Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse...?

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BluePhoenix05
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Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse...?

Message par BluePhoenix05 »

Nouveau sujet pour raviver un peu le forum.
Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse sans avoir la foi ? (et sans avoir à se convertir :mrgreen: )
(le titre est limité en nombre de caractères)

Je pense aux oeuvres de Bach célébrant le Très-Haut, aux "Harmonies Poétiques et Religieuses" de Liszt, aux "Regards" de Messiaen, peut-être aux oeuvres "mystiques" de Scriabine, et d'autres encore.

Ce sont des oeuvres qui contiennent après tout des émotions humaines. Même si l'on n'est pas croyant, comment interpréter la passion, le recueillement, l'abandon, la résignation, le caractère médidatif, la gloire céleste, etc. avec conviction ? Avec autant de ferveur ? Peut-on occulter la dimension christique/théiste/mystique ? Peut-on être mis mal à l'aise par celle-ci ? etc.
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jean-séb
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par jean-séb »

J'ai toujours trouvé dans Bach une certaine idée de la transcendance, que je crois quasiment universelle, mais pas forcément liée à forme de religion particulière, même si l'on sait que Bach était très lié à la foi chrétienne. Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de croire en Dieu, quel qu'il soit (ou ne soit pas !), pour bien interpréter ces musiques d'inspiration religieuse.
mieuvotar

Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par mieuvotar »

jean-séb a écrit :Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de croire en Dieu, quel qu'il soit (ou ne soit pas !)
En toute rigueur syntaxique, tu ne peux pas écrire ça... Tu peux écrire "Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de croire en un dieu, quel qu'il soit (ou ne soit pas !),pour bien interpréter..." ou "Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de croire en Dieu pour bien interpréter...", mais pas la tournure que tu as utilisée.

Au sujet de Bach et des influences luthériennes qui ont inspiré son oeuvre, je viens justement de commencer le gros pavé d'Eliot Gardiner "La musique au château du ciel", qui vient de paraître. Je ne suis pas encore suffisamment avancé dans le livre pour en partager ici la teneur, mais il s'annonce très intéressant - quoique assez ardu dans sa lecture.

Si on peut certes jouer ces oeuvres sans avoir la foi, je suis cependant convaincu que le sentiment religieux porte l'interprétation plus loin encore, au plus près de l'intention mystique originelle du compositeur
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Lee
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Lee »

BluePhoenix05 a écrit :comment interpréter la passion, le recueillement, l'abandon, la résignation, le caractère médidatif, la gloire céleste, etc. avec conviction ? Avec autant de ferveur ?
Ces émotions à part la gloire céleste sont présents pour tous dans la vie, d'où vient la conviction. Par contre, je me demande si les enfants peuvent exprimer toujours autant de ferveur sans avoir vécu autant dans la vie. Tu te souviens la jeune adolescent qui jouait avec nonchalance ?
BluePhoenix05 a écrit :Peut-on occulter la dimension christique/théiste/mystique ? Peut-on être mis mal à l'aise par celle-ci ? etc.
Je ne pense pas que ça te met mal à l'aise ? Même si je ne suis pas croyante, j'aime l'idée de Sainte Cécile, surtout que les images d'elle dans l'art sont tellement belles, j'adore les répresentations de Guido Reni et Raphael.
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jean-séb
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par jean-séb »

mieuvotar a écrit :En toute rigueur syntaxique, tu ne peux pas écrire ça... Tu peux écrire "Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de croire en un dieu, quel qu'il soit (ou ne soit pas !),pour bien interpréter..." ou "Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de croire en Dieu pour bien interpréter...", mais pas la tournure que tu as utilisée.
Je suis bien d'accord que la formule, qui se voulait plaisante et ramassée, n'est pas du meilleur aloi. Je pourrais tenter de la défendre un peu, mais je ne veux pas polluer le fil, prometteur, de BP.
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par BluePhoenix05 »

Lee a écrit : Par contre, je me demande si les enfants peuvent exprimer toujours autant de ferveur sans avoir vécu autant dans la vie. Tu te souviens la jeune adolescent qui jouait avec nonchalance ?
C'est un autre débat, qui peut être très intéressant. Je n'ai pas l'impression d'avoir beaucoup vécu non plus, mais dans l'art, ou quand tu as de la musique en toi, tu peux ressentir/exprimer des émotions fortes qui ne te sont peut-être jamais arrivées. C'est pourquoi j'ai un peu de mal (ou peut-être que je ne comprends tout simplement pas ce qu'ils veulent dire) lorsque j'entends certains critiques musicaux reprocher un "manque de maturité" dans l'expressivité de quelqu'un, etc. (héhé, comme s'il fallait être pressé de vieillir pour mieux jouer :mrgreen: )
Lee a écrit :Je ne pense pas que ça te met mal à l'aise ?
Si un peu quand même, quand tu essaies de défendre quelque chose dont tu n'es pas convaincu ; ou pour lequel tu ressens un certain rejet. C'est comme essayer de jouer une oeuvre joyeuse alors que tu n'es pas du tout d'humeur ce jour-là. C'est vrai qu'en musique, on peut arriver à se dissocier de ce qu'on joue (comme un acteur qui ne ressent pas "vraiment" ce qu'il exprime, bref je ne sais plus comment ça s'appelle, le paradoxe du comédien ?). On peut peut-être continuer à développer cet aspect.

Par exemple, j'ai aussi du mal à adhérer aux interprétations "mystiques" (dont je me passe bien) de la musique de Scriabine . Personnellement je peux percevoir dans sa musique selon les oeuvres un côté nébuleux, terrifié/terrifiant, introspectif/introverti, pensif, de la noirceur, etc. Quand on joue de façon trop "mystique", j'ai l'impression que ça devient du charabia.
jean-séb a écrit :Je suis bien d'accord que la formule, qui se voulait plaisante et ramassée, n'est pas du meilleur aloi. Je pourrais tenter de la défendre un peu, mais je ne veux pas polluer le fil
Je ne veux pas non plus polluer le fil, mais pour moi la question est déjà réglée, sauf musicalement... Qu'on le veuille ou non, Dieu existe. :mrgreen:
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Okay
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Okay »

BluePhoenix05 a écrit :j'ai aussi du mal à adhérer aux interprétations "mystiques" (dont je me passe bien) de la musique de Scriabine . Personnellement je peux percevoir dans sa musique selon les oeuvres un côté nébuleux, terrifié/terrifiant, introspectif/introverti, pensif, de la noirceur, etc. Quand on joue de façon trop "mystique", j'ai l'impression que ça devient du charabia.
Je suis assez d'accord, et généralement j'évite de me polluer avec ça. Il y a quelques temps ça me mettait un peu mal à l'aise, notamment pour les oeuvres d'inspiration explicitement religieuse de Liszt ou Messiaen que tu cites. Mais je refuse de m'embarrasser avec ça. Ca n'empêche pas d'appréhender la musique pour ce qu'elle est, et il y a déjà bien assez à faire comme ça.

Une reserve cependant. On parle d'oeuvres inspirées par la foi chrétienne ou par certaines idées spirituelles non attachées à une religion. Je pense que lorsqu'on a aucun lien personnel avec ces univers, ça rend les choses infiniment plus simples à considérer, je veux dire, on peut s'en tenir sans mal au seul contenu musical. Je peux cependant imaginer qu'il en serait autrement si j'étais de foi chrétienne ou (le seul) adpete de la secte Scriabinienne :mrgreen: Bref, si l'univers de l'Eglise signifie beaucoup de choses pour l'interprète, je pense que la neutralité lui est presque impossible.
Chaque religion suit ses rites, desquels on peut difficilement dissocier la musique. Il peut aussi y avoir un certain folklore qui gravite autour, et ceci n'est pas neutre si l'interprète en est personnellement proche culturellement ou spirituellement.
Je pense irresistiblement à la quasi identification de Bernstein à Mahler, dont les racines culturelles et religieuses communes y sont pour beaucoup. Dans un essai que je recommende vivement (thèses très audacieuses mais confondantes), il évoque de manière poignante tous les conflits religieux du compositeur et plein d'exemples tirés d'oeuvre, notamment un lied peignant la famine dans un guetto du début du siècle ou le thème yiddish de la première symphonie ... lorsqu'il dirige cette musique, c'est complètement habité par ces considérations extra musicales.
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alex2612
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par alex2612 »

Faut il être communiste pour interpréter chostakovitch ou nazzi pour wagner? non en revanche on se reproche du divin en jouant les grand musiciens.
désolé pour la réponse . On m'avais posé cette question au sujet de Messiaen dans un jury. Je l'avais trouvé ridicule a l'époque et j'avais répondu cette boutade qui avait bien fait rire le jury mais pas
son auteur helas.
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par BluePhoenix05 »

Je me demande si ce fil met mal à l'aise. Qu'en pensez-vous ? Je ne sais pas trop, ce n'était pas mon intention.
alex2612 a écrit :Faut il être communiste pour interpréter chostakovitch ou nazzi pour wagner? non en revanche on se reproche du divin en jouant les grand musiciens.
Les musiques de Chostakovitch et de Wagner sont-elle d'inspiration communiste et nazie (resp.) ? Quels sentiments ont pu leur suggérer ces idéologies ?
Par ailleurs la question de base que je soulève n'est pas "faut-il s'abstenir de jouer... ?" mais "comment jouer... ?". Par contre elle ne présuppose pas qu'on joue mieux si on est religieux (joue-t-on mieux un morceau triste si on est dépressif ?), donc même des croyants peuvent donner leur avis sur "comment jouer".

Peut-être veux-tu dire qu'on peut faire abstraction du contexte politique/idéologique des compositeurs que tu as cités pour jouer leur musique, et que tu suggères qu'on peut de même faire abstraction du caractère religieux pour interpréter une oeuvre d'inspiration religieuse (ce qui est alors précisément la question de ce fil) ? Mais est-ce en faire abstraction ou l'annihiler ? Et alors par quoi substitue-t-on l'adoration, la ferveur religieuse et obtient-on autant d'intensité expressive ? Peut-on partir dans une direction complètement opposée sans dénaturer la musique ?

Quand je joue Bach, même si ma prof ne cesse de me répéter qu'il était très croyant, que tout ce qu'il écrit est à la gloire du Tout Puissant blablabla, qu'aujourd'hui on n'est plus forcément aussi croyant qu'à l'époque mais qu'on peut ressentir les mêmes choses, etc., je remarque que je cherche souvent des idées très terre à terre (même pour des passages majestueux/plein de grandeur/implacables) ou intériorisée/intimiste (interrogateur/prière).
Okay a écrit :Je suis assez d'accord, et généralement j'évite de me polluer avec ça. Il y a quelques temps ça me mettait un peu mal à l'aise, notamment pour les oeuvres d'inspiration explicitement religieuse de Liszt ou Messiaen que tu cites. Mais je refuse de m'embarrasser avec ça. Ca n'empêche pas d'appréhender la musique pour ce qu'elle est, et il y a déjà bien assez à faire comme ça.
Qu'est-ce qui t'as fait "franchir le pas" (si un cap a été franchi) ? comment abordes-tu ces oeuvres finalement ? Comme n'importe quelle autre oeuvre ? En se prenant pour l'Eternel en train de jouer :mrgreen: ?
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par JPS1827 »

Ce fil ne me met pas mal à l'aise du tout mais je trouve que la façon dont tu as posé la question fait obtenir des réponses qui nous éloignent de la question qui semble te préoccuper.
Je pense qu'on est en plein dans la problématique du Paradoxe du comédien qui fait ressentir une émotion qu'il ne ressent pas lui-même.
Par exemple, prenons une œuvre emblématique de la foi, comme la Passion selon Saint-Matthieu ou la passion selon Saint-Jean, composées pour être représentées à Pâques. Il est pour moi clair qu'une telle œuvre est une "mise en scène" (bien qu'il n'y ait pas de mise en scène théâtrale à proprement parler, ce n'est pas un opéra) destinée à faire ressentir au public des fidèles la profondeur de la foi de la communauté, voire à consolider la foi de certains fidèle, à la fois par la beauté de la musique (qui ne m'échappe pas bien que je n'ai pas été élevé dans une religion chrétienne et que je ne sois pas religieux) et aussi par l'élan qui s'empare de la foule des fidèles à ce moment-là. Bien entendu aujourd'hui on peut parfaitement concevoir une représentation qui fasse ressentir une grande émotion à un public non religieux, ou un profond élan de foi à un public chrétien, et qui soit dirigée par un chef très éloigné de toute préoccupation religieuse.
De façon bien plus triviale, je peux dire qu'il n'y a pas besoin d'être un gangster pour jouer un rôle de gangster dans un film etc.

Les élèves de Liszt avaient eux-mêmes perçus que le maître leur faisait ressentir des émotions qu'il était loin de ressentir lui-même.
Je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas donner une interprétation très émouvante de la Bénédiction de Dieu dans la solitude tout en étant soi-même un athée ; la musique permet d'exprimer toutes sortes d'émotions et il est pour moi simple de penser que le musicien peut exprimer des émotions à mille lieues de ce qu'il est. En d'autres termes je ne pense pas qu'on puisse connaître quoi que ce soit de la personnalité d'un musicien, ou d'un comédien, par sa façon de jouer ; on pourrait en savoir un peu plus en considérant ce qu'il accepte ou refuse de jouer (pour ceux qui ont le choix…).

Bref, je pense que pour interpréter une œuvre d'inspiration religieuse, il faut se mettre "le vêtement" adéquat. On pourra m'objecter qu'alors l'interprétation sera "bien faite" mais "manquera de sincérité", mais ça ne me paraît pas tenir, la sincérité d'une interprétation ne me paraissant pas découler d'une adéquation entre l'œuvre et le ressenti de celui qui l'interprète. On peut être habité par de grandes passions et jouer assez mal Schumann. L'idée, comme dans le théâtre, est pour moi plus de comprendre un texte que de le ressentir.
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Oupsi »

C'est une excellente question!
J'imagine que si on demande aux musiciens croyants si leur foi est mise à contribution au moment d'interpréter cette musique, ils diront que oui, mais en même temps, cette foi, si elle est sincère contribue probablement à tout ce qu'ils font dans la vie.
La foi va bien-au-delà des émotions que tu décris, et par ailleurs on peut aussi être émotionnellement très terne et avoir la foi. Mais une foi vivante et questionnante constitue sans doute une disposition d'esprit et de coeur très proche de la pratique artistique, dans le sens où la personne se met alors au service de l'affirmation de quelque chose d'extérieur et de plus grand qu'elle.

Après, il y a la question de l'efficience, et là on se rapproche du paradoxe du comédien. Il y a dans un texte de théâtre ou de musique une efficience, une capacité à produire des effets, qui fonctionne même si celui qui profère le texte ou qui joue le morceau n'y "croit pas". JPS dit que l'important est de comprendre le texte; l'intellect, aptitude très décriée aujourd'hui (alors qu'elle était très appréciée des théologiens!) au moment de lire et de comprendre la musique voit tout ce qu'il y a en elle, l'émotion est en quelque sorte l'effet subjectif et singulier de cette lecture mais ce que la musique a en propre c'est son texte.

La grille directe émotionnelle est parfois trompeuse. Pour reprendre l'exemple des Passions de Bach j'ai été frappée par le fait que les passages les plus dramatiques, les plus chargés émotionnellement, sont ceux où la foule se déchaîne dans l'erreur et la haine. Les passages illuminés de foi sont au contraire d'un grand calme, simples, limpides.
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Okay
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Okay »

BluePhoenix05 a écrit :
Okay a écrit :Je suis assez d'accord, et généralement j'évite de me polluer avec ça. Il y a quelques temps ça me mettait un peu mal à l'aise, notamment pour les oeuvres d'inspiration explicitement religieuse de Liszt ou Messiaen que tu cites. Mais je refuse de m'embarrasser avec ça. Ca n'empêche pas d'appréhender la musique pour ce qu'elle est, et il y a déjà bien assez à faire comme ça.
Qu'est-ce qui t'as fait "franchir le pas" (si un cap a été franchi) ? comment abordes-tu ces oeuvres finalement ? Comme n'importe quelle autre oeuvre ? En se prenant pour l'Eternel en train de jouer :mrgreen: ?
Oh que non, très loin de là.
En fait je me suis libéré de ce contexte en réalisant ce que dit JPS, analyse que je partage en presque tous points. J'ai juste mis un peu de temps à m'approprier ce point de vue. En résumé, je pense exactement ceci :
JPS1827 a écrit :la musique permet d'exprimer toutes sortes d'émotions et il est pour moi simple de penser que le musicien peut exprimer des émotions à mille lieues de ce qu'il est.
Par contre, je ne trouve pas que ça ait pour conséquence :
JPS1827 a écrit : je ne pense pas qu'on puisse connaître quoi que ce soit de la personnalité d'un musicien, ou d'un comédien, par sa façon de jouer
Bien sûr, on ne peut pas en déduire si le musicien ou le comédien est croyant ou athée, mais on met nécessairement beaucoup de soi dans une interprétation, qu'on le veuille ou non. Et même si on joue un rôle qui ne nous ressemble pas (en musique ou au théâtre), ce même rôle sera porté de manière différente par deux artistes différents. La raison en provient nécessairement de leurs différentes personnalités, qui passe en filigrane dans leur art, et influence également les choix artistiques face à un même texte ou une même partition.
En fait, je crois qu'on comprend le texte en fonction de ce qu'on ressent, et que la compréhension n'est que le fastidieux déroulé analytique d'une impression qui s'est d'abord imprimée en nous ... voilà ce qu'on appelle "intellect" ...
mieuvotar

Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par mieuvotar »

Je suis assez d'accord avec le propos général de JPS, et certainement avec ceci en particulier : "On peut être habité par de grandes passions et jouer assez mal Schumann". Mais la réciproque est-elle vraie : peut-on être dénué d'une sensibilité "à fleur de peau", d'une propension à une certaines émotivité, d'une âme encline à certains tourments, ne pas être doté d'une personnalité passionnée... et bien jouer Schumann ?

C'est plutôt dans ce sens là que je vois la question de BluePhoenix - mais dans le domaine du sentiment religieux.
Bien sûr, on peut croire profondément en Dieu et mal jouer Bach. On peut aussi ne pas croire en Dieu et bien jouer Bach. Mais ne joue-t-on pas Bach mieux si l'on est porté par le divin que sa musique porte en elle ? Je me demande d'ailleurs s'il n'y aurait pas une certaine corrélation entre la 'qualité' des grandes interprétations de Bach et la foi des interprètes (pour autant qu'on la connaisse). Je n'en sais rien en fait, je n'ai jamais fait l'exercice, mais cette discussion me donne envie d'y faire plus attention à l'avenir.
PIANISM
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par PIANISM »

je sors un peu du débat original mais
les artistes de ces époques avaient ils vraiment le choix de ne pas faire référence
à la foi ou à la religion

toutes les peintures sculptures écrits sont à 95 % d'inspiration religieuse , des sommes colossales étaient
dépensées pour construire des églises ou des cathédrales.

un artiste qui aurait renié sa foi n'aurait jamais trouvé de mécène , Bach aurait il pu faire librement son
métier de musicien s'il n' avait lié dieu à son oeuvre, je ne pense pas.
ca ne veut pas dire non plus qu il n'était pas croyant.
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Gracou »

Il faudrait faire des écoutes comparatives d'une même oeuvre enregistrée par des non-croyants, des croyants non-pratiquants, des croyants pratiquants, des croyants mais d'une autre religion et puis ensuite faire des subdivisions entre catholiques, protestants, orthodoxes, baptisés ou non, et puis aussi savoir si cette foi est sincère pour chaque interprète, quel est son degré d'implication dans la religion, etc. Quelqu'un s'y colle ? :mrgreen:
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Trottinette »

Il me semble que les compositeurs ayant écrit des œuvres religieuses l'ont fait pour des auditeurs croyants et non pour les interprètes. En tant qu'interprète, le rôle est de transmettre des notions / émotions écrites pas d'autres et la foi de la personne qui écoute est sans doute plus importante pour la musique religieuse que la foi (ou absence de) de l'interprète. Bref, le paradoxe du comédien me semble très présent quand je joue : un pianiste s'écoute avec une oreille critique et même les émotions qu'il cherche à véhiculer prennent un aspect plus ou moins technique.

En plus du piano, je fait partie de plusieurs chorales gospel et lors d'un stage dirigé par Tony Leach, quelqu'un a posé cette question à laquelle il a répondu en riant : " parce que vous croyez que les chanteurs d'opéra sont vraiment amoureux ou mourants ? Donc non, la foi n'est pas nécessaire pour interpréter du gospel (ou de la musique religieuse). Mais, cette musique véhicule des valeurs positives et universelles qui tôt ou tard déteindront sur vous... et probablement quand vous vous y attendrez le moins."
En parlant des chorales gospel, l'une des deux a une chef de choeur croyante (et nous animons parfois des messes) l'autre non. Et bien musicalement, la seconde est nettement meilleure.
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Okay
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Okay »

PIANISM a écrit :je sors un peu du débat original mais
les artistes de ces époques avaient ils vraiment le choix de ne pas faire référence
à la foi ou à la religion
Ca dépend de qui est le protecteur tenant les cordons de la bourse ;)
BluePhoenix05
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par BluePhoenix05 »

Okay a écrit : En fait je me suis libéré de ce contexte en réalisant ce que dit JPS, analyse que je partage en presque tous points. J'ai juste mis un peu de temps à m'approprier ce point de vue. En résumé, je pense exactement ceci :
JPS1827 a écrit :la musique permet d'exprimer toutes sortes d'émotions et il est pour moi simple de penser que le musicien peut exprimer des émotions à mille lieues de ce qu'il est.
Il y a une différence cependant, je ne pense pas qu'il s'agit de jouer comme si on est un acteur qui jouerait un croyant. Non, pour moi, il faut vraiment s'approprier le contenu d'une oeuvre et la "recréer" de façon personnelle (mais une fois qu'on lui a donné vie, elle a une ambition universelle aussi, sinon on joue tout seul dans son coin). Et là cela ne s'apparente plus autant au jeu d'acteur, il y a autre chose avec la musique. Quel est ton avis ?
Du coup il faut chercher "ailleurs" du contenu pour remplir la musique, non ? L'espérance, la résignation, l'acceptation de la condition humaine ? Je suis presque en train de "démystifier" la religion :mrgreen: .
PIANISM a écrit :je sors un peu du débat original mais
les artistes de ces époques avaient ils vraiment le choix de ne pas faire référence
à la foi ou à la religion

toutes les peintures sculptures écrits sont à 95 % d'inspiration religieuse , des sommes colossales étaient
dépensées pour construire des églises ou des cathédrales.

un artiste qui aurait renié sa foi n'aurait jamais trouvé de mécène , Bach aurait il pu faire librement son
métier de musicien s'il n' avait lié dieu à son oeuvre, je ne pense pas.
Non c'est très intéressant.
N'oublions pas aussi que la notion d'oeuvre d'art est assez "récente". Il n'y a pas toujours eu de musées dans lesquels on allait juste pour admirer des peintures. Aujourd'hui on ne regarde pas du tout ces peintures avec un oeil de croyant (de même qu'on n'admire pas les statues d'Athéna/Zeus/Sekhmet/Amon-Râ de la même façon que devaient le faire les Grecs/Egyptiens)
Ca ne veut pas dire que les créateurs autrefois ne ressentaient pas de sentiment esthétique comme aujourd'hui.
Dans le cas Bach, tout est (censé être) tellement lié à Dieu, qu'on peut se demander si on ne passe pas à côté de quelque chose si on ignore cet aspect, même dans des oeuvres non religieuses : concertos brandebourgeois, concerto italien, suites...
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flâneuse
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par flâneuse »

Les seules oeuvres d'inspiration religieuse qui me mettent mal à l'aise sont des oeuvres chantées mais si on retire les paroles pas de problème avec l'idée d'exprimer musicalement une oeuvre d'inspiration religieuse.
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Lee
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Re: Comment interpréter des oeuvres d'inspiration religieuse

Message par Lee »

C'est très intéressant ce que tu dis, ça me rappelle les mots de Jean-Séb sur Bach qui m'ont touché même si je ne suis pas touché comme ça par Bach :
jean-séb a écrit :Non, et c'est là probablement le côté supérieur, oserais-je dire transcendant, de Bach pour moi : sa musique me parle toujours ou presque, d'une manière mystérieuse, à la fois très intellectuelle, abstraite mais profonde, touchant souvent aux aspirations les plus essentielles de mon âme (Bach réussit à me faire croire que j'en ai une !), et ce, quel que soit le côté digital ou non de l’œuvre, et quel que soit l'instrument sur lequel on la joue. C'est une qualité propre aux œuvres de Bach qui fait que j'entre en résonance avec elles.
Je ne trouve pas cette magie chez Scarlatti, tout plaisant qu'il puisse être parfois.
Cocteau disait de Piaf qu'elle pourrait vous faire pleurer en chantant l'annuaire du téléphone ! C'est un peu pareil pour Bach ; avec des notes disposées comme pour de simples exercices digitaux, il réussit à m'émouvoir.
Mais j'ai bien conscience que son pouvoir n'est pas universel. Il y a encore quelques esprits rebelles, n'est-ce pas Jean-Luc ?
Mais Blue, je te pose une question bête : sans en jouer, tu n'es pas ému par les oeuvres réligieux ? La Pieta par Michelangelo, juste pour nommer un ? A Paris, les beaux oeuvres dans les églises qu'on peut (encore jusqu'à quand ?) voir gratuitement dans Saint Suplice, par Delacroix, autre exemple. Je trouve la religion tellement inhérent dans beaucoup d'oeuvres d'art ou la musique (le 9ème symphonie de Beethoven, le Requiem de Mozart) et ce n'est pas grave si nous ne sommes pas croyants, il y a tout dans la vie humaine dedans, ça nous touche, et finalement ce n'est pas pourquoi la religion aurait pu nous parler au début ? (Les oeuvres d'art étaient censés aussi d'attirer les non-croyants.) Alors ces émotions humaines que tu sens, quand tu écoutes un oeuvre religieuse ou tu regardes un bel oeuvre, c'est déjà une sensibilité qui sens, exprime, touche...et voilà, ça suffit !
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