Je n'aime pas Debussy. C'est grave, Docteur ?

[davsad]

Arabesque où as-tu lu que Debussy n'appréciait pas Schumann ?

Lors d'un interview, il avait declaré : "Les sonates de Beethoven sont très mal écrites pour le piano; elles sont plus exactement, surtout les dernières, des transcriptions d'orchestre ; il manque souvent une troisième main que Beethoven entendait certainement, du moins je l'espère. Il valait mieux laisser Schumann et Chopin tranquilles : ceux-là écrivirent réellement pour le piano".

Ca permet aussi de te répondre Oupsi, ça te donne une idée de ce que Debussy n'appréciait pas chez Beethoven.
On pourrait aussi citer :
"Le génie peut évidemment se passer d'avoir du goût, exemple : Beethoven. Mais on peut lui opposer : Mozart, qui à autant de génie, ajoute le goût le plus délicat. Ou regarder l’œuvre de J.-S. Bach, Dieu bienveillant auquel les musiciens devraient adresser une prière avant de se mettre au travail, pour se préserver de la médiocrité".

Finalement, je pense que Debussy reconnaissait pleinement le talent de Beethoven, c'est plus un différent esthétique, il trouve que son jeu de piano manque de délicatesse voire d'élégance probablement.
Mais on peut aussi lire de sa plume, dans le compte rendu d'un Festival Beethoven (précédent l'interview cité ci-dessus) :

" A la sortie, on peut dire avec assurance : "Ce Beethoven ! quel génie !" ; rien n'est plus légitime, puis l'attitude contraire ne serait que du snobisme encore plus bête."

[Oupsi]

très intéressant! merci davsad.

Les sonates de Beethoven sont très mal écrites pour le piano; elles sont plus exactement, surtout les dernières, des transcriptions d'orchestre ; il manque souvent une troisième main que Beethoven entendait certainement, du moins je l'espère.

Je pense d'ailleurs que paradoxalement, Debussy ne trahit pas l'esprit, la quête, la bataille intérieure de Beethoven lorsqu'il dit cela.

[jean-séb]

Lors d'un interview, il avait declaré : "Les sonates de Beethoven sont très mal écrites pour le piano; elles sont plus exactement, surtout les dernières, des transcriptions d'orchestre

Sans faire injure à la mémoire et au génie de Beethoven, on peut d'ailleurs dire la même chose de ses œuvres chorales qui sont des casse-voix de premier ordre. Il fallait que l'instrument, piano ou voix, se plie à ses exigences musicales.

[Line-Marie]

merci Davsad et Jean-seb pour ses informations vraiment intéressantes

[JPS1827]

Il est sûr que les préoccupations de Debussy sont très loin de celles de Beethoven. Ca ne m'empêche pas de les considérer comme 2 des plus puissants génies de toute la musique. Debussy est le premier compositeur à avoir développé un langage profondément original en rupture avec toute tradition et en restant audible par le plus grand nombre. Le plus étonnant chez Debussy, c'est qu'il est incroyablement facile à caricaturer pauvrement (n'importe quel élève de classe d'écriture sait évoquer Debussy en enchaînant des quintes augmentées par tons entiers) mais particulièrement difficile à pasticher réellement.

[Arabesque44]

Arabesque où as-tu lu que Debussy n'appréciait pas Schumann ?

Du magistral pavé de Brigitte François-Sappé dont je reproduis quelques extraits ci-dessous ( du chapitre intitulé " Sur le haute dignité de la musique" où elle décrit les liens entre Schumann et les autres compositeurs ( contemporains et successeurs)
Elle oppose la passion des Français Fauré,Chausson, Reynaldo Hahn pour la musique de Schumann à la tiédeur relative de Debussy.

"Debussy lui s'emploie à brouiller les pistes de son admiration. Tout jeune il transcrit pour piano avec un infini talent les Esquisses op 58 de Schumann (....)
Mais il s'autorise par ailleurs des commentaires désinvoltes sur "les Amours du poète" et les "Scènes de Faust" et brocarde les symphonies.*
Pourtant , s'il s'est détourné du sentimentalisme schumannien au profit d'une nouvelle sensorialité sonore, tout n'est pas perdu de l'apport de l'aîné....Et s'ils ne disent pas la même chose, ne sont-ils pas tous deux convaincus que la musique parle? Les enfants du Children's Corner (...) les héroïnes diaphanes(...)ne nous semblent-ils pas si familiers parce que le symbolisme entretenait des liens étroites avec le premier romantisme germanique dont Schumann fut l'idéal porte-parole?

* mais je ne sais pas ce qu'il a dit au juste...
Pour ce qui est des symphonies, je crois avoir lu qu'elles n'avaient pas la cote à la fin du XIX eme pour des raisons de choix instrumentaux qui ne rendaient pas justice à ces œuvres, et aussi parce qu'on ne jurait alors que par l'école wagnérienne, alors qu'aujourd'hui on les joue d'une façon plus convaincante.

[vonwaldstein]

Pour ce qui est des symphonies, je crois avoir lu qu'elles n'avaient pas la cote à la fin du XIX eme pour des raisons de choix instrumentaux qui ne rendaient pas justice à ces œuvres, et aussi parce qu'on ne jurait alors que par l'école wagnérienne, alors qu'aujourd'hui on les joue d'une façon plus convaincante.

Les symphonies de Schumann ont toujours été l'objet de vives critiques. Je crois que cela tient au fait qu'elles posent de gros problèmes en terme de balance et que les chefs doivent leur consacrer énormément de temps pour obtenir quelque chose, ce qui n'est pas toujours possible. Il faut bien avouer qu'à côté de Mendelssohn, les orchestrations de Schumann laissent à désirer...
D'où la revisite de ces symphonies par Mahler, d'ailleurs.

[Presto]

Arabesque, tu parles de La musique au tournant des siècles ?
http://www.amazon.fr/musique-au-tournan ... ey+debussy

le titre est prometteur...

[Arabesque44]

Arabesque, tu parles de La musique au tournant des siècles ?
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le titre est prometteur...

Non, les citations que j'ai faites viennent bien du "Schumann"
Mais je lirais bien cet ouvrage du même auteur.( et il y en a pas mal d'autres...)
J'ai eu aussi le plaisir de la rencontrer lors d'une conférence aux "Folles Journées"

[davsad]

Mais il s'autorise par ailleurs des commentaires désinvoltes sur "les Amours du poète"

* mais je ne sais pas ce qu'il a dit au juste...

Voilà, j'ai retrouvé : (tous ces interviews se trouvent dans le bouquin "Claude Debussy, Monsieur Croche et autres écrits" par Gallimard)

"Et d"abord, la vérité, on ne peut pas la dire. Vous voulez la savoir ? Eh bien ! C'est qu'en effet les musiciens qui ne comprennent rien aux vers ne devraient pas en mettre en musique. Ils ne peuvent que les gâcher...
Schumann n'a jamais rien compris à Henri Heine. Du moins, c'est mon impression. On peut parler de son grand génie, mais il ne pouvait pas saisir tout ce qu'il y avait de fine ironie dans Heine. Voyez par exemple comme, dans Les Amours du poète, il est bien passé à côté...
Les vrais beaux vers, il ne faut pas exagérer, il n'y en a pas tant que ça. Qui en fait aujourd'hui ? Mais quand il s'en trouve, il vaut mieux ne pas y toucher."

[Arabesque44]

Schumann n'a jamais rien compris à Henri Heine. Du moins, c'est mon impression. On peut parler de son grand génie, mais il ne pouvait pas saisir tout ce qu'il y avait de fine ironie dans Heine. Voyez par exemple comme, dans Les Amours du poète, il est bien passé à côté...

Là, je crains que ce ne soit plutôt Debussy qui soit passé à côté de Schumann, qui était un homme de lettres et un poète avant même de se tourner vers la musique, qui était lui-même pourvu d'une personnalité à facettes multiples, et qui ne pouvait donc ignorer cet aspect ambigü de Heine.
Encore faut-il que l'interprète soit à la hauteur pour bien faire sentir cette ironie du poète et de sa traduction en musique, afin que que l'auditeur ne prenne pas trop ce "Dichterliebe" au premier degré. C'est peut-être ce qui est arrivé à Debussy.
Nous, on a ( entre autres...mais difficile de l' égaler, et même de s'en démarquer...)Fischer Dieskau, et avec un tel interprète, pas de risque de contresens. L'ironie un peu amère est bien là.

[vonwaldstein]

Schumann n'a jamais rien compris à Henri Heine. Du moins, c'est mon impression. On peut parler de son grand génie, mais il ne pouvait pas saisir tout ce qu'il y avait de fine ironie dans Heine. Voyez par exemple comme, dans Les Amours du poète, il est bien passé à côté...

Là, je crains que ce ne soit plutôt Debussy qui soit passé à côté de Schumann, qui était un homme de lettres et un poète avant même de se tourner vers la musique, qui était lui-même pourvu d'une personnalité à facettes multiples, et qui ne pouvait donc ignorer cet aspect ambigü de Heine.
Encore faut-il que l'interprète soit à la hauteur pour bien faire sentir cette ironie du poète et de sa traduction en musique, afin que que l'auditeur ne prenne pas trop ce "Dichterliebe" au premier degré. C'est peut-être ce qui est arrivé à Debussy.
Nous, on a ( entre autres...mais difficile de l' égaler, et même de s'en démarquer...)Fischer Dieskau, et avec un tel interprète, pas de risque de contresens. L'ironie un peu amère est bien là.

Bah voilà, tu m'as donné envie !