Okay a écrit : mar. 05 déc., 2017 10:47
leLama a écrit : lun. 04 déc., 2017 18:41
Ca me semble deux problemes tres different. L'oeil ne reconnait que 3 couleurs (RGB) correspondant a trois sortes de batonnnets inclus dans l'oeil. La couleur qu'on percoit est une compostition de ces 3 couleurs primaires. L'oreille n'est pas limitee a 3 frequences, elle peut tout percevoir ( entre 50Hz et 20KHz).
[...]
Pas simple quand même d’affirmer que la physiologie de l’œil permettrait une reconnaissance absolue des fréquences des couleurs, tandis que celle de l’oreille capterait celle des sons sans aucun référentiel interne. Pour clarifier, intuitivement j’imagine bien cette absence de référentiel absolu pour l’ouïe (l’oreille absolue existerait donc grâce à la capacité de conduire et de maintenir un tel référentiel dans le cerveau), tandis que j’imagine plus difficilement qu’un référentiel absolu des fréquences colorées existe dans l’œil avant que l’information arrive au cerveau. C’est peut-être pourtant la réalité ...
J’ai lu en grande partie ce très long fil (le sujet m’intéresse depuis très longtemps) et j’ai eu envie d’offrir quelques pistes de lecture. J’ai relu en bonne partie ce que Daniel J. Levitin a écrit sur le sujet, y compris dans son excellent livre de vulgarisation
This is your Brain on Music, d’où j’ai tiré les citations ci-dessous. Et d'abord, concernant la psycho-physiologie de l’audition, je vous renvoie à la page 27 du livre en question (dans sa version anglaise mais il existe aussi en français):
- «The basilar membrane of the human inner ear contains hair cells that are frequency selective, firing only in response to a certain band of frequencies. […] We can think of the membrane as containing a map of different pitches very much like a piano keyboard superimposed on it. […] After sounds enter the ear, they pass by the basilar membrane, where certain hair cells fire, depending on the frequency of the sounds. […] [T]he brain contains a “map” of different pitches, and different areas of the brain respond to different pitches. Pitch is so important that the brain represents it directly; unlike almost any other musical attribute, we could place electrodes in the brain and be able to determine what pitches were being played to a person just by looking at the brain activity. And although music is based on pitch relations rather than absolute pitch values, it is, paradoxically, these absolute pitch values that the brain is paying attention to throughout its different stages of processing.»
En résumé, il y a dans l’oreille interne une membrane couverte de cils (ou cellules ciliées) dont la fonction est de convertir les vibrations sonores reçues en influx nerveux pour les acheminer au cortex auditif. Ces cellules ciliées sont chacune sensibles à des fréquences spécifiques. C’est pour cela d’ailleurs qu’on peut perdre l’audition de certaines fréquences très précises (suite à une exposition à un bruit fort à cette fréquence) tout en entendant bien par ailleurs: les bruits trop forts peuvent
casser les cils spécifiques à une fréquence donnée. De plus, non seulement les cellules ciliées sont spécialisées pour des fréquences spécifiques, mais
elles les reconnaissent dans leur valeur absolue - et ces valeurs absolues, converties en influx nerveux, sont ensuite analysées dans le cortex cérébral dans leurs valeurs absolues.
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En fait, dans sa discussion de ce qu’on appelle l’oreille absolue (
absolute pitch), Levitin écrit que la question qu’on doit se poser, ce n’est pas ‘Pourquoi certaines personnes ont-elles l’oreille absolue ?’ mais plutôt ‘Pourquoi n’avons-nous pas tous l’oreille absolue ?’ car en effet le système auditif humain perçoit, analyse dans le cortex auditif et éventuellement mémorise la valeur absolue des fréquences entendues.
Donc tous, à la naissance, avons tout ce qu’il faut entre les deux oreilles pour apprendre à reconnaître les notes dans leur valeur absolue, donc pour développer l’oreille absolue. Il n’y a pas de gène ‘magique’ de l’oreille absolue - physiologiquement, nous l’avons tous à la naissance !
Pour Levitin, qui a étudié la question et mené des expériences très fines, ce qu’on appelle ‘avoir l’oreille absolue’ résulte de deux choses: la mémorisation de la hauteur des notes et l’entraînement à associer et mémoriser un nom donné à chaque hauteur (l'étiquetage linguistique). (voir l'article de 2008 cité en bas de ce message)
Si on peut tous reconnaître la hauteur absolue des notes, si ‘l’oreille absolue’ résulte d’un entraînement, on peut en théorie l’acquérir à tout âge. En pratique, il en va de cet apprentissage comme il en va de tous les autres: plus on vieillit, plus il est difficile d’apprendre (une nouvelle langue, par exemple). Mais on peut quand même s’entraîner à mémoriser et à chanter dans sa tête une note donnée (le la 440, ou le do central du piano par exemple). Levitin décrit dans son livre une expérience très amusante, où il montre que des étudiants universitaires sans formation musicale ont été capables, dans des conditions contrôlées de laboratoire, de chanter de mémoire leur chanson préférée
à la même hauteur que l’original. Ils avaient intégré sa hauteur absolue dans leur mémoire de cette chanson sans même avoir cherché spécifiquement à le faire et sans le savoir…
- «[P]eople were storing absolute pitch information in memory; [...] their memory representation did not just contain an abstract generalization of the song, but details of a particular performance. In addition to singing with the correct pitches, other performance nuances crept in; subjects’ reproductions were rich with the vocal affectations of the original singers [...]
I created a tape that had the subjects’ productions on one channel of a stereo signal and the original recording on the other; it sounded as though the subjects were singing along with the record—but we hadn’t played the record to them, they were singing along with the memory representation in their head, and that memory representation was astonishingly accurate. » p.149
Il reste quand même un point à éclaircir. À la naissance, l’humain a entre les deux oreilles tout ce qu’il faut pour apprendre à parler - tout sauf le langage lui-même. Nous devons apprendre la langue, nous avons une irrésistible envie d’apprendre à parler, au point qu’on n’a pas à enseigner à l’enfant à parler, il suffit qu’il entende parler autour de lui et il apprendra (moins vite et moins bien mais il apprendra) - mais on doit obligatoirement apprendre à parler par imitation d’une langue entendue. L’apprentissage du langage a donc une solide base génétique, mais ce n’est pas du tout comme apprendre à marcher par exemple, ce qui peut se faire tout seul même sans aucun exemple. Si un enfant vit isolé (par exemple avec des parents sourds-muets, ou avec des animaux comme Mowgli

) et n’entend jamais parler jusqu’à l’âge de 7-8 ans environ, il ne pourra pas apprendre à parler ensuite. Il y a une fenêtre ouverte dans le cerveau pour apprendre à parler et ça doit se faire et s'inscrire dans nos cellules, sinon après un certain âge cette fenêtre se referme.
Il est possible que comme pour le langage, le développement de l’oreille absolue doive se faire pendant une période de sensibilité dans l’enfance et que ça devienne très difficile par la suite. Mais ça reste à démontrer et les expériences de Levitin avec de jeunes adultes montrent qu'il reste toujours certaines possibilités à cet âge.
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Levitin donne accès sur son site web (
http://daniellevitin.com/publicpage/art ... lications/) à un grand nombre d'articles qu'il a publiés, sur ce sujet et bien d'autres, il faut donc fouiller et être patient. Certains sont très savants, d'autres très accessibles.
Quelques suggestions:
Absolute Pitch: Both a curse and a blessing (2008)
http://daniellevitin.com/levitinlab/art ... in-MMM.pdf
Absolute Pitch: perception, coding, and controversies (2005)
http://daniellevitin.com/levitinlab/art ... in-TCS.pdf
L'oreille absolue: autoréférencement et mémoire (2004)
http://daniellevitin.com/levitinlab/art ... ogique.pdf
Précis to an Integrated Absolute Pitch, A Review (2003)
http://daniellevitin.com/levitinlab/art ... in-BPA.pdf