Je ne sais pas trop ce que Bach vient faire là dedans, mais pas de révolution de mon côté. Peut-être parce que j'ai dit que je jouais ce que j'aimais. J'en joue en effet très peu, et en jouer davantage ne fait pas partie des résolutions 2016. D'ailleurs je ne suis pas ami avec ce concept de bonnes résolutions, je n'en prends jamais. Ou bien je n'aime pas jouer ce que je joue mal. Et Bach est pour moi le compositeur le plus difficile de tous, donc je l'évite peut-être.
BluePhoenix05 a écrit :lorsque tu progresses, trouves-tu que cela provient de degrés d'approfondissement de tel aspect, ou bien de changements de "paradigmes" ? ou bien de la découvertes de nouvelles choses ?
Question difficile. J'ai envie de dire les trois, mais à des degrés différents. Mais c'est normal car on ne change pas de paradigme souvent, voire quasiment jamais.
Le changement de paradigme le plus fondamental a été la quasi généralisation de l'articulation dans mon travail, mais c'était il y a plus de 15 ans. Et ensuite je mettrais ce que j'appelle l'inversion du rapport son/moyens, ça fait peut-être 2-3 ans. Je suis désormais convaincu que tout part du son, et que les moyens employés ne viennent que servir un projet sonore. Auparavant, je pensais que le son était la conséquence de la technique alors que c'est l'option technique qui est la conséquence du son désiré. Je suis beaucoup plus sensible à un son pas très dégrossi.
Le degré d'approfondissement le plus important, sur les choses générales, a été le renforcement du principe d'intention. Il y a plein de choses que je jouais avec peu ou pas d'intentions travaillées. C'est encore bien insuffisant, mais je pense à présent que la sécurité technique provient essentiellement de la quantité d'intentions, ainsi que de leur verbalisation. Partout où l'on n'a pas décidé ce qu'on faisait (un doigté, une sonorité, une position, un phrasé, une inflexion, une pédale, des plans sonores, etc), on laisse une marge d'insécurité aux caprices du hasard. C'est pour ça qu'on fait des fausses notes aléatoires, ou qu'un jour un passage qui ne posait pas de problème ne passera pas. Outre une meilleure sécurité, ça réduit incroyablement le temps nécessaire pour monter une oeuvre. Lorsqu'on joue sans suivre de décisions, on n'améliore rien à part des réflexes.
Faire plein de choix préalables ne conduit pas forcément a produire un jeu figé où tout est prévisible. On peut avoir des intentions très précises lors du travail, puis en faire des semi-automatismes, qu'on oublie pour l'essentiel lorsqu'on joue en public. Mais le cas échéant, on a toujours quelque chose à quoi se raccrocher. Je pense que cette quantité d'intentions a été le point où j'ai le plus progressé ces derniers temps, je prévois nettement plus de choses que lorsque j'étais ado. J'ai réalisé ça dans Mozart il y a deux mois, en prenant conscience que j'avais pris minimum 2-3 décisions sur chacune des mesures des 3 mouvements (au fait, c'est aussi une clé du par-coeur car la décision est une démarche active). Alors qu'avant, il pouvait se passer plusieurs lignes sans choix. J'ignore si c'est le cas, mais je pense que mon oreille a aussi progressé, car je suis beaucoup plus insatisfait qu'avant de mes prestations, tandis que je trouve mes enregistrements anciens encore pires qu'à l'époque.
Et parmi les découvertes, il y a deux grandes choses. La première c'est ce que j'appelle le jeu tout-terrain, et la possibilité de le solliciter presque sur commande (c'est encore difficile mais ça vient). Ce n'est pas le plus riche, mais ça rend de sacrés services pour débuter une oeuvre et pour égaliser les doigts. Il s'agit d'une combinaison entre une certaine manière d'articuler vivement, et de garder les doigts très près des touches. L'autre découverte, qui date de cette année, a été l'allègement du toucher. J'ai découvert que ça m'était indispensable en ressentant des tensions voire douleurs après 2 ou 3 Etudes de Chopin. Ca m'a forcé a réfléchir car quelque chose clochait nécessairement. J'ai alors réalisé qu'il était possible de jouer de manière beaucoup plus économe que tout ce que je pouvais imaginer... tout en continuant à trouver le fond de la touche. On touche presque au changement de paradigme, car en changeant ça, j'ai pu en peu de temps supprimer l'essentiel de la fatigue et jouer deux fois de suite 12 Etudes (je dois encore surveiller, mais ça devient plus naturel). C'est un peu la quête du "facilement" instruit par Chopin, sorte de Graal qui restera inaccessible mais dont il est désormais possible d'approcher certains contours.