Que s'est-il passé au concert de Jarrett à Pleyel ce 4/7/14?

[billthechief]

J'ai ouïe dire que le pianiste n'avait pas terminé sa prestation. Quelqu'un y était parmi nous ?

[Jean-Michel Verdier]

Bonjour,
Je ne sais pas ce qui s'est passé exactement mais apparemment quelqu'un a toussé trop fort. Je sais qu'il déteste ça. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il fait le coup.
Il y a un article dans le Monde, mais c'est réservé aux abonnés : http://www.lemonde.fr/culture/article/2 ... _3246.html

[Jean-Michel Verdier]

Déjà en 2010....
http://www.lepoint.fr/chroniques-ete-fe ... 96_191.php

[Gracou]

J'ai finalement pu me rendre à ce concert. Tout a commencé normalement, juste après la défaite de l'équipe de France . Jarrett a débuté par une impro genre free, comme il le fait assez souvent maintenant lors de ces concerts solos. Dans le genre, ce n'est pas mauvais, mais c'est 6 ou 7 minutes très âpres. Le genre de moment où ceux qui sont venus au concert sans trop savoir se disent que cela va être très long si toute la suite relève de la même teneur.

Avant que tous les soucis ne débutent, je me souviens m'être étonné du nombre de gens qui toussaient bruyamment, facilement un tous les 15-20 secondes. Je m'étais même fait une réflexion stupide sur la pollution parisienne.

Je crois que c'est lors de la troisième impro, environ 15 minutes de concert, que Jarrett s'est levé, a coupé son élan, au bout d'une minute. Il a dit, autant qu'on pouvait entendre ou comprendre en anglais, que cela ne marchait pas. Tentative suivante, il s'arrête très vite, très brusquement. Il va au micro situé à quelques mètres du grand Steinway. Il se plaint des toussotements et explique qu'il a du mal à jouer des choses douces, que cela ne posera pas de problème pour les choses plus fortes, qu'on l'aide à faire les choses comme il faut, etc. Le public n'est à ce moment là pas du tout hostile. Une voix au fond de la salle demande de se concentrer, de ne pas tousser.

Là, je me dis que cela ne sent pas bon. Connaissant le bonhomme et son caractère de cochon, le fait qu'il se soit arrêté deux fois, ce qui implique que le concert se retrouve au minimum entaché par cela, au pire... Je me souviens m'être dit qu'il allait lui falloir une sacré force et une sacré concentration pour se débarrasser du négatif, pour se remettre dans une bonne attitude au piano.

Il a ensuite fait une longue pièce, avec des moments pas mal, puis ce fut l'entracte.

Deuxième mi-temps , Jarrett revient. Je le trouve très concentré. Il communique au minimum, se met au piano, joue deux ou trois trucs pas très longs. Je pense qu'il n'avait plus envie, à ce moment là, que c'était dur, mais qu'il fallait faire le boulot. Un morceau très chouette dans le tas, comme il sait le faire, un groove d'enfer, un peu blues. Sauf que pas longtemps après, au bout de quinze secondes d'un morceau en dentelle s'annonçant très joli, repatatra. Nouveau speech au micro. Il semble s'adresser directement à un spectateur des premiers rangs. Il lui demande s'il est vraiment obligé de tousser, là, maintenant. Le type répond quelque chose, inaudible pour les autres spectateurs. Jarrett lève les bras au ciel et sort de scène. Stupeur.

Quelques voix s'élèvent contre le tousseur, puis la salle se met à applaudir comme pour un rappel. Enfin, quand je dis la salle... Disons que la moitié des gens battait le rappel, certains se sont même levés. Les autres, dont je faisais partie, attendaient, sagement, que le concert reprenne, normalement. Le cirque dure facilement 5 minutes. Jarrett finit par revenir, il parle au micro. Il dit qu'il n'a pas voulu que cela se passe comme cela. Il dit qu'il a été bien accueilli, que la personne en question n'est pas française, qu'il n'y a pas de problème avec les français. Les gens applaudissent, se disent que ça va se calmer. Il a l'air bien disposé à reprendre. Sauf qu'une voix (celle du tousseur, une autre ?) intervient. Inaudible à nouveau pour la salle, mais Jarrett relève les bras au ciel et disparaît.

Globalement, la salle reste bienveillante. Quelques spectateurs s'en vont. Certains descendent des places situées derrière la scène, passant devant la porte des coulisses. Un de ceux là roule en boule son ticket et le jette en direction du piano. C'est le bazar. Les gens battent le rappel à nouveau. Les jeunes employés de la salle Pleyel gèrent un peu comme ils peuvent.

Là, ça dure un temps assez conséquent. La salle attend, applaudit, crie, sans relâche. Jarrett revient enfin. Derrière le micro, il est désolé que cela tourne ainsi, il dit qu'il peut s'y remettre ou ne pas continuer, que c'est un choix à faire, puis explique qu'il n'a plus de musique à nous proposer. Certains s'emportent un peu, il quitte alors à nouveau la scène mais cette fois sous la bronca, tout le monde ayant cette fois compris que c'était bel et bien fini et que de caprice ou saute d'humeur, on assistait bel et bien à un désastre.

La salle s'est donc vidée au deux tiers, les gens furax. L'autre tiers reste là, sidéré. L'ambiance est électrique, quatre personnes barrent l'accès des coulisses. On ne sait pas ce qu'il peut encore arriver. Les minutes défilent. Il reste peut-être 400 personnes. Jarrett peut-il encore revenir après s'être calmé pour partager un moment ? Allons-nous être remboursé ? Les gens parlent entre eux. Une voix hurle du premier balcon que c'est honteux, qu'on vient voir un grand musicien donner un concert depuis l'autre bout de la France, qu'on réserve une place, une chambre d'hôtel, une place de train...

La salle ne se vidant pas, un haut gradé de la salle finit enfin par prendre le micro et dire que Jarrett ne reviendra pas, qu'il savait que cela pouvait arriver, que ce n'était arrivé que deux fois en dix ans à Pleyel, que c'était plus simple lorsqu'ils l'invitait en trio, etc.

Et voilà. Fin de l'histoire, le personnel a très calmement fini par encourager les gens à sortir, plus de vingt minutes après la fin de l'histoire.

Bilan personnel : place à 85 euros, environ 500 km en voiture avec l'essence et le péage qui vont avec, etc. J'aurais au moins entendu environ 7 minutes de bonne musique, c'est déjà bien. Rien de nouveau, mais de la musique bien faite.

J'avais déjà vu Jarrett en trio une quinzaine d'année auparavant et lors des applaudissements de fin de concert, il avait piqué une crise parce que quelqu'un avait pris une photo. Speech pour dire qu'il ne veut pas qu'on saisisse un instant tronqué de ce genre de concert, ils se tirent, pas de rappel, tchao les nazes. Je savais donc qu'après quelques incidents, cela pouvait vraiment mal tourner.

Bilan pour Jarrett : ce musicien immense n'est plus. Il n'est plus capable d'assurer ce genre de concert (qu'il s'impose pour quelle raison, d'ailleurs ?). Il restera comme un grand patron du piano entre 1970 jusqu'aux années 2000. Pianistiquement, on ne peut pas lui reprocher de ne plus bosser son piano, ça reste très costaud, mais musicalement, c'est du déjà entendu. Alors il peut avoir quelques très bons moments, c'est sûr, mais je ne conseillerais à personne d'aller le voir (et pourtant, je le tiens en très haute estime). Jarrett, c'est fini. Cela laisse le champs libre aux autres, avec tout l'héritage qu'il leur aura laissé, c'est déjà ça, mais quelle tristesse. Il est complètement caractériel et ne peut pas gérer le fait de jouer pour une salle remplie d'êtres humains. Il est temps de profiter de la retraite. En tout cas, moi, Jarrett, j'arrête...

[Wandarnok]

T'aurais mieux fait d'aller voir Jaime Cullum...

http://www.youtube.com/watch?v=h2Ja1anTJEc



PS: en tout cas merci de t'etre donné la peine pour ce témoignage détaillé...

[Moderato Cantabile]

Merci pour ce CR super détaillé , Gracou .
C'est vraiment terrible ces réactions d'intolérance totale qu'il a ! Bien sûr que c'est pénible ces gens qui viennent au concert exprès pour tousser ! (qu'on les achève !!! ) Mais de là à priver le reste du public du concert ....
Je comprends ta frustration .

[Lee]

J'ai juste une remarque par rapport les toussements.

Aux Etats-Unis, souvent devant les portes il y les gros boites de pastilles anti-toux. En outre je trouve qu'ils sont plus efficaces, on laisse les américains s' empoisonnent pour gagner les pharmas.

Peut-être il est habitué à plus de silence alors.

[Gracou]

Ce n'est pas pour enfoncer le clou, mais ses réactions relèvent plus de la psychiatrie que de la gène que peut ressentir un musicien sur scène. Dès qu'on joue du piano (solo) en public, on est habitué à entendre les gens, tousser, les enfants parler, voire pleurer, etc. Tout pianiste professionnel sait composer avec cela. C'est aussi ça jouer pour des êtres humains. Cela ne veut pas dire qu'on doit tout tolérer, mais enfin là, franchement, il n'y avait rien d'exceptionnel.

Ca n'enlèvera pas que je vais continuer à bosser du Jarrett, je ne fais pas une allergie, mais maintenant, à moins qu'il repasse à côté de chez moi, je ne suis pas prêt de retourner le voir.

Edit : à moins qu'il repasse à côté de chez moi, et à beaucoup moins que 85€...

[BluePhoenix05]

Merci Gracou pour ce compte-rendu, j'ai failli passer pour voir s'il restait des places et éventuellement assister à ce concert...

[jean-séb]

J'ai juste une remarque par rapport les toussements.
Aux Etats-Unis, souvent devant les portes il y les gros boites de pastilles anti-toux. En outre je trouve qu'ils sont plus efficaces, on laisse les américains s' empoisonnent pour gagner les pharmas.

Oui, mais :

Jarrett finit par revenir, il parle au micro. Il dit qu'il n'a pas voulu que cela se passe comme cela. Il dit qu'il a été bien accueilli, que la personne en question n'est pas française, qu'il n'y a pas de problème avec les français.

Et si l'on en croit Télérama :
http://www.telerama.fr/musique/la-drama ... 114582.php

C’est alors que tout se gâte. Il semble qu’un spectateur américain assis au premier rang l’ait agacé durant son improvisation par une remarque déplacée. Il s’adresse au public en désignant vaguement le coupable, on ne comprend rien de ce qu’il dit. Puis il quitte la scène. Dramatisation volontaire ? Certains se lèvent, crient, on veut qu’il revienne. Ce qu’il fait, au bout d’une longue attente. Essaie de s’asseoir au piano, pose ses mains sur les touches sans produire un son, se relève, va vers le micro et explique alors, en substance : « L’improvisation demande que les conditions soient remplies pour que l’artiste puisse créer de la musique. Cet incident provoqué par un Américain et non par vous Français a tué la musique en moi. Je n’en ai plus à vous donner. C’est comme ça. »

[Lee]

Tu as raison de me signaler sa nationalité. Il aurait du mieux savoir et apporter ses pastilles des States...

Tu vois les catastrophes quand on laisse les ricains vous envahir...