Voici mon déchiffrage+ : j’y ai passé 15 jours il y a 2 ans et quelques jours par ci par là depuis. Donc forcément c’est pas parfait.
Mon but n’est pas de le maîtriser, ne le prenez pas comme une offense mais la technique etc je m’en fous, vu mon niveau ça viendra tout seul avec la pratique. Je vais la travailler mais en y accédant par la porte de l’expressivité. Et non l’inverse comme on le voit souvent. Vous serez d’accord ou pas avec ma façon de l’aborder, ça c’est votre affaire

Ce qui m’intéresse c’est de pouvoir exprimer des émotions enfouies que cette pièce à la particularité d’atteindre chez moi : une espèce de nostalgie du temps qui passe et ne passe pas à la fois, un mélange de tristesse, peur, frustration mais enrobée de joie, sérénité et d’acceptation. Et pis de pouvoir en activer la clé thérapeutique ou d’évolution spirituelle qui reste pour moi le seul but et l’essence de la musique.
Je trouve que la tonalité de sol mineur exprime cette ambivalence d’une manière très fine, comme dans L’Egyptienne de rameau ou le fameux prélude de rachmaninoff. Do # mineur aussi mais avec un aspect plaintif diminué. Donc ce serait bien d’improviser un peu en sol mineur avant chaque session, pour bien s’imprégner de cette couleur un peu comme cette luminosité d’automne particulière (qui n’a rien à voir avec le mois de juin russe j’imagine mais bon, c’est moi qui joue c’est moi qui interprète

Donc en rapport avec cet objectif d’expressivité et de calme intérieur (accueil des évènements tragique de la vie), je vous livre ici mon plan de travail.
6 premières mesures (0-20’)
Les accords du début (mes 1 et 2) qui posent l’ambiance de tout le swing Barcarolle par la suite : je les veux moins lourd. La couleur balance trop du côté de la lourdeur. J’aimerais que ce soit beaucoup plus léger.
La lourdeur sera bien assez exprimée par les harmonies qui n’arrivent pas à décoller franchement de la tonique. Ce ressenti me vient, je pense, du fait qu’on nous amène direct vers la couleur dominante avec la mélodie qui se pose en ré à la mesure 4, puis avec l’apparition du do# mesures 5 et 6. La note de dominante est la 3e harmonique -après l’octave, donc on est vraiment pas parti loin, moins loin que si y avait eu un autre degré de sol mineur. Or tous les autres accords sont sur la tonique, juste un petit reversement en mesure 4. (Je sais pas si c’est une généralité mais je crois qu’on voit pas mal ça à partir du romantisme?)
Donc ça tourne en rond et j’aimerais aussi l’illustrer par tous ces échos qui apparaissent dans la mélodie : mesure 4 et 5 la mélodie répète la fin de son premier chant qui s’est posé sur ré, et la mg la suit en écho, ça n’en finit plus. Ça va en profondeur, faut que le message pénètre et pour ça il faut un certain lâcher-prise pour laisser passer le message. J’arrive à illustrer ce lâcher prise par une certaine rondeur dans la pulsation mains ensemble (comme une roue qui tourne sans cesse : fluide en mouvement permanent, sans blocage), mais la mg est pour le moment trop présente. Et niveau des échos il y a aussi les voix secondaires avec des secondes qui ramènent la tension sur une note du degré de la tonique (mg mes.3-5 : la-si, do-ré : c’est montant (donc positif) ce à quoi la md répond par des secondes descendantes : mes.4-6 : mi-ré, do-si. C’est la mg qui a le dernier mot car le plus convaincant puisqu’elle sort de l’intervale de seconde par une une quinte descendante, plus franche : ré-sol mes.5-6. Donc c’est l’ambiance descendante qui s’impose et puis elle finit la phrase en chantant le motif répété mes. 6 avec les petites croches cette fois « mi do# mi - réeee » qui melodiquement est une seconde descendante ou montante selon notre observation.. On finit donc en suspension sur la dominante. Avec pour ambiance une descente mais quand même une ouverture vers le haut. On est au fond du trou mais on voit ou devine la lumière. Tout ça pour dire que niveau lourdeur y a pas besoin d’en ajouter, c’est plus interessant d’accentuer la légèreté dans cette accompagnement. Ce qui est suggéré d’ailleurs en arrière-plan par la basse en seconde montantes.
Avec ça toute l’ambiance est posée c’est pas forcément nécessaire, je trouve, de pousser ce genre d’analyse harmonique plus loin que l’intro car de l’intro découlera tout le reste dans une évolution assez naturelle. Par contre il faut à mon sens pousser l’analyse de chaque élément de cet univers du début beaucoup plus loin mais ça se fait dans l’action du jeu, au fur et à mesure.
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Ensuite ça évolue, ça s’affirme etc.
Puis on arrive à la 2e partie en majeur
poco più mosso (1’44)
Alors là c’est autre chose on bascule du côté du souvenir joyeux mais…. pas complètement.
Déjà je dois travailler la transition: conclure plus calmement la partie d’avant (gris rall et/ou dim), et commencer plus insidieusement. On a ce rythme syncopé à la mg qui respire plus de légèreté mais la lourdeur reste présente avec ces accords mg qui de nouveau décollent pas de tonique dominante et en plus on a cet accord sol-re qui se répète 9x à intervalles réguliers. Donc joyeux ouais mais le souvenir est bien loin quoi. La md est joyeuse avec ses tierces montantes qui vont quelque part mais pas en phase avec la mg décalée rythmiquement en contre temps qui décolle pas de son accord sol-ré. Je vais travailler à mettre l’accent sur cette ambivalence.
Puis la mg commence à affirmer sa lourdeur par un chant en secondes, descendantes de nouveau (mes.36 1’55) mais l’enchaînement de ces secondes est montant, jusqu’à ce que les secondes deviennent elles-mêmes montantes (mes.38) alors que la md s’affirme en ajoutant l’octaves sous la tierce.
Je dois absolument mettre plus de lumière sur cette mg.
La joie la joie, non c’est pas une joie si pure que ça qui monte puisqu’on a 2x en mg un mib accentué de par sa position syncopée, qui nous rappelle le mode mineur! C’est donc une joie teintée dune sorte d’ironie qui va exploser.
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Allegro giocoso (2’06)
(Giocoso = espiègle).
Les harmonies deviennent plus riches et les intervalles plus grands, c’est le point culminant de la tragédie et intensité de la pièce. Tragédie bien illustrée par le seul ff de la pièce dans la suite des accords arpèges sur un accord de 7e diminuée montant à répétition (mes.50 2’30) que je veux faire « décompenser vers le haut».
Je dois mettre beaucoup plus de tension là-dedans et surtout dans les notes suivantes qui amènent à la septième de dominante de sol mineur (mes. 53 2’45). Accord charnière qui amène un silence rempli, surtout pas vide car c’est lui qui va matérialiser tous les changements qui se sont opérés dans cette partie du milieu. Il faut mieux occuper ce silence, plus de présence et d’attente.
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Ensuite ça repart avec le thème initial mais avec plus d’écho encore, seulement l’écho est devenu plus fourni et plus mélodique à la mg, ce n’est plus juste des secondes et la mg tire vers le haut avec son motif montant, comme un reflet réparateur de la md. Donc il s’est passé quelque chose dans ce passage en majeur, qui a libéré une part d’expression, ou donné l’accès à plus de liberté. Je joue cette reprise plus pp qu’au début.. pourquoi pas, je trouve bien de marquer plus de contraste qu’au début.
Je passe les détails de plus marquer les lignes mélodiques, ça viendra tout seul en pensant « éloquence », en affinant ma propre histoire. Ce qui se fera en écoutant bien tout ce qu’il se passe de nouveau dans ce passage, sur le clavier mais surtout à intérieur de moi en le jouant (sans isoler la partie bien sûr).
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Puis cette fin magnifique et énigmatique (mes. 83 4.28)
Une descente emprunte de douceur et tristesse, ce sont les larmes qui sortent enfin mais pas seulement de tristesse, plutôt d’émotion tout court: être touché par le fait qu’on est touché. Faut que ça coule: on a cette mélodie descendante pleine de tendresse et compassion qui opère à deux niveaux de l’être car elle se fait sur la voix supérieure et inférieur de la md, avec un léger décalage entre elles (qu’on ne se sent même plus le besoin de calibrer comme dans la partie du milieu!). Et en même temps c’est soutenu par la mg et son intervalle de quinte ascendante (sol-réee) qui donne du courage. Ce passage c’est la sublimation de la frustration ou sentiment de tragédie qu’on a pu avoir dans la partie du milieu.
Puis le petite interlude (mes. 86-87 (4.39) et 90-91 où la mg descend puis remonte, tirée sans appel vers le haut, sans force ajoutée, par un effet de rebondissement à partir des croches descendantes d’avant qui font spontanément demi tour.
Jusqu’à la résilience accomplie (5’) où la joie enfin s’exprime librement, mais calmement, avec beaucoup de sérénité car elle sait d’où elle vient et ce qu’elle transporte comme vérité. Particulièrement, elle sait la grandeur de cette vérité. Et elle s’imprime de manière définitive avec ces 9 accords arpégés et lumineux que je peux plus affirmer par un rall, en contraste et rappel, peut-être, des 9 quintes en basse évoques plus haut. Le chiffre 9 est très intéressant dans sa symbolique mais c’est un autre sujet. Et pis on voit les chiffres qu’on veut selon ce qu’on veut en faire.
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Bon tout ça il va s’agir de bien le mettre en lumière dans ma conscience d’abord, puis les doigts suivront. J’ai pas mentionné le tempo plus lent, ça va de soi avec le travail du calme intérieur.
Voilà donc comment je vais avancer avec ce morceau. Il va de soi aussi que ma vision va évoluer au fur et à mesure et il est même souhaitable que mon interprétation finale ne reflète pas tout à fait ce que j’aurai écrit ce soir : ce sera ainsi la preuve qu’un cheminement intérieur aura été fait à travers cette pièce.
Merci pour votre attention, bravo si vous avez tout lu

