Les beaux textes.
mémoires d'empreintes, Brigitte Bouthinon-Dumas.
La recherche à l'instrument est tout d'abord un désert dont on ne sait lire la carte. On a une idée du voyage, mais manque la boussole. On part néanmoins, et c'est l'imprécision de la route.
On emprunte des pistes sans issue ; par bonheur, quelque-fois on suit le bon tracé. Il suffit d'un mot, pour ouvrir une route ; c'est le "mot de passe" qui dégage une voie pendant quelques temps. Mais ce mot s'étiole à son tour ; on assèche le mot comme on assèche un puits. Il s'efface alors pour laisser place à un autre mot, une autre idée prend le relais et conduit vers une autre direction.
Chercher est une succession de mots qui ôte chacun une couche de brouillard. Chaque point élucidé éclaire un peu mieux l'ensemble. C'est la "convergence" de tous ces points d'observation qui permettra d'avancer plus loin, de toucher l'horizon. La bonne réponse semble toujours se trouver juste derrière la ligne...
Parfois on abandonne le mot, pour mieux y revenir quelques mois ou quelques années après. C'est une façon d'y lire son appronfondissement. L'évolution du mot devient enfin illimitée. C'est elle qui maintient en alerte. Creuser le mot pour se rapprocher au plus près de l'idée musicale. Faire converger "tous" les mots permet de lire la carte...
Encore un livre qu'il faut absolument lire.
J'y reviens très souvent, et à chaque lecture, j'y retiens un nouveau mot...
La recherche à l'instrument est tout d'abord un désert dont on ne sait lire la carte. On a une idée du voyage, mais manque la boussole. On part néanmoins, et c'est l'imprécision de la route.
On emprunte des pistes sans issue ; par bonheur, quelque-fois on suit le bon tracé. Il suffit d'un mot, pour ouvrir une route ; c'est le "mot de passe" qui dégage une voie pendant quelques temps. Mais ce mot s'étiole à son tour ; on assèche le mot comme on assèche un puits. Il s'efface alors pour laisser place à un autre mot, une autre idée prend le relais et conduit vers une autre direction.
Chercher est une succession de mots qui ôte chacun une couche de brouillard. Chaque point élucidé éclaire un peu mieux l'ensemble. C'est la "convergence" de tous ces points d'observation qui permettra d'avancer plus loin, de toucher l'horizon. La bonne réponse semble toujours se trouver juste derrière la ligne...
Parfois on abandonne le mot, pour mieux y revenir quelques mois ou quelques années après. C'est une façon d'y lire son appronfondissement. L'évolution du mot devient enfin illimitée. C'est elle qui maintient en alerte. Creuser le mot pour se rapprocher au plus près de l'idée musicale. Faire converger "tous" les mots permet de lire la carte...
Encore un livre qu'il faut absolument lire.
J'y reviens très souvent, et à chaque lecture, j'y retiens un nouveau mot...
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- Mon piano : Yamaha U3 & Feurich 190 Langlau 1982
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Paris, 3 novembre 1865.
Il faut me consoler d’avoir connu ++++ trop tard, comme je me console de n’avoir pas connu Virgile, que j’eusse tant aimé, ou Gluck, ou Beethoven… ou Shakespeare… qui m’eut aimé peut-être. (Il est vrai que je ne m’en console pas.)
…………………………………………………………………………………………………..
Laquelle des deux puissances peut élever l’homme aux plus sublimes hauteurs, l’amour ou la musique ?... C’est un grand problème. Pourtant il me semble qu’on devrait dire ceci : L’amour ne peut pas donner une idée de la musique, la musique peut en donner une de l’amour… Pourquoi séparer l’un de l’autre ? Ce sont les deux ailes de l’âme.
……………………………………………………………………………………………….......
En voyant de quelle façon certaines gens entendent l’amour et ce qu’ils cherchent dans les créations de l’Art, je pense toujours involontairement aux porcs, qui, de leur ignoble groin, fouillent la terre au milieu des plus belles fleurs et aux pieds des grands chênes, dans l’espoir d’y trouver les truffes dont ils sont friands.
(Dernières lignes des Mémoires)
Hector Berlioz
Il faut me consoler d’avoir connu ++++ trop tard, comme je me console de n’avoir pas connu Virgile, que j’eusse tant aimé, ou Gluck, ou Beethoven… ou Shakespeare… qui m’eut aimé peut-être. (Il est vrai que je ne m’en console pas.)
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Laquelle des deux puissances peut élever l’homme aux plus sublimes hauteurs, l’amour ou la musique ?... C’est un grand problème. Pourtant il me semble qu’on devrait dire ceci : L’amour ne peut pas donner une idée de la musique, la musique peut en donner une de l’amour… Pourquoi séparer l’un de l’autre ? Ce sont les deux ailes de l’âme.
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En voyant de quelle façon certaines gens entendent l’amour et ce qu’ils cherchent dans les créations de l’Art, je pense toujours involontairement aux porcs, qui, de leur ignoble groin, fouillent la terre au milieu des plus belles fleurs et aux pieds des grands chênes, dans l’espoir d’y trouver les truffes dont ils sont friands.
(Dernières lignes des Mémoires)
Hector Berlioz
Merci pour ces "dernières lignes", Jypé. Très belles.
Enfin, depuis que j'ai lu un commentaire de Berlioz au sujet de Brahms, je le boude un peu...
Puisque nous sommes dans les dernières lignes, en voici qui peuvent sembler bien banales comme ça... Mais ce sont les dernières lignes de Robert à Clara (je ne pouvais pas trouver autre chose...). Sa DERNIERE lettre.
5 mai 1855 (un an avant sa mort....)
Chère Clara,
Je t'ai envoyé pour le premier mai un messager de printemps, mais les jours suivants furent très agités.
Tu en apprendras davantage par ma lettre que tu recevras peut-etre demain. (je ne sais pas si elle a été envoyée ou perdue, le journal dit que c'est celle-ci la dernière...)
Une ombre y flotte mais ce qu'elle referme par ailleurs, te réjouira, ma Douce.
Je ne connaissais pas la date de l'anniversaire de notre bien-aimé Brahms ; aussi faut-il que je revête des ailes pour que mon envoi arrive demain encore, en même temps que la partition.
J'ai inclus le dessin de Felix Mendelssohn pour que tu le mettes dans l'album. C'est un souvenir inestimable.
(j'écoute l'aria de la sonate en fa# op 11en même temps, superbe).
Pour ceux qui ont le journal, le passage le plus émouvant, c'est la suite, le journal de fin juillet, où elle décrit la dernière fois qu'elle a vu Bob et sa mort...
Enfin, depuis que j'ai lu un commentaire de Berlioz au sujet de Brahms, je le boude un peu...

Puisque nous sommes dans les dernières lignes, en voici qui peuvent sembler bien banales comme ça... Mais ce sont les dernières lignes de Robert à Clara (je ne pouvais pas trouver autre chose...). Sa DERNIERE lettre.
5 mai 1855 (un an avant sa mort....)
Chère Clara,
Je t'ai envoyé pour le premier mai un messager de printemps, mais les jours suivants furent très agités.
Tu en apprendras davantage par ma lettre que tu recevras peut-etre demain. (je ne sais pas si elle a été envoyée ou perdue, le journal dit que c'est celle-ci la dernière...)
Une ombre y flotte mais ce qu'elle referme par ailleurs, te réjouira, ma Douce.
Je ne connaissais pas la date de l'anniversaire de notre bien-aimé Brahms ; aussi faut-il que je revête des ailes pour que mon envoi arrive demain encore, en même temps que la partition.
J'ai inclus le dessin de Felix Mendelssohn pour que tu le mettes dans l'album. C'est un souvenir inestimable.
(j'écoute l'aria de la sonate en fa# op 11en même temps, superbe).
Pour ceux qui ont le journal, le passage le plus émouvant, c'est la suite, le journal de fin juillet, où elle décrit la dernière fois qu'elle a vu Bob et sa mort...

Je viens de retomber sur cette jolie phrase :
"Tu auras des étoiles comme personne n'en a...
-Que veux-tu dire ?
-Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire !"
Saint-Exupéry, Le petit prince.
pourquoi je mets celle-ci... Ben ça évoque bien MON compositeur...
"Tu auras des étoiles comme personne n'en a...
-Que veux-tu dire ?
-Quand tu regarderas le ciel, la nuit, puisque j'habiterai dans l'une d'elles, alors ce sera pour toi comme si riaient toutes les étoiles. Tu auras, toi, des étoiles qui savent rire !"
Saint-Exupéry, Le petit prince.
pourquoi je mets celle-ci... Ben ça évoque bien MON compositeur...
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Chopin en tant que compositeur... Je me passe de commentaires...
Mais je dévore actuellement Chopin vu par ses élèves, et le pédagogue en revanche, me plait beaucoup. (Eh oui... la révolution est en marche ! - Non, je n'irai pas jusque là quand même...
)
Cette citation m'a particulièrement marquée hier :
M. von grewingk.
Pour m'encourager, il me dit en autres : "Il me semble que vous n'osez pas vous exprimer comme vous le ressentez. Plus de hardiesse, de laisser-aller. Imaginez-vous que vous êtes au conservatoire et que vous y entendez la plus belle execution du monde. Veuillez l'entendre, et vous l'entendrez ici par vous même. Ayez pleine confiance en vous-même ; ayez la volonté de chanter comme Rubini, et vous y réussirez. Oubliez qu'on vous écoute et écoutez-vous toujours vous-même. Je vois que la timidité, que le manque de confiance en vous sont une espèce de cuirasse sur vous, mais à travers cette cuirasse, j'aperçois autre chose que vous n'osez pas toujours avouer, et c'est nous priver nous autres. Quand vous êtes au piano, je vous donne plein pouvoir de faire tout ce que vous voulez ; suivez librement l'idéal que vous vous êtes créé et que vous devez sentir en vous ; soyez bien hardie, bien confiante en votre pouvoir et votre force, et ce que vous direz sera toujours bien. Cela me ferait tout autant de plaisir de vous entendre jouer avec un laisser-aller parfait, que m'est insupportable la suffisance dévergondée des vulgaires."
Mais je dévore actuellement Chopin vu par ses élèves, et le pédagogue en revanche, me plait beaucoup. (Eh oui... la révolution est en marche ! - Non, je n'irai pas jusque là quand même...

Cette citation m'a particulièrement marquée hier :
M. von grewingk.
Pour m'encourager, il me dit en autres : "Il me semble que vous n'osez pas vous exprimer comme vous le ressentez. Plus de hardiesse, de laisser-aller. Imaginez-vous que vous êtes au conservatoire et que vous y entendez la plus belle execution du monde. Veuillez l'entendre, et vous l'entendrez ici par vous même. Ayez pleine confiance en vous-même ; ayez la volonté de chanter comme Rubini, et vous y réussirez. Oubliez qu'on vous écoute et écoutez-vous toujours vous-même. Je vois que la timidité, que le manque de confiance en vous sont une espèce de cuirasse sur vous, mais à travers cette cuirasse, j'aperçois autre chose que vous n'osez pas toujours avouer, et c'est nous priver nous autres. Quand vous êtes au piano, je vous donne plein pouvoir de faire tout ce que vous voulez ; suivez librement l'idéal que vous vous êtes créé et que vous devez sentir en vous ; soyez bien hardie, bien confiante en votre pouvoir et votre force, et ce que vous direz sera toujours bien. Cela me ferait tout autant de plaisir de vous entendre jouer avec un laisser-aller parfait, que m'est insupportable la suffisance dévergondée des vulgaires."
Un texte, pas spécialement beau, mais qui décrit la scène musicale actuelle... "notre vie musicale n'est plus une vie pour la musique..."
Leibowitz, le compositeur et son double.
De tout cela il ressort encore une fois que le jeune interprète d'aujourd'hui est réduite à une sorte d'esclavage nocif à son développement personnel ainsi qu'à celui de la vie musicale. Au public qui lui assure son pain quotidien, le jeune interprète ne peut que rendre un mauvais service puisqu'il lui livre, pour la plupart du temps, une marchandise sans qualité réelle, une sorte d'ersatz ou de mimique du grand art de l'interprétation dont il n'arrive, précisément, qu'à mimer les gestes alors qu'il n'est que rarement capable d'en faire vivre l'esprit.
Doit-on, peut-on condamner sans rémission ces jeunes gens souvent fort doués, presque toujours très compétents et même parfois extrèmenent intelligents et sensibles qui parcourent le monde en y perpétuant ces gestes vides, pour la plupart du temps, de sens musical réel ? Ce serait aller un peu vite en besogne car les contingences actuelles sont telles qu'il n'y a souvent pas d'autre issue que celle que nous avons décrite ici. C'est ainsi que le fait de gagner un concours et de pouvoir s'embarquer, aussitôt après, dans la voie de la carrière internationale, tout cela constitue, pour la plupart des jeunes virtuoses, une sorte de planche de salut (car nombreux sont ceux qui, n'ayant pas eu la même chance, vivotent plus ou moins misérablement), une promesse d'avenir telle qu'il faudrait être un saint, ou être supérieurement lucide pour avoir le courage de s'y refuser.
Existe-il des remèdes ? Je n'en sais vraiment rien et j'ignore aussi s'il est des gens que ce problème interesse et préoccupe de nos jours. tout ce que l'on peut dire, c'est que notre vie musicale n'est plus une vie pour la musique.
J'écris, j'écris...
Mais vous pouvez réagir aux textes, s'ils vous évoquent quelque chose...
Vous pouvez participer en transmettant vous aussi des écrits sur la musique ou autre,
Et, si vous avez de bons livres à me recommander, je suis preneuse.
Leibowitz, le compositeur et son double.
De tout cela il ressort encore une fois que le jeune interprète d'aujourd'hui est réduite à une sorte d'esclavage nocif à son développement personnel ainsi qu'à celui de la vie musicale. Au public qui lui assure son pain quotidien, le jeune interprète ne peut que rendre un mauvais service puisqu'il lui livre, pour la plupart du temps, une marchandise sans qualité réelle, une sorte d'ersatz ou de mimique du grand art de l'interprétation dont il n'arrive, précisément, qu'à mimer les gestes alors qu'il n'est que rarement capable d'en faire vivre l'esprit.
Doit-on, peut-on condamner sans rémission ces jeunes gens souvent fort doués, presque toujours très compétents et même parfois extrèmenent intelligents et sensibles qui parcourent le monde en y perpétuant ces gestes vides, pour la plupart du temps, de sens musical réel ? Ce serait aller un peu vite en besogne car les contingences actuelles sont telles qu'il n'y a souvent pas d'autre issue que celle que nous avons décrite ici. C'est ainsi que le fait de gagner un concours et de pouvoir s'embarquer, aussitôt après, dans la voie de la carrière internationale, tout cela constitue, pour la plupart des jeunes virtuoses, une sorte de planche de salut (car nombreux sont ceux qui, n'ayant pas eu la même chance, vivotent plus ou moins misérablement), une promesse d'avenir telle qu'il faudrait être un saint, ou être supérieurement lucide pour avoir le courage de s'y refuser.
Existe-il des remèdes ? Je n'en sais vraiment rien et j'ignore aussi s'il est des gens que ce problème interesse et préoccupe de nos jours. tout ce que l'on peut dire, c'est que notre vie musicale n'est plus une vie pour la musique.
J'écris, j'écris...
Mais vous pouvez réagir aux textes, s'ils vous évoquent quelque chose...
Vous pouvez participer en transmettant vous aussi des écrits sur la musique ou autre,
Et, si vous avez de bons livres à me recommander, je suis preneuse.

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Un livre de chevet... je devrais dire de piano tant il faut le lire "au piano" le bouquin sur le pupitre afin de suivre les exemples... :
Michel Schneider, La tombée du jour, Schumann.
Mais tu connais certainement.
Deux petits derniers tombés dans ma bibliothèque dernièrement :
La musique de piano des origines à Ravel de Louis Aguettant. Ce dernier était prof au conservatoire de Lyon et ce sont ses élèves qui ont réunis le contenu de ses cours en un livre. Remarquable !
L'art du piano d'Heinrich Neuhaus (notes d'un professeur) ce fut, entre autres, le professeur de S. Richter. Rien que ça ! A lire absolument.
C'est tout pour l'instant.
Michel Schneider, La tombée du jour, Schumann.
Mais tu connais certainement.
Deux petits derniers tombés dans ma bibliothèque dernièrement :
La musique de piano des origines à Ravel de Louis Aguettant. Ce dernier était prof au conservatoire de Lyon et ce sont ses élèves qui ont réunis le contenu de ses cours en un livre. Remarquable !
L'art du piano d'Heinrich Neuhaus (notes d'un professeur) ce fut, entre autres, le professeur de S. Richter. Rien que ça ! A lire absolument.
C'est tout pour l'instant.
Je ne résiste pas... C'est malin Jypé, il faut que je remette un extrait du livre de Schneider.
Nous sommes
Nous avons tous, enclose au profond de nous même, une douleur à laquelle nous n'avons plus accès. Parfois quelque chose ouvre la porte, un regard, un souvenir, une musique. Elle est vide pourtant, comme les mots qui ne parlent plus de rien, ou la musique qui dit le silence. un jour, Schumann l'avait vue de face : "Si vous me demandiez le nom de ma douleur, je ne saurais vous le dire. Je crois que c'est la douleur elle même, et ne saurais la désigner plus justment." Douleur pure, sans représentations, illimitée. Une douleur qu'il ne DIT jamais pourtant, tout au long de sa musique, mais qu'il chante, module, balbutie parfois. (Ce qui peut être dit en musique, c'est la souffrance : Chopin, Schubert).
Il y a une erreur à ne pas faire quand on joue ou que l'on écoute Schumann, c'est d'y entendre l'expression d'émotions, de sentiments, d'humeurs que l'on pourrait nommer, objectiver. On A des émotions, on est DANS tel état affectif. Mais sa musique se dégage de cette grammaire-là. Mathématisation de la douleur, celle-ci n'est plus un éprouvé - la douleur est sans images - mais ce qui bat à l'interieur du corps, confondu à la vie. Quand on le joue, Schumann fait mal, presque physiquement : il relègue, exile, isole. On est au bord de soi. On se quitte soi-même. On croit que la douleur (la musique) réside dans un autre corps. On voudrait s'en défaire. Parfois, c'est comme si l'on regardait une partie de soi devenue étrangère, jetée au dehors. Ce n'est pas l'exterieur qui est douloureux parce qu'il est exterieur, c'est ce qui fait mal qui aussitot devient autre que soi. On vous surprendrait ainsi, jouant les premières mesures de "Warum ?" ("Pourquoi ?") hébété, un animal qui lèche sa plaie.
La souffrance est liée à l'objet, à la sexualité ; sa racine tient à l'existence même de l'objet. La douleur est sans objet, même perdu. La douleur est douleur de la douleur. La musique de Schumann est souvent intransitive, ou plutôt transie, saisie par son propre froid, son propre éloignement. Elle est comme réfléchie. Jamais l'objet n'y est vraiment séparé du sujet, et elle n'est en dialogue qu'avec elle-même. objet de sa propre action, reflet de sa propre disparition. On n'évite pas pour parler du piano de Schumann les verbes réfléchis, pronominaux ou subjectifs : elle s'approche, s'endort, se cherche, s'évite, s'éprend, s'attriste, s'envole, s'éloigne, se confie, se demande, se donne, s'emporte, s'ennuie, se souvient, se meurt.
Voilà pourquoi j'aime Schumann.

Nous sommes
Nous avons tous, enclose au profond de nous même, une douleur à laquelle nous n'avons plus accès. Parfois quelque chose ouvre la porte, un regard, un souvenir, une musique. Elle est vide pourtant, comme les mots qui ne parlent plus de rien, ou la musique qui dit le silence. un jour, Schumann l'avait vue de face : "Si vous me demandiez le nom de ma douleur, je ne saurais vous le dire. Je crois que c'est la douleur elle même, et ne saurais la désigner plus justment." Douleur pure, sans représentations, illimitée. Une douleur qu'il ne DIT jamais pourtant, tout au long de sa musique, mais qu'il chante, module, balbutie parfois. (Ce qui peut être dit en musique, c'est la souffrance : Chopin, Schubert).
Il y a une erreur à ne pas faire quand on joue ou que l'on écoute Schumann, c'est d'y entendre l'expression d'émotions, de sentiments, d'humeurs que l'on pourrait nommer, objectiver. On A des émotions, on est DANS tel état affectif. Mais sa musique se dégage de cette grammaire-là. Mathématisation de la douleur, celle-ci n'est plus un éprouvé - la douleur est sans images - mais ce qui bat à l'interieur du corps, confondu à la vie. Quand on le joue, Schumann fait mal, presque physiquement : il relègue, exile, isole. On est au bord de soi. On se quitte soi-même. On croit que la douleur (la musique) réside dans un autre corps. On voudrait s'en défaire. Parfois, c'est comme si l'on regardait une partie de soi devenue étrangère, jetée au dehors. Ce n'est pas l'exterieur qui est douloureux parce qu'il est exterieur, c'est ce qui fait mal qui aussitot devient autre que soi. On vous surprendrait ainsi, jouant les premières mesures de "Warum ?" ("Pourquoi ?") hébété, un animal qui lèche sa plaie.
La souffrance est liée à l'objet, à la sexualité ; sa racine tient à l'existence même de l'objet. La douleur est sans objet, même perdu. La douleur est douleur de la douleur. La musique de Schumann est souvent intransitive, ou plutôt transie, saisie par son propre froid, son propre éloignement. Elle est comme réfléchie. Jamais l'objet n'y est vraiment séparé du sujet, et elle n'est en dialogue qu'avec elle-même. objet de sa propre action, reflet de sa propre disparition. On n'évite pas pour parler du piano de Schumann les verbes réfléchis, pronominaux ou subjectifs : elle s'approche, s'endort, se cherche, s'évite, s'éprend, s'attriste, s'envole, s'éloigne, se confie, se demande, se donne, s'emporte, s'ennuie, se souvient, se meurt.
Voilà pourquoi j'aime Schumann.

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- Mon piano : Yamaha U3 & Feurich 190 Langlau 1982
- Localisation : Toulouse
Comme je te comprends ! Louna, Alors pour en sortir un peu quand même, voici un livre "à dissolution lente..."
Il s'agit de la traduction française de l'essai de Carl Philpp Emmanuel Bach
Sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier
Le bouquin original date de 1762 et si la traduction est parfaite, la compréhention du texte demande un peu de temps. Editions du CNRS.
Et pour se détendre, un introuvable :
Schubert, Album de Famille.
Recueil de textes, lettres, etc. du "Petit champignon" et de son entourage, savament illustré. Une pure merveille... à condition d'aimer Schubert.
Il s'agit de la traduction française de l'essai de Carl Philpp Emmanuel Bach
Sur la véritable manière de jouer les instruments à clavier
Le bouquin original date de 1762 et si la traduction est parfaite, la compréhention du texte demande un peu de temps. Editions du CNRS.
Et pour se détendre, un introuvable :
Schubert, Album de Famille.
Recueil de textes, lettres, etc. du "Petit champignon" et de son entourage, savament illustré. Une pure merveille... à condition d'aimer Schubert.
Mais, c'est affreux !De tout cela il ressort encore une fois que le jeune interprète d'aujourd'hui est réduite à une sorte d'esclavage nocif à son développement personnel ainsi qu'à celui de la vie musicale. Au public qui lui assure son pain quotidien, le jeune interprète ne peut que rendre un mauvais service puisqu'il lui livre, pour la plupart du temps, une marchandise sans qualité réelle, une sorte d'ersatz ou de mimique du grand art de l'interprétation dont il n'arrive, précisément, qu'à mimer les gestes alors qu'il n'est que rarement capable d'en faire vivre l'esprit.



Voilà qui ouvre une question d'une extrême importance : y-a-t-il encore quelque chose à dire dans l'interprétation des grandes oeuvres du répertoire ou les interprêtes d'aujourd'hui sont-ils réduits à plagier les grands interprêtes immortalisés par le disque ?



On ne vend pas la musique. On la partage. Leonard Bernstein
Même s'il "exagère" peut-être un peu, dans le fond, tu ne penses pas qu'il a un peu raison ?Mais, c'est affreux !
Voilà qui ouvre une question d'une extrême importance : y-a-t-il encore quelque chose à dire dans l'interprétation des grandes oeuvres du répertoire ou les interprêtes d'aujourd'hui sont-ils réduits à plagier les grands interprêtes immortalisés par le disque ?
Un hymne à la musique (classique)
"Oui, la musique, notre musique classique, est plus grande que le monde ! Elle s'inscrit dans les grandes heures de la vie humaine, elle fait revivre le passé et elle prépare l'avenir, elle est le souffle qui lève l'allégresse et transfigure les larmes, elle est la couleur des âmes, le chant de nos paroles perdues, tout ce qui irise l'émotion des jours, ici et maintenant, quand se lève une fleur d'espérance, une mélodie de bonheur. La musique est un des plus beaux chemins offerts à l'homme pour devenir lui-même une oeuvre d'art"
(La Musique au coeur de l'émerveillement - Elisabeth Sombart)
(Dans un paragraphe la musique atonale est complétement démontée mais cela ne peut faire l'objet de ce post.)
"Oui, la musique, notre musique classique, est plus grande que le monde ! Elle s'inscrit dans les grandes heures de la vie humaine, elle fait revivre le passé et elle prépare l'avenir, elle est le souffle qui lève l'allégresse et transfigure les larmes, elle est la couleur des âmes, le chant de nos paroles perdues, tout ce qui irise l'émotion des jours, ici et maintenant, quand se lève une fleur d'espérance, une mélodie de bonheur. La musique est un des plus beaux chemins offerts à l'homme pour devenir lui-même une oeuvre d'art"
(La Musique au coeur de l'émerveillement - Elisabeth Sombart)
(Dans un paragraphe la musique atonale est complétement démontée mais cela ne peut faire l'objet de ce post.)
Merci pour cette belle citation Syl !
(j'ai laissé tomber mon sujet, j'ai vu désespérée qu'à part le Hanon, pas grand chose interessait...).
Je ne connais pas le livre dont est extraite cette citation.
La Musique au coeur de l'émerveillement - Elisabeth Sombart.
Peux-tu s'il te plait m'en dire un peu plus sur le contenu de cet ouvrage ?

(j'ai laissé tomber mon sujet, j'ai vu désespérée qu'à part le Hanon, pas grand chose interessait...).
Je ne connais pas le livre dont est extraite cette citation.
La Musique au coeur de l'émerveillement - Elisabeth Sombart.
Peux-tu s'il te plait m'en dire un peu plus sur le contenu de cet ouvrage ?