Sviatoslav RICHTER
Sviatoslav RICHTER
Un article passionnant sur ce pianiste hors du commun dans la revue Diapason du mois d'avril.
Je vous fais partager un paragraphe : S. Richter dit :
J'ai commencé hélas trop tard d'avoir devant moi la partition quand je joue en concert , bien que j'eusse entrevu dès longtemps qu'il fallait procéder ainsi. Il est paradoxal de songer qu'à une époque où le répertoire était plus restreint et moins complexe, on ne jouait pas régulièrement sans partition. Quelle puerilité et quelle vanité, source de labeur inutile, que cette espèce de concours et d'exploit de la mémoire, alors qu'il s'agit de faire de la bonne musique qui touche l'auditeur. C'est néfaste pour la santé !
Je vous fais partager un paragraphe : S. Richter dit :
J'ai commencé hélas trop tard d'avoir devant moi la partition quand je joue en concert , bien que j'eusse entrevu dès longtemps qu'il fallait procéder ainsi. Il est paradoxal de songer qu'à une époque où le répertoire était plus restreint et moins complexe, on ne jouait pas régulièrement sans partition. Quelle puerilité et quelle vanité, source de labeur inutile, que cette espèce de concours et d'exploit de la mémoire, alors qu'il s'agit de faire de la bonne musique qui touche l'auditeur. C'est néfaste pour la santé !
Re: Sviatoslav RICHTER
Bonsoir Schtroumpf,
Mon professeur m’a expliqué que Richter, sur la fin, jouait avec la partition devant lui parce que ces problèmes d’audition l’amenait à jouer faux (je ne sais plus s’il entendait un ou deux tons plus haut ou plus bas). Apparemment, Richter lui même donne une tout autre motivation à son choix.
Pour ma part, mes difficultés à déchiffrer me contraignent à apprendre chaque morceau par coeur, ma vitesse de lecture ėtant le plus souvent inférieure à la vitesse requise pour l’exécution. C’est une réelle contrai te car il me faut des semaines pour mémoriser deux ou trois pages de partition. Sans compter que j’ai vite fait de prendre le li de ne plus regarder la partition lorsque le morceau est mémorisé, pour me rendre compte, plus souvent qu’il ne faudrait, que j’ai oublié telle nuance ici, telle autre là. J’ai parfois de drôle de surprises. Alors oui, cela ne me dérangerait nullement d’appliquer la méthode de Richter, mais cela représente pour moi une montagne. Peut-être parce que je suis un "jeune pianiste" de 51 ans avec seulement 4 années de piano et un niveau de solfège des plus basique. Tout cela ne doit pas aider. Je mise tout sur la mémoire. Le plus embêtant, c’est qu’un morceau appris, je veux dire mémorisé à un instant t, si je ne le joue plus pendant quelques semaines, se transforme en gruyère: je suis bon pour retravailler le morceau (cela revient assez vite, mais quand même). Tout ça pour dire que j’aimerais beaucoup pouvoir "lire à vue". Presque un rêve. Cela s’apprend t-il? J’ai l’impression de ne pas pouvoir progresser là dessus.
Pour revenir à mon professeur, pour lui, un morceau DOIT être mémorisé. Il faut pouvoir se détacher du texte, si l’on peut dire, se l’incorporer au point de pouvoir s’en passer. C’est juste que pour moi c’est une obligation, pas un choix.
Bonsoir à tous
Bicilici
Mon professeur m’a expliqué que Richter, sur la fin, jouait avec la partition devant lui parce que ces problèmes d’audition l’amenait à jouer faux (je ne sais plus s’il entendait un ou deux tons plus haut ou plus bas). Apparemment, Richter lui même donne une tout autre motivation à son choix.
Pour ma part, mes difficultés à déchiffrer me contraignent à apprendre chaque morceau par coeur, ma vitesse de lecture ėtant le plus souvent inférieure à la vitesse requise pour l’exécution. C’est une réelle contrai te car il me faut des semaines pour mémoriser deux ou trois pages de partition. Sans compter que j’ai vite fait de prendre le li de ne plus regarder la partition lorsque le morceau est mémorisé, pour me rendre compte, plus souvent qu’il ne faudrait, que j’ai oublié telle nuance ici, telle autre là. J’ai parfois de drôle de surprises. Alors oui, cela ne me dérangerait nullement d’appliquer la méthode de Richter, mais cela représente pour moi une montagne. Peut-être parce que je suis un "jeune pianiste" de 51 ans avec seulement 4 années de piano et un niveau de solfège des plus basique. Tout cela ne doit pas aider. Je mise tout sur la mémoire. Le plus embêtant, c’est qu’un morceau appris, je veux dire mémorisé à un instant t, si je ne le joue plus pendant quelques semaines, se transforme en gruyère: je suis bon pour retravailler le morceau (cela revient assez vite, mais quand même). Tout ça pour dire que j’aimerais beaucoup pouvoir "lire à vue". Presque un rêve. Cela s’apprend t-il? J’ai l’impression de ne pas pouvoir progresser là dessus.
Pour revenir à mon professeur, pour lui, un morceau DOIT être mémorisé. Il faut pouvoir se détacher du texte, si l’on peut dire, se l’incorporer au point de pouvoir s’en passer. C’est juste que pour moi c’est une obligation, pas un choix.
Bonsoir à tous
Bicilici
- André Quesne
- Messages : 5230
- Enregistré le : lun. 19 juin, 2006 11:54
- Mon piano : Steinway B-211
Re: Sviatoslav RICHTER
J'ai lu aussi l'article sur diapason qui est fort intéressant.
Je connais un professeur de conservatoire de très haut niveau qui a joué en plusieurs concerts l'intégrale de Chopin et bien d'autres compositeurs toujours avec la partition.
Je peux vous dire qu'à chaque concert c'est vraiment extra ! Si on ne le voit pas, en l'entendant on peut s'imaginer que c'est du par coeur...
Je pense que jouer avec la partition doit permettre d'avoir un bien plus large répertoire sans perdre de temps !
Il est possible aussi que ce soit plus sécurisant avec l'avantage de mieux se repérer en cas de trou de mémoire. Lorsqu'un morceau est interrompu celui-ci ne reviendrait-il pas plus vite ?
Monsieur Liszt, pourquoi avez-vous encouragé à apprendre par coeur en risquant de limiter le répertoire ?
Je connais un professeur de conservatoire de très haut niveau qui a joué en plusieurs concerts l'intégrale de Chopin et bien d'autres compositeurs toujours avec la partition.
Je peux vous dire qu'à chaque concert c'est vraiment extra ! Si on ne le voit pas, en l'entendant on peut s'imaginer que c'est du par coeur...
Je pense que jouer avec la partition doit permettre d'avoir un bien plus large répertoire sans perdre de temps !
Il est possible aussi que ce soit plus sécurisant avec l'avantage de mieux se repérer en cas de trou de mémoire. Lorsqu'un morceau est interrompu celui-ci ne reviendrait-il pas plus vite ?
Monsieur Liszt, pourquoi avez-vous encouragé à apprendre par coeur en risquant de limiter le répertoire ?

Ma chaîne youtube: https://www.youtube.com/user/AndreQuesne/videos
Re: Sviatoslav RICHTER
Je n'ai cité que quelques lignes du texte de Richter.
Pour lui, la partition sur le piano est indispensable pour les pianistes professionnels, afin d'élargir leur répertoire. Comme tu le dis si bien André, dans ton exemple sur l'intégrale Chopin.
Richter ne s'adresse jamais aux pianistes amateurs.
C'était un pianiste boulimique et il explique dans ce texte que je cite, que la lecture à vue ne posait aucun problème pour lui, mais qu'il cédait au dictât du récital de piano sans partition. Une fois qu'il osa s'affranchir de cette règle, il pu enrichir encore son répertoire et faire connaître aux auditeurs toujours plus d'oeuvres.
Pour lui, la partition sur le piano est indispensable pour les pianistes professionnels, afin d'élargir leur répertoire. Comme tu le dis si bien André, dans ton exemple sur l'intégrale Chopin.
Richter ne s'adresse jamais aux pianistes amateurs.
C'était un pianiste boulimique et il explique dans ce texte que je cite, que la lecture à vue ne posait aucun problème pour lui, mais qu'il cédait au dictât du récital de piano sans partition. Une fois qu'il osa s'affranchir de cette règle, il pu enrichir encore son répertoire et faire connaître aux auditeurs toujours plus d'oeuvres.
Re: Sviatoslav RICHTER
Pour moi c'est une fausse bonne idée.André Quesne a écrit : Je pense que jouer avec la partition doit permettre d'avoir un bien plus large répertoire sans perdre de temps !
Mais il y a tant à dire que je ne sais pas trop comment m'organiser pour structurer mon discours. Essayons.
De la nécessité d'approfondir
A un certain niveau, on finit par déchiffrer très vite. En jouant avec partition, on peut se persuader qu'on connait un morceau alors que ce n'est pas le cas.
Jouer sans partition, ça nous oblige à nous imprégner jusqu'au coeur d'un texte dont on découvre parfois la profondeur au fur et à mesure du travail.
Tout le corps participe à cet apprentissage, et il a été plusieurs fois évoqué sur ce forum à quel point la mémoire lorsqu'on joue n'était pas qu'une affaire consciente et cérébrale (car ce n'est bien qu'à cette partie "consciente et cérébrale" que la lecture de la partition peut prétendre pallier !).
Imagine-t-on qu'un acteur qui lirait son texte le ferait avec autant de naturel et d'implication que s'il le disait sans support, en le faisant réellement sien et en s'immergeant dans son personnage, en "devenant" celui qu'il doit représenter ?
Jouer par coeur, ce n'est pas qu'une restitution consciente d'un texte mâchonné pendant d'interminables séances de travail. C'est avant tout faire profondément sienne la parole d'un autre. On "sait" un morceau par coeur à partir du moment où on sait le dire de manière naturelle (je dirais presque spontanée).
Un témoin important de notre progression
Il n'est déjà pas simple pour un pianiste de savoir à partir de quel moment une pièce est "terminée", au sens "présentable à un public" (témoin les discussions qui ont déjà eu lieu sur ce forum à ce sujet). Or la manière dont on joue par coeur (je ne dis pas la connaissance par coeur !) est un témoin fort de l'état d'avancement d'une oeuvre. Si on supprime ce repère, ça complique quand même beaucoup les choses je trouve.
Je me souviens il y a quelques années avoir été sollicité en dernière minute pour un concert. Il fallait jouer un programme de 60 à 90 minutes pour la semaine suivante, quelque chose comme ça. J'ai joué plusieurs pièces avec partition. Ce fut de très loin mais plus pitoyable prestation, et je me suis rendu compte à ce moment là à quel point ce programme n'était pas présentable.
Il faut vraiment un énorme niveau je trouve, pour pouvoir, sans jouer par coeur, se rendre compte si un morceau est suffisamment maîtrisé et su pour être présenté. Il a beau jeu, l'ami Richter, de conseiller ça, lui qui était capable en quelques jours de monter une sonate ou un concerto de Prokofiev.
Alors vous me direz : personne n'a dit qu'il ne fallait pas apprendre par coeur. On peut très bien travailler normalement, jusqu'à savoir le morceau par coeur, et ensuite jouer avec partition. Mais dans ce cas où est l'intérêt ? Si la partition est vue comme une rampe à laquelle nous raccrocher en cas de chute, et que c'est effectivement le cas, c'est simplement que le morceau n'est pas prêt...
Un gain de temps ?
Je suis assez persuadé que pour un pianiste avancé (encore plus s'il est de la trempe de Richter - mais il n'y a que Richter qui soit de la trempe de Richter

Pour nous, c'est un travail, parce que nous n'avons pas le même niveau de compréhension. Nous apprenons une suite de notes, de phrases, là où un pianiste très avancé voit un schéma harmonique, un discours, une cohérence globale et détaillée.
Du théâtre et l'importance du visuel
Qu'on le veuille ou non, quand on joue en public on est bien sur scène, et on nous regarde. Je trouve pour ma part beaucoup plus hypnotisant d'avoir en face de soi un pianiste qui nous donne l'impression de créer la musique au fur et à mesure qu'il la joue.
Je me souviens d'un passage d'un livre, je ne sais plus lequel, dans lequel le héros va pour la première fois à un concert, ferme les yeux et se laisse emporter par la musique. En les rouvrant il découvre, déçu, que les musiciens ne font que lire une partition et ressemblent plus à des funambules concentrés pour ne pas tomber. Et la magie est brisée. C'est un peu extrême, mais très évocateur je trouve.
Là aussi, Sviatoslav a beau dire, je crois bien que c'est lui qui, à chaque exécution de la sonate en si mineur, attendait 30 secondes avant de faire résonner le premier battement de coeur de cette oeuvre magistrale. Si ça ce n'est pas du théâtre (et du bon !) !
Modifié en dernier par nox le jeu. 02 avr., 2015 11:17, modifié 3 fois.
Re: Sviatoslav RICHTER
Il prétendait aussi avoir plus de 25 programmes de concerts en mémoire...
Re: Sviatoslav RICHTER
C'est le point le plus convaincant me semble-t-il. Meme pour la lecture usuelle qu'on maitrise parfaitement, il est impensable d'avoir une bonne interpretation en lisant le texte. En revanche, ce qui est bien utile, c'est de jeter un coup d'oeil rapide au texte avant de rentrer en scene, ca destresse. Et un petit souffleur de temps en tempsnox a écrit : Imagine-t-on qu'un acteur qui lirait son texte le ferait avec autant de naturel et d'implication que s'il le disait sans support, en le faisant réellement sien et en s'immergeant dans son personnage, en "devenant" celui qu'il doit représenter ?

Savoir qu'on dispose d'un souffleur, c'est quand meme bien pour se destresser quand on joue en public

Re: Sviatoslav RICHTER
Je trouve le développement de Nox très convaincant. Merci d'avoir pris le temps de cette longue explication, très bien structurée.
(NB. tu écris à 2 reprises "Richter a bon dos". Je pense que tu voulais dire "Richter a beau jeu". "Avoir bon dos" signifie autre chose et ne colle pas à ce contexte.)
Concernant l'aspect visuel, j'ai lu que Richter, dans ses derniers concerts, jouait dans une obscurité preque totale, car il souhaitait que le rapport à la musique, pour l'auditoire, soit direct, immédiat, non perturbé/influencé/filtré par l'attention portée au pianiste et à son jeu. Ca peut certes procéder du côté théâtral dont Richter était en effet friand sur la fin, mais aussi du désir sincère de n'être qu'un instrument, aussi invisible que possible, au service de la seule musique, et pour en conserver la magie inaltérée. Comme si tous les spectateurs avaient les yeux fermés, mais sans qu'ils ne puissent les rouvrir en quelque sorte, pour reprendre l'analogie du héros du ton livre...
(NB. tu écris à 2 reprises "Richter a bon dos". Je pense que tu voulais dire "Richter a beau jeu". "Avoir bon dos" signifie autre chose et ne colle pas à ce contexte.)
Concernant l'aspect visuel, j'ai lu que Richter, dans ses derniers concerts, jouait dans une obscurité preque totale, car il souhaitait que le rapport à la musique, pour l'auditoire, soit direct, immédiat, non perturbé/influencé/filtré par l'attention portée au pianiste et à son jeu. Ca peut certes procéder du côté théâtral dont Richter était en effet friand sur la fin, mais aussi du désir sincère de n'être qu'un instrument, aussi invisible que possible, au service de la seule musique, et pour en conserver la magie inaltérée. Comme si tous les spectateurs avaient les yeux fermés, mais sans qu'ils ne puissent les rouvrir en quelque sorte, pour reprendre l'analogie du héros du ton livre...
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Re: Sviatoslav RICHTER
Il ne faut pas forcément croire non plus à la lettre tout ce qu'on lit dans une interview...
Quel pianiste accepterait d'avouer qu'il termine une partie de gameboy pour se détendre juste avant de monter sur scène ? Non, il vaut mieux dire qu'on se prépare à surfer sur une vague qui monte.
Quel pianiste confierait qu'il ne se produit désormais plus en public que dans de la musique de chambre parce qu'il a trop peur du trac et des trous ?
Voilà c'était le pavé dans la mare du jour
Quel pianiste accepterait d'avouer qu'il termine une partie de gameboy pour se détendre juste avant de monter sur scène ? Non, il vaut mieux dire qu'on se prépare à surfer sur une vague qui monte.
Quel pianiste confierait qu'il ne se produit désormais plus en public que dans de la musique de chambre parce qu'il a trop peur du trac et des trous ?
Voilà c'était le pavé dans la mare du jour

Quelques traductions de poèmes chinois à ma sauce
https://www.instagram.com/penseesaupinceau
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Re: Sviatoslav RICHTER
Merci nox. Je suis également sensible et en accord avec essentiellement tous tes arguments. Et en particulier ce que tu dis sur la connaissance en profondeur du texte, et le gain de temps énorme de travailler vite par cœur.
Mon avis est qu'il est trop tentant de se dédouaner, en se convaincant que puisque Richter a fini par louer l'usage de la partition, alors on peut avoir bonne conscience en se dispensant d'apprendre par cœur. Je suis presque sur que deux cas se présentaient pour Richter, qui doivent nous prémunir de cet écueil :
- soit il avait déjà dans les moindres recoins de sa tête le texte devant ses yeux (vous imaginez Richter avoir un trou de mémoire dans une ballade de Chopin qu'il fréquente depuis des décennies ? impensable pour moi). La partition avait dans ce cas une fonction totalement psychologique, et ne pouvait pas être un frein à l'appropriation d’œuvres qui faisaient déjà partie de lui.
- soit il jouait en concert un texte quasiment nouveau pour lui (il avait pour credo à un moment de jouer à chaque concert une oeuvre nouvelle à son répertoire). Mais sa maîtrise invraisemblable de l'instrument alliée à une compréhension instantanée de la musique étaient telles, qu'il pouvait pour beaucoup de textes donner en public une version convaincante, après seulement quelques déchiffrages et un travail minimal sur les quelques passages un peu épineux. Donc pas le temps d'apprendre par cœur, au détriment de sa curiosité et de l'expansion permanente de son répertoire.
Je suis aussi d'accord avec BP qu'il faut mesurer le contenu des interviews... pour Richter, le retour du recours à la partition n'avait sûrement rien à voir avec des problèmes de mémorisation. Il était justement coutumier de tels exploits, comme le rappelle nox. C'est une démarche beaucoup plus personnelle, qui est à mon sens le témoin d'autres vulnérabilités, qu'il tentait sûrement de camoufler en mettant en avant l'aspect mémorisation ...
Mon avis est qu'il est trop tentant de se dédouaner, en se convaincant que puisque Richter a fini par louer l'usage de la partition, alors on peut avoir bonne conscience en se dispensant d'apprendre par cœur. Je suis presque sur que deux cas se présentaient pour Richter, qui doivent nous prémunir de cet écueil :
- soit il avait déjà dans les moindres recoins de sa tête le texte devant ses yeux (vous imaginez Richter avoir un trou de mémoire dans une ballade de Chopin qu'il fréquente depuis des décennies ? impensable pour moi). La partition avait dans ce cas une fonction totalement psychologique, et ne pouvait pas être un frein à l'appropriation d’œuvres qui faisaient déjà partie de lui.
- soit il jouait en concert un texte quasiment nouveau pour lui (il avait pour credo à un moment de jouer à chaque concert une oeuvre nouvelle à son répertoire). Mais sa maîtrise invraisemblable de l'instrument alliée à une compréhension instantanée de la musique étaient telles, qu'il pouvait pour beaucoup de textes donner en public une version convaincante, après seulement quelques déchiffrages et un travail minimal sur les quelques passages un peu épineux. Donc pas le temps d'apprendre par cœur, au détriment de sa curiosité et de l'expansion permanente de son répertoire.
Je suis aussi d'accord avec BP qu'il faut mesurer le contenu des interviews... pour Richter, le retour du recours à la partition n'avait sûrement rien à voir avec des problèmes de mémorisation. Il était justement coutumier de tels exploits, comme le rappelle nox. C'est une démarche beaucoup plus personnelle, qui est à mon sens le témoin d'autres vulnérabilités, qu'il tentait sûrement de camoufler en mettant en avant l'aspect mémorisation ...
Re: Sviatoslav RICHTER
merci, je note !mieuvotar a écrit : (NB. tu écris à 2 reprises "Richter a bon dos". Je pense que tu voulais dire "Richter a beau jeu". "Avoir bon dos" signifie autre chose et ne colle pas à ce contexte.)
Re: Sviatoslav RICHTER
Ce que je trouve curieux et intéressant dans cet entretien c'est les mots qu'il emploie: il ne dit pas seulement que c'est une perte de temps, il dit que c'est "puérilité et vanité". Comme s'il regrettait une sorte de façonnage éducatif, égocentrique et narcissique, associé à cette exigence de mémorisation.
Re: Sviatoslav RICHTER
C'était mon interprétation initiale de ces mots. Mais je pense de plus en plus qu'il s'agit d'une énorme couverture, d'un moyen de dénoncer et de décrédibiliser via des connotations choisies cette pratique du par-cœur, qui s'est soudainement mise à l'effrayer ... lui qui a certainement conservé une mémoire inhumaine toute sa vie.
Re: Sviatoslav RICHTER
Oui, mais tu sais, vu la teneur spirituelle et pas seulement performative de cette activité, quand tu dis que quelque chose a commencé à l'effrayer, d'où vient cet effroi, exactement? Le démon qui s'éveille, est-ce seulement la peur de l'échec? ou ne plus se reconnaître dans le démiurge auquel il a bien voulu prêter son corps pendant 50 ans? Ce n'est pas parce qu'il s'appelle Richter qu'il n'est pas, comme tout un chacun, un peu clivé de lui-même, sans savoir exactement où et quelle est la vérité.
Ce sont les autres toujours qui croient savoir et lire clairement en nous...
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Re: Sviatoslav RICHTER
Je crois néanmoins qu'il faudrait souligner une petite nuance : jouer avec partition ne veut pas dire ne pas connaître sa pièce.
Il est d'ailleurs surprenant de voir qu'il existe différentes traditions selon les instruments. Au piano, il est plutôt valorisé de jouer de mémoire, alors qu'à l'orgue, je n'ai que très rarement vu jouer sans. Un exemple qui m'a marqué, d'ailleurs, est un concerto orgue-piano, ou le pianiste jouait sans partition et l'organiste avec...
On peut connaître les détails d'une pièce dans la profondeur, et se servir toujours de points de repères écrits, comme des mots-clefs écrits sur un anti-sèche.
De plus, lorsque la musique n'est pas tonale, je vois mal comment s'en tirer sans partition. J'ai à l'idée un Messiaen, où la main droite comme la pédale ne sont qu'une séquence répétée de notes avec d'infimes variations rythmiques et mélodiques : en conditions de stress, il y a beaucoup de chance de tout mélanger sans aide.
Enfin, le rattrapage. On peut être tenté de présenter des pièces dont on sait pertinemment que la prise de risque est plutôt élevée. Néanmoins, en cas d'accrochage, il est plus facile d'avoir un repère clair dans le texte pour y revenir en improvisant un pont, plutôt que de devoir retrouver de mémoire. C'est tout de même plus gracieux que de s'arrêter me semble-t-il.
Il est d'ailleurs surprenant de voir qu'il existe différentes traditions selon les instruments. Au piano, il est plutôt valorisé de jouer de mémoire, alors qu'à l'orgue, je n'ai que très rarement vu jouer sans. Un exemple qui m'a marqué, d'ailleurs, est un concerto orgue-piano, ou le pianiste jouait sans partition et l'organiste avec...
On peut connaître les détails d'une pièce dans la profondeur, et se servir toujours de points de repères écrits, comme des mots-clefs écrits sur un anti-sèche.
De plus, lorsque la musique n'est pas tonale, je vois mal comment s'en tirer sans partition. J'ai à l'idée un Messiaen, où la main droite comme la pédale ne sont qu'une séquence répétée de notes avec d'infimes variations rythmiques et mélodiques : en conditions de stress, il y a beaucoup de chance de tout mélanger sans aide.
Enfin, le rattrapage. On peut être tenté de présenter des pièces dont on sait pertinemment que la prise de risque est plutôt élevée. Néanmoins, en cas d'accrochage, il est plus facile d'avoir un repère clair dans le texte pour y revenir en improvisant un pont, plutôt que de devoir retrouver de mémoire. C'est tout de même plus gracieux que de s'arrêter me semble-t-il.
Modifié en dernier par jlaangry le jeu. 02 avr., 2015 12:38, modifié 3 fois.
Re: Sviatoslav RICHTER
Voilà de quoi relativiser tout ça et méditer assez longtemps ...Oupsi a écrit :Ce sont les autres toujours qui croient savoir et lire clairement en nous...
Re: Sviatoslav RICHTER
Je pense vraiment que c'est parce que l'organiste, on ne le voit pas. La question ne s'est simplement jamais posée, du coup. Mais je pense vraiment que ça serait un plus pour les organistes.jlaangry a écrit :Je crois néanmoins qu'il faudrait souligner une petite nuance : jouer avec partition ne veut pas dire ne pas connaître sa pièce.
Il est d'ailleurs surprenant de voir qu'il existe différentes traditions selon les instruments. Au piano, il est plutôt valorisé de jouer de mémoire, alors qu'à l'orgue, je n'ai que très rarement vu jouer sans. Un exemple qui m'a marqué, d'ailleurs, est un concerto orgue-piano, ou le pianiste jouait sans partition et l'organiste avec...
D'ailleurs au CNSM c'est imposé je crois.
C'est vrai, c'est intéressant de soulever ce point ! Pour moi le gros problème (et raison pour laquelle j'ai un blocage avec la musique contemporaine) c'est justement qu'on n'arrive souvent pas à s'approprier cette musique au point de pouvoir la jouer "naturellement". Mais pour moi si on la maîtrise suffisamment, on doit pouvoir la jouer par coeur comme n'importe quel morceau.jlaangry a écrit : De plus, lorsque la musique n'est pas tonale, je vois mal comment s'en tirer sans partition. J'ai à l'idée un Messiaen, où la main droite comme la pédale ne sont qu'une séquence répétée de notes avec d'infimes variations rythmiques et mélodiques : en conditions de stress, il y a beaucoup de chance de tout mélanger sans aide.
Pour moi si on a besoin de repère visuel pour se reprendre c'est que la prise de risque est trop grande, et la pièce n'est pas prête. Après comme tu le dis, c'est un choix de faire cette prise de risque, mais dans ce cas il faut jouer le jeu et accepter les risques justementjlaangry a écrit : Enfin, le rattrapage. On peut être tenté de présenter des pièces dont on sait pertinemment que la prise de risque est plutôt élevée. Néanmoins, en cas d'accrochage, il est plus facile d'avoir un repère clair dans le texte pour y revenir en improvisant un pont, plutôt que de devoir retrouver de mémoire. C'est tout de même plus gracieux que de s'arrêter me semble-t-il.

Re: Sviatoslav RICHTER
En parlant de Richter je vous recommande le livre "Du côté de chez Richter, conversations", de Youri Borissov. Il s'en dégage un tableau vraiment attachant de cet extraordinaire personnage, sensibilité, onirisme incroyable, joie de vivre et détresse mêlées, mélancolie et appétit d'ogre pour l'existence, une imagination infinie, une culture immense mais surtout complètement vivante, une curiosité d'enfant, et cela à un tempo émotionnel saisissant (on a vraiment l'impression que sa capacité de passer à toute vitesse d'une émotion à l'autre, d'une image à l'autre, en riant ou en s'abîmant dans le silence, fait partie de son intelligence musicale, l'un est le reflet de l'autre). J'ai adoré ce livre.
Re: Sviatoslav RICHTER

Je ne suis pas du tout d'accord pour dire que d'avoir une partition sur le pupitre du piano empêche le pianiste de jouer de façon naturelle.
Je pense au talentueux Wilhem LATCHOUMIA, (Lauréat de la Fondation Hewlett-Packard « Musiciens de Demain » (2004) et du 12e Concours International de Musique Contemporaine pour piano Xavier Montsalvatge (Girona, Espagne), il remporte brillamment en février 2006 le Premier Prix Mention Spéciale Blanche Selva ainsi que cinq autres prix au Concours International de Piano d’Orléans.), qui interprète de façon naturelle la musique contemporaine qu'il joue.
Et que dire de Alexandre Taraud, qui joue systématiquement avec partition, et Christian Zimermann aussi depuis plusieurs années.
Pour revenir à ce que disait Richter, ce n'est pas l'homme vieillissant qui parle, non c'est le pianiste génial et toujours boulimique de musique nouvelle, le pianiste qui dévore la 6ème sonate de Prokoviev qui lui est dédiée, c'est ce pianiste en pleine possession de ces moyens immenses, de sa mémoire d'éléphant qui tout à coup se rend compte que l'immense répertoire quil ne pourra jamais engloutir dans sa mémoire, une grande partie reste accessible via la partition. Le temps de vie est une autre limite et il en est conscient et donc il veut reculer cette limite en interprétant des œuvres pour lesquelles il ne consacrera pas de temps à la mémorisation , mais uniquement au travail d'interprétation !!! Cette prise de conscience est vraiment émouvante.