Effectivement on peut évoquer le libre arbitre et on aura raison jusqu'à un certain point. C'est comme la mode dans un certain sens, il suffit par exemple d'écouter certaines sopranos du début du 20ème siècle pour se rendre compte de la relativité du "beau" par rapport à l'esthétique d'aujourd'hui. Ce qui devrait nous enseigner l'humilité... Donc meme entre clavecinistes il y a des mondes... (prenez les deux exemples que j'ai posté plus haut). On adhère à l'un et pas à l'autre pourquoi...
Pour revenir aux ornements, il existe des "méthodes" ou bouquins modernes qui expliquent assez bien comment les faire avec exemples. j'ai pas cherché mais je parie que sur youtube on trouvera aussi (on trouve tout là-bas !). Il y aurait l'option de prendre quelques leçons avec un claveciniste qui accepterait de partager son art sur un piano, ça existe surement... si on a vraiment envie de fouiller rien de mieux qu'un cours (bien mené évidemment).
Pour ma part j'ai appris assez jeune les ornements et je me souviens d'avoir pris conscience que j'y arrivais, tout d'un coup, un peu comme on se rend compte "tout d'un coup" qu'on arrive a l'indépendance des deux mains dans notre toute première invention de Bach... Les ornements sont là pour ornementer ils prennent naissance et rendent l'âme entre deux notes du coup, ils doivent dans cette brève vie être super-toniques souples et fluides avec la transparence nécessaire pour qu'on oublie leur existence... ils rejoignent là une certaine simplicité du "faisons-nous plaisir"... Pris de cet angle là, avec beaucoup de détente (comme Couperin le conseillait) sans forcer surtout et en faisant confiance aux doigts pour qui (espérons-le) cela devrait être un régal, on arrive à les oublier tellement l'aisance est acquise.
Pour revenir au sujet, je crois que tout le mouvement de la renaissance du clavecin avec entre autres Landowska, a été motivé par la recherche de quelque chose d'autre que ce que pouvait donner l'interprétation du baroque au piano, principalement au début du 20ème siècle où l'esthétique romantique était la norme. On a cherché a sortir ailleurs, à découvrir d'autres saveurs dont on soupçonnait l'existence et cela a progressivement mené sur un siècle, a une nouvelle approche avec le retour des facteurs de clavecins et la restauration "historique" des instruments anciens. A part l'orgue, tous les instruments à clavier du baroque sont pratiquement à cordes pincées et cela apporte une importante information sur la l'empreinte sonore des oeuvres. On se rend compte par exemple que pour tout le matériel a caractère polyphonique, au clavecin l'art de l'articulation est capitale car c'est un élément majeur de "l'expressif" de l'instrument . Au piano on en a une utilité toute différente car fondamentalement, la capacité de nuancer le fort et le doux (forte-piano) est une évidence que personne ne contestera. Au clavecin il y a aussi des "nuances" que l'on obtient par changement de registres ou de clavier mais aussi par la façon dont on joue... on peut faire "sonner" un clavecin (si l'instrument est bon et souple) de différentes façons sans que dynamiquement il y ait une réelle différence...
Le contraire est aussi vrai, il m'est souvent arrivé de rêver un clavecin avec pédale forte ou pédale une corda...pour exprimer davantage (aujourd'hui on peut simuler cela avec les logiciels qui utilisent les simples de clavecin historiques par exemple et joués par un clavier externe c'est possible "d'entendre" l'effet de telles expressions), au grand dam des puristes sans doute LOL !
Donc sachant tout cela on comprend pourquoi les fameux Bach de Glenn Gould firent tellement effet à leur sortie dans les années soixante. C'était différent, plus fluide plus intelligible aussi, plus vivant, plus léger, plus dynamique (par rapport aux interprétations "lourdes" de l'époque):
The piano, Gould said, "is not an instrument for which I have any great love as such... [but] I have played it all my life, and it is the best vehicle I have to express my ideas." In the case of Bach, Gould admitted, "
fixed the action in some of the instruments I play on—and the piano I use for all recordings is now so fixed—so that it is a shallower and more responsive action than the standard. It tends to have a mechanism which is rather like an automobile without power steering: you are in control and not it; it doesn't drive you, you drive it. This is the secret of doing Bach on the piano at all. You must have that immediacy of response, that control over fine definitions of things."[26]
https://en.wikipedia.org/wiki/Glenn_Gould
désolé pour l'anglais mais il y dit que pour Bach au piano il faut avoir un contrôle total de l'instrument un peu comme conduire une voiture sans conduite assistée "c'est vous qui contrôlez et pas lui, il ne vous conduit pas c'est vous qui le conduisez" (voulant dire par là que le piano peut facilement prendre toute la place..) puis il ajoute "C 'est là le secret pour Bach au piano. Vous devez avoir l'immédiateté de réponse, ce contrôle sur la définition précise ("fine") des choses".
Enfin tout est relatif, c'est question de conviction et d'amour... Comment aimez-vous votre premier prélude du clavier bien tempéré ? Diaphane, léger ? articulé et en relief pour en savourer les différentes voix ? bien enrobé dans un nuage de chantilly ? LOL