Bin quel enthousiasme...

! Au moins, ca fait plaisir que vous ayez la patience et le courage de lire des messages aussi longs. Je vais tâcher, quand même, de faire plus court.
La préparation pour les morceaux dans le but d'être présentés dans des concours et/ou auditions était un peu particulière. Je ne sais pas très bien par où commencer, car beaucoup de choses se travaillent en même temps, et là je vais tenter de vous expliquer les différents points séparément, ce qui n'a pas beaucoup de sens pratique.
Avant de commencer, je tiens quand même à préciser que ce travail s'appliquait sur des morceaux qu'on préparait deux ou trois mois avant l'échéance. Ca n'a rien à voir avec le travail qu'on doit faire pour une épreuve imposée dans un concours, dont on connaît le titre 15 jours avant (pour peu que par manque de chance, il ne fasse pas parti de votre répertoire, ou d'anciens morceaux que vous auriez pu travailler). De ça, je ne pourrai pas vous en parler, car je n'ai jamais été confronté à une telle situation.
1-Tout d'abord, elle me donnait la partition et me demandait de déchiffrer l'ensemble du morceau tout de suite mains ensemble avec elle. Cela me permettait de savoir assez vite quels seraient les problèmes à vaincre. Je détestais cette phase, car je ne me sens pas à l'aise en lecture à vue mains ensembles, sauf si c'est simple...

, mais ca ne l'était jamais évidemment. Si j'étais bloqué sur une mesure, elle me disait "la suite, la suite!!!"... Fallait que je saute ce passage, en pensant bien que ca serait probablement un futur problème...
Ensuite, elle me donnait 1 ou 2 semaines (cela dépendait des morceaux) pour tout mettre en place tout seul chez moi. Il fallait que je débroussaille au maximum pour qu'avec elle je ne règle que les vrais problèmes. Bien entendu, pendant les cours qui continuaient pendant cette période de mise en place, je lui demandais toujours des conseils de doigtés, de nuances ou autre. Elle m'indiquait les différentes façons de faire, mais c'était juste une mise au point rapide.
Cette façon de faire était très particulière : cela signifiait que je ne devais pas apprendre avec des fautes (rythmiques en particulier) car après, pour s'en défaire au bout de 2 semaines de travail, c'est plus difficile. Inutile de vous dire que je me procurais 4 ou 5 enregistrements du morceau...
A titre d'exemple, pour la Fantaisie-Impromptu, elle m'a donné 1 semaine, pour le 2ème scherzo de Chopin 1 semaine aussi, pour la 1ère ballade 2 semaines. Il ne fallait pas que cette période soit trop longue, pour que les défauts appris puissent être plus rapidement corrigés (il y en avait toujours).
Par ailleurs, c'est un travail personnel qui demande le plus gros investissement, et j'avoue que ça m'était difficile. Pendant ce travail, à chaque cours, elle m'encourageait. Les engueulades, ce serait pour plus tard...
2-Au bout de cette période, je devais lui jouer le morceau d'un bout à l'autre, et elle ne m'arrêtait jamais pendant cette première écoute. Bien évidemment, je ne le jouais jamais au bon tempo, j'avais des hésitations, les nuances n'étaient pas en place... bref, je l'avais dégrossi, mais tout le travail intéressant restait à faire. Souvent elle me disait que ce n'était pas trop mal (du moins au début!) et me faisait reprendre n'importe quel passage (je suppose ce qui lui déplaisait le plus).
3-Le travail de la technique pure (rapidité digitale entre autre) commencait par un travail très lent : je lui jouais avec le métronome jusqu'à ce que je maîtrise parfaitement le passage difficile : il ne fallait aucune hésitation dans les doigtés, aucun mouvement brusque des doigts, des bras ou des poignets. Il falllait aussi que j'exagère beaucoup les nuances, en particulier les crescendos ou dimuendos (ce qui dans la lenteur, sans la dynamique de vitesse n'est pas si évident). Parfois, elle me faisait reprendre mains séparées.
Dans le travail lent au métronome, je pouvais faire des ritenuto ou des accelerando, et si je ne les faisais pas, elle me disait : "c'est quoi, c'est musique ou c'est machine??"... Hum, avec le métronome, c'est machine je pensais....
Très souvent, je voulais jouer vite, au bon tempo, et là elle n'était pas contente : "pourquoi cherches-tu vitesse? cherche nouances et cherche ton jeu, pas vitesse... ce sera pour plus tard".
Dans de nombreux cas, elle me faisait travailler avec des rythmes, notamment pour les déplacements, de manière à ce que l'attaque de ce fameux déplacement soit concentrée.
Dans d'autres cas, elle me faisait jouer de très nombreuses fois une mesure, ou seulement quelques notes quand elle voyait que je n'étais pas totalement à l'aise.
Pendant cette phase du travail, on revoyait les doigtés et l'attaque des bras. Parfois, j'avais du mal avec l'attaque des bras, et elle me faisait reprendre en me disant de ne pas penser aux doigts : "trompe toi, mais fais quelque chose de différent avec les bras!"
Pour les traits difficiles, elle me les faisait jouer à l'envers, et ça j'avoue que c'est assez efficace notamment pour trouver un bon doigté (plus naturel).
On augmentait progressivement le tempo, et insistait pour que j'aille le plus vite possible une fois que beaucoup de choses s'étaient mise en place d'elles-mêmes; si bien que quand je devais l'éxecuter au tempo habituel, cela passait tout seul, et j'étais en quelque sortes libéré des contraintes techniques et je pouvais m'exprimer à loisir.
4-Les repères : il fallait que je puisse reprendre à certains endroits de manière presque automatique (en cas de plantage ou de trous de mémoire) : elle me mettait des croix encerclées à certains endroits du morceau (généralement en début de phrase) : il fallait que je puisse attaquer à ces endroits précis immédiatement, jusqu'à la croix suivante (parfois c'était des 1/2 mesures). Ca c'était affreux et très difficile : je jouais le morceau en entier mais complètement mélangé, en passant d'un endoit rapide, à un endroit plus calme sans m'interrompre : une chance que j'apprends par coeur assez vite, sinon je n'aurais jamais pu faire ça!
5-La sonorité se travaillait pendant toutes les exécutions (lentes, normales et très vite). C'était ce qu'il y a avait de plus difficile, car cela dépendait beaucoup du piano (chez moi, chez elle, ...). Là, elle s'énervait beaucoup, criait par dessus la musique, gesticulait dans tous les sens, chantait tout le temps avec moi, ce qui était assez cocasse je dois dire. Parfois, quand j'écoute un morceau, je l'entends presque. Curieusement, c'est très souvent pour la musicalité que j'en prenais plein la gu....!
Alors elle m'interrompait, se reprenait, et m'expliquait pourquoi on avait choisi ce doigté : ce choix n'était pas forcément pour un meilleur confort, mais je devais utiliser ce doigté pour en faire quelque chose de musical et de naturel à l'audition (pas facile d'expliquer ça...)
Au bout d'un mois de ce travail intensif, difficile et efficace, on reprenait encore dans le détail. Quand le morceau commencait à rentrer de manière correcte (selon mes possibiltés) on faisait des pauses, et elle m'expliquait le sens du morceau : "c'est mon vision, tu fais si tu veux comme ça... Tu peux faire autrement, mais il faut garder style". Je lui parlais des enregistrements que j'avais écouté, lui disant les différences d'un interprète à l'autre et me donnait son avis, mais sans l'imposer. Parfois, elle avait une autre vision des choses qui était la plupart du temps plus lyrique. Elle me disait aussi que quand je jouais, que j'essaye d'imaginer des dialogues, ou un paysage ou une situation. Elle me suggerait beaucoup de choses (surtout pour Debussy) et cela m'aidait beaucoup pour l'interprétation.
Par exemple, pour le 2ème impromptu de Schubert (op.90) elle imaginait un grand bavardage, et une dispute pour la partie centrale (et la fin).
Enfin, à l'approche du concours, on alternait le travail lent, modéré et rapide, même pour les passages lents. Elle me faisait revoir à fond le toucher, les attaques, la technique, la musicalité... et m'imposait de toujours terminer une session par du travail lent. Pour les passages rapides, je devais les jouer lentement et lourrés, avec les nuances.
Bref, c'était toujours le même travail qui recommencait, mais chaque fois, c'était différent car je progressais et pouvais améliorer d'autres détails, ou chercher une autre façon d'interpréter.
Parrallèlement à ça, elle me faisait faire beaucoup d'exercices de relaxation et de respiration.
Mais le jour du concours, j'étais toujours terrorisé par la prestation des autres candidats. Ce travail de relaxation m'a beaucoup aidé à vaincre ça, vaincre le trac, et tout le travail effectué en amont m'aidait aussi bien sûr. Lors de l'épreuve, je ne jouais jamais à 100%, mais ce qu'il en restait était quand même acceptable.
J'ai détesté passer ces concours, mais je dois avouer que sans ça, je n'aurais jamais eu d'objectif clair pour travailler ainsi avec autant d'acharnement. C'est pendant toutes ces années où elle me faisait passer des concours deux fois l'an que j'ai progressé le plus. Et je reconnais aussi que j'aimais travailler comme ça, malgré les phases de découragements.
Ce qu'il y avait de remarquable chez elle, c'est que lorsqu'elle sentait que j'étais devant une montagne insurmontable, elle trouvait les mots qu'il fallait pour me raisonner et me rassurer. Parfois, elle me disait de ne plus travailler tel ou tel passage qui bloquait, et que j'y reviendrais plus tard. C'est une méthode qui marche bien, ça.
Bon, j'ai été plus que bavard, j'ai sans doute oublié des tas de choses, mais si vous avez des questions, bien sûr que j'y répondrai avec plaisir.
NB : après relecture :
Je vais tâcher, quand même, de faire plus court.
Hum, tu parles....
