Aurele27 a écrit : jeu. 19 juil., 2018 22:13
si je joue les doubles croches un peu plus retenues, alors il va y avoir de nouveau une instabilité non ?
Elles doivent rester casées entre deux noires de la main gauche, mais là on parle de deux autres choses.
Premièrement, si on veut rendre les doubles croches fatales, il y a plusieurs outils pour ça. Le rythme en est un, mais on peut parler de phrasé/direction, et surtout d'articulation (ce qui fera varier le timbre). Deuxièmement - et surtout chez Chopin - c'est souvent un micro rien qui anime l'émotion... ou non. Quelque chose de beaucoup plus subtil que le fait de retenir ou non. Ca peut être un micro décalage, un micro rubato, une basse un rien plus au fond du temps (ou anticipée), un pouce en haut d'un accord qui va sortir un contrepoint troublant en face du chant, etc. On peut faire un million de choses tout en donnant l'impression de jouer en mesure, alors qu'en réalité on ne joue presque rien parfaitement en mesure.
Dans mon premier message je parle de vraies distorsions de la pulsation : ralentir, assouplir/détendre, rendre le temps dans un rubato plus ou moins prononcé, ce sont des choses très différentes. L'écriture martiale, ne permet pas d'ostensiblement ralentir ou accélérer, c'est juste ça.
Aurele27 a écrit : jeu. 19 juil., 2018 22:13
Mon prof essaie de m’expliquer depuis qques séances que je manque un peu de tension rythmique. J’essaie de comprendre cette notion quelque peu abstraite pour moi. Il me dit qu’on aborde cette notion à assez haut niveau et qu’il m’en parle car il pense que je suis capable de le comprendre, mais que même lui a mis un certain temps et que ça viendra pour moi.
Je ne suis absolument pas sur de ce que ton prof entend par "tension rythmique". Ca peut recouper beaucoup de notions... si j'essaie de ne pas trop généraliser et que je reste sur l'exemple de ce nocturne, on peut imaginer que le discours et les progressions harmoniques suggèrent que certaines sections avancent, que certains départs sont plus posés au fond du temps, mais pourtant tout reste en mesure. Cette tension pourrait être cette capacité à ne pas jouer linéaire mais à introduire du souffle par ces petits riens, anticiper ou retarder tel ou tel élément, enchainer ou au contraire scinder, etc. Pour moi, la tension ce serait l'inverse d'un jeu statique, il s'agirait d'introduire de la direction sans véritablement accélérer ni ralentir.
Le rubato ne déforme pas tant que ça la pulsation : par définition, on doit y rendre le temps qui est volé (autrement on va distendre la musique et le résultat en est le maniérisme). Au moment où tu restitues le temps pris, la musique reprend de l'élan, donc produit une forme de tension.
Je crois que tu es trop cartésienne dans ton approche en réalité. Et tu es plus que suffisamment musicienne pour ne pas couper les cheveux en 4 d'une manière non artistique. Alors coupons les cheveux en 4... artistiquement.
Prenons par exemple mesure 2 : les doubles croches mi fa mi ré mi fa sol / do. On part sur une syncope, qui est un geste expressif du chant qui indique presque directement que ce premier mi doit tomber un poil en retard, autrement la syncope n'est pas interprétée. Tu ne peux jouer ce mi qu'une fois que la basse de do a été bien entendue, et que le sentiment de la tonique est réinstallé. Donc en effet, pour arriver à l'heure, ces 3 premières doubles croches vont un peu plus filer que le métronome le dit. MAIS : si tu les joues un rien non legato elles auront plus de poids et cela fera illusion. Et les 4 ensuite (ré mi fa sol) viennent très en mesure pour détendre l'inflexion, avec cette fois un toucher plus lié. Puis pour finir, et aller vers le do, tu as fait attendre ce do. En effet, on a le VIe degré avec la basse de la bémol, alors que l'oreille attend le retour de la tonique. Chopin nous surprend... mais si tu retardes ainsi le do, tu dévoiles la surprise... et ça ne marche plus ! Sois toi même surprise, donc mieux vaut enchainer le do comme si l'harmonie était prévisible, ce qui donnera tout son sucre à l'accord de Chopin. Ensuite je suis d'accord, on a envie de faire quelque chose de spécial ici, mais pas poser le do. Plutôt en changer la dynamique, essaie plutôt un pianissimo subito ici mais sans retard, émotion garantie. Surtout avec les rythmes pointés qui arrivent derrière...