L'idée du morceau

[Presto]

Ne vous est-il pas arrivé de commencer un morceau en en ayant une certaine idée et, passé sous vos doigts/capacités, d'en sortir avec une idée diamétralement opposée ?

[Okay]

Changer diamétralement de conception, ça me parait extrême, mais pourquoi pas. Ce qui est intéressant dans la formulation de ta question, c'est que ce changement de perspective esthétique serait dû au fait de travailler concrètement l'oeuvre.
C'est un peu en train de m'arriver en ce moment, certes pas diamétralement. Je reprends un peu le 3e impromptu de Chopin, et je suis en train de le ralentir assez significativement et de me tirer d'une certaine contradiction impliquée par l'idée d'une pièce à la fois poétique et "motrice" que je m'en faisais. Et le point de départ de cette reconsidération, c'est quelques enchaînements d'accords qui restaient malaisés à mon tempo soutenu, et en m'obligeant à ralentir pour bosser ça, j'ai découvert qu'il fallait bien davantage assumer le côté "promenade onirique improvisée". Je reconnais avoir été doublement leurré : par l'indication Vivace de Chopin qui en vérité n'est sans doute pas une indication de tempo mais juste une incitation à ne pas traîner, et par la 1ère ligne qui cite le 1er impromptu (pièce indéniablement rapide) et l'écriture du 1er thème qui en est proche.

[Presto]

En fait j'avais en tête le répertoire baroque, moins balisé tant par les indications écrites que par les enregistrements, ton expérience de l'impromptu ne m'étonne pas vraiment non plus, je l'ai toujours trouvé très difficile et énigmatique cet impromptu.
Mais diamétralement en ce qui me concerne, oui, en tout cas c'est ce qui s'est passé dans 3 sonates de Scarlatti une fois passée l'épreuve des doigts : les K.2, K.19 et 239. D'une manière générale, je me retrouve plus proche d'interprètes qu'en tant qu'auditeur j'aimais moins, les tempi sont plus rapides, les nuances plus marquées, elles sont moins aimables (et ça m'ennuie), plus "dramatiques", baroques quoi, mais peut-être pas dans le bon sens du terme

[Okay]

J'étais quasi sûr que c'était à propos du répertoire baroque. J'ai failli parler de Bach, puis je me suis sagement ravisé, préférant de loin évoquer mon exemple actuel. Ce n'est pas non plus un changement total, mais j'ai réécouté ma Barcarolle d'il y a 1 an et demi, que je reprends également en ce moment, et bien que j'en étais relativement content à l'époque je ne m'y suis simplement pas reconnu.
Pour les Scarlatti, désolé je me rends difficilement compte, faudra un jour que je me procure ces sonates car il y a plein de choses étonnantes dedans.

[sergueiSLES]

Ce qui m'est arrivé souvent , c'est de commencer à travailler une œuvre avec une vision très influencée par l'interprétation d'un " maitre" et puis, au fur et à mesure de mon travail, d'arriver à " ma version" sans doute encore imprégnée de mon modèle idėal, mais qui est en résonance sincère et spécifique avec les émotions que suscite en moi le texte.
Cette appropriation se révèle progressivement " sous les doigts".
Le résultat est il diamétralement différent ? D'accord avec Okay pour penser que c'est peu probable, en raison du choix du modèle, qui est tout de même implicitement tres lié à nos nos goûts. Mais notre transmutation de ce modèle va dépendre de notre état affectif du moment et de nos experiences de vie, qui vont faire que ce sera " notre" interprétation. Et ceci explique l'expérience citée par Okay d 'une évolution de nos interprétations d'une même œuvre avec le temps ...
Et c'est plutôt heureux, non?

[Presto]

oui, rien n'est fini
Et le problème me semble effectivement l'enregistrement de référence, ensuite, j'aime bien la distance que le travail met entre moi et les grands interprètes, plus je travaille et plus elle s'étend quitte à ce que je leur tourne le dos, mais ça me va parce que je les entends mieux, eux et les autres

@ Okay, Bach l'a bien cherché , il y a un prélude que je place au-dessus de tout, qui m'a toujours semblé être comme une équation à résoudre (je ne suis pas matheux ) tellement les choix doivent être faits entre les dimensions verticales et horizontales tant c'est beau et qu'on ne pourra jamais tout dire, c'est juste le premier en ut du ... second livre.

Mais tout cela est très relatif, je m'essaye en ce moment à l'op.67-4 de Chopin (une première pour moi dans ce livre), je suis incapable de dire si "préfère" Michelangeli ou Rubinstein pour ne citer qu'eux, ... verrai bien où me conduisent mes doigts ...