Oupsi a écrit : ↑lun. 14 mai, 2018 22:34
Je donne une opinion, je n'énonce pas des vérités, hein, soyons clairs.
L'émotion c'est en un moment T, bien évidemment, et je ne suis plus celle qui a cru mourir d'émotion en écoutant telle oeuvre il y a trois ans à un concert, cette oupsi là n'existe plus, pas plus que l'interprétation en question, qui est née du silence et s'est évanouie dans le silence. Ce sont des choses qui adviennent dans un présent et qui disparaissent avec lui.
Je suis devenue totalement sceptique concernant la nécessité d'un effort pour comprendre l’œuvre d'art, cette notion de s'éduquer, parce que c'est comme si on devait aimer quelque chose coûte que coûte, comme si on pouvait programmer son goût, s'édifier par étapes d'un plan esthétique. J'y ai ai longtemps cru et j'ai longtemps fait cet effort, j'ai longtemps eu cette relation aux œuvres, comme s'il fallait que je me transforme avant de pouvoir accéder au contact avec l’œuvre et je considère aujourd'hui sincèrement que ce fut en pure perte. Cette sorte de prudence modeste s'est volatilisée grâce à la musique, ça a même explosé en me laissant un peu à terre, et là j'ai retrouvé l'enfance. L'enfant dont je parle, il n'a pas de bagage, il n'est pas déterminé par un "avant", même prénatal; il est dans la fulgurance du présent, il est seul, il n'est soutenu par rien. Ça n'empêche pas la culture, les acquis, les transmissions, bien au contraire, tout cela n'en devient que plus signifiant; mais la dimension essentielle, celle qui est véritablement vivante, celle qui fait qu'il y a rencontre avec une oeuvre comme si celle-ci te murmurait quelque chose à toi seule au milieu des décombres de choses muettes et futiles, cette dimension là est sauvage et libre et ne passe pas par la volonté.
C'est mon expérience, pas du tout une vérité universelle
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Merci de ta réponse Oupsi. Oui, je me doutais bien que malgré le ton apparent à l'écrit, tu n'énonçais pas une vérité universelle
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C'est très beau ce que tu écris Oupsi. Tu as une vision poétique de l'expérience de la découverte et c'est très bien et très beau comme ça. (Moi je ne suis pas poète, je suis chercheuse dans l'âme, c'est plus fort que moi, je questionne tout). Je continue d'être convaincue qu'on peut apprendre à aimer une oeuvre (attention, je n'écris pas 'n'inporte quelle oeuvre'), mais je n'ai jamais fait d'autre effort en ce sens que celui de simplement réécouter, ou revoir. Jamais de cours, jamais d'effort planifié, jamais de coûte que coûte ni d'intention de me transformer, juste de l'intérêt. Juste une l'ouverture au possible, le plus souvent lorsque j'avais une raison de garder cette ouverture. Par exemple j'ai eu la volonté de mieux connaître la sonate en si mineur de Liszt parce que j'étais frustrée de ne pouvoir apprécier cette oeuvre sur le cd de mon pianiste favori de l'époque, Zimerman. Alors j'ai écouté d'autres versions, à l'occasion, mais pas de façon systématique. Et un jour j'ai cliqué. De même, Picasso ne m'intéressait pas, puis un jour j'ai eu un amoureux passionné de Picasso, qui m'a montré tout un livre de ses peintures, m'en parlant avec enthousiasme et ferveur. Alors je me suis prise à mieux le regarder et plus tard, je suis allée à une expo Picasso avec lui et j'ai été saisie, emportée par l'incroyable puissance de ces peintures quand on les voit en vrai. Depuis, j'en ai vu bien d'autres et j'ai un rêve: aller voir en vrai celle qui me fascine le plus, Guernica.
En fait, ce que j'appelle faire un effort est plus un refus de classer une oeuvre dans un dossier 'je n'aime pas' qu'une détermination à l'aimer - et ça n'est jamais douloureux. Une fois seulement j'ai eu la volonté ferme d'essayer de comprendre une oeuvre qui me rebutait: la sonate de Szymanowski jouée par Lucas, parce que je lui en avais parlé quand je l'ai vu en France l'été dernier et qu'il m'a redemandé cet automne si je l'avais comprise et que ça semblait lui tenir à coeur. Et dans ce dernier cas, oui, il m'a fallu un effort - mais rien d'autre que des réécoutes régulières. Et ça a basculé à cause de son interprétation exceptionnelle à la Philharmonie diffusée sur FranceMu. Je ne suis pas du tout certaine que ça aurait pu basculer ainsi sur la seule base de réécoutes de son cd
mais je pense que les réécoutes m'ont rendue plus disponible à être emportée par son interprétation à la Philharmonie. J'espère un jour avoir l'occasion de le lui dire.
Des coups de foudre, j'en ai eu aussi, pour Bach par exemple, et je ne me demandais pas pourquoi j'avais ces coups de coeur, en tout cas pas sur le coup. Plus tard oui, genre 'pourquoi suis-je si sensible à la musique slave, d'où ça vient ?' Mais seulement après avoir eu ces coups de coeur répétés, pour les ballets russes, pour Prokofiev, pour Shostakovich, pour Stravinsky, pour Janacek etc. Et je n'ai pas de réponse à ça, tu vois, juste des hypothèses, qui valent ce qu'elles valent... Tu vas être contente: on dirait que c'est venu de nulle part. Et honnêtement, je me pose cette question comme je m'en pose toujours sur tout, mais je ne tiens pas à tout prix à l'expliquer, j'accepte aussi, tout simplement. Ce sont des rencontres, voilà, je les accepte, et parfois j'aime les provoquer
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