Prokofiev

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Lee
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Re: Prokofiev

Message par Lee »

Okay a écrit :Pour "mischievous", j'aime bien "fripon", "déluré" ou "canaille", plutôt que "malicieux" qui semble être la traduction la plus directe.
Ah, merci, en cherchant "fripon" dans Larousse je vois "filou" aussi. :)
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Okay
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Re: Prokofiev

Message par Okay »

C'est marrant, car en jouant Prokofiev, parfois je me mets un peu dans le personnage du sale gosse qui casse ses jouets. Derrière le sarcasme de sa musique, il y a une énorme part d'enfance je trouve, à la fois via un côté très direct qui feint presque la naïveté, mais aussi via l’innocence fragile qu'elle exprime.

La 3e sonate est frappante à cet égard, le 2e thème en do majeur arrive avec une candeur absolue (que certains élans futuristes géniaux viennent néanmoins limiter vers la fin)... on finit sur un bel accord de do majeur pacifié, tout va bien... et tout à coup patatras, le silence est rompu avec une violence inouïe par ce trait dissonant en mouvement contraire, comme un gosse qui renverserait le damier à peine la partie achevée et se mettrait à hurler et trépigner dans tous les sens.
Tant qu'on est dans les 3 grands russes du piano du 20e siècle, ce passage aboutit plus loin vers une page transparente qui semble empruntée à... Scriabine.
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Eds
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Re: Prokofiev

Message par Eds »

Lee a écrit :Bingo, une mission terminée ! J'adore et je n'avais pas écouté (ou j'avais raté) cet ouverture, merci Eds. :) .
Mais de rien! Je suis heureux d'avoir pu partager un plaisir venant de ce compositeur...et je suis très fier de moi d'avoir fait découvrir quelques petites choses à deux membres si éminents de ce forum.
Okay a écrit :Je me souviens très bien du passage sur Prokofiev et Rachmaninov dans le documentaire, où Richter montre leur influence réciproque. L'oeuvre où ça me frappe le plus, c'est le premier mouvement de la 4e sonate, qui parfois sonne comme du Rachmaninov tout craché.
C'est amusant,j'aime beaucoup cette sonate et je ne l'ai jamais vue comme ça....A l'écoute, j'ai l'impression de voir peut être certains procédés techniques de Rachmaninov, mais je ne suis pas sûre comprendre où se trouve le caractère de Rachmaninov au milieu de tous les jeux et ruptures.


Je suis tout à fait d'accord avec la part d'enfance dans la musique de Prokofiev. Je n'ai pas les outils pour analyser les thèmes que j'ai en tête, dont certains me font penser à des comptines "détournées". Je le rapprocherais peut être, pour faire une comparaison un peu lointaine, avec Michel Tournier. A la fois dans sa vision de l'enfance, et dans son obsession avec les motifs, qu'il triture et déstructure pour leur faire dire une chose et son contraire, pour le dire vite.

Dans le monde musical, ça me rappelle un peu Schubert d'une façon très particulière : une amie à qui j'avais fait découvrir sa musique ne supportait pas sa tendance qu'elle disait "schizophrène" à faire des allers-retours entre motifs majeurs et mineurs très expressifs, parfois en utilisant la même mélodie, et à constamment changer l'ambiance du tout au tout.
J'ai l'impression que Prokofiev fait la même chose, mais de façon plus radicale, particulièrement dans ses œuvres orchestrales (je pense en particulier aux concertos pour piano). Au point qu'il semblerait se moquer lui même des élans sentimentaux qu'il pourrait créer. Comme un espèce de "That's all folks", ou "la musique, c'est ça" ni plus ni moins (dans le sens du "Es ist so" de Hegel...je vais peut être trop loin). Je trouve le mouvement final du 5ème concerto extrêmement fort de ce point de vue...

Par conséquent, plutôt que juste l'innocence de l'enfance dans cette musique, j'y vois l'enfance de façon complète : avec sa cruauté, ses vérités nues, et ses jeux ambigus (il me semble que certaines nouvelles de Tournier évoquent ces thèmes, peut être Buzzati aussi).

Encore une fois, j'extrapole peut être beaucoup pour l'état de mes connaissances et outils d'analyse....et pour l'instant je n'ai joué que quelques visions fugitives...j'attends avec impatience de pouvoir m'essayer à une sonate, la 4ème, 7ème ou 8ème par exemple...aaaaah...doux rêves...
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Okay
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Re: Prokofiev

Message par Okay »

Pour la 4e sonate, je trouve que c'est le cas juste pour le premier mouvement, la marque de Prokofiev est vraiment totale sur les 2 autres. Je trouve que dans le premier mouvement, bien souvent, il assume ce côté très russe et sombre avec beaucoup de lyrisme. Par exemple aussi, dans le premier thème, sans pouvoir l'expliquer et sans non plus fournir d'analogie directe (si je pense à quelque chose plus tard je compléterai), je trouve que la transition rapide de l'ut mineur initial vers ré majeur aurait pu être du Rachmaninov.

Je vois ce que tu veux dire pour l'analogie avec Schubert, cette instabilité harmonique qui rend le langage aussi surprenant et renouvelle sans arrêt l'attention de l'auditeur. Bien sûr, pas vraiment d'élans sentimentaux dans les concertos de Prokofiev, voilà une sorte de "remède" à la musique romantique ! Le finale du 5e est en effet fascinant dans sa manière d'explorer la polytonalité. Il y a ce fameux passage génial, où la main gauche du piano joue une gamme montante en ostinato sur 3 pages (de mémoire elle commence en si mineur et finit en si majeur), avec un duo ou trio des bois juste au dessus qui créé une atmosphère surréaliste, avec des glissements assez oppressants, où justement on se sent entre les deux atmosphères et donc un peu nulle part.

Si tu as joué quelques Visions Fugitives, tu pourrais surement te faire plaisir à jouer le mouvement lent de la 8e sonate, l'exposition du premier mouvement, ou le début du mouvement lent de la 7e. Le premier mouvement de la 4e est aussi très accessible à un niveau intermédiaire.
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Lee
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Re: Prokofiev

Message par Lee »

Okay a écrit :Pour la 4e sonate, je trouve que c'est le cas juste pour le premier mouvement,
Marrant, j'ai justement écouté cette sonate et j'avais un coup de coeur pour uniquement une partie du 2ème mouvement, quand il arrête le tapotage incessant (en gros de Proko :mrgreen: ) et ça devient beau et lyrique comme Rachmaninoff.
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Okay
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Re: Prokofiev

Message par Okay »

A y réfléchir, le passage central en do majeur du mouvement lent de cette sonate rappelle l'Etude-Tableau opus 39 n°2, la lente en la mineur (même triolets main gauche, mêmes 3 pour 2, même genre de son). En fait je n'aime pas trop le premier mouvement, mais j'adore ce mouvement là (qui je crois est la réduction pour piano d'un mouvement de symphonie) ainsi que le finale qui est une illustration parfaite du Prokofiev "sale gosse" et au motorisme irresistible (Richter rend ça de manière fabuleuse). Quel humour avec toutes ces dissonances égratignant do majeur de partout, et ces bonnes vieilles basses d'Alberti !
Virgule
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Re: Prokofiev

Message par Virgule »

Lee a écrit :
Okay a écrit :Pour "mischievous", j'aime bien "fripon", "déluré" ou "canaille", plutôt que "malicieux" qui semble être la traduction la plus directe.
Ah, merci, en cherchant "fripon" dans Larousse je vois "filou" aussi. :)
Pour mischievous j'aime bien fripon mais pas du tout déluré ni canaille qui peuvent cacher une connotation morale (voire sexuelle) que n'a pas du tout mischievous. Perso je pense que la meilleure traduction serait plutôt espiègle, avec le nom espièglerie pour mischief. Fripon est un quasi synomyme mais peut aussi suggérer une certaine malhonnêteté.
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Eds
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Re: Prokofiev

Message par Eds »

Okay a écrit : je trouve que la transition rapide de l'ut mineur initial vers ré majeur aurait pu être du Rachmaninov.
Je n'y avais jamais pensé, et je suis tout à fait d'accord. Et c'est très intéressant de voir comment il réussit à ne pas laisser trop s'installer d'ambiance "sérieuse". Je me souviens dés ma première écoute avoir été fasciné à la fois par les doubles croches qui sonnent d'entrée presque comme un ricanement, mais surtout par l'accord à l'octave( accord de je ne sais pas trop quoi....une espèce de dominante ?) qui ne brise pas l'élan, mais détourne la conversation, ou bien la redirige. Comme un espèce d'appel à ne pas se perdre, ne pas trop écouter le bel accord.
Okay a écrit :A y réfléchir, le passage central en do majeur du mouvement lent de cette sonate rappelle l'Etude-Tableau opus 39 n°2, la lente en la mineur (même triolets main gauche, mêmes 3 pour 2, même genre de son)
J'ai du réécouter les deux passages en question avec attention pour commencer à te comprendre...Mais je trouve les caractères, et les rôles que joue ce "son" dans la pièce tellement opposés que je n'arrivais même pas à concevoir le rapprochement dans un premier temps....mais dans la comparaison entre les deux compositeurs on va retomber sur des questions de goût. J'ai beaucoup de mal avec les longues envolées lyriques de Rachmaninov, et je trouve dans Prokofiev des aspects dionysiaques, féroces, beaucoup plus tonifiants.
Et puis je trouve qu'on ne rigole pas souvent chez Rachmaninov....même si ça peut être beau et lyrique, c'est bien de s'amuser de temps en temps...tu ne penses pas Lee :) ?

En tout cas merci beaucoup Okay pour tes commentaires qui me permettent de mettre des mots sur beaucoup de choses que je ne sentais que de loin, et de revenir à des exemples concrets à analyser!
Virgule a écrit :Perso je pense que la meilleure traduction serait plutôt espiègle, avec le nom espièglerie pour mischief
Pour ce qui est de l'espièglerie, certaines pièces le sont plus que d'autres, je pense aux visions fugitives 5 et 6 par exemple, qui reste dans l'idée d'espiègle, fripon ou sale gosse. Mais dans certaines pièces cet aspect joueur devient beaucoup plus sombre et cynique, sans pour autant disparaitre. Et puis il y a presque tous ses mouvements finaux de sonates ou concertos qui sont incroyables de ce point de vue...J'essayais de réécouter et de choisir l'un en particulier, mais c'est difficile...


Et j'attends d'avoir à nouveau accès régulièrement à un piano pour remettre de l'ambition dans mon programme. Pour l'instant j'essaie de faire progresser par intermittence l'intermezzo op119 n1 de Brahms et le 4ème moment musical de Schubert avant de commencer à envisager quoi que ce soit d'autre...
D'ailleurs, Okay, est-ce que tu as regardé justement la partition du Scherzo et marche des trois oranges? J'ai l'intuition que l'un de ces courts morceaux pourrait servir "d'étude" et de porte d'entrée à la fois à la musique et à la technique pianistique particulière à Prokofiev.
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Okay
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Re: Prokofiev

Message par Okay »

Eds a écrit :D'ailleurs, Okay, est-ce que tu as regardé justement la partition du Scherzo et marche des trois oranges? J'ai l'intuition que l'un de ces courts morceaux pourrait servir "d'étude" et de porte d'entrée à la fois à la musique et à la technique pianistique particulière à Prokofiev.
Oui je connais ces pièces, et il est vrai qu'on y trouve les éléments esthétiques et pianistiques qui sont bien représentatifs de son langage. La fin de la marche notamment, pose des problèmes bien épineux sur les enchaînements gammes fusées/accords. L'oeuvre qui me semble regrouper le plus d'éléments variés dans le plus petit périmètre, c'est la 3e sonate, et c'est d'ailleurs pour ça que j'avais voulu la jouer. Les Visions Fugitives, autrement, sont idéales pour picorer des échantillons de styles différents.
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