Bonjour à tous,
Je viens de lire avec beaucoup de plaisir le roman "Corps et âme" de Frank Conroy (http://livre.fnac.com/a1517243/Frank-Co ... icheResume) et me propose donc de vous le faire partager et vous invite, si cela n'a pas déjà fait, à compléter avec d'autres titres.
Bonne lecture
Romans et piano
- Doubidoudom
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Re: Romans et piano
On en parle quelque part là-dedans : viewtopic.php?f=1&t=760&hilit=roman
J'ai adoré et plongé à fond dedans…
J'ai adoré et plongé à fond dedans…
Je suis aveugle mais on trouve toujours plus malheureux: j'aurais pu être noir. Ray Charles
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Re: Romans et piano
Livre qui m'avait emportée il y a quelques années... En effet ! Magnifique !!! Je crois qu'il y a un fil pour la littérature mais je ne l'ai pas trouvé.
Sylvie Piano http://courspianocollectif.com/
Re: Romans et piano
Merci Doubidoudom pour la remontée de ces anciens échanges qu'une recherche (trop) rapide ne m'a pas permis de retrouver. Cela (re) donne des points d'entrée intéressants.
Re: Romans et piano
2 livres qui n'ont pas trait à la musique mais qui peuvent aider à porter un autre regard sur soi et les autres :
de Joseph Schovanec: Je suis à l'est et aussi ELoge du voyage à l'usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez.
de Joseph Schovanec: Je suis à l'est et aussi ELoge du voyage à l'usage des autistes et de ceux qui ne le sont pas assez.
- valeriejouechopin
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Re: Romans et piano
Bonjour, moi qui suis fan de polars, je conseille "la sonate de l'assassin" de Jean-Baptiste Destremau. L'auteur est pianiste amateur et c'est une excellente intrigue qui se passe dans l'univers du piano.
"Je suis croyante, ma religion est la musique". Valérie.
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Re: Romans et piano
Hello,
Eh bien pour me dévoiler un peu plus, il se trouve que je suis écrivain, j'ai même publié, à plusieurs reprises. Mais je vous le dis tout de suite, ne me demandez pas quoi : ici je suis anonyme et entends bien le rester.
Dans le roman que je prépare actuellement, il y a une scène avec un piano. Je vous la livre ici :
J’étais intrigué par les traits d’Oma. Elle avait la mâchoire carrée et je me suis souvent demandé quel était le rapport entre cette caractéristique morphologique et le fait de pratiquer le violon. Son visage présentait-il cette configuration dès le départ, comme si Oma avait été prédestinée, en quelque sorte ? Ou bien avait-il fini par se déformer à force de se plaquer contre la mentonnière ? Il me semblait distinguer une certaine dissymétrie, quand on la regardait de face. Mais je ne pouvais pas non plus rester planté devant elle, à l’examiner, comme un animal dans une cage de zoo. Je me contentais de coups d’œil furtifs ; chaque fois mon impression s’en trouvait renforcée. Il existait, indéniablement, une sorte d’osmose entre Oma et son Guarnerius. Cette femme était violoniste et ça sautait aux yeux.
Assis sur le tabouret du piano à queue, la partition posée sur le chevalet, j’écoutais ma grand-mère jouer. Les notes, rapides et déliées, s’emberlificotaient autour de ma tête, comme un tourbillon de mouches excitées. Au début, je suivais ce défilé, ce bombardement sonore, sur la portée. Mais mes yeux s’embuaient. Les arpèges devenaient des chiures d’insectes dont le grouillement ne signifiait plus rien.
Je restais là, le regard fixé hypnotiquement sur le clavier. Les touches blanches et noires de l’instrument m’évoquaient une rangée de dents et je laissais s’insinuer en moi l’idée que l’étendue d’ivoire et son couvercle étaient en réalité des mandibules. Le Bosendörfer reprenait vie les nuits de pleine lune et se promenait dans la pièce, bruyamment, sur ses pieds munis de roulettes. Il patinait, glissait sur les lattes de chêne, en quête de proies. Il claquait sa gueule, mécontent, affamé. Il cherchait quelque chose à croquer et engloutissait clefs de sol, dièses et bémols. Le lendemain, Oma ne retrouvait plus les feuilles mais elle entendait tout à coup le piano jouer tout seul : il avait digéré Mahler, Schubert et autres, et les recrachait méthodiquement. De temps en temps, comme il avait trop abusé de triples croches, il faisait du reflux ; un hoquet le secouait et des fragments d’œuvres se mélangeaient, se télescopaient, créant une musique décousue, étrange, cubiste comme ces peintures modernes dont c’était la mode. Peu à peu, ma rêverie l’emporta sur les démonstrations techniques à propos du jeu de l’archet. Les plaintes qui s’échappaient du violon se firent diffuses, cotonneuses. Je me laissais emporter par l’histoire du piano vorace, retourné à l’état sauvage, animé d’une fringale inextinguible.
Ceci nous mena jusqu’à l’heure du repas. Personnellement, je n’avais pas d’appétit, mais je me forçai tout de même, ainsi qu’on me l’avait appris. Je ne prêtai pas d’attention à la conversation des adultes. Oma grignotait silencieusement dans son coin, la tête ailleurs, les doigts poissés de colophane. Les hommes parlaient argent, politique, et moi je luttais pour garder les yeux ouverts.
L’après-midi, je réussis à m’esquiver pour me rouler dans les couvertures et m’octroyai deux heures de sieste.
Eh bien pour me dévoiler un peu plus, il se trouve que je suis écrivain, j'ai même publié, à plusieurs reprises. Mais je vous le dis tout de suite, ne me demandez pas quoi : ici je suis anonyme et entends bien le rester.
Dans le roman que je prépare actuellement, il y a une scène avec un piano. Je vous la livre ici :
J’étais intrigué par les traits d’Oma. Elle avait la mâchoire carrée et je me suis souvent demandé quel était le rapport entre cette caractéristique morphologique et le fait de pratiquer le violon. Son visage présentait-il cette configuration dès le départ, comme si Oma avait été prédestinée, en quelque sorte ? Ou bien avait-il fini par se déformer à force de se plaquer contre la mentonnière ? Il me semblait distinguer une certaine dissymétrie, quand on la regardait de face. Mais je ne pouvais pas non plus rester planté devant elle, à l’examiner, comme un animal dans une cage de zoo. Je me contentais de coups d’œil furtifs ; chaque fois mon impression s’en trouvait renforcée. Il existait, indéniablement, une sorte d’osmose entre Oma et son Guarnerius. Cette femme était violoniste et ça sautait aux yeux.
Assis sur le tabouret du piano à queue, la partition posée sur le chevalet, j’écoutais ma grand-mère jouer. Les notes, rapides et déliées, s’emberlificotaient autour de ma tête, comme un tourbillon de mouches excitées. Au début, je suivais ce défilé, ce bombardement sonore, sur la portée. Mais mes yeux s’embuaient. Les arpèges devenaient des chiures d’insectes dont le grouillement ne signifiait plus rien.
Je restais là, le regard fixé hypnotiquement sur le clavier. Les touches blanches et noires de l’instrument m’évoquaient une rangée de dents et je laissais s’insinuer en moi l’idée que l’étendue d’ivoire et son couvercle étaient en réalité des mandibules. Le Bosendörfer reprenait vie les nuits de pleine lune et se promenait dans la pièce, bruyamment, sur ses pieds munis de roulettes. Il patinait, glissait sur les lattes de chêne, en quête de proies. Il claquait sa gueule, mécontent, affamé. Il cherchait quelque chose à croquer et engloutissait clefs de sol, dièses et bémols. Le lendemain, Oma ne retrouvait plus les feuilles mais elle entendait tout à coup le piano jouer tout seul : il avait digéré Mahler, Schubert et autres, et les recrachait méthodiquement. De temps en temps, comme il avait trop abusé de triples croches, il faisait du reflux ; un hoquet le secouait et des fragments d’œuvres se mélangeaient, se télescopaient, créant une musique décousue, étrange, cubiste comme ces peintures modernes dont c’était la mode. Peu à peu, ma rêverie l’emporta sur les démonstrations techniques à propos du jeu de l’archet. Les plaintes qui s’échappaient du violon se firent diffuses, cotonneuses. Je me laissais emporter par l’histoire du piano vorace, retourné à l’état sauvage, animé d’une fringale inextinguible.
Ceci nous mena jusqu’à l’heure du repas. Personnellement, je n’avais pas d’appétit, mais je me forçai tout de même, ainsi qu’on me l’avait appris. Je ne prêtai pas d’attention à la conversation des adultes. Oma grignotait silencieusement dans son coin, la tête ailleurs, les doigts poissés de colophane. Les hommes parlaient argent, politique, et moi je luttais pour garder les yeux ouverts.
L’après-midi, je réussis à m’esquiver pour me rouler dans les couvertures et m’octroyai deux heures de sieste.