Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres ?
Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres ?
Bonjour,
Je suis en train de lire un livre par Olivier Bellamy, qui écrit que "Stephen Kovacevich a tout fait pour faire que [Martha Argerich] joue le Concerto pour la main gauche de Ravel et le 4ème Concerto de Beethoven, deux oeuvres qui la touchent profondément. En vain." Il n'explique pas pourquoi mais cite Duparc: "Si le talent fait ce qu'il veut, le génie fait ce qu'il peut."
Comme un PMiste l'a mieux reformulé : Pourquoi de très grands pianistes ne jouent pas certaines très grandes œuvres qu'ils pourraient jouer, mais décident quand même de ne pas les jouer ? En espérant que ça commence une discussion intéressante...
Merci.
Je suis en train de lire un livre par Olivier Bellamy, qui écrit que "Stephen Kovacevich a tout fait pour faire que [Martha Argerich] joue le Concerto pour la main gauche de Ravel et le 4ème Concerto de Beethoven, deux oeuvres qui la touchent profondément. En vain." Il n'explique pas pourquoi mais cite Duparc: "Si le talent fait ce qu'il veut, le génie fait ce qu'il peut."
Comme un PMiste l'a mieux reformulé : Pourquoi de très grands pianistes ne jouent pas certaines très grandes œuvres qu'ils pourraient jouer, mais décident quand même de ne pas les jouer ? En espérant que ça commence une discussion intéressante...
Merci.
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Richter a joué beaucoup de Rachmaninov et de Prokofiev, mais à ma connaissance seulement un seul concerto du premier (sur les 4) et seulement deux du second (sur les 5), alors qu'il avait un répertoire quasi infini. Ca me rappelle aussi qu'il n'a plus jamais voulu jouer la 3e sonate de Prokofiev depuis le jour où il a entendu Gilels la jouer ...Pareil pour Horowitz qui jouait plein de choses en privé mais avait un répertoire de concert assez réduit (alors qu'il pouvait surement jouer tout ce qu'il voulait).
Ce n'est bien sur pas une question de difficulté concernant ces pianistes ou Argerich.
Le 4e de Beethoven est d'après moi le plus complexe, le plus ambigu, le plus touchant, peut-être le plus parfait, et surtout celui qui de loin convoque le plus d'émotions ... ce qu'on peut aussi se demander, c'est pourquoi Argerich joue énormément les concertos 1 et 2 de Beethoven (et merveilleusement bien), je trouve ça très intéressant ... Ce côté plus brillant et direct sollicite nettement moins les nerfs du soliste. Ce n'est pas du tout le même investissement sur scène.
L'autre raison que je vois, c'est que Kovacevic est à mes yeux (je ne dois pas être le seul) l'un des tous meilleurs interprètes de Beethoven et en particulier il m'avait marqué dans ce concerto là (avec Rubinstein, et un ou 2 autres). Elle a peut être trouvé que ce qu'il faisait était déjà idéal et qu'elle n'avait rien à y ajouter.
Le cas du concerto pour la main gauche est aussi très interressant, car elle a braucoup joué le concerto en sol. Je pense aussi que c'est une affaire d'émotions. Le concerto pour la main gauche est une oeuvre d'une noirceur assez délirante, tandis que celui pour les 2 mains est dans le registre du divertimento (le mouvement lent est solaire, pas noir). Je dirais que c'est cette noirceur brute, qui n'a pas l'ironie de Scarbo, qui quelque part pourrait "effrayer" Argerich ...
Ce n'est bien sur pas une question de difficulté concernant ces pianistes ou Argerich.
Le 4e de Beethoven est d'après moi le plus complexe, le plus ambigu, le plus touchant, peut-être le plus parfait, et surtout celui qui de loin convoque le plus d'émotions ... ce qu'on peut aussi se demander, c'est pourquoi Argerich joue énormément les concertos 1 et 2 de Beethoven (et merveilleusement bien), je trouve ça très intéressant ... Ce côté plus brillant et direct sollicite nettement moins les nerfs du soliste. Ce n'est pas du tout le même investissement sur scène.
L'autre raison que je vois, c'est que Kovacevic est à mes yeux (je ne dois pas être le seul) l'un des tous meilleurs interprètes de Beethoven et en particulier il m'avait marqué dans ce concerto là (avec Rubinstein, et un ou 2 autres). Elle a peut être trouvé que ce qu'il faisait était déjà idéal et qu'elle n'avait rien à y ajouter.
Le cas du concerto pour la main gauche est aussi très interressant, car elle a braucoup joué le concerto en sol. Je pense aussi que c'est une affaire d'émotions. Le concerto pour la main gauche est une oeuvre d'une noirceur assez délirante, tandis que celui pour les 2 mains est dans le registre du divertimento (le mouvement lent est solaire, pas noir). Je dirais que c'est cette noirceur brute, qui n'a pas l'ironie de Scarbo, qui quelque part pourrait "effrayer" Argerich ...
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Merci Okay.
Avec les vieux stéréotypes en tête, tes remarques concernant l'émotion et Argerich me font penser à ce que Bellamy a écrit un peu avant :
"On a parfois dit que Martha Argerich jouait comme un homme. Autant dire que Vladimir Horowitz jouait comme une femme."
Avec les vieux stéréotypes en tête, tes remarques concernant l'émotion et Argerich me font penser à ce que Bellamy a écrit un peu avant :
"On a parfois dit que Martha Argerich jouait comme un homme. Autant dire que Vladimir Horowitz jouait comme une femme."
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Lee, ta question me fait penser à ce que dit Rubinstein sur les œuvres qu'il n'a pas jouées (ici), mais je ne sais pas si c'est tout à fait ta question.
- Kreisler
- Messages : 596
- Enregistré le : jeu. 05 août, 2010 0:41
- Mon piano : Bord 1912 / Clavinova Clp511
- Localisation : Agen
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Le fait de ne pas vouloir jouer une œuvre en public est peut-être aussi une décision qui relève de l'intime.
Comme un jardin secret qu'on ne veut pas dévoiler de peur de le trahir, et de perdre une partie de soi-même.
Ou alors, l'interprète trouve qu'il n'est pas encore parvenu à livrer une version idéale et préfère "murir" d'avantage sa propre conception de l'œuvre avant de l'enregistrer et d'en être pleinement satisfait. Avec le risque de ne jamais la jouer en public...
Comme un jardin secret qu'on ne veut pas dévoiler de peur de le trahir, et de perdre une partie de soi-même.
Ou alors, l'interprète trouve qu'il n'est pas encore parvenu à livrer une version idéale et préfère "murir" d'avantage sa propre conception de l'œuvre avant de l'enregistrer et d'en être pleinement satisfait. Avec le risque de ne jamais la jouer en public...
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Oui, il y a surement beaucoup de ça lorsque les œuvres sont spécialement importantes pour certains pianistes.
Ca me fait penser qu'il y a aussi un autre cas dont on n'a pas parlé, c'est celui des grandes œuvres (voire des compositeurs, ou carrément des périodes) qui sont volontairement négligées simplement par manque d'affinités personnelles.
Je n'ai pas vraiment de souvenir d'Argerich jouant Brahms ou Schubert, et encore moins de Brendel ou Gould jouant une seule note de Chopin ...
Ca me fait penser qu'il y a aussi un autre cas dont on n'a pas parlé, c'est celui des grandes œuvres (voire des compositeurs, ou carrément des périodes) qui sont volontairement négligées simplement par manque d'affinités personnelles.
Je n'ai pas vraiment de souvenir d'Argerich jouant Brahms ou Schubert, et encore moins de Brendel ou Gould jouant une seule note de Chopin ...
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Merci pour ces enreigstrements, Ans. J'ai écouté Gould, dommage que la qualité de l'enregistrement ou le piano laisse beaucoup à désirer, mais il est capable d'expression romantique bien plus que j'avais imaginé, j'avais l'impression qu'il ne touchait ni Chopin ni la période romantique !
C'est beau, est selon moi, très français...Kreisler a écrit :Le fait de ne pas vouloir jouer une œuvre en public est peut-être aussi une décision qui relève de l'intime.
Comme un jardin secret qu'on ne veut pas dévoiler de peur de le trahir, et de perdre une partie de soi-même.
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Oui, c'est le seul Chopin qu'il ait enregistré à ma connaissance, et je crois avoir lu quelque part qu'il y a été plus ou moins contraint (mais je n'en suis pas sûr du tout).
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Il a fait un bel enregistrement de "La Valse" de Ravel aussi, et n'oublions pas ses belles transcriptions de Wagner.
Il me semble qu'il a aussi enregistré les transcriptions de Liszt de quelques symphonies de Beethoven.
Il me semble qu'il a aussi enregistré les transcriptions de Liszt de quelques symphonies de Beethoven.
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Hmm, c'est intéressant que tu cites Beethoven transcrit par Liszt...tu trouves que ces transcriptions ont pris une sauce à la Liszt ?
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
- jean-séb
- Messages : 11298
- Enregistré le : lun. 16 oct., 2006 20:36
- Mon piano : Yamaha C3
- Localisation : Paris
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Non, ça reste très beethovénien et je trouve que ça ne se démarque pas tellement des nombreuses autres transcriptions pour piano, 2 mains ou 4 mains, des symphonies de Beethoven. C'est un beau travail, très appréciable pour des pianistes, mais je trouve que le résultat musical pour l'auditeur est sans grand intérêt par rapport à la version orchestrale.
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Je suis d'accord. Et c'est d'ailleurs pourquoi elles sont si peu jouées, outre la difficulté énorme qu'elle représentent.
C'est une remarquable prouesse d'écriture, mais il n'y a pas une vraie valeur ajoutée, comme pour les Lieder de Schubert par exemple.
C'est une remarquable prouesse d'écriture, mais il n'y a pas une vraie valeur ajoutée, comme pour les Lieder de Schubert par exemple.
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Dans un bouquin sur les transcriptions de Liszt (je peux retrouver le titre), l'auteur distinguait 3 types de transcriptions :
- les transcriptions rigoureuses, dont font partie les symphonies de Beethoven. Ici, Liszt a fait tout son possible pour rester fidèle à l'esprit du texte original, utilisant évidemment le pianisme lisztien pour que ça "sonne", mais avec un effort volontaire de ne pas dénaturer l'esprit de l'oeuvre. C'est le cas aussi de la symphonie fantastique, de certaines transcriptions de lieder de Schubert (assez sélectivement), ou de certaines de Wagner (l'ouverture de Tannhäuser ou la mort d'Isolde s'inscrivent dans le même esprit de transcription que les symphonies de Beethoven).
- les transcriptions libres. Ici, Liszt suit toujours le déroulé de l'oeuvre originale, mais rajoute des effets, traits et figurations pianistiques qui n'ont rien à voir avec l'original. Je pense par exemple à la transcription la Truite.
- les paraphrases. On se rapproche de la création originale, où Liszt n'utilise plus que les thèmes de l'oeuvre, les combine dans une forme nouvelle, et laisse aller son imagination beaucoup plus librement. La plus grande réussite est de loin la paraphrase sur Don Juan.
Le premier genre était un peu le CD de l'époque. Un moyen de faire connaitre les œuvres fidèlement sans avoir à mobiliser l'orchestre. L’avènement de l’enregistrement est la principale raison expliquant qu'elles ne soient plus trop jouées. Les 2 autres genres ont plus vocation à faire connaitre le pianiste lui-même que les œuvres transcrites, à travers des thèmes déjà plutôt connus.
La thèse de l'auteur du bouquin est que la fidélité de Liszt à l'original était d'autant plus grande qu'il travaillait sur un texte qu'il vénérait. Concernant les symphonies de Beethoven, on trouve parfois des portées supplémentaires où sont reportées la ligne d'un instrument que Liszt n'a pas réussi à caser dans sa transcription (elle est donc injouable), mais il veut que l'interprète ait conscience de cette omission forcée. Comme s'il s'excusait de devoir se départir de l'original. Le travail sur les symphonies de Beethoven est certainement le corpus sur lequel l'effort de fidélité a été le plus important.
- les transcriptions rigoureuses, dont font partie les symphonies de Beethoven. Ici, Liszt a fait tout son possible pour rester fidèle à l'esprit du texte original, utilisant évidemment le pianisme lisztien pour que ça "sonne", mais avec un effort volontaire de ne pas dénaturer l'esprit de l'oeuvre. C'est le cas aussi de la symphonie fantastique, de certaines transcriptions de lieder de Schubert (assez sélectivement), ou de certaines de Wagner (l'ouverture de Tannhäuser ou la mort d'Isolde s'inscrivent dans le même esprit de transcription que les symphonies de Beethoven).
- les transcriptions libres. Ici, Liszt suit toujours le déroulé de l'oeuvre originale, mais rajoute des effets, traits et figurations pianistiques qui n'ont rien à voir avec l'original. Je pense par exemple à la transcription la Truite.
- les paraphrases. On se rapproche de la création originale, où Liszt n'utilise plus que les thèmes de l'oeuvre, les combine dans une forme nouvelle, et laisse aller son imagination beaucoup plus librement. La plus grande réussite est de loin la paraphrase sur Don Juan.
Le premier genre était un peu le CD de l'époque. Un moyen de faire connaitre les œuvres fidèlement sans avoir à mobiliser l'orchestre. L’avènement de l’enregistrement est la principale raison expliquant qu'elles ne soient plus trop jouées. Les 2 autres genres ont plus vocation à faire connaitre le pianiste lui-même que les œuvres transcrites, à travers des thèmes déjà plutôt connus.
La thèse de l'auteur du bouquin est que la fidélité de Liszt à l'original était d'autant plus grande qu'il travaillait sur un texte qu'il vénérait. Concernant les symphonies de Beethoven, on trouve parfois des portées supplémentaires où sont reportées la ligne d'un instrument que Liszt n'a pas réussi à caser dans sa transcription (elle est donc injouable), mais il veut que l'interprète ait conscience de cette omission forcée. Comme s'il s'excusait de devoir se départir de l'original. Le travail sur les symphonies de Beethoven est certainement le corpus sur lequel l'effort de fidélité a été le plus important.
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Voilà qui me le rend bien sympathique! (je commence à plonger tout doucement dans cet univers de Liszt (uniquement lecture + écoute, je n'ai pas encore le niveau pour l'étudier au piano)).Okay a écrit :Concernant les symphonies de Beethoven, on trouve parfois des portées supplémentaires où sont reportées la ligne d'un instrument que Liszt n'a pas réussi à caser dans sa transcription (elle est donc injouable), mais il veut que l'interprète ait conscience de cette omission forcée. Comme s'il s'excusait de devoir se départir de l'original. Le travail sur les symphonies de Beethoven est certainement le corpus sur lequel l'effort de fidélité a été le plus important.
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Je ne dirais pas ça. Il y a au moins quelques consolations et d'autres morceaux qui doivent être très faisables de ton niveau.Oupsi a écrit :je commence à plonger tout doucement dans cet univers de Liszt (uniquement lecture + écoute, je n'ai pas encore le niveau pour l'étudier au piano

“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
- jean-séb
- Messages : 11298
- Enregistré le : lun. 16 oct., 2006 20:36
- Mon piano : Yamaha C3
- Localisation : Paris
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Peux-tu nous scanner une partie de la première page pour qu'on l'identifie, si possible ? Peut-être un extrait de l'album de Noël ?Lee a écrit : Et dans un livre de Liszt que je n'ai quasiment jamais regardé, je trouve un avec le nom simplement "Piano Piece" hyper facile, je ne sais pas de quoi il s'agit...
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Peut-il être une transcription pour débutant et donc pour l'autre fil ? 
J'ai essayé au piano, à part les dièses partout, je trouvais difficile de rendre quelque chose musicale !

J'ai essayé au piano, à part les dièses partout, je trouvais difficile de rendre quelque chose musicale !
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Pas évident à trouver ... et puis je me suis dit que si le titre était "Piano Piece", il y avait toutes les chances que ce soit la traduction littérale d'un "Klavierstücke". Du coup j'ai trouvé tout de suite. C'est le n°3 de ce cahier, une pièce assez tardive, de 1873.
Re: Pourquoi les grands pianistes évitent certaines oeuvres
Et bien bravo, j'étais parti sur tout sauf du Liszt !
Je ne connaissais pas, tout en mi-teintes, pas loin des nuages gris, superbe musique !
Je ne connaissais pas, tout en mi-teintes, pas loin des nuages gris, superbe musique !
"Vivi felice" Domenico Scarlatti,