Vous avez "terminé"* quand...

[Lee]

Bonjour,

Plusieurs entre vous gardez toujours des oeuvres à l'infini (par des stages de macération sans fin, comme un rhum arrangé, désolée, mais le congélateur n'est pas illimité de même façon. )

Alors que d'autres entre vous ne gardez pas vos oeuvres, pas forcement par désamour, mais vous arrivez à un moment, et vous continuez sur des autres, vous préférez consacrer votre temps pour apprendre d'autres morceaux ou autre raison...et finalement vous ne revenez pas.

Alors pour la deuxième catégorie des personnes, qui ont réussi à passer à autre chose, comment savez-vous ou comment arrivez-vous à cette fin ? Une prestation devant des autres, un enregistrement, un moment que tu dis, ça y est, c'est tous que j'ai à dire, le lassement...ou autre ?

Merci de la part des curieuses (qui n'arrivent pas).

* Je permets l'edit avec ce mot très français délicieux...j'étais choquée dans l'avion d'Air France la toute première fois qu'un monsieur m'avait lancé "Avez-vous terminé ?" Pour moi, terminer était vraiment la fin : de la vie, d'un travail, de mega grave quoi ! Terminateur en gros ou la termination d'un travail. Voilà, quand avez-vous terminé ?

[arg]

C'est difficile comme question ! je n'ai évidemment jamais fini de travailler une oeuvre et c'est toute la richesse musicale, quelle chance !
Mais je passe à autre chose:
- lorsque je ne progresse plus, provisoirement...
- lorsque j'ai envie d'un nouvel univers sonore.. et donc selon le temps que je peux consacrer
- souvent oui après une prestation publique, parce qu'un palier a été atteint, et que le suivant va devoir attendre
-lorsque la pièce ne me plait finalement pas après un essai sincère !
-lorsque je sais qu'il va y avoir une objectif,en pratique une date butoir.... comme beuvray tiens par exemple

[Line-Marie]

je en pourrais pas travailler indéfiniment une oeuvre, je le viderais entièrement de sa sève.
J'aime bien découvrir des univers sonores différents, et revenir aussi dans des paysages très connus... mais finalement , je crois que je suis plutôt nomade que sédentaire....l'aventure m’intéresse davantage .
c'est génial d'être assise au piano et de découvrir des paysages sonores si différents que ceux de Grieg, Sibélius, Ravel ou Cras, Smétana, Schulhof, Villa Lobos.... à chaque fois un voyage intense, accompagné de lectures, d'écoute d’émissions, de visites de musées , de lieux...
je ne papillonne pas, je travaille tout intensément, et je réfléchis longtemps avant de me décider à travailler une oeuvre, parce qu'une fois choisie , elle va me remplir littéralement le corps et l'esprit. bien sûr j'en travaille plusieurs, j'en ai au moins 3 sur mon pupitre en cours de travail.
Je me choisis des buts qui sont de jouer devant un petit public. Je provoque certaines de ses petites auditions et je participe à celle auxquelles je suis invitée, dans la mesure du possible.
je sais que je mets du temps à déchiffrer et mémoriser et travailler l'interprétation d'une oeuvre, donc j'anticipe beaucoup... j'aime bien avoir du temps pour laisser reposer l'oeuvre quelques semaines ou mois avant de la reprendre et la porter jusqu'à la rencontre entre pianistes. Puis je passe à autre chose.

[Lee]

Merci pour vos réponses intéressantes. Je me posais la question car je me rends compte ne pas suffisamment "passer à autre chose !" Et bien, ça serait mieux !

[Line-Marie]

chère Lee, il n'y a pas de règles !
On peut parfaitement aimer jouer un répertoire composé d’œuvre qui nous habitent en permanence .
ce n'est pas mon cas c'est tout.
Bien sûr je suis souvent tentée de reprendre une œuvre que j'ai déjà beaucoup travailler. en ce moment j'ai très envie de retourner dans l'univers de la Ballade de Grieg, mais sur le pupitre de mon piano , j'ai plusieurs œuvres que j'aime travailler en ce moment aussi....
Et puis je me demande si je ne vais pas abandonner définitivement la 3ème Polka de Smétana, j'ai l'impression de ne pas arriver à lui donner vie correctement, et je me dis que c'est sans doute trop difficile pour moi....peut-être que je pourrais reprendre les deux première pièces de la suite op14 de Bartok?..

[huizinga]

Le plus souvent, j'arrête de travailler un morceau quand je lui ai donné un sort, c'est-à-dire à la fois une fin et un destin. Ce peut être un enregistrement, ou bien une prestation, par lesquels je me "sépare" du morceau car il appartient alors un peu à autrui, dans son esprit... Après, il y a des morceaux que je travaille pour progresser et quand je n'arrive plus à dépasser un certain palier, j'arrête. Car si je continue trop longtemps, je m'énerve ou ne prends plus de plaisir; dans ce cas là, je préfère ne pas m'acharner.

De toute façon, il y aussi des morceaux qu'on fait revivre régulièrement en les reprenant après plusieurs années d'abandon (dans ce cas-là, d'ailleurs, c'est très plaisant car on redébrouille très vite le morceau et on peut peaufiner certains points durs). Tout peut donc être perfectionné et les arrêts peuvent n'être que provisoires.

[Lee]

en ce moment j'ai très envie de retourner dans l'univers de la Ballade de Grieg, mais sur le pupitre de mon piano , j'ai plusieurs œuvres que j'aime travailler en ce moment aussi....
Et puis je me demande si je ne vais pas abandonner définitivement la 3ème Polka de Smétana, j'ai l'impression de ne pas arriver à lui donner vie correctement, et je me dis que c'est sans doute trop difficile pour moi....peut-être que je pourrais reprendre les deux première pièces de la suite op14 de Bartok?..

Ah, non, je t'en prie, j'adore cette Polka de Smétana grâce à avoir entendu par toi, j'ai vraiment hâte de l'entendre encore mais autrement à Beuvray...je peux comprendre que tu le mets à coté un moment, mais vraiment, déjà quand je l'ai entendu en travail, c'était un vrai plaisir, je souhaite que tu continues...s'il te plaît !!!

[Athos]

Je suppose qu'il m'arrive de croire que j'ai terminé et que ce n'est pas le cas...

Je viens de passer 1h30 à tenter d'enregistrer un morceau que je pensais connaitre.
J'ai réussi à aller au bout une seule fois !
(et avec des erreurs).
Le souci c'est que tous les passages délicats, je les ai maitrisés à un moment, mais ça ne m'empêche pas d'accrocher, à ces endroits là ou ailleurs, au moment d'enregistrer.

Ca veut sûrement dire que je dois encore le travailler...mais comment ?
Et là j'en ai un peu ras le bol !

(C'est le nocture n°1 de Chopin).

Ca peut vouloir dire que c'est trop dur pour moi aussi...
Je vais peut-être le mettre en ligne.

[Line-Marie]

et bien si tu en as ras le bol, il faut t'éloigner de cette œuvre pendant quelques jours, et travailler d'autres morceaux, dans d'autres univers.
Peut-être peux tu revoir à la baisse ton exigence ?

[Athos]

C'est pas faux...
D'ailleurs tout à l'heure, je me disais qu'il faudrait que j'arrête pour y revenir plus tard.

Après, on peut avoir des morceaux "presque" acquis, cad dire qu'on est en limite de ses propres capacités.
A juste jouer pour soi en sachant qu'il y aura des trébuchements, mais que ce n'est pas grave.

[Line-Marie]

A juste jouer pour soi en sachant qu'il y aura des trébuchements, mais que ce n'est pas grave.

Je ne suis pas tout à fait d'accord.... La Musique n’existe que si trois éléments sont réunis : le compositeur, l’interprète et l'auditeur .
Bien sûr on peut jouer pour soi et en tant que pianiste amateur, c'est ce qu'on fait 99% de notre temps passé au piano, mais la dimension de l'auditeur est très importante car , pour moi , la musique est un langage que je partage avec autrui et l’œuvre vraiment ne s'incarne que dans cette relation triangulaire.
En France , nous souffrons d'une exigence démesurée sur quelques sujets que ce soit, nous ne pouvons vivre sans experts....
Mais la musique peut être jouée avec cœur , imparfaitement, et pourtant créer une émotion vive....
Hier soir j'écoutais un concert de prof de conservatoire et le concert se terminait par la sonate Arpéggione de Schubert et j'étais complétement émue par le violoncelliste, tant il habitait l’œuvre et le son était si beau ...le pianiste aussi était convainquant , pourtant à plusieurs reprises , l'un et l'autre se sont plantés, le violoncelleiste en zappant plusieurs mesures et le pianiste aussi mais à un autre endroit... mais la beauté de l'ensemble m'a transporté.