Envrac a écrit : sam. 10 mars, 2018 15:10
L’oreille absolue n’a rien à voir avec une facilité à apprendre ou bien prononcer les langues étrangères
Je suis d’accord avec Envrac. L’oreille absolue ne permet qu’une chose: l’identification de la hauteur absolue d’un son. La prononciation d’une langue dépasse très très largement le simple aspect de la hauteur - en fait, sauf pour les langues ‘tonales’, la hauteur
absolue des sons ne joue aucun rôle au niveau de la bonne prononciation.
Certes, la prononciation des voyelles et des consonnes est souvent un défi quand on apprend une langue étrangère. Mais personnellement, je pense que l’élément clé d’une bonne prononciation, ce qui permet vraiment qu’on se fasse comprendre dans une langue étrangère, tient surtout à la prosodie.
Selon wikipedia:
D'une manière générale, la prosodie est l'inflexion, le ton, la tonalité, l'intonation, l'accent, la modulation que nous donnons à notre expression orale, de manière à rendre nos émotions et intentions plus intelligibles à nos interlocuteurs. En outre, c'est l'étude des traits phoniques, c'est-à-dire l'étude du rythme (vitesse d'élocution), de l'accent et de l'intonation.
Je pense qu’une personne qui maîtrise la prosodie d’une langue se fera très bien comprendre même si elle n’arrive pas à bien prononcer un son particulier qui lui est étranger (par exemple les
th en anglais, les
g ou
ch doux en allemand, la
jota en espagnol). Mais la maîtrise d’une prosodie linguistique qui diffère de celle de notre langue maternelle est tout un défi !
Moi aussi, comme Armarg, je me serais attendu à ce que les musiciens maîtrisent plus facilement la prosodie d’une langue étrangère que le commun des mortels. Dans la définition ci-dessus, ne fait-t-on pas mention de rythme, d’accent et d’intonation, toutes des notions musicales ? La prosodie d’une langue, c’est un peu son chant, sa musique, non ? Pourtant, ce n’est pas le cas, les musiciens ne semblent pas plus doués que les autres pour les langues étrangères - du moins à première vue. Pourquoi ?
Mes hypothèses:
1) L’âge au moment de l’apprentissage. C’est un fait connu et vérifié qu’il est beaucoup plus facile d’apprendre une langue seconde en bas âge qu’après la puberté. Il est tout simplement très rare que quelqu’un qui apprend une langue à l’âge adulte arrive à bien la prononcer, même s’il ou elle maîtrise complètement sa grammaire et son vocabulaire.
2) Même si on apprend jeune, il y a le facteur ‘qualité de l’environnement d’apprentissage’. Où a-t-on appris ? Avec qui ?
- J’ai appris l’anglais en bas âge - à la petite école, où mes profs n’étaient pas de langue maternelle anglaise. Mais j’habitais Montréal, j’entendais souvent parler anglais et la prosodie de la langue m’était déjà familière depuis des années. J’écoutais souvent la télé en anglais (même si je ne comprenais pas) et, surtout, mon père, parfaitement bilingue depuis l’enfance, corrigeait ma prononciation. Lorsque j’ai tenté d’apprendre l’allemand à l’âge adulte (jeune quand même), mon patron à l’université, d’origine suisse, a essayé de corriger mes fameuses consonnes ch et g doux. Sans grand succès. Lui avait appris l’allemand enfant et maîtrisait ces consonnes - mais n’a jamais pu prononcer correctement le th anglais ! Il prononçait ze au lieu de the, exprès car c’était selon lui la seule manière de se faire comprendre des anglophones !
3) L’usage, la pratique sont essentiels - surtout, la pratique dans un environnement naturel, où on entend parler cette langue par des natifs. Et la pratique comme on devrait pratiquer le piano, avec attention et application. Même si on a appris à bien prononcer une langue, sans pratique assidue ça se perd.
- Dans ma lointaine jeunesse, j’ai étudié trois années dans une université anglophone de Montréal. J’ai atteint un niveau tel qu’un anglophone natif ne devinait que je ne parlais pas ma langue maternelle que par quelques erreurs ‘typiques’, du genre mettre un h aspiré là ou il n’est pas prononcé (honest) ou ajouter un s au mot toast au pluriel. Côté accent et prosodie, tout était très canadien anglais. Et ce n’est plus le cas, depuis des années, tout simplement parce que je n’ai pratiquement jamais l’occasion de pratiquer…
Ce qui compte dans la pratique, c’est l’
entraînement musculaire ! Ceux et celles qui ont déjà chanté comprendront: Pour chanter juste et bien chanter, il faut d’abord de l’oreille, il faut s’entendre chanter juste - mais ça ne suffit pas, on peut fausser et savoir qu’on fausse, et ne pas arriver à changer juste. Il faut aussi, impérativement, chanter beaucoup, tous les jours si possible, pour entraîner ses muscles, pour apprendre à contrôler ses cordes vocales. C’est la même chose avec une langue, il faut entraîner ses muscles à bien prononcer. Aujourd’hui j’entends très bien que je prononce mal l’anglais - mais physiquement, j’ai perdu l’habileté musculaire, faute de pratique. De même, une personne qui vit à l’étranger et ne parle presque jamais sa langue maternelle… la parle avec un accent, avec la prosodie de la langue seconde parlée quotidiennement !
Si on revient aux pianistes renommés qui ont du mal à prononcer les langues étrangères, je dirais que la plupart d’entre eux n’ont probablement appris la langue étrangère en question (souvent l’anglais) que tardivement, ou encore, à l’école mais dans un environnement sous-optimal. En plus, ils n’utilisent probablement cette langue que de façon épisodique, en interview ou lors d’échanges techniques avec des chefs d’orchestre (pour qui la langue commune est souvent étrangère aussi), dans des contextes où la seule chose qui compte est d’être compris. Donc même quand ils ‘pratiquent’, ils ne s’appliquent pas à améliorer leur prosodie. Ils ont déjà bien assez à apprendre par ailleurs et la maîtrise de la prosodie d’une langue étrangère n’est pas une priorité.
On s’entend qu’on parle des pianistes. Pour les chanteurs d’opéra c’est complètement différent ! Les Jonas Kaufmann, les Juan Diego Florez prononcent le français remarquablement bien quand ils le chantent… mais ne savent pas le parler !

Perso, c'est ça que je trouve renversant !