Penser autrement
Après avoir recensé et analysé plus de 4 600 études écosystémiques, cette équipe de chercheurs affirme que les points de basculement sont pratiquement inexistants : les écosystèmes se dégradent en réalité bien avant.
Or c'est sur ce genre de paradigme du seuil de perturbations que sont bâties la plupart des politiques environnementales, qu’il s’agisse de préserver la qualité des lacs et rivières, de surveiller la fragmentation des zones forestières ou l’acidification des milieux océaniques.
En résumé, l'idée qui prédomine est qu’il existe pour chaque type de perturbation un seuil à ne pas dépasser, au risque de voir se dégrader brutalement l’écosystème concerné, voire d’assister à sa disparition pure et simple.
Et pour la première fois, les scientifiques se sont posés cette question : si l’idée de seuils à ne pas dépasser facilite la gestion environnementale, est-ce qu’elle correspond pour autant à une réalité écologique ? Et s’il n’y avait pas de points de basculement, mais une dégradation beaucoup plus progressive des écosystèmes ? « C’est une intuition que beaucoup d’écologues ont depuis longtemps, mais qu’il était difficile de vérifier jusqu’à présent, faute d’une puissance de calcul suffisante pour mener une analyse de grande ampleur », a expliqué José Montoya, l'un des scientifiques de l'étude, qui travaille au CNRS.
Une vaste étude statistique
Pour répondre à cette questions, les chercheurs cherché (et trouvé) dans la littérature scientifique et passé au crible 4600 études d’écosystèmes dans lesquels des dégradations étaient observées du fait des changements globaux. « Nous sommes remontés 45 ans en arrière et avons choisi toutes les études qui mesuraient d’un côté la pression environnementale exercée et, de l’autre, la réponse des écosystèmes à travers leurs différentes fonctionnalités (fixation du CO2 atmosphérique, biomasse totale des plantes, pollinisation…). Pour chaque étude, on a calculé la dynamique de l’écosystème et de quelle manière l’ampleur de la réponse était liée, ou pas, à la force de la pression environnementale exercée. »
NB : pour pouvoir parler de point de basculement, il faut qu’à un moment donné, une perturbation de petite intensité provoque une réponse très importante de l’écosystème. Pour donner une image, c'est un peu comme la tasse que l’on pousse du doigt sur la table, sans qu’il ne se passe rien… jusqu’à ce qu’on arrive au bord de la table et que la dernière poussée provoque la chute de la tasse sur le sol"
Un nouveau regard sur la conservation
Finalement, après calculs, le point de basculement n’a pu être observé que dans 5% seulement des études passées au crible. Dans les autres études, aucun seuil n’a pu être calculé à partir duquel l’écosystème changeait brutalement d’état.

Ainsi, dans la plupart des écosystèmes, ce qu’on observe est une détérioration progressive du milieu, avec son lot de conséquences dès l’apparition des premières perturbations.
"On ne dit pas que les effets de seuil n’existent pas. On peut par exemple en retrouver dans les récifs coralliens, où à partir d’une certaine augmentation de température et d’une disparition des poissons herbivores, le corail s’efface au profit des prairies d’algues, précise José Montoya. Mais dans la plupart des écosystèmes, ce qu’on observe, c’est une détérioration progressive du milieu, avec son lot de conséquences dès l’apparition des premières perturbations : disparition de certaines espèces, ou de certaines fonctionnalités de l’écosystème."
Pour ces scientifiques, il est important de prendre en compte ce changement graduel des écosystèmes pour mieux envisager leur conservation. Ne plus réfléchir en termes de basculement permettrait également de réintroduire l’idée de diversité des milieux : ainsi, par exemple, aucune rivière ne se ressemble, et ce qui n’a pas d’effet dans l’une sera potentiellement nocif dans l’autre.
Moralité (mais qui ne le sait pas déjà ?) : on a intérêt à faire très gaffe... Nous n'avons qu'une seule planète.