Elle a effarouché les contemporains de Chopin pour ses harmonies très osées pour l'époque. Elle ne rend pas justice au virtuose qui s'y attaque et qui le lui rend bien en évitant de la programmer "seule" dans son programme. Imaginons la réaction du public:" Quoi? J'ai entendu partout que les études de Chopin étaient toutes des Everest du piano et voila que je tombe sur "ça"? il y a de quoi se sentir lésé! Remboursé!"
Regardons-y plutôt de plus prêt

Placée en tant que numéro 6 dans un recueil de 12 études. Seule étude "véritablement lente" du corpus. J'exclue la 3ieme pour son fougueux épisode central, de même que la 11° (qui passerait aussi bien en la prenant lento mais pas de chance, elle est indiquée allegretto).
Cette sixième étude constitue ainsi une sorte de halte, où le temps semble se distendre au milieu de toute cette virtuosité. Ça tombe bien, il faudrait se reposer après toutes ces difficultés échevelées!
En parcourant la partition, on s'aperçoit qu'elle est truffée de bémols (mi bémol mineur), de notes liées, d'altérations accidentelles, de bécarres. On comprend que le talent de déchiffreur à vue de Liszt s'est trouvé désarmé devant cette nouveauté quand Chopin lui a posé la partition de ses études fraichement terminées sur le pupitre.
Polyphonie et notes tenues semblent être les difficultés proposées par cette étude. C'est ingrat, et tant pis pour le batteur d'estrade, le virtuose. Mais c'est tant mieux pour le musicien, celui qui parle au cœur, à l'âme.
Cette étude permet, en outre, de saisir une partie du potentiel offert par le jeu des pédales.
Observation basique: si on relâche la note, et qu'on change la pédale de droite, et bien plus de son alors que si on garde la note enfoncée, et qu'on relache la pédale, la note continue de raisonner, voila tout l'intérêt de bien lier les notes. Logique et pourtant combien de pianistes et pas des moindres se permettent de relâcher les notes pourtant indiquées scrupuleusement tenues (hérésie: Valentina Lisitsa si tu nous regardes! https://www.youtube.com/watch?v=0wzUsOJVkoc ). Ça devient tout de suite plus simple mais ce n'est pas ce qu'a voulu Chopin, n'oublions pas qu'on est dans une étude. Le public, quant à lui, n'en a cure, il ne fera pas la différence...
Pareil pour l'una corda qui une fois pressée, allège la mécanique, voile le son d'un doux ouate, seules 2 cordes sont "frappées", "étouffées". Quel beau passage lumineux d'ailleurs quand on passe en mi majeur, faites l'essai, ne chantez que les notes supérieures "si, la, sol#, sol#, fa#" puis sa réponse "la, sol #, fa#, fa#, sol#, sol#" puis l'enharmonique ut# mineur qui nous réveille de notre rêverie "tre corde"puis c'est parti pour une exploration osée de la tonalité de mi bémol mineur où Chopin va très loin pour l'époque. A 20/22ans, ça laisse songeur... Mention spéciale aussi à la conclusion nimbée de pédale où ce sol majeur qui éclaircit, un peu à la manière d'une tierce picarde, ce ciel très sombre et chargé. Un rayon de soleil salvateur transperçant ces nuages noirs menaçants. Mi bémol majeur consolateur

Je conseille à tous ceux qui n'ont jamais joué /survolé cette étude de lui donner sa chance mais en la travaillant comme elle est indiquée. Toujours respecter ces notes tenues, ne jamais s'écarter de cette règle... et laisser la douce mélodie qui en est contenue émerger de tout ce chromatisme en doubles croches serré.
Sa place d'étude n'est pas usurpée, mais elle est beaucoup plus discrète que ses sœurs, elle parle un langage plus secret
