jouer à la main gauche seule... avec des arpèges encore plus étendus ! Je préfère la cascade d'octaves de 1837 au milieu, encore une fois plus épique que la simple descente chromatique dont on hérite finalement.
- Etude 7. La version initiale est supérieure à Eroica sur tous les plans pour moi. On a "perdu" une superbe pièce... Eroica a été très simplifiée, une partie des cascades de triples descendantes ont été raturées, beaucoup de subtilités harmoniques sont devenues plus banales. Je n'aime pas trop non plus le passage en croches piquées qu'il a rajouté en 1851... je le trouve un peu hors de propos. Les quelques mesures qu'il a supprimées à cet endroit étaient beaucoup plus dans l'esprit de la pièce. Le passage qui amène la fameuse page en octaves doubles est également plus riche harmoniquement que la superpositions d'accords diminués qu'on a en 1851.
- Etude 8. Presque la même pièce à un "détail près". La formule en doubles alternées/martelées de Wild Jagd était 14 ans plus tôt un fracas de triples croches 1-2-3-4-5 aux deux mains unisono, d'où il fallait ressortir les notes du thème. Ce procédé a disparu pour laisser place au martèlement qu'on connaît. C'est moins spectaculaire et encore une fois moins "épique" (je trouve que c'est bien le mot qui différencie les deux versions), mais plus sauvage, donc pourquoi pas adhérer. C'est marrant mais ce procédé technique était repris de manière très indirecte dans la section centrale, où il a aussi été supprimé. Ca donnait un petit côté tendre, qui est devenu plus direct finalement.
- Etude 9. Révision très mineure entre la 9e Etude et Ricordanza. La principale différence est cette respiration dans la mélodie introduite en 1851 avec ces demi-soupirs partout, ça donne un côté un peu hésitant à ce chant, moins salon.
- Etude 10. Encore une fois pas mal de regrets. L'étude de 1851 est beaucoup moins difficile mais on a perdu pas mal de musique au passage. Je reconnais que le discours s'est fluidifié, mais j'adore toutes ces dissonances et fausses relations de la première page de 1837. Aussi, la main gauche qui soutient le premier énoncé du thème sublime (bas de la 2e page) est bien plus méchante initialement, mais que ces viles tierces lui donnaient une autre allure que les "simples" arpèges de 1851 ! Par contre je préfère le second énoncé de ce thème de 1851. Il y a une page horrible de 1837 faite de dixième brisées qui font mal aux yeux rien qu'à regarder, que Liszt a eu la clairvoyance d'ôter ... ainsi que la section "Presto Feroce" avant la coda qui faisait son petit effet, et qui a disparu. A ce propos, même remarque que pour Mazeppa, c'est quoi ce remplissage de 3 mesures en 1851 avec cette cascade d'accords diminués avec la coda ?? On dirait que c'est son "Jocker" quand il ne sait pas quoi écrire ... dommage ...
- Etude 11. Le principal changement est la section médiane. Harmonies du Soir nous sert un chant presque nu soutenu d'accords de guitare, alors que l'accompagnement de 1837 nous gratifiait d'un subtil 3 pour 2 avec quelques chromatismes bien pensés en guise d'accompagnement. Autre changement d'écriture, les notes répétées des grands arpèges de main gauche sont devenues des syncopes.
- Etude 12. Chasse Neige est une réussite totale. La version de 1851 est épurée de l'introduction et des mesures lentes du milieu. Mais pourquoi a t-il rajouté une introduction inutile dans Mazeppa tout en ayant l'intelligence de rayer celle de l'Etude 12 ? Les figures et rythmes de trémolos sont plus variées dans Chasse Neige, et les sonorités plus vaporeuses. Le poème est bien plus évocateur. Et puis il y a ces chromatismes qu'il a rajouté à la main gauche, qui figurent le vent d'une manière incroyable...
Salut, regarde la version de Cziffra, c'est pas noyé sous un mouilli de pédale, on dirait qu'il utilise 2-4, perso je trouve ca beaucoup mieux que toutes les autres versions que j'ai entendues jusqu'à maintenant. http://www.youtube.com/watch?v=9xHBY-du ... re=related
Aussi cette performance d'amateur, sans les fautes elle serait ma préférée, et même avec je préfère écouter ça que toutes les autres versions coulantes et un peu trp agressives. http://www.youtube.com/watch?v=aD7l0H3N ... re=related
Merci. La version de l'amateur est encore assez poussive, bien qu'il a quelques qualités...
Cziffra est en effet le seul qui respecte le côté martelé des tierces. Mais du coup c'est un peu sec ! Ok, je suis jamais content je sors ...
Héhé !
La meilleure chose à faire me semble changer proprement la pédale avec les harmonies "principales" (donc 2 fois par mesure) tout en ayant une bonne articulation dans les tierces avec le doigté de Liszt.
J'ai découvert très récemment une version que je trouve magnifique, et qui est tout simplement une des toutes meilleure à mes yeux pour la plupart des études. C'est l'enregistrement de Bertrand Chamayou. J'ai rarement vu une telle densité de choix musicaux intelligents, et maîtrisés.