Clifford Curzon.

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
louna
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Clifford Curzon.

Message par louna »

Quel est votre avis sur ce pianiste Anglais ?
Je ne le connaissais pas du tout, je l'ai découvert dans Schubert, je fus complètement retournée par son interprétation de la Wanderer. Les notes sont jouées avec tant de justesse, ce n'est pas surjoué, rien de plus. Magnifique. L'introduction du mouvement lent m'a laissée sans voix.
J'ai trouvé aussi le moment musical "2 Stereden" sous ses doigts. Superbe.

Mais hélàs, peu d'informations sur lui. Un maigre article sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Clifford_Curzon

Possèdez-vous des enregistrements de ce pianiste ? Que me conseillez-vous pour continuer de le découvrir ?
Vos avis sur ce musicien ?

Louna
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Gastiflex
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Re: Clifford Curzon.

Message par Gastiflex »

Je connais pas, mais avec ce que tu en dis il faudrait pas que je passe devant son CD de la Wanderer à la Fnac...
D'ailleurs tu sais s'il existe en dehors du coffret 7 CD ?
Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate.
Arleston
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Re: Clifford Curzon.

Message par Arleston »

Il est un des interprètes d'un de mes disque (le premier!) qui compilent des tubes (marche turc, 15ème prélude de Chopin etc), il joue le 3ème rêve d'amour de Liszt et le 3ème moment musical de .... Schubert.
J'avais emprunté quelques cd il y a un petit moment, il faut que je réécoute. Ca me fait un cd de plus sur ma liste pour les prochains emprunts.
En tout cas il a assez enregistré quand même.
Modifié en dernier par Arleston le ven. 29 juin, 2007 9:24, modifié 1 fois.
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GUS-67
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Re: Clifford Curzon.

Message par GUS-67 »

Je suis en train d'écouter le 20° concerto de mozart par Curzon et Britten. Y a pas à dire, toucher de grande classe!
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André Quesne
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Re: Clifford Curzon.

Message par André Quesne »

louna a écrit :Quel est votre avis sur ce pianiste Anglais ?
Je ne le connaissais pas du tout, je l'ai découvert dans Schubert, je fus complètement retournée par son interprétation de la Wanderer. Les notes sont jouées avec tant de justesse, ce n'est pas surjoué, rien de plus. Magnifique. L'introduction du mouvement lent m'a laissée sans voix.
J'ai trouvé aussi le moment musical "2 Stereden" sous ses doigts. Superbe.

Mais hélàs, peu d'informations sur lui. Un maigre article sur Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Clifford_Curzon

Possèdez-vous des enregistrements de ce pianiste ? Que me conseillez-vous pour continuer de le découvrir ?
Vos avis sur ce musicien ?

Louna
Bonjour Louna,

C'est un immense plaisir de te retrouver ce matin sur ce nouveau site.

J'ai quelques informations au sujet de ce pianiste qui pourraient peut-être te satisfaire.

Clifford Curzon

Pianiste anglais, né à Londres le 18 Mai 1907, mort à Londres le 1er Septembre 1982. Entré à la Royal Academy of music de Londres en 1919, il devient l'élève de Charles Reddie et de Katharine Goodson, et remporte la médaille d'or Mac Farren de piano. Ses débuts ont lieu à l'âge de 16 ans , aux côtés de Sir Henry Wood, lors des concerts du Queen's Hall Promenade où il interprète le Triple Concerto de Bach. Il se perfectionne avec Tobias Matthay puis, en 1928, il va suivre pendant 2 ans les cours d'Artur Schnabel à Berlin, puis de Wanda Landowska et de Nadia Boulanger à Paris.

Il enseigne à son poste à la Royal Academy of Music jusqu'en 1932 et part en tournée. Peu à peu l'interprète de musique de chambre semble se dessiner en lui; tandis que ses interprétations des concertos de Mozart en font aux yeux de tous "le plus grand mozartien de son temps". A partir de 1952, Clifford Curzon anime le Festival d'Edimbourg, en compagnie de Szigeti, de Primrose et de Fournier, en jouant de nombreux quatuors avec piano.

Ce musicien est connu pour être le "spécialiste" des années sabbatiques. Les succès l'ont toujours conduit à se retirer un laps de temps plus ou moins long pour étudier et méditer. De sorte que sa carrière en dents de scie n'a jamais présenté au public que des interprétations longuement mûries, à valeur de recréation. Il a créé la Sonate pour piano de Berkeley (1946), dont il est le dédicataire, et le 2ème Concerto de Rawsthorne.


A bientôt, André.
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Stereden
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Re: Clifford Curzon.

Message par Stereden »

Ses disques sont disponibles chez Decca. J'ai le 5ième concerto de Beethoven avec Knappertsbutsch, le premier de Brahms avec Szell, un disque Liszt avec la sonate, un disque Schubert: les moments musicaux et la D850. J'ai aussi un live avec la sonate D960 de Schubert, que Curzon a aussi enregistré en studio chez Decca (il y aussi une version DVD qui vient de sortir et qui est chroniquée dans le Monde la musique de juillet-août) et la Fantaisie op. 17 de Schumann . Veux-tu écouter le Schumann ? :wink:
On ne vend pas la musique. On la partage. Leonard Bernstein
louna
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Re: Clifford Curzon.

Message par louna »

Stereden a écrit :..... et la Fantaisie op. 17 de Schumann . Veux-tu écouter le Schumann ? :wink:
OUI !!!! Image

S'il te plait...

J'espère que ses disques sont soldés...

Merci également à André pour ces informations.

J'avoue que je ne connaissais absolument pas ce pianiste, alors que sa discographie est pourtant très importante, et, semble t il, de qualité.
Dogane
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Re: Clifford Curzon.

Message par Dogane »

il y aussi une version DVD qui vient de sortir et qui est chroniquée dans le Monde la musique de juillet-août
oui, ce DVD a d'ailleurs reçu un "choc".
en plus du Schubert, il y a les scènes d'enfant de Schumann et du Brahms.
louna
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Re: Clifford Curzon.

Message par louna »

Dogane a écrit :
il y aussi une version DVD qui vient de sortir et qui est chroniquée dans le Monde la musique de juillet-août
oui, ce DVD a d'ailleurs reçu un "choc".
en plus du Schubert, il y a les scènes d'enfant de Schumann et du Brahms.
Possèdes-tu ce dvd Dogane ? Si oui, quel est ton avis ?

Je viens de me le commander. (15 euro via amazon).
J'ai hâte de le recevoir, pouvoir le regarder et donner un avis (objectif ??) dessus.
Dogane
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Re: Clifford Curzon.

Message par Dogane »

non je ne l'ai pas. (Mais je vais peut-être l'acheter, pour découvrir un peu mieux Curzon que je n'ai entendu qu'1 ou 2 fois).

mais je crois que tu peux faire confiance au Monde de la Musique : "son interprétation filmée de la sonate D960 est étonnement intense et d'une bouleversante limpidité".
scorpion
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Re: Clifford Curzon.

Message par scorpion »

J'ai 2 très beaux disques de ce pianiste:
Le premier concerto de Brahms avec Szell à l'orchestre, magnifique!
et un très beau double CD de concertos de mozart avec Britten et un autre, qui sonnent avec un naturel magnifique. on a vraiment l'impression que ca doit être joué comme ca! c'est vraiment un pianiste qui semble très sensible, très musical.
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Gastiflex
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Re: Clifford Curzon.

Message par Gastiflex »

Il y a la D960 sur ce DVD ?
Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate.
louna
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Re: Clifford Curzon.

Message par louna »

Gastiflex a écrit :Il y a la D960 sur ce DVD ?
Il semblerait...

J'ai hate de le recevoir ! Je tourne en rond en guettant le facteur, là ! :lol:
louna
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Re: Clifford Curzon.

Message par louna »

Ah ah !
Je viens de recevoir ce fameux DVD ! =D>

Verdict dans une heure..
Si je tiens le choc.
louna
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Re: Clifford Curzon.

Message par louna »

Non, je ne tiens pas.

J'ai passé une heure devant ma télé magnifique.

C'est un avis personnel, il faut aimer ce genre de piano (exactement l'inverse de Grimaud :wink: )

J'ai arrêté de respirer pendant une heure, complètement déconnectée.
Le récital s'ouvre sur Schumann, les scènes d'enfants. Beaucoup de finesse, de rafinement. Jamais surjoué, pas d'emphase. Toutes les nuances sont parfaitement dosées, justifiées. Ce qui s'exclu par une certaine part de spontanéité.
Les nuances piano sont magnifiques.

La Sonate D960 est tout autant superbe. Le 2eme mouvement est c que j'ai entendu de plus beau jusque là.
Le 4eme impromptu en la b Majeur est un vrai bijou. Dans la première partie, un son très perlé. Très intense et douloureuse la partie médiane. De superbes crescendi.
Pour Stereden, il y a le 3eme moment musical.

Il y avait également un capriccio de Brahms (op116). J'ai un peu moins aimé. C'était très passionné, trop peut-être à mon goût... Mais c'est un capriccio !


Tout ça est entièrement subjectif. Je suis complètement enchantée, même plus, comblée, heureuse, hystérique... =D>

Je n'ai pas encore regardé les bonus. Il y a un Cd également, avec des entretiens. Malheureusement, que ce soit dans le DVD ou le CD, tous les commentaires ou entretiens sont en anglais. :(
Le son est d'époque aussi...
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André Quesne
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Re: Clifford Curzon.

Message par André Quesne »

J'ai retrouvé d'autres informations au sujet de Clifford Curzon...

De toutes les choses indescriptibles, les plus indescriptibles sont la beauté et ses effets.

Clifford Curzon à bâtons rompus...

J'ai connu des gens qui, vers l'âge de trois ans, ont trottiné jusqu'au piano et ne l'ont pour ainsi dire plus quitté; avec moi, les choses se sont passées autrement.

Quand j'étais enfant, un professeur venait donner les leçons de piano à la maison; et jusqu'à ce que j'aie huit ou neuf ans, mon frère, ma soeur et moi - qui ne paraissions pas spécialement doués - nous rendions ensemble aux examens de musique, où il n'était pas rare qu'ils fussent mieux notés que moi. Je crois que la seule indication, l'unique indice qui aurait alors pu faire pressentir mon avenir, c'était que je ne réagissais pas comme les autres. Je m'en rendais bien compte, mais j'étais trop timide et trop doux pour parvenir à m'expliquer; je savais seulement qu'autour de moi, on paraissait ressentir les choses différemment. Pour ma famille - heureuse et sans histoire - ce ne devait pas du tout être drôle ce petit garçon étrange, embarassé et taciturne. Mais je pense - remarquez, on peut se tromper ou se flatter - avec le recul pourtant, il me semble bien que j'avais le genre de tempérament à s'exprimer tôt ou tard par une forme d'art quelconque: il y avait en moi trop d'émotions contenues qui exigeaient impérieusement de s'extérioriser. Et pour ce faire, jouer de la musique en public est quand-même un moyen rudement efficace, non ? Ce devrait l'être, en tout cas.
Bien sûr, j'aurais pu évoluer vers une autre voie: je ne crois pas être "un pianiste-né" au sens où on l'entend généralement. Mais je me rappelle exactement la façon dont la musique est née en moi; comme vous le savez peut-être, je suis le neveu d'un compositeur qui fut, en son temps, l'un des plus connus et des plus joués d'Angleterre. Son nom est un peu oublié aujourd'hui: Albert W. Ketèlbey - il avait ajouté l'accent pour qu'on ne le déforme pas en Kettleby; mais ses "Mélodies immortelles" - Sur un marché persan, Dans le jardin d'un monastère, la Mélodie-fantôme, Cloches à travers les prairies - ont bercé mon enfance. Il venait presque tous les dimanches soir jouer à la maison, et tester quelques unes de ses dernières compositions; mon père les adorait. Et je me vois encore ramper hors de mon lit dans le noir et m'asseoir sur le palier du haut, à même le linoléum glacé, tremblant de froid - je me demande comment je n'ai pas attrapé la mort - écoutant ces mélodies immortelles qui m'arrivaient d'en bas par bouffées; et je me souviens du désir indicible qu'elles éveillaient en moi.

En bon homme d'affaires - descendant d'une dynastie d'antiquaires - mon père espérait naturellement que le petit Clifford suivrait les traces de l'oncle Albert. Je continuai donc mes leçons de piano; pourtant, en y réfléchissant maintenant, je ne crois vraiment pas avoir donné des signes manifestes de tempérament musical - sinon, peut-être, par un sens particulier de la beauté, à la fois intense et vague à la manière des enfants. Il n'empêche que jamais mon piano - refuge de ma nature solitaire contre la gaieté de mon entourage - et que je persévérai. Et je dus finalement montrer quelque talent car on m'envoya exceptionnellement jeune à l'académie royale de musique.

C'est là en fait que ma carrière a commencé. Pour une raison que je n'ai pas très bien saisi à l'époque, une ambiance de perte irréparable s'abattit sur le pays après la première guerre, passée l'allégresse de la victoire. Partout des hommes, des élèves, manquaient à l'appel; bien des fils étaient morts - y compris le fils aîné de mon professeur de piano à l'académie, qui ne s'en remit jamais. Mais moi, adolescent de l'après-guerre, je me sentais en quelque sorte loin de tout cela; et c'est pourquoi, peut-être, je restais très renfermé. Les cours étaient du genre: "Recommencez une fois et ça ira; bon, apportez-moi quelque-chose d'autre pour la semaine prochaine." Un point, c'est tout. Mais au moins, personne ne se mettait en travers de mon chemin: on me laissait me débrouiller tout seul, mûrir, explorer, et en faire à ma tête.

Le résultat, c'est que je quittais l'Académie avec un répertoire des plus étranges: pas un seul Mozart, mais deux sonates et demie d'Arnold Bax. Elles m'ont valu des bourses, notez - sans doute parce que personne n'avait d'idée sur leur interprétation. Incroyable: je n'avais quasi rien de Beethoven, Schumann, Chopin ni Bach - si, la sonate en sol mineur de Schumann, pas précisément le morceau à donner à un jeune étudiant: elle est magnifique, mais très, très difficile. Aucun Mozart. Un rondo de Beethoven par-ci, par-là; l'Andante favori; peut-être l'une des premières sonates - la do majeur, probablement. Pas une note de Schubert, même pas l'Impromptu en la bémol pour patronages. Rien. Mon Dieu, qu'ai-je donc travaillé durant ces quatre ans ? Les grandes oeuvres étaient toutes des concertos - le Konzertstück de Weber, le Delius, le 1er Beethoven - que je n'aurais aucune chance de donner en public avant des années.

Le souci principal de tous les conservatoires devrait être de guider le choix du répertoire. Il faudrait donner à l'élève, quand il entre vers dix-sept ou dix-huit ans, disons, un plan d'études particulier, couvrant les domaines qui se rattachent à ce qu'il sait déjà. Le premier réflexe du professeur devrait être de dire: "Ah, vous jouez la sonate en si bémol op. 22 de Beethoven. Eh bien, que savez-vous des autres ? Vous les avez toutes regardées, au moins ? Alors quelle place occupe l'op. 22 dans l'ensemble ? A quelle manière appartient-il ? Et les contemporains de Beethoven, ses précurseurs, vous les connaissez ? " Busoni disait toujours: "Si vous jouez une pièce de Liszt, pourquoi pas l'intégrale ? - parce que, vous savez, elles posent toutes des problèmes similaires, et connexes". Dans ses fameuses classes du mercredi, Nadia Boulanger choisissait un genre abordé par un compositeur - cantates de Bach, sonates pour piano de Schubert, quatuors de Beethoven, etc. - et le traitait semaine après semaine jusqu'au bout, en exigeant de chacun de ses élèves une bonne connaissances des oeuvres.


A SUIVRE...si toutefois cela vous intéresse, mais dès que possible.

André.
louna
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Re: Clifford Curzon.

Message par louna »

Merci André ! D'où vient cet article s'il te plait ?

Après avoir été complètement emballée par le dvd, je pense que je vais poursuivre en m'achetant, petit à petit, ses enregistrements decca.

J'aime bien le dernier paragraphe :
"Ah, vous jouez la sonate en si bémol op. 22 de Beethoven. Eh bien, que savez-vous des autres ? Vous les avez toutes regardées, au moins ? Alors quelle place occupe l'op. 22 dans l'ensemble ? A quelle manière appartient-il ? Et les contemporains de Beethoven, ses précurseurs, vous les connaissez ? "
C'est un autre sujet, mais pour moi, c'est indiscutablement mon point de départ.. et d'arrivée lorsque j'étudie une oeuvre.
Mais c'est un autre sujet.
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André Quesne
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Re: Clifford Curzon.

Message par André Quesne »

Re Louna,

Pour répondre à ta question cet article est tiré du grand livre du piano aux éditions Van de Velde. Tu vois, en fouinant dans ma bibliothèque j'ai retrouvé les traces de Clifford Curzon.

Donc je poursuis...

Mais l'enseignement, c'est très compliqué. Je ne crois pas qu'une fois franchi un certain palier élémentaire, le piano puisse s'enseigner directement. A mon avis en tout cas, c'est impossible - sauf peut-être par l'exemple. Si quelqu'un vient me voir et me demande: "Comment ? Pourquoi ? Quelle est la meilleure façon, la meilleure méthode ?", je ne peux lui fournir aucune réponse toute prête. C'est peut-être là un des défauts de notre époque. Car lorsque j'avais l'âge d'apprendre - j'espère l'avoir encore ! - enfin, du temps de mes études, j'aurais pu aller trouver dix grands pédagogues en Europe et travailler auprès d'eux, vivre en présence de leur esprit et de leurs mains. En mettant les choses au mieux, un jeune pianiste d'aujourd'hui ne pourra qu'assister ici ou là à un cours d'interprétation pour s'asseoir aux pieds d'un maître. Je crois beaucoup à cette formule: assis aux pieds des grands pianistes, vous pouvez observer leurs mains, regarder comment ils rendent ce qu'ils font - pas seulement pour les copier, mais surtout peut-être pour absorber quelque chose de leur être, de leur âme, de leur démarche et, avec un peu de chance - mais alors, quelle chance ! - saisir au vol la minuscule étincelle qu'en attisant des doigts vous embraserez à votre tour. Ravel comprenait si bien ce paradoxe: "Choisissez un modèle, conseillait-il, et imitez-le. Si vous n'avez rien à dire, contentez-vous de le copier. Si vous avez quelque chose à dire, c'est dans l'infidélité inconsciente que vous révélerez le meilleur de votre personnalité..."
Toutes sortes de pianistes et de professeurs ont un jour ou l'autre noté des maximes. Parfois intéressantes, parfois amusantes, parfois même les deux. Mais y en a-t-il une qui nous dise vraiment quoi que ce soit sur l'art du piano ? De Leschetizky: "N'oubliez jamais de souhaiter bonjour et bonsoir à votre piano." De Busoni: "Ne laissez pas passer un seul jour sans ouvrir votre piano" - ce qui revient au même. Et de Schnabel, interrogé sur ses week-ends: "Il se trouve que j'appartiens à une profession où il existe des jours fastes, mais pas de jours fériés." Ces petites phrases sont bien sûr très utiles en tant que règles générales: le pianiste doit être comme un amant pour son instrument. Elles donnent la mesure de l'engagement que cela représente. Elles disent tout, et ne disent rien.
L'une des deux expériences bouleversantes de l'époque de mes vingt ans fut la rencontre avec Wanda Landowska. J'ai dû travailler avec elle à peu près deux ans; mais je suis "resté" avec elle jusqu'à sa mort. J'ai toujours pensé qu'on ne peut pas être élève, ou professeur, pendant un temps, et puis cesser de l'être. A l'heure actuelle, j'entends des gens affirmer par exemple: "Oh oui, j'ai été élève de Schnabel"; ils se mettent à écrire une longue dissertation sur son enseignement - et puis l'on s'aperçoit qu'ils ont peut-être pris en tout deux leçons avec lui. Ce ne sont pas ce que j'appelle des élèves. Un véritable élève doit rester disciple jusqu'au bout. Je ne sais comment l'expliquer, mais la vraie relation de maître à élève, c'est plutôt un compagnonnage à vie.
L'autre bouleversement a été Schnabel. Il avait une jeune et robuste petite cinquantaine lorsque je me suis inscrit chez lui, et en un sens je ne l'ai plus quitté, lui non plus, jusqu'à ce qu'il disparaisse. Il m'était impossible d'imaginer que nos relations s'éteindraient en lui remettant l'enveloppe de ma dernière leçon. Je me demande si un jeune pianiste ardent éprouverait aujourd'hui un tel sentiment ? La vie a tellement changé.
Je suis moi-même très partagé à l'égard de l'enseignement - surtout parce que j'ai constaté qu'il épuise en moi ce sur quoi précisément je bâtis mes concerts. Oui, par un phénomène étrange, il m'ôte une partie de mes forces - si bien qu'après avoir donné mes cours, et pendant un certain temps encore, je me sens privé de cet élan vital qui doir irradier de l'artiste vers son public. Ne dit-on pas que certains prestidigitateurs qui dévoilent le secret de leurs tours sont ensuite paralysés pour les refaire ?
Schnabel avait un élève qui le copiait de tellement près que si la porte était fermée à l'heure de cours - on attendait toujours le moment propice pour oser se faufiler à l'intérieur - on ne pouvait jamais reconnaître qui jouait. Les pianos étaient des Bechstein identiques - impossible donc de juger par la sonorité; vraiment, on ne pouvait pas savoir avant d'être entré dans la pièce. Or, ce jeune pianiste s'est acquis une très honnête réputation, mais n'a jamais atteint les sommets.
Comment définir une "nature" ? La réponse est à la fois très simple et très complexe. J'ai entendu un jour Schnabel trancher à ce sujet avec sa terrible franchise. Comme on le questionnait sur un élève à l'esprit très cultivé, exceptionnellement raffiné en tout, qu'il aimait profondément et respectait beaucoup, il répondit: "Le pauvre, il n'a pas assez de talent, voilà tout."
Et pour lui, c'était une raison suffisante: on pouvait avoir tout, mais pas assez de talent - comprenne qui pourra. J'ai vu cela si souvent: des hommes, des femmes, ayant en eux tant de choses belles et intéressantes à exprimer, une grande intelligence et l'esprit juste, adorables à tous égards, mais auxquels faisait justement défaut ce don spécial, étrange, mystérieux, qu'est un talent de pianiste.
En revanche, si le talent est là, même les défauts physiques les plus aveuglants peuvent ne plus avoir d'importance: une tendance à l'arthrite, par exemple, ou une mémoire infidèle, ou même des mains apparemment mauvaises. Au soir de sa carrière, Paderewski commençait toujours ses récitals en retard; c'était très agaçant, et le public s'impatientait en applaudissant - un quart d'heure, vingt minutes. Pendant ce temps-là, dans les coulisses, le maître se baignait les mains dans l'eau chaude pour se dérouiller les articulations ! Il apparaissait enfin, et jouait comme un ange. Cortot, lui, ne donnait quasi jamais un concert sans oublier quelque chose: il était affligé des pires trous de mémoire. Quant aux mauvaises mains - le cas est assez fréquent, et j'en connais qui font malgré tout de grands artistes !
Schnabel me déclara un jour: "Vous savez, de mon temps je n'ai rencontré que deux musiciens de génie." Or, ce n'était pas le genre de larrons que j'aurais associés avec lui. L'un était Busoni - à première vue, tout à fait incompatible avec le très germanique Schnabel qui, bien que né Polonais, était par l'allure et l'éducation austro-allemand jusqu'au bout des ongles. Et l'autre était Rachmaninov.

Il arrive même à des grands génies de paraître presque sous-développés du côté de l'intelligence, ou du moins dénués de certaines facultés de l'intellect. Je citerai cette grande pianiste qui se trompait toujours dans les lignes supplémentaires: elle était obligée d'inscrire le nom des notes sur la partition comme une débutante. Et pourtant, elle avait une prescience aigüe de la musique et de ce qu'il faut pour la rendre, ainsi qu'un don merveilleux pour créer cette aura de conviction et de beauté, si essentielle. A propos, savez-vous que les plus grands interprètes déchiffrent souvent assez mal - et vice versa ? Non, il ne s'agit pas d'intelligence", ni d'un don tangible. Après avoir tout évoqué - la technique, le doigté, l'agilité, la puissance, l'adresse au clavier - il restera encore quelque chose, quelque chose d'absolument capital, qui résiste à toute définition. "Magie" serait peut-être le mot; ou "charme" - terme favori de nos grands anciens. Mais quel qu'il soit, ce quelque chose ne peut être cerné par des mots.
On raconte une anecdote amusante au sujet de la comédienne Ellen Terry, qui a dû être l'image même de la féminité rayonnante. Il lui arriva d'être dirigée au théâtre paur un jeune metteur en scène plutôt antipathique; il lui indiquait où se mettre, à quel moment élever la voix, à quel moment repousser sa chaise, etc. Bien que loin de partager ses vues, elle s'y soumit en tout parce que c'était une vraie professionnelle et qu'après tout, il était là pour ça; mais une fois son rôle au point, elle lui annonça en souriant: "Et maintenant, si vous n'y voyez pas d'inconvénient, je vais juste ajouter ce petit rien auquel je dois mon énorme cachet." Joli, n'est-ce pas ? Car, en fin de compte, un artiste n'est pas payé simplement pour produire des notes, mais pour un petit quelque chose en plus - impossible à décrire, mais sans lequel l'exécution perd toute vie, toute saveur. Magie ? - si vous voulez.
Je me rappelle ce récital où Cortot, déjà âgé, avait peut-être en effet montré quelques faiblesses. Mais un élève de Schnabel - il devait avoir facilement dix anx de moins que moi, et je n'étais pas bien vieux moi-même - vint me saluer ensuite dans le foyer et je lui dis:" Mon Dieu, quel toucher ! quelle magie ! quelle poésie !" Il me répondit plutôt froidement: "Vous trouvez vraiment ?" - "Oh oui ! Bien sûr, il y a aussi le reste; mais c'est un merveilleux artiste." Alors il me répliqua - je n'ai jamais oublié la phrase: "Ma foi, excusez-moi, mais je place très haut mon idéal pianistique." Je l'ai planté là aussi sec. C'était un jeune pianiste assez connu à l'époque; mais son idéal si haut placé ne l'a pas mené bien loin.


A SUIVRE...
roland
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Re: Clifford Curzon.

Message par roland »

Merci andré, mille fois
Encore, encore, encore... :D
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BM607
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Re: Clifford Curzon.

Message par BM607 »

Merci également. C'est très intéréssant, ça donne à réfléchir, c'est vraiment bien (même si on peut -doit !- ne pas être d'accord avec tout ce qui est dit).

Si le reste est a l'avenant, c'est le roman de l'été de Pm.net :P

BM
Je ne crains pas le suffrage universel, les gens voteront comme on leur dira.
A. de Tocqueville
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