Bouquet ou diable de la forêt ?

[jean-séb]

Autrement dit, Strauss ou Waldteufel ?
En ce premier janvier, je me rappelle nécessairement le concert Strauss de Vienne dont la retransmission télévisée a longtemps été pour mes défunts parents l'événement du jour, comme le défilé militaire était celui du 14 juillet. Ainsi étaient rythmées nos saisons. Aujourd'hui, j'ai du mal avec le côté compassé du public du Festspielhaus, leur enthousiasme feint porte à faux même quand ils battent des mains pour accompagner la traditionnelle Marche de Radetski finale. Mais la valse n'est pas en cause, seule sa représentation sociale l'est.
Mais je veux profiter de ce jour pour faire l'éloge de la valse au piano.
Voici assurément la danse la plus simple à improviser au piano ; dès lors qu'on se fait une basse à trois temps à la main gauche, on peut laisser courir la main droite un peu n'importe comment, et sortir une valse plaisante à entendre, une valse lente, une valse alanguie, une valse rapide, une valse entraînante, toutes sortes de valses.
On se transforme à peu de frais en Rieu du piano, à défaut de Dieu du piano, et les mêmes causes produisant les mêmes effets, on communique à son entourage et au voisinage des bonnes ondes. Oui, je le dis pour ceux qui ont des problèmes de voisins, la valse est un remède souverain pour refaire aimer le piano par vos voisins qui n'en peuvent plus de vous entendre vous escrimer dans Bach ou Prokofiev. Faites-les respirer, faites-les rêver, faites-les se souvenir, avec des valses. Des vraies valses, bien valsantes. Laisser provisoirement de côté celles de Chopin et des grands compositeurs, trop alambiquées pour danser. Exception peut-être pour certaines danses de Schubert qui sont déjà bien proches de l'esprit de la valse, exception aussi pour la magnifique Invitation à la danse, de Weber, qui concentre déjà en elle toute la recette magique viennoise.
Ma première vraie valse dans mon répertoire juvénile fut un arrangement assez réussi du Beau Danube bleu. Comme c'était merveilleux, et je l'ai rejoué bien des fois. Plus tard, j'ai déchiffré avec bonheur tous les grands classiques viennois de Strauss (Johann père, Johann fils, Joseph, etc.) et compagnie, ou leurs imitations à succès comme les Flots du Danube d'Ivanovici, ou Sobre las Olas de Rosas.
Un jour, j'ai découvert avec ravissement le Strauss français, Émile Waldteufel, qui enchantait les bals de la Cour sous Napoléon III. Il y a un esprit un peu différent de celui des valses de Strauss ; dans ces dernières, il y a des traces encore du landler paysan, les sabots ne sont pas loin ; chez Waldteufel, toute la majesté de la Cour s'est introduite dans les grands thèmes, ne laissant les polissonneries qu'aux thèmes secondaires. Waldteufel avait d'ailleurs du flair, en repérant chez les autres les musiques qui plaisent pour les transformer en succès valsé : de l'Espana de Chabrier il a fait une valse qui a eu plus de succès que l'original, et il a repris chez Lacome, oublié aujourd'hui, les airs espagnols qui ont fait le bonheur de la valse Estudiantina. Mais ses Patineurs sont toujours aussi beaux et Amour et Printemps, qui a servi de générique à des émissions de télévision et de radio, est sur toutes les lèvres.
Et les valses de Tchaïkowski, quel bonheur à jouer, et quel raffinement d'écriture. Voilà un classique qui sait faire danser, mais on s'en doute pour un compositeur de ballets restés fameux. Et Gounod, quelles jolies valses aussi, tirées de Faust ou d'autres œuvres.
Et les valses mexicaines, si gaies, impossible de résister à leur entrain.
Oh, pour les moments plus sombres, la valse lente, tant à la mode au début du XXe siècle, est l'alliée du pianiste amateur de seconde zone : facile à déchiffrer, nostalgique à souhait, elle fait chavirer le pianiste et son entourage dans une douce mélancolie.
Bon, il y a mille aspects de la valse valsante et de quoi remplir les programmes de tous les jours de 2015.
Vos voisins vous en redemanderont ...

[mieuvotar]

Merci Jean-Séb pour cette très charmante entrée à 3 temps dans la nouvelle année...

[Okay]

Quelle jolie idée ! Merci pour ce post de nouvel an, aussi sympathique que ludique. Je n'avais jamais entendu le nom de Waldteufel, et me serais encore moins douté qu'on avait affaire à un compositeur français sous l'Empire.
Quand tu nous parles de Tchaikowsky, je pense soudainement à son originale trouvaille valsante : la "valse" à cinq temps de la symphonie pathétique, si c'en est une ...

[Arabesque44]

En ce moment précis, "Le beau Danube bleu" sous la baguette de Zubin Mehta.
Vive la valse!
Que de souvenirs... autrefois j'écoutais souvent les valses de Strauss, j'en raffolais, avec mes sœurs et cousines nous nous déguisions en princesses et nous dansions...Sissi l'Impératrice n'était pas loin.
Si quelqu'un me dit: "je n'ai pas le sens du rythme" "je ne sais pas danser" ou encore "je ne comprends pas à quoi sert d'indiquer une mesure sur une partition " je lui chantonne une valse et esquisse quelques pas...C'est tellement naturel, 1-2-3, 1-2-3
On ne peut pas ne pas comprendre et ne pas aimer ce rythme à 3 temps, la plus belle des danses...
Et en effet, presque tous les compositeurs et auteurs-compositeurs de chansons ( Brel) y sont allés de leur valse!
IL y en un par contre que je ne comprend pas ( et qui n'est pas ma tasse de thé, d'ailleurs) : pourquoi la "valse" d'Amélie Poulain de Tiersen est-elle à 4 temps?
Par contre j'ai découvert récemment (Khali ) qu'il existait des valses à 5 temps ( mais là, ça danse, le terme valse reste approprié, j'aime beaucoup)
Pour TchaIkowski c'est plus subtil, mais très beau! J'avoue que je n'aurais pas deviné de quel type de mesure il s'agisssait.
https://www.youtube.com/watch?v=LTW4X6qfz2w

[Lee]

J'ai du mal à trouver l'équivalent des citations des compositeurs en français déjà traduites. J'ai découvert celui-là, j'ai pensé à ton fil.

"Here, waltzes are called works! And Strauss and Lanner, who play them for dancing, are called Kapellmeistern. This does not mean that everyone thinks like that; indeed, nearly everyone laughs about it; but only waltzes get printed.

http://www.ourchopin.com/quotes.html