Différence de qualité à la réécoute ?

[jeansebastien]

Bonjour à tous,
J'ai découvert aujourd'hui ce forum que je trouve passionnant !
J'en profite donc pour vous poser une première question :
J'ai toujours l'impression en m'écoutant juste après m'être enregistré au piano, que la qualité de mon interprétation est bien inférieure à ce que je croyais...
En bref et pour exagérer, j'ai l'impression d'être Vladimir Horowitz quand je suis en train de jouer, et un enfant de cinq ans quand je m'écoute juste après. Avez-vous la même sensation ? C'est extrêmement frustrant et cela ne rend pas facile le travail du piano... Qu'en pensez vous ?
Merci pour vos réponses !

[jean-séb]

Bonjour et bienvenue,
Oui, je connais cette sensation (enfin, surtout le côté enfant de 5 ans, moins exactement Horowitz), mais effectivement, nous mettons dans notre jeu beaucoup d’intentions très fines qui peut-être ne sont pas si audibles que ça d'une part, et qui sont peut-être aussi en partie gommées ou égalisées par les enregistrements.
Je ne sais pas si ça a un rapport, mais j'en fais un avec les photographies qu'on prend de moi. Maintenant, je m'efforce de faire un sourire à manger du melon, que je trouve très forcé et hypocrite quand je le fais, mais qui fait bizarrement assez naturel sur la photo ; si je me contente d'arborer un fin sourire, on a l'impression sur la photo que je fais la gueule ! Peut-être doit-on apprendre au piano à dire plus que ce qu'on ressent pour que cela s'entende ?

[pianojar]

J'en profite pour citer Léon Fleisher dans la masterclass que je viens de regarder
Il y a 3 personnes en nous
- celle qui a une idée précise de ce qu'elle veut faire entendre
- celle qui joue et qui projette le son
- celle qui entend ce qui a été joué et qui se sert de celà pour retravailler la matière sonore
Pour des amateurs il est sans doute assez difficile de se rendre compte sur l'instant (je ne parle pas des fausses notes) de la qualité ou de même tout simplement de l'impression qui se dégage et qui peut être totalement différente de ce que l'on aurait voulu ou même de ce que l'on a crû faire.
Je n'ai encore jamais eu l'occasion de me réécouter et j'appréhende assez ce moment car cela peut sans doute amener un élément de stress supplémentaire (?)

[sylvie piano]

Ce travail est essentiel. Il demande du temps et de l'humilité. L'écoute immédiate est redoutable.
Cependant, si on diffère une nouvelle écoute( quelques heures, une journée) , une meilleure objectivité pointe son nez...... Au delà des manques on perçoit les bonnes intentions. Enfin, c'est mon expérience. C'est certainement différent pour d'autres.
La qualité de l'enregistrement est aussi à prendre en compte. Mais il me semble que c'est le meilleur outil de progression possible si on possède de l'expérience et que la conception de l'oeuvre est déjà bien inscrite en nous.

[Okay]

Plus jeune ça me le faisait un peu aussi. Enfin pas autant, mais clairement l'impression live était toujours nettement meilleure, alors qu'aujourd'hui c'est parfois le contraire.
Il y a plusieurs effets qui expliquent ça. Déjà lorsqu'on joue on a déjà l'esprit occupé a beaucoup de choses, et ça limite la concentration disponible pour l'écoute active. Aussi, on a tendance à s'habituer à certains défauts. Beaucoup du travail est basé sur la répétition, et il y a beaucoup d'endroits où on n'a pas conscience que notre "travail" ne fait que "perfectionner un défaut", et ça nous rend complaisant sur le moment car le défaut fait de plus en plus partie du paysage. Sauf qu'à l'écoute à froid, le défaut en question n'est plus fondu dans notre décor, et peut nous faire hurler car il ne fait pas partie de notre projet.
La seule solution, c'est une écoute ultra active, qui interroge tout ce qu'on fait, se demande à chaque mesure ou même chaque note, si on joue bien ce que l'on souhaite faire entendre. Ca exige une grande minutie, et de prendre garde à retirer la complaisance dans son attitude, d'être humble face à ce qu'on fait, ne plus continuer parce que ça a l'air joli et ça passe.
Avec l'habitude, il y a certaines questions systématiques qu'on se pose en jouant/travaillant, et qui permettent de gommer beaucoup de défauts récurrents. Selon la nature du passage, on sait ce qui risque d'être mal rendu et on porte de plus en plus naturellement son écoute sur les points suspects. Si c'est difficile à diagnostiquer en direct, c'est sur que l'enregistrement est d'une aide précieuse. Il l'est aussi pour ce qui est de l'impression d'ensemble d'une interprétation, justement lorsqu'en jouant on tombe dans l'excès inverse d'être trop obnubilé par la succession de détails. Car en musique bizarrement, il semble que le tout ne soit pas égal à la somme des parties...

[leLama]

Chez moi, la réecoute amplifie les sentiments que j'ai à l'ecoute directe. Si ca commence à être raisonnable en live et que j'écoute l'enregistrement, je me dis, ah ouais, pas mal. Quand en revanche j'entends en live que ca reste perfectible, la réécoute me désespère. J'ai l'impression d'entendre mille défauts et une bouillie absolument inécoutable, je grimace à chaque défaut que je percois. Il me semble qu'une partie de mon energie est absorbée par la concentration quand je joue et que les émotions sont moins fortes quà la réecoute.

[flâneuse]

J'ai fait le même constat que vous avec en particulier l'impression que les petites hésitations sont plus perceptibles à la réécoute.
Vos explications sont intéressantes.

La qualité de l'enregistrement est aussi à prendre en compte..

Je le pense aussi
La veille d'une audition j'ai enregistré (zoom Q3..) une autre élève. A la réécoute (immédiate), tout comme elle j'ai eu l'impression qu'elle avait moins bien joué que ce que nous avions perçu pendant qu'elle jouait avec notamment la perception d'hésitations. Je pense qu'en direct il y a moins de discontinuité dans le son que lorsque celui-ci est enregistré et restitué par un (ou des) appareil(s) dont le seuil de déclenchement se situe à un niveau de puissance sonore supérieur à celui de la perception auditive d'où des blancs supplémentaires à la réécoute.

[pianojar]

Après la petite séance de Dimanche la chose qui me marque le plus dans la réécoute de ma piètre prestation c'est plus que les fausses notes / hésitations (car là on s'en rend compte en jouant et la réécoute n'apporte rien de plus) c'est l'impression d'ensemble et la cohérence (ou l'incohérence) du discours. Je me rend compte par exemple qu'à la réexposition cela me semble plus fluide et plus proche de ce que je voulais faire (même si c'en est encore très (trop) loin). Je rejoins en ce sens ce que disait Okay au-dessus pour l'impression d'ensemble.
Le second point est l'usage de la pédale (c'est la réflexion de Lee concernant Solace qui m'y a fait porter une attention accrue). Pour des pianistes professionnels sans doute que cet usage est millimétré au même titre que chaque note jouée, ce qui est loin d'être mon cas. Cette réécoute me permettra j'espère de préciser cet emploi de la pédale pour en faire autre chose qu'un "cache-misère".