Et bien le moins qu’on puisse dire c’est que je suis content d’avoir tapé juste: le nombre de réponses et surtout leur pertinences prouvent qu’il y a là un « sujet » pour nous pianistes-addicts. Je me suis retrouvé dans beaucoup de vos réponses.
Mettons de côté les histoires de TOC et autres critères de personnalités. C’est marrant 5mn, mais ça masque une volonté de classement voire de définir ce qu’est un rapport pathologique au piano.
Or ce qui ressort de tous vos messages, c’est que faire du piano tous les jours, répéter les mêmes morceaux, refuser de sortir ou d’aller voir un film pour travailler (combien de fois l’ai-je fait) et bien ce n’est PAS pathologique, au sens ou ça ne nous fait pas souffrir (ne nous forçons pas du tout à nous mettre au piano) et ça ne nous empêche pas d’avoir une vie normale (si tant est qu’on puisse définir ce que ça veut dire) et ça ne nous nuit pas au quotidien. Précisément, les TOC existent chez tous le monde (je vérifie 10 fois que j’ai mes clefs quand je sors, j’ai un rituel de dodo, etc… ) mais c’est quand ces troubles empêchent vraiment de faire quelque chose que ça devient pathologique (ne pas arriver à sortir de chez soi car on vérifie sans arrêt que la porte et fermée, et physiquement, on n’arrive pas à partir ce qui entraîne une souffrance et une forte nuisance sociale). Pour le piano c’est différent: on choisit d’y rester, et je crois qu’on ne subit pas, on bosse.
C’est aussi pour moi la grande spécificité de la pratique instrumentale comparée à une « passion ». Il y a malgré tout quelque chose qui oscille entre obsession, goût de l’effort, méticulosité, précision, concentration (la musique est un yoga!), mais qui à chaque fois implique un rôle très actif. Si j’ai la « passion » du football par exemple, 90% de mon activité se passera sur un canapé devant ma télé (le reste se partageant entre lecture de journaux spécialisés et ouvertures de canettes

). Pour un musicien, l’implication est toute autre. Discipline de vie, effort intellectuel et physique (que ceux qui n’ont jamais eu mal au dos lèvent la souris ou le trackpad), mise en danger en cas de pratique devant un public, etc…
De plus pour moi une passion implique une souffrance (en allemand ça se dit Leidenschaft, c’est à dire ce qui fait souffrir précisément) au sens où on perd pied. La passion emporte, fait « perdre la raison », abolit la personnalité même (comme dit Brel: « je serais l’ombre de ton chien »…). Pour le piano je pense que c’est tout autre, car il y a cette domination de l’instrument qui a mon avis exclut l’idée de souffrance: qui se dirait ici victime du piano? (alors que qui n’a jamais dit avoir été victime d’une trop grande passion??).
Reste peut-êre comme le disent julien et sylvie la pratique même comme finalement plus grande source de joie: la magie sans cesse renouvelée de la mémoire des doigts, la vision palpable des progrès, le temps passé à jouer qu’on trouvera toujours mieux que plein d’autres choses (la télé par exemple

). C’est peut-être là que se trouve le côté le plus « obsessionnel » mais qui finalement est peut-être plus à chercher dans l’amour du travail bien fait, la recherche d’un certain esthétisme, d’une efficacité aussi. Quand j’ai fait pas mal de piano, je ressens un satisfaction vraiment très particulière: dans les doigts, et aussi mentalement. Un peu comme après du sport, mais en plus subtil je trouve…
Et il y a bien sûr l’ivresse du son, comme disait fort justement Presto. La musique emporte véritablement! C’est drôle, je pense pouvoir dire que j’ai une passion pour la musique, mais pas de passion véritable pour le piano. Disons que j’aurais très bien pu étudier un autre instrument je crois (impossible à dire en vérité), mais qu’il me fallait absolument un langage musical pour m’exprimer. Je ne pense pas être trop fétichiste du piano. J’aurais adoré être chanteur par exemple…
Pour moi, l’année dernière a été une très bonne période: j’ai enfin trouvé le bon équilibre entre mes différentes vies (famille, pro, piano) et le regards éberlués des autres (vraiment, 2h par jours???) ne me fait plus peur mais m’amuse. Envolée toute idée de pathologie, je peux enfin passer 4h voire plus le dimanche devant mon piano sans ressentir ni culpabilité, ni honte, ni doute. Juste le sentiment d'être bien là ou je suis. Il aura fallu plus de 30 ans pour en arriver à cette sérénité là…