Jouer le classique...comme une impro ?

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Lee
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Re: Jouer le classique...comme une impro ?

Message par Lee »

Bonjour et bienvenue Nick,
C'est fascinant car c'est exactement contre tous qu'on entend et on lit, et pourtant, avant de reprendre les leçons et lire le forum, je le faisais sans scrupules. Pas en concert, mais d'un jour à un autre ou par exemple, en apprenant par coeur les notes de quelque partie pour pouvoir reprendre si je me plantais, je me rendais compte qu'il me venait de jouer tout naturellement autres doigtés (avec ces notes en priorité dans ma tête) que les doigtés de l'habitude. Je savais que quelque chose n'était pas la même, mais je ne savais pas trop quoi, avant de regarder ma partition en détaille.
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Okay
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Re: Jouer le classique...comme une impro ?

Message par Okay »

Je regardais quelques fac-similés ce week-end, et j'en ai vu un qui m'a fait furieusement penser à ce fil, c'est le fameux dolce sfogato (1ère mesure du 3ème système) de la Barcarolle de Chopin. S'il est un passage de musique ayant l'air merveilleusement improvisé c'est bien celui-là, où l'interprète s'abandonne à égrener ces notes, et idéalement donne l'impression de les chercher au fur et à mesure, à découvrir avec nous les contours souples de cette ligne.

Mais il faut voir comment Chopin s'est repris à ciseler cette mesure avant de lui donner la forme que nous connaissons ! Il semble avoir été dans le sens de l'épure. Avant l'arpège reposé à la main gauche (noté finalement sur la portée inférieure), il semble qu'il y avait une gamme rapide, une sorte de glissando resté sous les ratures. La main droite quant à elle, présentait un trait avec plus de notes, qui était d'abord écrit en doubles croches plus nombreuses, quelque chose de très ornementé avec des appogiatures (à mon avis un peu dans l'esprit des ornementations écrites dans la 1ère page du nocturne opus 9 n°1, qui parait-il témoigne assez fidèlement la manière dont Chopin improvisait). Mais non, Chopin a supprimé des notes, les doubles croches sont devenues 10 croches. Toutes étaient là au départ (on voit que rien n'a été rajouté vu l'espace entre les notes) et seules celles qui sont vraiment utiles ont été conservées, sûrement jaugées une par une (il y a des ratures individuelles) avant de décider lesquelles feraient ou non partie de la figure finale. Drôle de genèse d'une des mesures qui sonne parmi les plus spontanées de tout Chopin.

Et ça fait aussi rebondir sur le sujet du respect de la partition, qui est très lié à celui-là. Quand on voit par exemple à la première mesure du 2ème système que Chopin a finalement avancé d'un temps les retour des octaves de mi à l'octave supérieure (ça semble un mini détail après tout), on se dit qu'il savait vraiment exactement le son qu'il voulait... même si ça ne serait pas étonnant qu'en jouant l'oeuvre il ait pu encore changer d'avis, sur ça, et plein d'autres choses...
leLama
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Re: Jouer le classique...comme une impro ?

Message par leLama »

Ca me semble difficilement faisable dans le repertoire classique, sauf chez soi a la maison. J'ai l'impression qu'une partie importante du public refuserait d'entendre de la musique "non finalisee", qui comporte des moments plus creatifs, mais aussi des fautes de gout et meme quelques couacs par ci par la.
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Okay
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Re: Jouer le classique...comme une impro ?

Message par Okay »

C'est tout là le défi de l'interprétation. Proposer une vision vivante d'une oeuvre avec en effet une certaine créativité, en atteignant le niveau de finition exigé par le texte, tout en respectant davantage l'esprit de celui-ci que la stricte notation. Je suis conscient que dit comme ça, on dirait la quadrature du cercle. Mais certains interprètes géniaux arrivent à la résoudre...

Je suis en train de monter l'opus 101 en ce moment, après m'être levé il y a deux semaines avec la furieuse envie de la jouer. Toute cette sonate est absolument merveilleuse, et j'ai seulement réalisé il y a deux semaines que c'était certainement celle des 32 que j'emporterais sur l'île déserte (tiens, faut lancer un fil là dessus) car elle ravit autant le coeur que l'esprit. Je l'adore de la première à la dernière mesure, mais le premier mouvement ("avec le sentiment le plus intime") en particulier est une véritable merveille. La Marche prophétise Schumann dans divers aspects. L'Adagio est métaphysique tandis que le finale est l'explosion de la pastorale, où s'invite la science de la fugue. J'ai lu que le premier mouvement était pour Wagner l'exemple parfait de son concept de "mélodie infinie".
Sauf que ça fait partie des oeuvres très peu pianistiques qui frustrent beaucoup tant qu'on les laisse au stade de déchiffrage. Vu qu'elle ne me quittait pas la tête pour de bon (obsession incompréhensible mais réelle), après avoir eu une idée assez claire de ce que je voulais en faire et enfin eu du temps pour une session marathon ce week-end (pour apprendre l'essentiel du texte), j'ai écouté quelques versions hier soir. J'y ai trouvé Gilels tout simplement prodigieux car il y donne un sentiment de liberté incroyable (c'est surtout frappant dans le premier mouvement), modèle la sonorité à la perfection, tout en respectant la partition avec une grande minutie.
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Juanito
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Re: Jouer le classique...comme une impro ?

Message par Juanito »

Okay a écrit : Je suis en train de monter l'opus 101 en ce moment, après m'être levé il y a deux semaines avec la furieuse envie de la jouer.
Moi aussi, mais la grande différence avec toi, c'est que je me rendors illico!

Bon tu m'as l'air dans les dispositions d'esprit idéales pour nous sortir une version merveilleuse dont tu as le secret... (et pas improvisée du tout, ou alors c'est de la triche, hihi... )

On attend. Tu as 24h (sans compter les 2 semaines, le jury a décidé d'être bienveillant).
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Okay
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Re: Jouer le classique...comme une impro ?

Message par Okay »

Je suis complètement habité par cette œuvre en ce moment, au point que crois que je la connais déjà quasi par coeur (il me manque des bouts de fugue et quelques détails à droite à gauche). Elle s'est invitée sans préavis alors que j'ai autre chose à bosser... mais c'est nécessaire et irrésistible. Donc je la monte furieusement et ça ira mieux après. Mais c'est vraiment très difficile car pas pianistique pour un sou, on sent vraiment que Beethoven n'en a plus rien à cirer d'écrire pour le piano et le pauvre pianiste se retrouve à résoudre une pile de casse-têtes qui doivent passer incognito. Au rythme où ça va, et si je peux m'organiser comme je veux, ton délai est sûrement jouable (modulo peut-être mon concert Mozart début décembre). Pas envie d'improviser l'enregistrement...
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