Réhabilitons le 2e concerto de Tchaikowsky

[Okay]

C'est devenu un vrai coup de coeur.
Voilà une oeuvre qui m'obsède depuis la finale du concours Tchaikowsky. Je l'avais auparavant vaguement entendue, je l'avais trouvée sûrement un peu fade, et m'étais dit que je comprenais pourquoi seul le 1er concerto était si connu, et qu'il ne pouvait que faire une ombre considérable aux deux autres. Et puis j'ai entendu ce que Geniusas en a fait et je me suis simplement dit que je ne connaissais absolument pas ce concerto. La séduction n'a pas été immédiate, loin de là. Ce n'est pas le genre d'oeuvre qui présente d'emblée tous ses atours de manière ostentatoire pour séduire le plus grand nombre. Ca se produit beaucoup plus subtilement, car elle semble distiller ses beautés secrètes au compte-goutte, et en cela, l'attachement qu'elle suscite n'en est que plus profond et durable. Je me suis vite remis des étoiles du 1er concerto, et même si j'aime beaucoup cette oeuvre, je pense que lui je préfère désormais nettement le 2e. Le 1er me semble comme un coup de foudre passé qui n'a pas tenu ses promesses sur la durée (il ne m'émeut presque plus), tandis que le 2e me touche de plus en plus, sa sève me parait beaucoup plus précieuse et intime. Mais l'arbre est discret dans la forêt des grands concertos romantiques, il faut se pencher sur les feuilles.

Alors je pourrais fournir une analyse très détaillée de l'oeuvre, il y a énormément à dire. Ce post est déjà bien long. J'essaierai de revenir plus tard sur quelques moment rares du concerto, qui nous fait passer par des épisodes téméraires, de candide innocence, de recueillement, ou d'excitation crépitante. On a affaire à un "grand" concerto, près de 45 minutes de musique avec un 1er mouvement de 20 minutes à lui seul, qui a la bonne idée de surprendre en plaçant la monumentale cadence au milieu du mouvement, après un développement assez ramassé. L'émouvant mouvement lent est d'une grande originalité, puisqu'il reprend le moule du triple concerto (piano, violon et violoncelle solo). Le finale est sans surprise pour notre auteur le plus russe des trois, j'y retrouve quelque peu le ton de plusieurs tableaux de Casse-Noisette. Tchaikowsky tenait ce concerto en haute estime, et l'a dédié à nouveau à N. Rubinstein, qui avait rétracté ses dures critiques sur le 1er. La vie ne lui a cependant pas laissé le temps d'en assurer la création.


J'ai craqué la semaine dernière, je passais vers Saint-Lazare et me suis senti littéralement aimanté vers la rue de Rome. J'en repars impulsivement avec la partition, fonce chez moi et déchiffre frénétiquement le premier mouvement. Premier constat imprévu, je le trouve relativement moins difficile que le 1er concerto, même s'il en réutilise beaucoup de ses formules pianistiques (ou bien c'est parce que j'ai déjà "digéré" le pianisme du 1er concerto, mais je pense que le 2e est vraiment moins dur). Je n'en ai pas le temps en ce moment, mais je vais sûrement l'inscrire à mon répertoire dans un futur plus ou moins proche. Il veut irrésistiblement y entrer, inutile de résister.

Outre Geniusas, il y a une merveilleuse version du 1er mouvement par Berezowsky. Grande leçon de musique et de piano.
(Je n'aime pas déconseiller des versions, mais je vais le faire pour celle de Pletnev qu'on trouve facilement sur YouTube, et qui me semble bizarrement passer un peu à côté)

(J'ai hésité à faire un post sur le 3e concerto, encore plus méconnu, que je connais et adore depuis très longtemps. J'ai privilégié la fraîcheur de la redécouverte du 2e. Peut-être un autre jour pour le 3e)

[xavier91]

Pourquoi "réhabilitons"? A-t-il été méprisé ? On l'entend quand même régulièrement à la radio, il est joué en concerts, je n'ai pas trop de souci pour sa célébrité

Techniquement, de mémoire, les octaves du 1er mouvement sont gratinés. Bon courage ! C'est en effet une oeuvre magnifique.

[Okay]

Les octaves c'est "mon truc"

J'ai le sentiment qu'il est un peu méprisé, oui. Mais le terme est peut-être un peu fort, je pense que "très mésestimé" est plus approprié. Je suis sûr que très peu de mélomanes sauraient en identifier l'un des grands thèmes, tandis qu'en comparaison la popularité du 1er concerto dépasse presque le cadre de la musique classique...

[_Julien_]

C'est amusant, car très récemment, je me faisais la même réflexion que toi : le 1er concerto, avec ses qualités et ses défauts, est vraiment très souvent joué, et on l'a tous plus ou moins dans l'oreille. Alors que mes pérégrinations musicales allaient m'amener à écouter Martha l'interpréter (brillamment), je me suis dit que j'avais envie d'entendre autre chose, et pourquoi pas les autres concertos, et suis tombé sur ... la version de Berezovsky du second.

Comme toi, j'ai eu une impression favorable de ce concerto, particulièrement du 1er et du 2ème mouvement. Honnêtement, je ne l'ai encore que peu dans la tête (2 écoutes), mais c'est pour moi une œuvre qui mérite d'être (re)découverte.

A noter qu'il y a 2 versions de ce Concerto, l'une publiée par l'auteur, puis une version éditée par Siloti, après la mort de Tchaikovsky, et contenant des coupes auxquelles ce dernier n'adhérait apparemment pas. C'est la 2ème version qu'on entend généralement. Cependant la version choisie de Berezovsky est la version originale. Je n'ai pas encore écouté Geniusas donc je ne sais pas ce qu'il en est pour lui.

L'Andante non Troppo est pour moi extrêmement expressif, dans le pur romantisme tardif. Je trouve l'entrée du piano après l'introduction par le violon et le violoncelle très belle, et le souffle est porté durant l'ensemble du mouvement.

Un concerto intéressant, avec de très beaux passages lyriques, et une science de la construction. Je pense néanmoins qu'il manque d'un thème vraiment "mémorable / hors du commun" pour en faire une pièce majeure du répertoire. Mais en attendant, on peut passer de très beaux moments à l'écouter.

[Okay]

Je pense néanmoins qu'il manque d'un thème vraiment "mémorable / hors du commun" pour en faire une pièce majeure du répertoire. Mais en attendant, on peut passer de très beaux moments à l'écouter.

Même si ça me dérange un peu, je suis tout à fait d'accord avec ça. C'est ce qui fait la vraie popularité d'une oeuvre. Voilà pourquoi Medtner restera toujours très très loin dans l'ombre de Rachmaninov, et pourquoi ce concerto n'atteindra jamais une once de la popularité du 1er.
Mais ça mérite tout de même une certaine relativisation. Songeons aux concertos de Brahms. Je pense qu'on peut dire sans problème que le 1er regorge de thèmes puissants et mémorables, qui sont hors du commun. Mais je trouve que ce n'est pas le cas de son 2e, qui est pourtant un non moins grand chef d'oeuvre, et certainement un concerto encore plus riche et inventif...

[xavier91]

Oups ! je viens de confondre l'ordre 1er et 2nd concertos. Du coup, oui, Okay, ta remarque est assez à propos, surtout lorsque l'on compare les deux. Oui, ce n°2 n'est pas assez joué

[pianojar]

L'Andante non Troppo est pour moi extrêmement expressif, dans le pur romantisme tardif. Je trouve l'entrée du piano après l'introduction par le violon et le violoncelle très belle, et le souffle est porté durant l'ensemble du mouvement.

Lors du concours j'avais trouvé vraiement magnifique cette introduction en pensant qu'il était dommage que Tchaikowsky ne nous ai pas donné un vrai concerto pour violoncelle.

[Kreisler]

Je pense néanmoins qu'il manque d'un thème vraiment "mémorable / hors du commun" pour en faire une pièce majeure du répertoire. Mais en attendant, on peut passer de très beaux moments à l'écouter.

... C'est ce qui fait la vraie popularité d'une oeuvre. Voilà pourquoi Medtner restera toujours très très loin dans l'ombre de Rachmaninov

Même si l'histoire de la musique a l'air de donner raison à cette assertion, (qui connait le nom de Medtner infiniment moins populaire que Rachmaninoff?), je ne peux pas y souscrire.
Je trouve justement que les 3 concertos pour piano de Medtner regorgent de thèmes splendides qu'il m'arrive de fredonner, qui me reviennent parfois en mémoire. Thèmes simples, mémorables, clairs, limpides, et en même temps élaborés.
Et sans parler de ces fameux thèmes, j'ai toujours aimé la fougue juvénile du 1er concerto, cette splendide cadence du 2iem concerto, et cette sonorité vraiment féerique du 3iem. Rien que pour ces moments ... moments qui n'ont rien à envier à ceux similaires des 4 concertos de l'ami Sergueï. Non, Medtner n'est pas "très très loin dans l'ombre de Rachmaninoff", il est différent, il est autre, c'est tout et aussi simple que cela. Injustement moins médiatisé, c'est sûr même si on assiste depuis peu à une salvatrice redécouverte.

[pianojar]

Les octaves c'est "mon truc"
.

A la lueur des derniers événements , cette remarque prend tout son sens ...........

[Wladyslaw]

Les octaves c'est "mon truc"

Comme Martha Argerich :

https://books.google.fr/books?id=3qUKCw ... e&q&f=true

[Okay]

Je viens de tomber sur cette sublime version de Maria Grinberg, si profondément russe dans tous les sens du terme... et plutôt bien enregistrée pour 1946...