Coin philo

[Niccolò Messina]

La musique : elle a ses règles, son encre, ses partitions imprimées et ses signes, les notes, les rythmes et quand tu connais les règles et quand tu la joues après l'avoir étudiée 100 heures... pour l'auditeur ce n'est presque rien. La musique n'existe presque pas. Il tousse et déjà c'est perdu. La musique s'oppose aux bâtiments, aux voitures, à l'alimentation. Elle n'est pas en dur. Ce n'est pas du concret La science dit que le son est une vibration de l'air, qui va croire ça ? Oh alors peut-être : une vibration de l'air, oui, ça lui va bien justement. Même la Chevauchée des Walkyries est une plume posée sur le rebord de la fenêtre. Une brise, une fausse note et tout est déjà fini.
Il y a un fossé, une différence de ressenti, entre celui qui connaît le solfège et l'autre, qui ne connaît que les vibrations de l'air. La vraie question n'est pas "comment avoir des auditeurs ?" mais "que faire des auditeurs ?" L'auditeur audite-t-il ? Qu'a-t-il bien pu comprendre, nous qui n'avons compris qu'en étudiant la partition à fond. Car enfin, si le pianiste lui-même n'arrive pas à suivre une symphonie de Haydn, comment son auditeur pourrait-il suivre une sonate du même auteur, qu'il n'a jamais entendu ?

Peut-être que les amateurs sont plus prudents que les professionnels et qu'ils prennent acte que personne ne va les écouter. Les professionnels misent sur la capacité des gens à comprendre la Vingt-Neuvième sonate de Beethoven, ce qui n'arrive jamais qu'à 0,2 % de l'auditoire. Ils s'en ébaudissent. Ou bien ils se racontent à eux-mêmes que c'est pour servir la musique, ce qui ne veut rien dire. Les professionnels s'accrochent aux concerts, vastes illusions. Les amateurs eux s'accrochent à la partition, ce qui est beaucoup plus raisonnable en terme de solidité. Celle-ci existe. Et pour Pierre Boulez, "La musique existe en dehors de son exécution".

[Niccolò Messina]

Et vous, que faites-vous de vos auditeurs ?

[Philippe Le French]

Perso, je suis pas un as de interprétation, pas un virtuose non plus, j'ai quand même le sentiment de passer beaucoup de temps a apprendre des morceaux, à y mettre tout mon cœur, mais mon micro public familial n'est pas vraiment captivé par mes morceaux, il me parlent de la liste des courses, de la pluie et du beau temps, de l'actu pendant que je joue. C'est terrible pour le moral et démotivant au possible. Mais j'ai trouvé la parade : ne plus jouer désormais rien que pour moi, et lorsque que je suis absolument seul. donc, la question d'avoir ou non des auditeurs ne se pose plus. Ce n'est pas de l'amertume, c'est qu'il faut l' accepter et composer avec. Que je joue un morceau de piano de 3 mn "c'est tout ce que tu sais faire ?" ou une mini compo avec des sons de synthé : "en fait, c'est pas toi qui joue!, c'est ton instrument " on ne croit pas en moi, c'est peu être aussi ma faute car je ne sais pas me mettre en valeur, présenter mon travail, si modeste soit il, ou alors un excès de timidité, un déficit de confiance. J'ai envoyé mon dernier modeste morceau "Comme toi" présenté ici, qu'il vaut ce qu'il vaut a mes collègues du cours de solfège, j'ai tout de même eu quelques retours encourageants. Je ne suis pas professionnel, je n'ai pas le talent, pas le volume de travail nécessaire, jamais eu l'opportunité, ceci explique peut être cela. Je reste donc à ma place.

[Niccolò Messina]

Tu veux dire que malgré ton travail, ton entourage familial minimise l'effet que tu fais au piano et que tu as appris à ne pas en demander davantage, à ne jouer que pour toi-même ? Mais que tu as eu de bons retours sur ta dernière composition, ici sur le forum ?

[EMVince]

Pour apprécier la musique classique, est-il nécessaire de la comprendre ? J'apprécie et écoute de musique classique depuis plus de 7 ans, et ce n'est que récemment que j'ai commencé à apprendre à la comprendre, en terme de forme, d'harmonie, de répétition et développement. Mon expérience en a t elle été radicalement changée ? Pas vraiment. Ce n'est que du plus, mais l'essentiel ne réside pas là à mon sens, il est possible de s'en passer. Une pièce musicale n'est pas un texte philosophique.

[fritz]

Une pièce musicale n'est pas un texte philosophique.

Ca me semble très vrai pour toute la musique tonale puisque construite à partir de règles de résonnances harmoniques naturelles donc à la beauté universelle, beaucoup moins pour toute la musique diatonique et consorts qui répond à des règles intellectuelles. Enfin c'est comme ça que j'interprète mon aversion pour cette dernière en tout cas.

[Carla Rocío]

Quelques pensées en vrac (c’est bien ça la « philo », non?)

Je sais que mes auditeurs ressentiront ce que je ressens, en minimisé et avec leur propre vocabulaire émotionnel et sensoriel. Une fois ma maman m’a dit qu’elle avait failli se mettre à pleurer à un passage. Je savais exactement lequel parce que moi j’avais ressenti quelque chose de très vif en le jouant.

Je sais aussi que le fait d’avoir des auditeurs forge la pièce, quelque part ils m’aident à lui donner un sens. Je n’arrive pas à expliquer ça mais on a besoin du public pour donner vie à une œuvre. En jouant elle se révèle à moi et c’est l’attention de(s) auditeur(s) qui permet ça car ça me le fait pas en jouant seule et c’est pas pareil que quand c’est un prof, ou quand après coup je regarde ma vidéo.
Maintenant il faut que je réfléchisse à l’efficacité d’un chat en terme de public. Oui je crois que s’il écoute ça pourrait marcher, juste qu’ils pioncent tout le temps donc bon.

Quelque chose se passe entre l’œuvre, le compositeur, le joueur, l’auditeur, le moment,.. un espèce d’instant unique qui ne se reproduira jamais et de cette unicité aussi éphémère qu’éternelle jaillirait une parcelle de vie qui donne corps à la Musique du morceau joué.

Marrant.