Pourquoi les passages les plus intéressants sont-ils les plus foireux ?

[Durtal]

J'espère n'être pas le seul à avoir constaté - et sans cesse vérifié - que les passages qui ménagent quelque "effet" - ces brefs moments qui créent une petite émotion, grâce à des altérations inattendues (ou pas) qui ont un je-ne-sais-quoi de délicieux, ou bien une harmonie bizarrement amenée créant un fort contraste à l'aide de petits riens, ou encore une tournure mélodique avec un petit côté effronté ou étonnamment chantant - sont toujours susceptibles d'être piteusement ratés au moment de l'exécution. Ce qui demande de les étudier encore plus que le reste, alors que justement, on aimerait bien les laisser vierges de tout travail, comme par crainte de les abîmer, comme si on profanait quelque chose, ou comme si ça nous obligeait à mettre à nue les ficelles d'un mécanisme que l'on préférerait garder secret.

Comment expliquer ce phénomène ?

Parfois, ce sont des passages où le compositeur requiert une certaine technique, plus qu'ailleurs. Logique : plus d'effets demande plus de moyens. Mais parfois, ce n'est pas du tout le cas. Et ici, je vois deux catégories :

1re catégorie : sans demander de hauts moyens techniques, le compositeur a placé plein d'altérations, et des notes avec plein de traits (personnellement, au-delà de trois lignes au-delà de la portée, je ne sais plus lire. Et j'oublie systématiquement qu'il s'agit de sol, de la, etc.). Ce dispositif demande un certain effort cérébral et une mémoire bien solide, et puis de bons yeux aussi (ceux qui ont la vue qui baisse me comprendront). D'où les hésitations, les oublis, et donc fatalement, l'erreur...

2e catégorie : l'écriture n'est ni technique ni compliquée. Elle est juste : pas naturelle et bizarre, quoique parfois très simple. Et là, c'est vraiment la honte, je trouve, de faire des fautes sans aucune raison, juste à cet endroit, juste à l'endroit fatidique. Alors que pris séparément, c'est si simple à jouer...

[fritz]

Je verrais deux grandes familles : un problème technique ou une implication émotionnelle plus forte sur les passages en question. Techniquement pas forcément que ce soit plus difficile mais si on trouve un passage intéressant c'est certainement parce qu'il diffère du reste, que ce soit un changement de texture, de rythme, un emprunt à une tonalité étrangère, un passage modal, ... Bref un truc qui fait que l'espace d'un instant on soit ailleurs par rapport à l'ensemble du morceau. Émotionnellement, la peur de ne pas rendre justice au passage en question qui engendre de la crispation, le fait d'être pris par l'émotion qui fait qu'on lâche prise et qu'on perte du coup le contrôle, ...

Techniquement je dirais bosser à rebours : tu isoles le passage, au bout de trois fois joué sans te tromper, tu embarques la mesure précédente et tu recommences. Si tu plantes avant 3 répétitions, tu repars du passage isolé seulement, etc ... En résumé 3 enchaînements clean, on ajoute une mesure, on se plante avant 3 répétitions, on réduit. Tu fais ça 10/15 minutes par jour et ça devrait le faire.

Émotionnellement je dirais chercher le beau partout, se mettre dans la posture d'un interprète pour une audience ce qui permet de prendre de la hauteur et de s'impliquer différemment.

[Philippe Le French]

J'ai une hypothèse, peut être pas la bonne, tant pis :
Tous les compositeurs, ou presque, dans toutes les musiques, ou presque, glissent un passage radicalement différent en général (mais pas toujours) vers les 3/4 du morceau, pour le "casser", pour captiver encore plus l'auditeur, et ça marche...A jouer le morceau, c'est un peu pareil, les thèmes se suivent et se répètent, se ressemblent plus ou ou moins, jusqu’à ce fameux passage au brusque changement de tempo, ou de mélodie, parfois les deux. Il y a de quoi être dérouté. Il faut alors répéter, isoler ce passage, jouer le morceau entier, s'enregistrer, le mettre de coté, le reprendre jusqu' a obtenir du résultat. Pas facile, j'en conviens.