P.piano2 a écrit : jeu. 27 janv., 2022 16:26
Bonjour !
Voilà, je suis en première année de conservatoire supérieur et je fait face à quelques soucis, j’aurais aimé avoir quelques de vos précieux conseils
On m’a récemment dit comme commentaire que je n’avais pas une conscience de l’harmonie assez développée. En lecture à vue par exemple, je n’ai aucun réflexe d’anticipation des enchaînements, je n’arrive pas à jouer avec les tonalités-improviser- transposer facilement, et, en effet, dans les morceaux, mon écoute est plus mélodique et cela s’entend dans mon jeu. En cas de problème lors d’une prestation, il m’est alors plus difficile de retomber sur mes pattes. Je pense que c’est un point sur lequel je dois travailler et qui me fera réellement progresser, mais je ne sais pas du tout par où commencer et comment.
Si vous aviez des pistes, ce serait super !
Merci d’avance,
Pauline

)
C'est ton prof de lecture à vue qui t'a dit ça ? Ton prof d'improvisation ? Dans quel contexte ça t'a été dit ? Un cours de transposition ? Et de quelle manière exactement ? Un peu difficile de répondre sans plus de précision mais je vais tenter en essayant de compléter ce qui a déjà été dit
Tu dis, par exemple, que tu n'as "aucun réflexe d'anticipation des enchainements", mais tu as tout de même réussi ton épreuve de déchiffrage au concours d'entrée de ton conservatoire supérieur, ce qui n'est pas une mince affaire. Que t'a dit le jury lors de l'entretien à l'issu de l'épreuve ? Vu l'importance de cette épreuve (du moins à mon époque), le fait d'avoir su intégrer un cycle supérieur devrait déjà te rassurer un minimum.
Déjà, entendons-nous sur ce qu'est la "conscience de l'harmonie". On pourrait la définir comme
"la conscience du rôle de la note que l'on doit jouer". Elle se développe à travers une étude approfondie de la structure de la phrase musicale.
- Pour l’improvisation, je ne vais pas être très original, il faut connaitre sa grammaire sur le bout des doigts pour s’exprimer avec élégance et laisser libre cours à son imagination, y compris l’imparfait du subjonctif ! Il s’agira de travailler, par exemple, l'"arpégisation", les diminutions, les augmentations, les gammes brisées, les résolutions, l'extraction de voix, les changements de mode, les paraphrases...
- Pour la lecture à vue, en revanche, je peux te proposer quelque chose de redoutablement efficace :
La conscience harmonique, c'est à dire
la compréhension de la structure de la phrase musicale et de sa tonalité, est ici indispensable car elle permet de repérer visuellement rapidement les différentes sections, les formules, les répétitions, les séquences harmoniques, les réexpositions classiques des différentes formes musicales... La maitrise des différents patterns classiques permet de les anticiper immédiatement à la lecture. On finit par les identifier en un coup d’œil, un peu comme l’œil qui n’a besoin que de quelques lettres pour reconstituer le mot, quelques mots pour reconstituer la phrase. Je te vois arriver et je te reconnais immédiatement à ta démarche, ta façon de t'habiller, de parler, au vocabulaire employé, à ta façon de respirer, à ta personnalité, ton caractère. Immédiatement, je reconnais ton histoire, je sais d'où tu viens, où tu vas, ce que tu aimes en général, ce que tu n'aimes probablement pas... tu commences une phrase, je la finis pour toi ! Voilà ce qu'est la lecture à vue.
En somme, pour développer la lecture à vue, le mieux est de s’entrainer à lire sans instrument et de prendre l'habitude de toujours s’imprégner en profondeur de la partition avant même de s'assoir devant l'instrument, jusqu’au "par cœur". Ca doit devenir un réflexe, une seconde nature.
Si la lecture à vue est une difficulté pour toi, astreins-toi, à partir d’aujourd’hui, à ne plus déchiffrer au piano et à ne t'autoriser à jouer qu’après avoir assimilé la partition jusqu’au "par cœur". J’utilise cette expression à dessein car il ne s'agit pas d'un apprentissage mécanique mais intellectuel et en profondeur. Le "par cœur" n’est pas l’objectif premier, il est le résultat de l’assimilation du texte. Il faut comprendre ce que l’on joue, avant même de le jouer.
Le mouvement est le suivant : d’abord la lecture, puis l’écoute interne, la compréhension de la phrase musicale, enfin la mémorisation. Les difficultés de doigtés et de positions sont anticipées dès la lecture, comme le choix du tempo et des idées interprétatives.
Une fois que tu t'es fait une idée assez précise du résultat final, tu peux te mettre au piano et exécuter ce que tu as, au préalable, pensé.
On voit souvent des pianistes perdre le fil en jouant, ne sachant plus où leurs mains doivent aller quand ils perdent le fil de leur mémoire tactile, c’est le signe qu’ils n’ont pas assez assimilé la nature et la structure du texte, ni vraiment compris ce qu’ils jouaient, la pratique devient mécanique et à la moindre déconcentration, c’est le trou de mémoire paralysant.
Crois-moi, cette méthode est redoutablement efficace, tu ne verras plus jamais une partition de la même manière et lorsque tu devras en découvrir une nouvelle pour la jouer "à vue", tout te semblera plus simple, presque évident. Manger de la théorie et la lecture systématique sans instrument !
