Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

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Praeludium
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Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Praeludium »

Bonjour,

je viens de rentrer en COP en CRR et une nouvelle période s'ouvre pour moi. (mon programme d'entrée Haydn hobXVi:34 1er mouvement, Impromptu op36 de Chopin)
Lorsque j'ai commencé le piano pour de bon - après quelques années (depuis mon inscription ici) à m'y intéresser sans jamais m'y mettre plus de quelques jours tous les 6 mois -, en 2012, je me suis dit "de toutes façons tu ne fais ça que pour la composition et tout ce que tu as besoin de jouer c'est les inventions à deux et trois voix de Bach, tous les trucs romantiques c'est pas pour toi oublie".
Ça a été le premier d'une longue liste de blocages et auto-conditionnements que je suis en train de (presque) patiemment détricoter en ce moment, et qui se sont encore aggravés quand j'ai décidé de vraiment apprendre le piano, coûte que coûte - donc sacré pression et tout est fait pour me tester, me décourager.

Je cherche donc maintenant à me confronter plus franchement et librement à ce répertoire où il faut tout donner, jouer avec tout son corps et tout son esprit, tout dans la puissance, l'expressivité, la générosité...
Mais je n'en trouve pas tant que ça ! Je pense que mon biais initial a été tellement fort que je me suis construit en tant que pianiste sur des choses beaucoup plus sobres et toujours avec une dose de retenue.
Ma prof m'a proposé de travailler des Péludes de Rachmaninov (op23/5, après tout pourquoi pas même si c'est trop joué, et je pense que je vais monter le magnifique op23/4 aussi), mais je voudrais aller plus loin.


Quel répertoire me suggéreriez vous ?
Pour moi Chopin ne rentre pas dans cette catégorie. Liszt plus mais selon les œuvres. Ce que j'associerais le plus à ça c'est Mahler et Strauss... Mais ce n'est pas les compositeurs les plus intéressés par le piano non ?
Rachmaninov peut être...
Je ne cite que des romantiques mais ce n'est pas l'objet de ma recherche - je parle vraiment d'un type d'énergie, d'une générosité, ce n'est pas exclusif au romantique mais là je suis encore plus perdu.
La priorité est au piano mais si c'est de la musique de chambre, de l'orchestre, du vocal ça m'intéresse aussi (d'ailleurs un oeuvre que j'associerais à ça : les Quatre derniers lieders de Strauss !).

merci !
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Oupsi
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Oupsi »

Je suis venue très tard à la musique romantique et c'est Brahms qui m'a ouvert la porte, et en me donnant ce dont tu parles, la sensation d'y entrer avec tout le corps.
pianojar
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par pianojar »

J'aurais du mal à citer un compositeur dans son intégralité sinon ceux qui me viennent à l'esprit pour certaines pages sont Mozart et Schubert
Le cas à part de Scriabine qui doit certainement nécessiter de se plonger corps et âme dans sa musique pour pouvoir l'appréhender (mais là j'extrapole car mes moyens techniques ne me permettent pas d'aborder la presque quasi-totalité de ses oeuvres)
arg

Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par arg »

Mais je crois que ça dépend surtout de toi: ce qui va te faire entrer en entier dans une oeuvre est modelé par ta personnalité en entier, et même si c'est plus facile à concevoir la plupart du temps dans la musique romantique, pour certains c'est au contraire le réperoire baroque et ses effets de danse qui va donner cette sensation.
J'aurais bien cité Janacek et Moussorgski mais finalement, je pense qu'on obtient cette immersion complète lorsqu'on aime vraiment et entièrement une pièce. Davantage que de l'attribuer à un auteur... et donc c'est une sensation qui s'obtient aussi après le temps de la découverte dans celui de la maturité de l'oeuvre
Wandarnok
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Wandarnok »

J'ai du mal à saisir la problématique. Certainement que mon faible niveau en est la cause.
Je ne vois pas de lien direct entre période, genre, voire compositeur, et énergie, générosité etc...
On peut ressentir des émotions sur chacun des compositeurs. D'ailleurs, en moins de 5 posts, beaucoup sont déjà cités (mais pas encore Beethoven, Albéniz...).
Arg vient de dire que c'est toi qui y met ce qu'il faut.
Et ma prof, qui connait bien le sujet, m'a expliqué que les émotions que ressentent un auditoire (et qui ne sont pas les mêmes pour chaque auditeur), viennent d'abord du texte, de la compréhension (interprétation) que l'on en a, de sa bonne exécution en lien avec cette compréhension.
Ce n'est pas ce que l'on ressent soi même qui fera que l'on est capable de transmettre, ou que ce l'on transmet soit la même émotion.
Je ne sais pas si je suis clair...
Tu parles de ta recherche d'un répertoire où il faut tout "donner", qui nécessite cette attitude. C'est là que ce n'est pas évident à saisir.
Comment comparer des répertoires sur une base qui n'est pas déterminé intrinsèquement par l'oeuvre mais par les émotions que chacun ressentira ou non, différemment ou non?
Euh, suis je encore moins clair là...?
8)
Praeludium
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Praeludium »

Merci pour vos réponses !

Dans Brahms je ressens une certaine retenue tout de même, et presque une certaine forme de classicisme au final, qui fait qui oui c'est super beau mais je le ne trouve pas si viscéral que ça, pas tant dans l'action que dans une forme de contemplation. Même dans les variations Paganini ou les concertos... Parce que quelque part même quand ça explose, ça reste assez bref et plutôt contenu dans le cadre d'une forme très puissante et d'une écriture extrêmement précise et fournie. Mais je suis totalement d'accord pour dire que cette sensation de tout le corps y est, même si je le ressens comme contenu par l'artisan, l'architecte, le sorcier même (ce n'est pas Clara Schumann qui parle de variations de sorciers pour les Paganini ?).

Bach, Schubert, Mozart, Beethoven, même combat, d'ailleurs maintenant que j'y pense Debargue parle de ça dans une interview promotionelle pour son dernier CD : oui je crois aussi qu'on peut jouer avec la présence de tout le corps, une implication totale, mais il faut que le résultat sonore et l'approche du pianiste soient d'une précision de laser - l'intensité serait alors plutôt concentrée, c'est autre chose. Les émotions sont là aussi bien sûr... mais ça se passe plus "en haut", et ce que je cherche maintenant c'est le truc qui vient du sol et qui prend toute la place...
En fait plutôt que de "tout donner" j'aurais dû écrire "tout lâcher" - je ne parle évidemment pas de s’épandre, de s'étaler, de dégouliner partout sur le clavier.


Wandarnok tu as raison, c'est un aspect très subjectif...
Juste sur l'aspect de ce que l'interprète ressent vs. ce que le public ressent : je pensais un peu comme ça... et je pense maintenant - suite à des années d'acharnement de ma prof pour me faire passer le truc - qu'on est obligé de lâcher. Seulement il ne s'agit pas vraiment d'émotion, plutôt d'un état de corps, d'une disposition physiologique et oui aussi psychologique mais pas quelque chose que l'on pourrait facilement décrire par le verbe. Surtout qu'au final tout passe dans le son, alors que l'idée d'émotion avec l'idée de tout donner fait plutôt penser à des exagérations de grimaces, contorsions, les trucs de l'artiste torturé standard quoi...
Et on est d'accord l'interprétation du texte prime, seulement tu ne peux pas en rester là : on ne peut pas conduire un chant lié pendant 8 mesures si on ne l'entend pas, si on a pas envie, profondément, de l'entendre, si on ne le ressent pas dans le corps pour que ça donne cette disposition - on m'a déjà fait jouer une longue phrase en soufflant en musique de chambre, c'est très utile pour le ressenti physiologique de la mise en tension qu'il doit y avoir. Chanter a le même effet.
Dans ce que ma prof mets en oeuvre pédagogiquement, une des choses qui fait ressentir ça est l'exigence de conduite horizontale de la musique, de ne jamais planter des clous, d'arriver à tout porter pour que ça avance.
Je ne pense pas nécessairement que ça entre en contradiction avec ce que ta prof t'a dit - peut être qu'elle a dit ça pour te convaincre d'apprendre à canaliser, à ne pas avoir de déperdition de toutes ces choses dans des mouvements, attitudes, approches inadaptés ?
Donc ce que l'on choisit comme interprétation doit être porté par toute cette énergie - en tout cas c'est ce que je vise. Même en écoutant des "froids" comme Michelangeli ou Gould je trouve ça - ça ne passe par les mêmes choses qu'un Gilels ou un Horowitz mais c'est là.


Sinon arg je suis d'accord avec toi. Seulement, à part le rôle du désir, de l'envie de jouer, qui est un sujet super profond, j'essaie de trouver un équilibre entre subjectif (aimer cette pièce entièrement, etc.) et objectif (tel compositeur = telle expression). Je crois qu'il y a quand même des choses dans certaines esthétiques qui font que l'on est plus ou moins dans le lâcher-prise viscéral et tellurique, c'est ce que je voudrais explorer...

Du coup je vois mieux avec ces échanges ce que j'aurais dû écrire : il s'agit de tout donner dans le son, que ce soit en volume, puissance, rondeur, legato, chant, amplitude de registre, expression, rubato.
Et du coup je pense à un autre exemple : Scriabin (en effet je n'y avais pas trop pensé comme ça... mais ça peut marcher) op42/5, notamment par Richter.
Un autre : Verklärte Nacht de Schonberg !

edit : bon après peut être que c'est un sujet trop perché et que je suis parti trop loin dans mes délires. Certains centres d'intérêt et lectures personnelles, encore balbutiants, font que je me pose pas mal de question. Dans certaine tradition de Yoga, il y aurait l'idée de "faire monter le feu", un feu intérieur, qui correspond à un état de corps précis. C'est faire monter le feu que je veux, jusque à ce que ça sorte par les oreilles ! ^^
Il y a aussi Babayan (prof entre autres de Trifonov) qui fait prendre à ses élèves de cours de méthode Stanislavski. Je peux retrouver la source si vous voulez...
Ditto, la notion d'état de corps en danse contemporaine, explicitée ici
pianojar
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par pianojar »

(Nem) a écrit :Donc ce que l'on choisit comme interprétation doit être porté par toute cette énergie - en tout cas c'est ce que je vise. Même en écoutant des "froids" comme Michelangeli ou Gould je trouve ça - ça ne passe par les mêmes choses qu'un Gilels ou un Horowitz mais c'est là.
Oui lorsqu'on écoute Michelangelli dans l'opus 10 de Brahms tout est là
https://www.youtube.com/watch?v=eDvWFcJJjgo
Spianissimo
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Spianissimo »

Pour moi, Arg a tout dit, c'est vraiment lié à ta personnalité, à ton ressenti, à ce que tu as envie de recevoir en tant qu'auditeur et de donner en tant que pianiste. La musique, c'est chaleureux, c'est passionnel, il faut que ça t'enveloppe de sensations, ce n'est pas un truc froid et indigeste ... et l'alchimie entre une oeuvre ou un compositeur et ton propre ressenti, c'est tout a fait mystérieux et subjectif. A partir du moment ou tu te mets à jouer, qu'importe l'oeuvre et le compositeur, tu es capable de t'y investir pleinement si tu as l'envie, la musique est sensuelle.
C'est sympa de parler mais jouons maintenant...
http://www.youtube.com/user/andante5133
Spianissimo
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Spianissimo »

(Nem) a écrit :Merci pour vos réponses !
Scriabin (en effet je n'y avais pas trop pensé comme ça... mais ça peut marcher) op42/5, notamment par Richter.
Un autre : Verklärte Nacht de Schonberg !
S'il te faut absolument des exemples d'oeuvres, je pense que Vers la Flamme du même Scriabine peut te faire crépiter...
C'est sympa de parler mais jouons maintenant...
http://www.youtube.com/user/andante5133
arg

Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par arg »

J'ajouterais qu'il y a une différence entre écouter et jouer: selon la position que tu occupes, le moment, écouter une même oeuvre peut être très investi ou au contraire très extérieur. Alors que jouer implique déjà d'avoir fait connaissance avec la pièce, et si tu parles de corps alors on peut aussi dire que le corps et la mise en mouvement se fait très différemment. La notion de lâcher prise ne m'a jamais convenu, elle implique un espèce de détachement ou une relaxation "obligatoire" qui est une injonction paradoxale. Je lui préfère quelque chose comme la notion de présence ou d'engagement entier.
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Okay
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Okay »

En fait si on se plonge vraiment à fond dans un texte qui n'est pas superficiel et dont on trouve le sens émotionnel, on peut tirer ca de n'importe quelle pièce ou presque à mon avis. Rien que les 3 premières lignes de de ce 2e impromptu qui est en fait une mini ballade, c'est juste incroyable, il y a tant d'émotions à aller y chercher....
Wandarnok a écrit : Arg vient de dire que c'est toi qui y met ce qu'il faut.
Et ma prof, qui connait bien le sujet, m'a expliqué que les émotions que ressentent un auditoire (et qui ne sont pas les mêmes pour chaque auditeur), viennent d'abord du texte, de la compréhension (interprétation) que l'on en a, de sa bonne exécution en lien avec cette compréhension.
Ce n'est pas ce que l'on ressent soi même qui fera que l'on est capable de transmettre, ou que ce l'on transmet soit la même émotion.
Ce n'est pas si binaire je pense... je suis complètement en ligne avec ce que dit ta prof et ça décrit d'ailleurs complètement ma nouvelle manière de travailler avec Rena. Cependant, d'où provient cette compréhension qui mène à une interprétation, pour laquelle il est nécessaire d'utiliser certains outils ?
L'idée c'est que partir du texte, c'est aussi comprendre et s'approprier les émotions qu'il véhicule. Donc pour interpréter ce texte, il y a nécessairement le prisme de l'interprète lui-même quelque part. Il y a des choses bien sur objectives et aussi des contresens, mais pour donner du sens tout court on ne peut pas si on ne ressent rien et qu'on ne met pas de soi même dans le travail d'interprétation...
Cela dit, je suis d'accord que ce qu'on ressent soi même ne suffit pas, dans le sens où c'est une condition non pas suffisante, mais néanmoins nécessaire. Rena répète sans cesse "mets y ton âme", "où est ton âme", etc. L'analyse profonde du texte, les moyens (si on ne les a pas à ce moment là) et l'expression des émotions de l'interprète s'entremêlent....
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alex2612
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par alex2612 »

Sonnet de Pétrarque les trois . Les cloches de Genève. Romance en mi mineur (peu connu)) les trois consolations De Franz Liszt. Nocturne en do diese mineur de Chopin.Scene de la foret, fantasiestucke op 12 Schumann.
Tu dois pleurer et faire pleurer avec ca. Techniquement abordable en fin cycle II donc sans souci technique en principe en CEPI. Voila ce qui me vient à l'esprit.
Avec Rachmmaninof pour l'émotion c'est pas sur que tu y trouves ton compte car une fois surmontés les problèmes techniques c'est une musique facile d'accès. . Voila ce que je donnerais comme proposition à un étudiant dans ton cas précis.
Mais si tu es dans la retenu gestique c'est a dire un peu raide. c'est autre chose. Difficile a dire je n'ai pas de video de toi donc prudence. Ton prof a peut etre raison.
sylvie piano
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par sylvie piano »

Dictionnaire

émotion
nom féminin
(de émouvoir, d'après l'ancien français motion, mouvement)
Définitions


Trouble subit, agitation passagère causés par un sentiment vif de peur, de surprise, de joie, etc. : Parler avec émotion de quelqu'un.
Réaction affective transitoire d'assez grande intensité, habituellement provoquée par une stimulation venue de l'environnement.

En lisant les réponses des uns et des autres, je cherchais... Celle de okay. Merci.
L'émotion peut naître de musiques de styles et d'époques totalement différentes.
Il s'agit déjà de définir si on parle de l'émotion de l'interprète ou de celle du public. Il peut se faire qu'elles soient concomitantes mais pas nécessairement.
Un pianiste au jeu ampoulé qui se pâme, ressentant un frisson sur-aigü peut juste être risible pour l'auditeur. Un autre pianiste qui ne parvient pas à entrer réellement en symbiose avec son instrument, par des doigts glacés, un trac imprévu, des soucis personnels peut cependant subjuguer son auditoire par sa sonorité qui demeure, son travail et son métier, pour autant, lui, n'aura eu aucun ressenti émotionnel en adéquation avec la musique jouée.

L'émotion ? Elle est créée certainement par le pianiste, sa connaissance de l'oeuvre, son talent, son travail, mais pour l'auditeur elle est associée à l'instrumentiste, au lieu, à son vécu passé et présent, à sa perméabilité du moment, à sa sensibilité propre.
Ainsi une personne pleure, bouleversée par un jeu qui a semblé glacial à une autre personne.... La première est venue déjà émue par tel ou tel événement, la seconde dans une attente particulière.

Pour le pianiste, l'émotion ressentie en jouant est pour moi proportionnelle à l'investissement du travail. Plus une oeuvre a été construite, déconstruite, reconstruite, plus elle se présente libre et créative. Si par émotion, on entend émotion sentimentale, romantique, alors il faut chercher dans les compositeurs cités précédemment par les commentaires précédents. Mais l'émotion doit transparaître dans toutes les musiques, à quoi bon les jouer si elles ne génèrent aucune émotion ?

Les émotions principales sont: Joie. Tristesse. Peur. Surprise. Colère. ( dégoût et mépris difficiles à exprimer au piano) .
Est-ce que l'amour est une émotion ? L'âme ?
Est-ce qu'une oeuvre métaphysique ne véhicule pas davantage d'émotions qu'une oeuvre romantique ?
La charge émotionnelle d'une sonate de Beethoven n'est-elle pas maximale ?
Certains pianistes s'exprimeront bien davantage dans une musique rigoureuse qui ne laisse pas de place au rubato.
Est-ce la question finalement ? Apprendre à jouer avec l'élasticité du tempo pour enrichir la musique de l'expression. "Lâcher-prise " ( Pardon Arg !)... Je pense qu'aucun grand pianiste ne s'abandonne en concert comme on l'imagine. Il me semble qu'en réalité tout a été patiemment étudié, contrôlé, visité pour qu'en définitive, l'auditeur soit conduit au paroxysme. Quant au pianiste, c'est par la conduite et la cohérence qu'il domine qu'il ressentira l' expressivité la plus totale, par la polyphonie, l'équilibre entre les voix, leur richesse, la pédale, la gestion du son et l'implication totale de son corps vivant, qui respire.
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Lee
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Lee »

Nem, je me sens obligée de te répondre même si (ou parce que) j'étais dans le cas inverse : repertoire romantique de prédilection, frustrée dans l'apprentissage de ne jouer que d'autres choses. Du coup différent que beaucoup ici, ce que tu décris me semble complètement clair et évident parce que je suis un peu ton doppleganger. Bravo à prendre ce pas qui est courageux.

AMHA Chopin est une ligne assez risquée. Certains ne supportent pas Chopin joué avec "trop d'émotion" du surfait ou d'excès "avec des manièrismes", d'autres ne supportent pas Chopin joué avec trop peu d'émotion. C'est peut-être un exercice équilibriste difficile à tenir si on cherche pied...

Certains compositeurs que je pense pourraient peut-être remplir ce que tu cherches si tu arrives à te jetter directe dans le bain : Schumann, Tchaikovsky, Bizet, Mendelssohn, Grieg, Fauré et Debussy.

Si tu veux te mettre plutôt par des pieds ou petit à petit dans l'eau pour assumer : Beethoven tardif, Schubert, Brahms.

Tu peux piocher dans les deux pour te situer. Comme ta prof je trouve Rachmaninoff est parfait, il est parmi les derniers romantiques qui ne voulaient pas laisser la musique qui se livrent aux émotions ou nous emportent.

Au contraire de nos amis je trouve Scriabin piégeux, car il bascule (surtout dans ces oeuvres tardives) vers un détachement ou mysticisme qui semble différent de ou opposer à ce que tu veux explorer...

Effectivement il faut trouver quelles oeuvres te parlent, qui te font sentir des émotions que tu veux ensuite exprimer par ton propre jeu. Bon voyage et belles découvertes.
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rachmaninoff
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par rachmaninoff »

Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris, mais le premier compositeur qui me vient à l'esprit quand il s'agit de tout donner sans pudeur est Schumann. Sa musique est je pense l'une de celles dans lesquelles l'interprète doit le plus se "livrer", habiter le morceau, intérioriser, tout en s'accommodant de la forte personnalité de Schumann qui transparaît dans toute son oeuvre. C'est bien ça, que tu cherches, en gros de la musique où la pudeur n'a pas sa place ?
Quelques exemples, il y en a sûrement d'autres : Romance n°1, op.28, Sonate n°2, Sonate n°3.

Peut-être Rachmaninoff, aussi, je pense notamment à sa Sonate n°2, mais dans son cas c'est assez compliqué de justement doser l'émotion puisque les passages très intenses alternent avec des moments presque "effacés", ce qui est typiquement le cas dans cette sonate par exemple.

Et sinon pour moi Brahms n'entre effectivement pas dans cette catégorie, même si le son doit souvent être massif et charnu, l'émotion quant à elle n'est pas aussi directe : je trouve qu'elle passe par des chemins plus éloignés, et comme tu dis par la contemplation du paysage qui est en train d'être créé... c'est mon ressenti en tout cas.

En fait je ne sais pas si j'ai vraiment saisi ce que tu voulais, mais bon, sait-on jamais !
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Okay
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Okay »

J'ai relu la fin du post initial et je crois un peu mieux cerner la demande, qui semble plutôt la recherche d'un répertoire spécifique, et que le mot "émotion" nous a probablement induit en erreur. Si j'ai bien compris, ce n'est pas la spécificité des œuvres demandées. Je crois qu'il s'agit plutôt d'une certaine générosité expressive, une impression de densité... ça colle avec le post romantisme finalement, un courant beaucoup représenté par les russes. C'est aussi traduit par un rapport renouvelé au clavier, utilisant beaucoup plus les registres extrêmes et la prise de risque.

Chez Rachmaninov, je regarderais plutôt du côté du Prélude opus 32 n°10 ou de l'Etude-Tableau opus 39 n°5.
Chez Scriabine il y a des tas de choses mais faut plutôt rester dans les œuvres de la première période (composées avant 1903). L'étude que tu cites est postérieure mais c'est la seule de l'opus 42 à regarder "en arrière".
Chez Brahms regarde l'opus 76 (la première et la dernière pièce), et les 2 rhapsodies opus 79 aussi (si on leur donne l'élan approprié).
Si Iberia ne t'effraie pas il y a aussi de quoi faire....
Praeludium
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Praeludium »

Merci pour vos réponses !

C'est fou comme chacun a son éclairage dans ce genre de sujet... en fait tout le monde était dedans mais c'est Okay qui a vraiment saisi ce que je voulais maladroitement dire ici en particulier.

J'ai quand même du mal associer ce qui se dégage émotionnellement de la musique aux "émotions" que l'on décrit habituellement en mots... c'est une question de personnalité je pense.
Dans l'idéal c'est plus une espèce de synesthésie totalement intériorisée que je voudrais trouver. Peut être que je vise trop haut.
Ça pourrait presque être un autre sujet ! Faites vous un lien entre verbe et émotions dans la musique...
Et oui ça reste subjectif et centré sur soi mais je me demande si le travail d'un artiste n'est pas d'arriver à projet cette chose subjective le plus fidèlement possible au public..

Alex2612, j'ai eu à me débarrasser d'une forme de blocage qui était à la fois gestuel, expressif, et dans l'écoute (de toute façon c'est toujours lié non ?). Le texte était compris ça n'a jamais été trop le soucis mais il y a plein de choses qui ne passaient pas - c'est comme si je n'étais pas totalement là.
Maintenant c'est parti mais il s'agit d'aller plus loin dans ce qui a été débloqué.
Les sonnets de Pétrarque faisaient partie des suggestions de ma prof, il y a quelque chose de ce goût là en effet.. je vais regarder les autres que je ne connais pas tous, merci.

Les Bizet, Grieg, Mendelssohn, Fauré, Debussy et autres demandent tous un investissement total on est d'accord mais dans le rapport au son et au clavier on est je trouve loin de ma recherche - et j'adore Fauré et Debussy. En fait c'est une question de rapport au son et au clavier, il fallait que je dissocie certaines choses dans ma tête pour le préciser... Mais ça ne veut pas dire qu'il faut moins de son dans Bach que dans Rachmaninov, juste pas le même. C'est presque plus une histoire de ressenti dans le corps que d'émotions "conceptualisées".

Mais avec ça l'op39/5 de Rachmaninov on est dedans... pour en avoir discuté avec un ami qui la déchiffrait je doute qu'elle soit accessible pour moi dans l'immédiat mais en terme d’esthétique c'est pile ça !
Iberia je ne l'ai jamais écouté avec cette oreille là, je vais ressayer... Pour ce qui est de le jouer, pareil je ne sais pas si c'est pour là tout de suite maintenant ^^
La deuxième sonate de Rachma aussi est dedans (et tout aussi inaccessible dans l'immédiat) ! Surtout dans le version de Kocsis, qui joue ça sans maniérismes et avec une puissance pianistique et intellectuelle terrifiante... ici en concert. Mais quelque part la complexité structurelle de la pièce, le fait que ce soit une vraie sonate avec tout l'héritage qu'il y a derrière va un peu contre ce côté "tempête expressive implacable".

Merci !
Louis
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par Louis »

Au niveau émotionnel, en version minimaliste, tu as la la sonate en La majeur de Schubert. Je trouve que deuxième mouvement (Je ne connais pas bien les autres), passe par toutes les émotions. le petit passage réellement en Majeur c'est fatal! Tout ça ne doit pas être évident à jouer d'ailleurs, il doit falloir une bonne dose de self-control...
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JPS1827
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Re: Le répertoire où il faut tout donner émotionnellement

Message par JPS1827 »

Il ya visiblement une certaine ambiguïté dans la question poser. (Nem) semble penser à un répertoire en fait très pianistique, qui pour moi contient en lui-même sa puissance expressive ; je pense que l'étude-tableau opus 39 n°5 de Rachmaninoff ou bien sa deuxième sonate nécessitent surtout d'être jouées par un très bon pianiste, mais que quiconque en maîtrise les aspects pianistiques (il faut donner beaucoup d'énergie en jouant) pourra en restituer le contenu émotionnel sans investissement émotionnel excessif. Un prélude comme l'opus 32 n°10 nécessite déjà une compréhension beaucoup plus intime de son contenu.

A l'inverse il existe un répertoire dans lequel il faut beaucoup s'investir émotionnellement pour le faire exister, et qui a été évoqué également plus haut. C''est le cas de nombreux mouvements de sonates de Schubert, de nombreuses pièces de Schumann ou de Brahms, et de plusieurs sonates de Beethoven (une de mes prof disait que c'était la musique la plus ennuyeuse du monde quand elle était jouée sans compréhension de ses enjeux expressifs). J'aurais répondu plutôt dans ce sens-là à la question posée.
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