Les sensations psychomotrices au piano
- JPS1827
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Les sensations psychomotrices au piano
Je rebondis sur un sujet effleuré par Nox dans un long fil précédent. Il y disait en substance qu'il avait en jouant la sensation de ne pas pouvoir atteindre une impression de naturel. Je pense que c'est une question très intéressante qui doit être prise par plusieurs entrées. Il y a d'abord la notion de "détente physique", qui est en fait un concept très vague et qui dit beaucoup moins que ce qu'il semble dire. Quand on est "détendu" au piano, quels sont les muscles qui sont détendus et quels sont ceux qui ne le sont pas (et à l'inverse quels sont les muscles qui sont tendus et qui ne devraient pas l'être quand on joue "raide"). Il y a aussi le problème déjà évoqué par Okay d'arriver à un mode "compilé" pour jouer quelque chose en entier. Il y a enfin le problème qui est souvent considéré comme d'un autre ordre, mais qui ne devrait pas : et si c'était la précision de l'image musicale de ce qu'il y a à jouer qui permettait de se sentir plus à l'aise sur le plan purement pianistique ?
D'emblée, j'annonce mon point de vue. Nox, qui pourra répondre, disait que cette impression de "manque de naturel" en jouant (il rectifiera si ce ne sont pas ses termes exacts) était une sorte de témoin de la limite des possibilités physiques et psychomotrices de l'amateur au piano. Je pense en fait le contraire, que cette impression est plutôt le signe d'une exigence personnelle importante qui pousse au travail et à la progression. Il est dans l'ensemble difficile d'obtenir un état dans lequel on a l'impression que la musique "coule de source", les mains et les doigts se pliant en quelque sorte à l'imagination musicale du pianiste. Cet état est difficile à obtenir volontairement et à reproduire quand on le souhaite (c'est à dire tout le temps !), mais je suis sûr que beaucoup de pianistes même relativement débutants l'ont ressenti occasionnellement, mais sans être capables en général de le provoquer à nouveau à leur gré. Dans l'ensemble on a plus de chances de l'obtenir sur son propre piano, dans un lieu auquel on est habitué. C'est le défaut de cette sensation qui peut transformer en véritable "ennemi" un instrument qu'on ne connaît pas, dans un lieu dont on n'arrive pas à se représenter mentalement l'acoustique.
Cela dit j'ouvre la discussion sur deux plans : que retenez-vous des fois où vous avez eu cette impression de "facilité" (et vous est-il arrivé de l'avoir en jouant en public, dans une réunion pianomajeur par exemple), et quels sont selon vous les facteurs qui conditionnent cette sensation d'appropriation à son instrument dans une œuvre qu'on connaît bien par ailleurs, ou bien qui font qu'on joue dans la souffrance en espérant qu'il n'y aura pas de grosse catastrophe avant la fin (et je sais de quoi je parle).
NB : ces questions s'adresse à tous, quel que soit le "niveau" qu'ils pensent avoir
D'emblée, j'annonce mon point de vue. Nox, qui pourra répondre, disait que cette impression de "manque de naturel" en jouant (il rectifiera si ce ne sont pas ses termes exacts) était une sorte de témoin de la limite des possibilités physiques et psychomotrices de l'amateur au piano. Je pense en fait le contraire, que cette impression est plutôt le signe d'une exigence personnelle importante qui pousse au travail et à la progression. Il est dans l'ensemble difficile d'obtenir un état dans lequel on a l'impression que la musique "coule de source", les mains et les doigts se pliant en quelque sorte à l'imagination musicale du pianiste. Cet état est difficile à obtenir volontairement et à reproduire quand on le souhaite (c'est à dire tout le temps !), mais je suis sûr que beaucoup de pianistes même relativement débutants l'ont ressenti occasionnellement, mais sans être capables en général de le provoquer à nouveau à leur gré. Dans l'ensemble on a plus de chances de l'obtenir sur son propre piano, dans un lieu auquel on est habitué. C'est le défaut de cette sensation qui peut transformer en véritable "ennemi" un instrument qu'on ne connaît pas, dans un lieu dont on n'arrive pas à se représenter mentalement l'acoustique.
Cela dit j'ouvre la discussion sur deux plans : que retenez-vous des fois où vous avez eu cette impression de "facilité" (et vous est-il arrivé de l'avoir en jouant en public, dans une réunion pianomajeur par exemple), et quels sont selon vous les facteurs qui conditionnent cette sensation d'appropriation à son instrument dans une œuvre qu'on connaît bien par ailleurs, ou bien qui font qu'on joue dans la souffrance en espérant qu'il n'y aura pas de grosse catastrophe avant la fin (et je sais de quoi je parle).
NB : ces questions s'adresse à tous, quel que soit le "niveau" qu'ils pensent avoir
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Sujet intéressant.
Je vois essentiellement 3 points qui pourraient conduire à cet état de "facilité" où la musique "coule de source".
1) un état de détente absolu au moment de jouer, aussi bien pour les muscles du bras que ceux du dos, ainsi qu'une liberté totale des articulations des poingnets, des coudes et des épaules. Cela demande bien entendu travail et perséverance.
2) il faut avoir "compris" le morceau que l'on interprète. Evidemment, cela dépend du compositeur et de votre conception de la musique, certains verront une histoire, d'autres des paysages qui se transforment ou encore tout simplement des notes qui parlent, mais dans tous les cas, le compositeur a voulu transmettre un je ne sais quoi avec sa musique, et c'est ce je ne sais quoi qu'il faut s'efforcer de découvrir, chaque note à son mot à dire.
3) répéter inlassablement le morceau lentement, même lorsqu'on pense le connaître parfaitement, afin que les enchaînement deviennent totalement instinctif. On pourra ainsi entièrement se consacrer à la musique lors de l'interprétation.
Je vois essentiellement 3 points qui pourraient conduire à cet état de "facilité" où la musique "coule de source".
1) un état de détente absolu au moment de jouer, aussi bien pour les muscles du bras que ceux du dos, ainsi qu'une liberté totale des articulations des poingnets, des coudes et des épaules. Cela demande bien entendu travail et perséverance.
2) il faut avoir "compris" le morceau que l'on interprète. Evidemment, cela dépend du compositeur et de votre conception de la musique, certains verront une histoire, d'autres des paysages qui se transforment ou encore tout simplement des notes qui parlent, mais dans tous les cas, le compositeur a voulu transmettre un je ne sais quoi avec sa musique, et c'est ce je ne sais quoi qu'il faut s'efforcer de découvrir, chaque note à son mot à dire.
3) répéter inlassablement le morceau lentement, même lorsqu'on pense le connaître parfaitement, afin que les enchaînement deviennent totalement instinctif. On pourra ainsi entièrement se consacrer à la musique lors de l'interprétation.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Très bonne initiative et positive, JPS, merci !
Mais là tu exagères un peu, non ?JPS1827 a écrit :Je rebondis sur un sujet effleuré par Nox dans un long fil précédent.
Vous en doutez que je ne parle jamais pour Nox mais peut-être un problème vient de là...nox a écrit :Un autre inconvénient c'est qu'il faut vraiment s'adapter. Il y a des orgues au clavier très très léger, et d'autres très très lourds.
Souvent aussi, il n'est pas possible de régler la hauteur du banc.
C'est pour cette raison que, encore aujourd'hui, je suis incapable de savoir régler mon siège au piano. Il y a surement une hauteur qui me convient mieux, mais je ne la connais pas. Je m'assois et je joue, plus ou moins bien du coup
“Wrong doesn't become right just because it's accepted by a majority.” - Booker Washington
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Questions très intéressantes!
Je vais essayer de raconter un peu l'expérience que j'ai eue cette année sur cette question précise. Mon professeur depuis quelque temps était étonné de la manière dont je perdais le naturel, l'aisance, de façon consternante, pour un oui ou pour un non, sur un morceau par ailleurs parfaitement su, appris par coeur, dont nous avions décortiqué tous les points techniques et qui était musicalement bien compris et aimé. Ce problème est récurrent avec presque tous mes morceaux, j'avance dans le travail, j'y suis presque, et hop ça se rebloque. Ça se passe en cours, donc une situation moins stressante que le jeu en public mais quand même avec la pression du "témoin" pour qui je joue. (Mais aussi à la maison. Je dois dire que maintenant –prise de conscience tout à fait récente– je repère ce moment de "perte" quand je travaille à la maison, je suis devenue attentive. Ça se manifeste autrement, par un "appauvrissement". Je pense que je ne savais même pas que ça m'arrivait - cette fameuse tendance à s'hypnotiser ou à écouter ce qu'on jouait la semaine dernière mais pas ce qui est en train d'être joué là dans le moment présent).
Donc gros travail pour essayer de comprendre ce qui se passe. Je suis arrivée à la conclusion que cette "aisance" que je croyais avoir construite n'en était pas une, c'était juste une accumulation d'instructions précises se suivant de près sur des micro-unités. Quand le morceau est su, il y a un moment où j'ai l'impression non plus de "jouer", mais de "singer" ces instructions, c'est-à-dire que ce n'est pas intégré vraiment dans un mouvement continu.
A ce moment mon prof m'a donné à travailler l'Arabesque de Debussy et pendant trois cours on a travaillé autrement, il ne me disait pas grand-chose mais juste de chercher un plaisir du geste et il m'a laissée un peu me débrouiller toute seule, ce qui était bizarre parce que je suis du genre élève appliquée. Petit à petit j'ai trouvé, et pour une fois le travail rigoureux est venu à partir du moment où s'installait une sorte de vision intérieure du geste, et non l'inverse.
Après j'ai travaillé le premier mouvement de la sonate op. 49 n°1 de Beethoven, une des deux sonates "leichte". Le texte n'est pas difficile, donc très vite j'ai ressenti un plaisir gestuel sur des mesures précises, et je me suis demandé, pourquoi est-ce si agréable sur ces mesures là? en fait c'est parce que l'écriture permet à la main de se positionner de manière très franche, équilibrée, sans torsion bizarroïde. J'ai procédé ensuite en recherchant cette même sensation dans les autres mesures, donc c'est le "plaisir" éprouvé naturellement à certains moments qui m'a aidée à travailler les autres passages. Ce qui est curieux (pas tant que ça, c'est Beethoven!) c'est que ce plaisir est intrinsèquement lié à la pulsation, le temps ressenti comme avançant, et aux sensation à l'écoute qu'"il se passe quelque chose". Je pense que cette sorte d'émotion "il se passe quelque chose" est parfois inconsciemment isolée du reste, on détache le moment, c'est un peu irrésistible, on travaille l'effet, on "insiste", et du coup on isole des choses qui sont liées et qui s'engendrent les unes les autres, ce qui les fragilise. C'est comme si en poésie, sous prétexte qu'il y a de belles allitérations, on changeait le grain de la voix à chaque allitération, pour bien que ça s'entende. Bien sûr il faut travailler sur des petites unités, mais je me dis qu'il doit y avoir une manière d'isoler dans le travail sans isoler dans la tête.
Donc, pour répondre à JPS, de mon point de vue, au stade où j'en suis, oui la précision de l'image musicale est importante et oriente le travail, mais il y a une donnée qui part aussi de la sensation physique au clavier, mais cette sensation au clavier doit être d'emblée musicale (j'y inclus des aspects comme la respiration). Quand j'ai commencé à ressentir ça j'ai dit à mon prof que pour moi le geste est comme un "élément signifiant" en linguistique, il participe d'emblée au sens, au langage musical. Quand on a compris ça la "technique" devient plus facile à comprendre dans son aspect mental, sa nécessité, ce qui n'enlève rien au temps nécessaire pour l'acquérir. C'est à peu près le seul point où je suis persuadée d'avoir progressé depuis deux ans. J'imagine qu'avec le temps, pour un pianiste expérimenté le naturel signifie que cette interdépendance devient de moins en moins raisonnée, de plus en plus spontanée, intégrée. Je pense aussi que l'histoire de la musique pour piano est une exploration de cette interdépendance, comme dans d'autres arts, ce qui était "naturel" à l'âge classique est réinterrogé et exploré autrement ce qui donne beaucoup de travail au pianiste qui s'attaque à des répertoires plus modernes!
Ce que je ne sais pas, pour en revenir à un morceau particulier pour lequel on a bien avancé dans cette voie, c'est comment faire, dans la durée (les mois de travail) pour que ce qui a fait l'objet d'une intense réflexion et recherche perde ce caractère intense "dans la tête" pour ne garder que le déroulement émotionnel du discours musical, qui était précisément l'objet de toute cette recherche. Je reviens à l'exemple de la poésie, c'est comme si quand on se récite un sonnet qu'on aime (mettons, Mignonne allons voir si la rose qui ce matin avait déclose sa robe de pourpre au soleil etc.), on était toujours à penser «premier quatrain rimes en "ose"» en oubliant la rose, le jardin et le temps.
(je viens de me relire, je crois que ce n'est pas très clair ce que je raconte mais je n'ai pas le temps de tout réécrire, donc je poste quand même, en demandant d'avance pardon pour la confusion!)
Je vais essayer de raconter un peu l'expérience que j'ai eue cette année sur cette question précise. Mon professeur depuis quelque temps était étonné de la manière dont je perdais le naturel, l'aisance, de façon consternante, pour un oui ou pour un non, sur un morceau par ailleurs parfaitement su, appris par coeur, dont nous avions décortiqué tous les points techniques et qui était musicalement bien compris et aimé. Ce problème est récurrent avec presque tous mes morceaux, j'avance dans le travail, j'y suis presque, et hop ça se rebloque. Ça se passe en cours, donc une situation moins stressante que le jeu en public mais quand même avec la pression du "témoin" pour qui je joue. (Mais aussi à la maison. Je dois dire que maintenant –prise de conscience tout à fait récente– je repère ce moment de "perte" quand je travaille à la maison, je suis devenue attentive. Ça se manifeste autrement, par un "appauvrissement". Je pense que je ne savais même pas que ça m'arrivait - cette fameuse tendance à s'hypnotiser ou à écouter ce qu'on jouait la semaine dernière mais pas ce qui est en train d'être joué là dans le moment présent).
Donc gros travail pour essayer de comprendre ce qui se passe. Je suis arrivée à la conclusion que cette "aisance" que je croyais avoir construite n'en était pas une, c'était juste une accumulation d'instructions précises se suivant de près sur des micro-unités. Quand le morceau est su, il y a un moment où j'ai l'impression non plus de "jouer", mais de "singer" ces instructions, c'est-à-dire que ce n'est pas intégré vraiment dans un mouvement continu.
A ce moment mon prof m'a donné à travailler l'Arabesque de Debussy et pendant trois cours on a travaillé autrement, il ne me disait pas grand-chose mais juste de chercher un plaisir du geste et il m'a laissée un peu me débrouiller toute seule, ce qui était bizarre parce que je suis du genre élève appliquée. Petit à petit j'ai trouvé, et pour une fois le travail rigoureux est venu à partir du moment où s'installait une sorte de vision intérieure du geste, et non l'inverse.
Après j'ai travaillé le premier mouvement de la sonate op. 49 n°1 de Beethoven, une des deux sonates "leichte". Le texte n'est pas difficile, donc très vite j'ai ressenti un plaisir gestuel sur des mesures précises, et je me suis demandé, pourquoi est-ce si agréable sur ces mesures là? en fait c'est parce que l'écriture permet à la main de se positionner de manière très franche, équilibrée, sans torsion bizarroïde. J'ai procédé ensuite en recherchant cette même sensation dans les autres mesures, donc c'est le "plaisir" éprouvé naturellement à certains moments qui m'a aidée à travailler les autres passages. Ce qui est curieux (pas tant que ça, c'est Beethoven!) c'est que ce plaisir est intrinsèquement lié à la pulsation, le temps ressenti comme avançant, et aux sensation à l'écoute qu'"il se passe quelque chose". Je pense que cette sorte d'émotion "il se passe quelque chose" est parfois inconsciemment isolée du reste, on détache le moment, c'est un peu irrésistible, on travaille l'effet, on "insiste", et du coup on isole des choses qui sont liées et qui s'engendrent les unes les autres, ce qui les fragilise. C'est comme si en poésie, sous prétexte qu'il y a de belles allitérations, on changeait le grain de la voix à chaque allitération, pour bien que ça s'entende. Bien sûr il faut travailler sur des petites unités, mais je me dis qu'il doit y avoir une manière d'isoler dans le travail sans isoler dans la tête.
Donc, pour répondre à JPS, de mon point de vue, au stade où j'en suis, oui la précision de l'image musicale est importante et oriente le travail, mais il y a une donnée qui part aussi de la sensation physique au clavier, mais cette sensation au clavier doit être d'emblée musicale (j'y inclus des aspects comme la respiration). Quand j'ai commencé à ressentir ça j'ai dit à mon prof que pour moi le geste est comme un "élément signifiant" en linguistique, il participe d'emblée au sens, au langage musical. Quand on a compris ça la "technique" devient plus facile à comprendre dans son aspect mental, sa nécessité, ce qui n'enlève rien au temps nécessaire pour l'acquérir. C'est à peu près le seul point où je suis persuadée d'avoir progressé depuis deux ans. J'imagine qu'avec le temps, pour un pianiste expérimenté le naturel signifie que cette interdépendance devient de moins en moins raisonnée, de plus en plus spontanée, intégrée. Je pense aussi que l'histoire de la musique pour piano est une exploration de cette interdépendance, comme dans d'autres arts, ce qui était "naturel" à l'âge classique est réinterrogé et exploré autrement ce qui donne beaucoup de travail au pianiste qui s'attaque à des répertoires plus modernes!
Ce que je ne sais pas, pour en revenir à un morceau particulier pour lequel on a bien avancé dans cette voie, c'est comment faire, dans la durée (les mois de travail) pour que ce qui a fait l'objet d'une intense réflexion et recherche perde ce caractère intense "dans la tête" pour ne garder que le déroulement émotionnel du discours musical, qui était précisément l'objet de toute cette recherche. Je reviens à l'exemple de la poésie, c'est comme si quand on se récite un sonnet qu'on aime (mettons, Mignonne allons voir si la rose qui ce matin avait déclose sa robe de pourpre au soleil etc.), on était toujours à penser «premier quatrain rimes en "ose"» en oubliant la rose, le jardin et le temps.
(je viens de me relire, je crois que ce n'est pas très clair ce que je raconte mais je n'ai pas le temps de tout réécrire, donc je poste quand même, en demandant d'avance pardon pour la confusion!)
Modifié en dernier par Oupsi le mer. 26 févr., 2014 14:07, modifié 6 fois.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Merci JPS d'avoir ouvert cette discussion.
Il m'est en effet arrivé (cela m'arrive en fait de plus en plus, ayant maintenant plusieurs programmes que j'ai joués et rejoués en public et que je prends le temps de rôder sur plusieurs années) d'avoir cette impression de facilité, de faire exactement ce que je veux, et d'être au contraire grisé par la présence d'un auditoire attentif. Ca ne veut pas dire que je joue sans faute, notez bien, je peux mettre plein de notes à côté, mais je suis pleinement conscient de chacun de mes gestes, comme si j'étais dans mon salon.
Mais c'est différent de ce que je décrivais. Je joue sans stress, comme je veux, je fais ce qui me semble beau et je prends beaucoup de plaisir à écouter cette musique que je créée comme si j'étais moi même dans le public et non au piano. Mais j'ai l'impression que ça reste superficiel, ça reste "joli" mais la démarche artistique globale est absente.
C'est un peu comme si je lisais un beau poème en public en le découvrant pour ainsi dire au fur et à mesure de ma lecture. Il manque une direction, une tête, une démarche.
C'est un peu la même impression que quand je regarde les master-class de Schiff sur les sonates de Beethoven, j'ai l'impression que pour la plupart, on ne fait que pianoter, on joue, on interprète un peu en suivant les indications de la partition, on fait en sorte que "ça sonne bien". Mais j'ai la sensation qu'il faut aller beaucoup plus loin, et qu'il faut que le morceau dans son ensemble ait du sens. A ce niveau là évidemment tout blocage technique est proscrit, on joue du piano comme on parle, sans se poser de question.
Cette vidéo me donne aussi cette impression : www.youtube.com/watch?v=rRm3V6g3EeE
Et j'ai l'impression que ce n'est pas le travail qui peut amener ça, les bons musiciens perçoivent assez rapidement le sens global, avec un certain recul qui me laisse toujours admiratif. Ils savent instinctivement assembler ces notes pour en faire quelque chose qui va plus loin.
Même sur une écoute, j'ai l'impression que certains commentaires d'écoute d'Okay ou toi (désolé de mettre à mal votre modestie ) sont juste dans une autre dimension, là où nous disons "c'est joli" ou "ça sonne bien", il y a tout un monde qui vous est révélé et que vous nous décrivez par le biais de vos messages ici.
Ce n'est pas un hasard si vos contributions sont aussi appréciées.
Il m'est en effet arrivé (cela m'arrive en fait de plus en plus, ayant maintenant plusieurs programmes que j'ai joués et rejoués en public et que je prends le temps de rôder sur plusieurs années) d'avoir cette impression de facilité, de faire exactement ce que je veux, et d'être au contraire grisé par la présence d'un auditoire attentif. Ca ne veut pas dire que je joue sans faute, notez bien, je peux mettre plein de notes à côté, mais je suis pleinement conscient de chacun de mes gestes, comme si j'étais dans mon salon.
Mais c'est différent de ce que je décrivais. Je joue sans stress, comme je veux, je fais ce qui me semble beau et je prends beaucoup de plaisir à écouter cette musique que je créée comme si j'étais moi même dans le public et non au piano. Mais j'ai l'impression que ça reste superficiel, ça reste "joli" mais la démarche artistique globale est absente.
C'est un peu comme si je lisais un beau poème en public en le découvrant pour ainsi dire au fur et à mesure de ma lecture. Il manque une direction, une tête, une démarche.
C'est un peu la même impression que quand je regarde les master-class de Schiff sur les sonates de Beethoven, j'ai l'impression que pour la plupart, on ne fait que pianoter, on joue, on interprète un peu en suivant les indications de la partition, on fait en sorte que "ça sonne bien". Mais j'ai la sensation qu'il faut aller beaucoup plus loin, et qu'il faut que le morceau dans son ensemble ait du sens. A ce niveau là évidemment tout blocage technique est proscrit, on joue du piano comme on parle, sans se poser de question.
Cette vidéo me donne aussi cette impression : www.youtube.com/watch?v=rRm3V6g3EeE
Et j'ai l'impression que ce n'est pas le travail qui peut amener ça, les bons musiciens perçoivent assez rapidement le sens global, avec un certain recul qui me laisse toujours admiratif. Ils savent instinctivement assembler ces notes pour en faire quelque chose qui va plus loin.
Même sur une écoute, j'ai l'impression que certains commentaires d'écoute d'Okay ou toi (désolé de mettre à mal votre modestie ) sont juste dans une autre dimension, là où nous disons "c'est joli" ou "ça sonne bien", il y a tout un monde qui vous est révélé et que vous nous décrivez par le biais de vos messages ici.
Ce n'est pas un hasard si vos contributions sont aussi appréciées.
Modifié en dernier par nox le mer. 26 févr., 2014 11:28, modifié 2 fois.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Beaucoup d apprentissages formels sont enseignés dans un premier temps en dissociant les divers éléments impliqués... Et après on vous demande de les réunir... Bien après....
Je me demande si une des causes possibles de ces difficultés, ne serait pas due à notre langue maternelle : le français .
Un langage syllabique, melodiquement et Rythmiquement assez neutre....
Je me demande si une des causes possibles de ces difficultés, ne serait pas due à notre langue maternelle : le français .
Un langage syllabique, melodiquement et Rythmiquement assez neutre....
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Merci pour ton témoignage intéressant.nox a écrit :Merci JPS d'avoir ouvert cette discussion.
Il m'est en effet arrivé (cela m'arrive en fait de plus en plus, ayant maintenant plusieurs programmes que j'ai joués et rejoués en public et que je prends le temps de rôder sur plusieurs années) d'avoir cette impression de facilité, de faire exactement ce que je veux, et d'être au contraire grisé par la présence d'un auditoire attentif. Ca ne veut pas dire que je joue sans faute, notez bien, je peux mettre plein de notes à côté, mais je suis pleinement conscient de chacun de mes gestes, comme si j'étais dans mon salon.
Mais c'est différent de ce que je décrivais. Je joue sans stress, comme je veux, je fais ce qui me semble beau et je prends beaucoup de plaisir à écouter cette musique que je créée comme si j'étais moi même dans le public et non au piano. Mais j'ai l'impression que ça reste superficiel, ça reste "joli" mais la démarche artistique globale est absente.
C'est un peu comme si je lisais un beau poème en public en le découvrant pour ainsi dire au fur et à mesure de ma lecture. Il manque une direction, une tête, une démarche.
C'est un peu la même impression que quand je regarde les master-class de Schiff sur les sonates de Beethoven, j'ai l'impression que pour la plupart, on ne fait que pianoter, on joue, on interprète un peu en suivant les indications de la partition, on fait en sorte que "ça sonne bien". Mais j'ai la sensation qu'il faut aller beaucoup plus loin, et qu'il faut que le morceau dans son ensemble ait du sens. A ce niveau là évidemment tout blocage technique est proscrit, on joue du piano comme on parle, sans se poser de question.
Cette vidéo me donne aussi cette impression : http://www.youtube.com/watch?v=rRm3V6g3EeE
Et j'ai l'impression que ce n'est pas le travail qui peut amener ça, les bons musiciens perçoivent assez rapidement le sens global, avec un certain recul qui me laisse toujours admiratif. Ils savent instinctivement assembler ces notes pour en faire quelque chose qui va plus loin.
Même sur une écoute, j'ai l'impression que certains commentaires d'écoute d'Okay ou toi (désolé de mettre à mal votre modestie ) sont juste dans une autre dimension, là où nous disons "c'est joli" ou "ça sonne bien", il y a tout un monde qui vous est révélé et que vous nous décrivez par le biais de vos messages ici.
Ce n'est pas un hasard si vos contributions sont aussi appréciées.
Je ne suis cependant pas tout à fait d'accord quand tu dis que ce n'est pas le travail qui peut amener "ça".
Je pense justement qu'en travaillant avec de "bons musiciens", qui partagent avec nous leur perception global de certaines oeuvres, on pourra à notre tour s'en inspirer pour saisir par nous même le sens d'autres morceaux, je ne sais pas si je suis clair. Le problème étant bien sûr d'avoir le chance de pouvoir travailler avec de "bons musiciens".
Quant à la vidéo de Pierre-Laurent Aimard je n'ai pas tout à fait saisi ton point de vu, tu la critiques ou tu l'apprécies au contraire ?
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Je l'admire, parce que ce qu'il me dit me semble limpide, et il donne un sens à la musique puissante de Beethoven, là où je n'entendais qu'un beau mouvement lent de sonate.
C'est en phase avec les biographies qu'on peut lire des différents compositeurs, qui vraiment donnent sur certaines oeuvres une signification à chaque accord, à chaque couleur, à chaque modulation.
Et nous on passe joyeusement à côté, on suit gaillardement notre autoroute pianistique sans même prêter attention au paysage qui défile, en quelque sorte.
Quand j'entends une démonstration comme la sienne, quand je vois ce que certains interprètes font de ces sonates (l'op.111 par Arrau, l'Appassionata de Richter...), je me sens comme un gamin devant un piano trop grand pour lui.
Pour le reste, est-ce que ça se travaille ou pas, je crains que là on ne puisse que présenter ses convictions personnelles. La mienne est un peu pessimiste peut-être, mais ça correspond à ce que je ressens réellement.
J'ai commencé très jeune, j'ai 23 ans de musique derrière moi, et cette vision je ne l'ai pas aujourd'hui, je ne lis pas l'avenir mais il me parait peu probable que les années à venir soient aussi riches musicalement et pianistiquement pour moi que l'ont été mes années en conservatoire et CNR, époques magiques qui m'ont procuré cet amour pour la musique qui, pour le coup, ne me quittera jamais. Ca au moins c'est une certitude, et c'est déjà beaucoup
Je souhaite me tromper, qui vivra verra
C'est en phase avec les biographies qu'on peut lire des différents compositeurs, qui vraiment donnent sur certaines oeuvres une signification à chaque accord, à chaque couleur, à chaque modulation.
Et nous on passe joyeusement à côté, on suit gaillardement notre autoroute pianistique sans même prêter attention au paysage qui défile, en quelque sorte.
Quand j'entends une démonstration comme la sienne, quand je vois ce que certains interprètes font de ces sonates (l'op.111 par Arrau, l'Appassionata de Richter...), je me sens comme un gamin devant un piano trop grand pour lui.
Pour le reste, est-ce que ça se travaille ou pas, je crains que là on ne puisse que présenter ses convictions personnelles. La mienne est un peu pessimiste peut-être, mais ça correspond à ce que je ressens réellement.
J'ai commencé très jeune, j'ai 23 ans de musique derrière moi, et cette vision je ne l'ai pas aujourd'hui, je ne lis pas l'avenir mais il me parait peu probable que les années à venir soient aussi riches musicalement et pianistiquement pour moi que l'ont été mes années en conservatoire et CNR, époques magiques qui m'ont procuré cet amour pour la musique qui, pour le coup, ne me quittera jamais. Ca au moins c'est une certitude, et c'est déjà beaucoup
Je souhaite me tromper, qui vivra verra
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Ce fil soulève l'un des graals de l'execution musicale, et il y aurait de quoi écrire plusieurs bouquins sur la question (il en existe d'ailleurs plusieurs non ? ). Faute de lui trouver un meilleur nom, je décris cet état fameux comme un état de "fluidité cognitive", que je vais essayer d'expliciter un peu dans la suite.
Vu qu'il y a beaucoup de points et de questions, allons y dans l'ordre.
Il y a deux catégories de facteurs favorisant cet état. Certains purement physiques, d'autres purement cognitifs. Idéalement, la fluidité cognitive apparait lorsque ça se passe bien dans les 2 domaines.
- Facteurs physiques. Par facteurs physiques, j'entends des choses très simples, à la limite comme pour un sportif. Ne pas manquer de sommeil, ne pas avoir trop mangé (ni trop bu ?). Il y a aussi la notion d'équilibre du niveau de détente qui rentre ici. Depuis quelques temps, je sais que la respiration est clé. Pas de fluidité cognitive sans respiration ventrale et non sacadée par exemple (base de la relaxation). Avant de jouer ou travailler, parfois je relache mes bras le long du corps et respire 10 secondes (ou plus longtemps si besoin) pour installer ça. La détente produit aussi de la confiance. L'autre point de la respiration, c'est les apnées musicales. Parfois, dans un passage dur, je me surprends à ne plus respirer. C'est l'indice d'un problème plus profond à régler, dont la source est généralement un manquement cognitif.
- Facteurs cognitifs. Tout d'abord une intuition, confirmée scientifiquement dans un bouquin lu récemment. Nous avons une jauge physique et cognitive commune : un effort cérébral diminue les performances physiques, et un effort cérébral diminue les performances cognitives. Autrement dit, après une heure de travail intense (intense dans le sens où on mobilise 110% de sa concentration à chaque instant, ce qui donne chaud au crane au sens propre ; ce n'est pas pour rien que ce genre d'heure apporte 10 fois plus que 3 jours de travail à répéter en boucle lentement), l'état de fluidité cognitive devient absolument hors de portée car on a épuisé la jauge. C'est impossible d'echainer son morceau après avoir bossé de cette manière. Cet état n'est accessible pour enchaîner des morceaux qu'après peu de temps passé au piano, voire dès qu'on s'assoit au piano (modulo un mini échauffement sur le morceau en question). Au passage, oubliez les gammes/exercices pour s'échauffer, elles ne contiennent pas les sensations physiques de ce que vous allez travailler ou jouer juste après. L'échauffement est davantage une réactivation des fonctions cognitives qu'un vrai echauffement physique des doigts. Donc la conséquence inévitable, c'est qu'il faut être "chargé" au préalable d'un ensemble de savoir-faire cognitifs liés au morceau.
Ce qui nous amène au facteur cognitif essentiel. Et là, je sens la décéption, car ce n'est pas un secret : c'est la qualité du travail fourni en amont. Au risque de risquer la litote, c'est la qualité qualitative qui compte (pas quantitative). Plus le travail est solide, plus on peut atteindre cet état de fluidité. Un travail solide, ce n'est pas seulement un travail qui règle les difficultés, c'est avant tout un travail dans lequel on sait comment on a réglé les difficultés, et pourquoi on les a réglées de cette manière. Ca change absolument tout, car ça bétonne le travail, ça lui donne ses fondations. On peut arriver à jouer en répétant comme une brute, mais on ne saura pas pourquoi ça fonctionne, à part qu'on sait qu'on s'est acharné. Lorsqu'on sait pourquoi ça fonctionne (ou doit prochainement fonctionner), on instille d'emblée un degré de sécurité beaucoup plus grand. Et lorsqu'on connait les raisons de la sécurité, on a confiance, et quand on a confiance pour de bonnes raisons, on atteint la fluidité cognitive. CQFD, mais plus facile à dire qu'à faire ....
Vu qu'il y a beaucoup de points et de questions, allons y dans l'ordre.
Oui, c'est très utile de souligner ça. L'objectif au piano n'est pas la détente abolue. C'est une hérésie de poursuivre ce but. Comment peut-on jouer du piano en étant comme un chamallow ? Selon les besoins, la force doit être repartie dans les doigts, jusqu'aux poignets, épaules, dos, voire tout le corps. La tension pour moi provient d'une mauvaise repartition de la force entre toutes ces parties. Plus précisément, si par exemple en jouant des octaves très vite on libère les poignets et les coudes mais pas les épaules, ça va coincer. Donc en effet, pour atteindre cet état, il y a déjà un rapport au corps. Généralement, on est trop tendu. Mais parfois on peut aussi être trop détendu, ce qui peut être ravageur pour la sécurité, notamment lorsqu'on a besoin d'attaques égales ou qu'on doit prendre des risques. Il faut bien allouer son energie.JPS1827 a écrit : Il y a d'abord la notion de "détente physique", qui est en fait un concept très vague et qui dit beaucoup moins que ce qu'il semble dire. Quand on est "détendu" au piano, quels sont les muscles qui sont détendus et quels sont ceux qui ne le sont pas (et à l'inverse quels sont les muscles qui sont tendus et qui ne devraient pas l'être quand on joue "raide").
Ce problème là, c'est de savoir à quel moment se mettre en pilote automatique, et à quel moment redoubler d'attention et de concentration (et sur quoi). On ne peut pas jouer du piano en faisant tout le temps attention, certaines choses doivent être automatisées. Mais pas tout, loin de là. Même lorsqu'on est dans cet état d'inspiration, il y a des balises à suivre, des instructions conscientes à mettre en oeuvre. A nouveau, on fait face à une notion d'équilibre entre ce qui appartient au domaine des reflexes et ce qui appartient à la cognition volontaire. C'est impossible de jouer en visant d'être à 100% sur l'un ou l'autre, c'est en permanance une combinaison des deux. Tout l'art étant de la réaliser.JPS1827 a écrit :Il y a aussi le problème déjà évoqué par Okay d'arriver à un mode "compilé" pour jouer quelque chose en entier.
Oui, ce problème est complètement associé aux sensations. C'est ce que Neuhaus appelle "l'image esthétique" dans la première partie de l'Art du Piano. Pour lui, c'est le point de départ de tout. Et comme le dit bien Oupsi (ce qui fait écho à Neuhaus et à ce que je pense également), l'approche du piano se doit d'être globale, intégrée. L'image esthétique dicte le résultat sonore à obtenir, et ce résultat demande la mise en place de certains moyens, et ces moyens sont associés à des sensations physiques chez l'instrumentiste. C'est quelque chose qui est particulièrement important chez les compositeurs qui ont un style pianistique très marqué (ils sont nombreux). Dans les accords, le "son Brahms" est plus plein et le "son Liszt" plus direct. Un passage de doubles croches chez Mozart ou Schubert demande une sensation toute différente dans les attaques, car ils ne demandent pas le même son. Schubert sera plus éthéré que Mozart. Ces compositeurs (et plein d'autres) comprennent le clavier à leur manière, et il faut arriver à entrer dans leur approche pour les jouer. Finalement, le piano de Debussy est beaucoup plus voisin de celui de Chopin que de celui de Ravel.JPS1827 a écrit :Il y a enfin le problème qui est souvent considéré comme d'un autre ordre, mais qui ne devrait pas : et si c'était la précision de l'image musicale de ce qu'il y a à jouer qui permettait de se sentir plus à l'aise sur le plan purement pianistique ?
C'est donc le moment d'essayer d'expliciter cette barbare fluidité cognitive. Pour moi, la plupart du temps, ça a la plus de chances de se produire seul chez moi, lorsque je suis tranquille à mon piano depuis quelques minutes. En public, lorsque ça se produit, (donc de manière couplée à la présence du public), ça peut me mener à quelque chose de plus, qui intègre une dimension créative. Je peux avoir des idées musicales nouvelles que je vais mettre en oeuvre sans aucune préméditation, juste à l'instinct. Ca c'est vraiment le top, mais c'est rarissime. J'en parle nénamoins, car ça s'est déjà produit, donc je sais que c'est "possible". Le public n'est donc pas la cause de cette fluidité, lorsqu'il est là, ça peut soit la sublimer soit la détruire (et là on traverse le martyre d'execution qu'évoque JPS, à se poser pleins de questions les plus débiles les unes que les autres qui génèrent un cercle infernal d'insécurité). Mais je ne développe pas, même si c'est lié, c'est plus à relier à la gestion du trac, et mon post est déjà bien long.JPS1827 a écrit : que retenez-vous des fois où vous avez eu cette impression de "facilité" (et vous est-il arrivé de l'avoir en jouant en public, dans une réunion pianomajeur par exemple), et quels sont selon vous les facteurs qui conditionnent cette sensation d'appropriation à son instrument dans une œuvre qu'on connaît bien par ailleurs, ou bien qui font qu'on joue dans la souffrance en espérant qu'il n'y aura pas de grosse catastrophe avant la fin (et je sais de quoi je parle).
Il y a deux catégories de facteurs favorisant cet état. Certains purement physiques, d'autres purement cognitifs. Idéalement, la fluidité cognitive apparait lorsque ça se passe bien dans les 2 domaines.
- Facteurs physiques. Par facteurs physiques, j'entends des choses très simples, à la limite comme pour un sportif. Ne pas manquer de sommeil, ne pas avoir trop mangé (ni trop bu ?). Il y a aussi la notion d'équilibre du niveau de détente qui rentre ici. Depuis quelques temps, je sais que la respiration est clé. Pas de fluidité cognitive sans respiration ventrale et non sacadée par exemple (base de la relaxation). Avant de jouer ou travailler, parfois je relache mes bras le long du corps et respire 10 secondes (ou plus longtemps si besoin) pour installer ça. La détente produit aussi de la confiance. L'autre point de la respiration, c'est les apnées musicales. Parfois, dans un passage dur, je me surprends à ne plus respirer. C'est l'indice d'un problème plus profond à régler, dont la source est généralement un manquement cognitif.
- Facteurs cognitifs. Tout d'abord une intuition, confirmée scientifiquement dans un bouquin lu récemment. Nous avons une jauge physique et cognitive commune : un effort cérébral diminue les performances physiques, et un effort cérébral diminue les performances cognitives. Autrement dit, après une heure de travail intense (intense dans le sens où on mobilise 110% de sa concentration à chaque instant, ce qui donne chaud au crane au sens propre ; ce n'est pas pour rien que ce genre d'heure apporte 10 fois plus que 3 jours de travail à répéter en boucle lentement), l'état de fluidité cognitive devient absolument hors de portée car on a épuisé la jauge. C'est impossible d'echainer son morceau après avoir bossé de cette manière. Cet état n'est accessible pour enchaîner des morceaux qu'après peu de temps passé au piano, voire dès qu'on s'assoit au piano (modulo un mini échauffement sur le morceau en question). Au passage, oubliez les gammes/exercices pour s'échauffer, elles ne contiennent pas les sensations physiques de ce que vous allez travailler ou jouer juste après. L'échauffement est davantage une réactivation des fonctions cognitives qu'un vrai echauffement physique des doigts. Donc la conséquence inévitable, c'est qu'il faut être "chargé" au préalable d'un ensemble de savoir-faire cognitifs liés au morceau.
Ce qui nous amène au facteur cognitif essentiel. Et là, je sens la décéption, car ce n'est pas un secret : c'est la qualité du travail fourni en amont. Au risque de risquer la litote, c'est la qualité qualitative qui compte (pas quantitative). Plus le travail est solide, plus on peut atteindre cet état de fluidité. Un travail solide, ce n'est pas seulement un travail qui règle les difficultés, c'est avant tout un travail dans lequel on sait comment on a réglé les difficultés, et pourquoi on les a réglées de cette manière. Ca change absolument tout, car ça bétonne le travail, ça lui donne ses fondations. On peut arriver à jouer en répétant comme une brute, mais on ne saura pas pourquoi ça fonctionne, à part qu'on sait qu'on s'est acharné. Lorsqu'on sait pourquoi ça fonctionne (ou doit prochainement fonctionner), on instille d'emblée un degré de sécurité beaucoup plus grand. Et lorsqu'on connait les raisons de la sécurité, on a confiance, et quand on a confiance pour de bonnes raisons, on atteint la fluidité cognitive. CQFD, mais plus facile à dire qu'à faire ....
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Merci pour cette contribution, c'est très intéressant !
Je rebondis sur un passage
Je veux dire, savoir adapter la sonorité, les gestes, la perception complète de l'instrument, c'est effectivement une chose primordiale, qui différencie une interprétation correcte d'une véritable belle prestation musicale. Mais on est encore là au niveau des notes.
Il me semble que pour certaines oeuvres, l'essentiel du travail se passe presque hors piano. Un exemple criant : la sonate de Liszt (il y en a plein d'autres, j'ai la même impression dans les intermezzi de Brahms par exemple). Jouer un morceau de cette dimension, ça nécessite non seulement une maîtrise sonore et technique, mais surtout intellectuelle. Il faut savoir, il faut comprendre, il ne faut pas laisser les notes guider.
C'est cette partie qui me semble la plus abrupte.
Certes on peut lire des ouvrages, profiter du travail d'autres, mais ce n'est pas la même chose, parce que ce n'est pas l'aboutissement d'une recherche et d'une conviction personnelle.
Mais peut-être que je sacralise trop, tout simplement...
En tout cas, pour faire le lien avec la question de départ, je pense que sans cette maîtrise intellectuelle, sans cette vision limpide de l'oeuvre, on ne peut pas arriver à une interprétation vraiment maîtrisée, parce que sinon on navigue au radar.
Je rebondis sur un passage
Ce travail sur l'image esthétique ne doit-il pas aller encore plus loin justement ? Et servir une véritable démarche artistique, consciente et volontaire ?Oui, ce problème est complètement associé aux sensations. C'est ce que Neuhaus appelle "l'image esthétique" dans la première partie de l'Art du Piano. Pour lui, c'est le point de départ de tout. Et comme le dit bien Oupsi (ce qui fait écho à Neuhaus et à ce que je pense également), l'approche du piano se doit d'être globale, intégrée. L'image esthétique dicte le résultat sonore à obtenir, et ce résultat demande la mise en place de certains moyens, et ces moyens sont associés à des sensations physiques chez l'instrumentiste. C'est quelque chose qui est particulièrement important chez les compositeurs qui ont un style pianistique très marqué (ils sont nombreux). Dans les accords, le "son Brahms" est plus plein et le "son Liszt" plus direct. Un passage de doubles croches chez Mozart ou Schubert demande une sensation toute différente dans les attaques, car ils ne demandent pas le même son. Schubert sera plus éthéré que Mozart. Ces compositeurs (et plein d'autres) comprennent le clavier à leur manière, et il faut arriver à entrer dans leur approche pour les jouer. Finalement, le piano de Debussy est beaucoup plus voisin de celui de Chopin que de celui de Ravel.
Je veux dire, savoir adapter la sonorité, les gestes, la perception complète de l'instrument, c'est effectivement une chose primordiale, qui différencie une interprétation correcte d'une véritable belle prestation musicale. Mais on est encore là au niveau des notes.
Il me semble que pour certaines oeuvres, l'essentiel du travail se passe presque hors piano. Un exemple criant : la sonate de Liszt (il y en a plein d'autres, j'ai la même impression dans les intermezzi de Brahms par exemple). Jouer un morceau de cette dimension, ça nécessite non seulement une maîtrise sonore et technique, mais surtout intellectuelle. Il faut savoir, il faut comprendre, il ne faut pas laisser les notes guider.
C'est cette partie qui me semble la plus abrupte.
Certes on peut lire des ouvrages, profiter du travail d'autres, mais ce n'est pas la même chose, parce que ce n'est pas l'aboutissement d'une recherche et d'une conviction personnelle.
Mais peut-être que je sacralise trop, tout simplement...
En tout cas, pour faire le lien avec la question de départ, je pense que sans cette maîtrise intellectuelle, sans cette vision limpide de l'oeuvre, on ne peut pas arriver à une interprétation vraiment maîtrisée, parce que sinon on navigue au radar.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Oui je pense qu'il ne faut pas sacraliser ... car ce travail sur l'image esthétique existe du petit prélude de Bach à la sonate de Liszt. Le piano se joue plus avec les oreilles et la tête que les doigts. Ce n'est pas forcément un projet artistique très ambitieux, c'est déjà se demander le caractère général de la pièce, et comment on aimerait en gros que ça sonne.
Jusqu'à mes 13-14 ans, je ne jouais qu'avec les doigts, puis je me suis fait déboucher les oreilles au CNR, et seulement depuis 1 an environ, je commence à vraiment utiliser ma propre tête ...
Ensuite, je ne suis pas vraiment d'accord si l'on dit que l'essentiel peut se passer hors piano. Jouer du piano reste une forme d'artisanat, donc on peut difficilement occulter bien longtemps le rapport au clavier. Lorsque je "travaille" sans piano ni partition (si un passage m'obsède l'esprit), je pense malgré tout plus clavier qu'intention musicale. Le reste c'est de la culture, c'est important, mais c'est encore autre chose. Pour caricaturer, on peut jouer du piano très bien sans culture du tout, et ne pas savoir jouer du piano avec une immense culture musicale non ?
Le travail sur l'esthétique musicale, c'est d'abord se demander à quoi ça doit ressembler, puis ensuite se mettre en quête des moyens. Je ne connais rien en peinture, mais l'idée c'est comme un peintre qui veut produire une texture ou une transparence. Il a d'abord cette idée de l'effet artistique, mais lui aussi c'est avant tout un artisan, donc il va surement vite se demander quel pinceaux ou couteaux utiliser, par quelle couche il faut commencer, etc.
Concevoir d'abord l'image esthétique, c'est plutôt se faciliter la tache que se la compliquer, au moins ça donne un but et cercle les moyens à utiliser.
Jusqu'à mes 13-14 ans, je ne jouais qu'avec les doigts, puis je me suis fait déboucher les oreilles au CNR, et seulement depuis 1 an environ, je commence à vraiment utiliser ma propre tête ...
Ensuite, je ne suis pas vraiment d'accord si l'on dit que l'essentiel peut se passer hors piano. Jouer du piano reste une forme d'artisanat, donc on peut difficilement occulter bien longtemps le rapport au clavier. Lorsque je "travaille" sans piano ni partition (si un passage m'obsède l'esprit), je pense malgré tout plus clavier qu'intention musicale. Le reste c'est de la culture, c'est important, mais c'est encore autre chose. Pour caricaturer, on peut jouer du piano très bien sans culture du tout, et ne pas savoir jouer du piano avec une immense culture musicale non ?
Le travail sur l'esthétique musicale, c'est d'abord se demander à quoi ça doit ressembler, puis ensuite se mettre en quête des moyens. Je ne connais rien en peinture, mais l'idée c'est comme un peintre qui veut produire une texture ou une transparence. Il a d'abord cette idée de l'effet artistique, mais lui aussi c'est avant tout un artisan, donc il va surement vite se demander quel pinceaux ou couteaux utiliser, par quelle couche il faut commencer, etc.
Concevoir d'abord l'image esthétique, c'est plutôt se faciliter la tache que se la compliquer, au moins ça donne un but et cercle les moyens à utiliser.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Eh bien ça c'est une question bigrement intéressante. Peut-on jouer vraiment bien sans avoir la moindre idée de ce qu'on joue, en quelque sorte.Okay a écrit :on peut jouer du piano très bien sans culture du tout [...] non ?
Précisément, je réponds non, parce que le piano va pour moi au-delà de l'artisanat au sens de la maîtrise technique.
J'ai remarqué quelque chose d'analogue dans la classe de mon ancien professeur. Quand il y a des cours publiques, j'entends tous ses élèves qui font ou feront des concours et concert à travers le monde.
Tous sont d'excellents pianistes, mais alors que certains (une minorité) me transportent véritablement d'un bout à l'autre du morceau, d'autres me laissent dans une écoute superficielle. Et je me suis rendu compte grâce aux discussions qui suivent chaque prestation que ceux qui me laissaient dans cette insatisfaction avaient précisément des lacunes dans leur culture, et parfois considérables (certains ne savent pas si Beethoven vient avant ou après Mozart ou Bach...).
Autre façon de tourner la question peut-être : si on donne à un pianiste quelque chose comme les tableaux d'une exposition, en lui cachant tous les titres, ou en appelant ça bêtement "suite pour piano", pourra-t-il interpréter correctement cette oeuvre ?
Ce que tu dis me fait parfois penser à la vision de Richter, qui semble aussi à des années lumières d'analyse comme celle d'Aimard. Pour lui, ce n'est "que" de la musique. C'est une personnalité fascinante, mais aussi tout à fait unique je crois parmi les monstres sacrés du piano.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Ok, je reprécise. Un pianiste sans culture peut très bien jouer du piano si son prof est cultivé et lui "fournit" d'autorité l'image esthétique à restituer.
Cette culture là est indispensable si on est livré à soi même pour former cette image et se constuire un goût à la fois sûr et personnel.
Cette culture là est indispensable si on est livré à soi même pour former cette image et se constuire un goût à la fois sûr et personnel.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Mais là, ce n'est pas ce que j'appelle un bon pianiste.
Comme je l'ai dit, je ne pense pas qu'on puisse se "contenter" de lire ou de recevoir cette compréhension des oeuvres par un professeur. Entre celui qui restitue ce qu'il a lu ou entendu, et celui qui fait parler ses convictions personnelles et instinctives, il y a un monde justement...
Comme je l'ai dit, je ne pense pas qu'on puisse se "contenter" de lire ou de recevoir cette compréhension des oeuvres par un professeur. Entre celui qui restitue ce qu'il a lu ou entendu, et celui qui fait parler ses convictions personnelles et instinctives, il y a un monde justement...
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Ben c'est-à-dire ça dépend de ce qu'on entend par culture. En hommage à Okay dont le post est merveilleusement intéressant, j'invente le concept de "fluidité culturelle". C'est la capacité de sortir des sentiers inertes de la culture scolaire pour s'adonner à la libre mais réfléchie création d'associations de toute sorte entre tout ce que l'on sait et ce qui s'invente avec imagination dans le moment présent.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Je ne peux pas m'empêcher de rappeler la citation de Kant (qui est désormais clouée sur le mur devant moi face au piano, pour faire écho à un vieux fil sur ce qu'on voit devant notre piano) : "La musique est la langue des émotions". Autrement dit, elle peut être auto-suffisante.
Evidemment que non. D'après Chopin lui même, sa musique se suffit à elle-même (je n'ai pas la citation exacte en tête). Aucune pièce n'annonce plus qu'un titre plus ou moins stylisé (Prélude ? quésako ?) et un numéro d'opus. Ballade n°2, Scherzo n°4, Nocturne n°17, Etude n°8 ... oubliez Tristesse, Océan, Révolutionnaire, Sonate Funèbre ... Chopin ne s'en remet toujours pas.
Alors que chez Schumann, on a affaire à une oeuvre imbibée de littérature, de personnages, on ne peut pas l'en séparer. Kreisleriana, Waldszenen, les Carnavals, la moindre des Scènes d'Enfant à son petit titre, et même la Fantasie n'y échappe pas (le "cri d'amour" à Clara...) alors qu'elle ne s'appelle que Fantasie ...
Mais il serait fou de dire que la musique de Schumann est beaucoup plus riche que celle de Chopin. Et pourtant le second ne l'entoure ni de titres, de légendes, de références, de jeux de pistes ...
Souvent même (je ne parle pas de Schumann ou Moussourgsky évidemment), les éléments extérieurs sont invoqués par le compositeur, car il espère peut-être inconsciemment palier l'insuffisance de sa créativité purement musicale en annonçant le sujet. Mais essayons de ne pas terriblement s'éloigner du sujet de départ ...
Mais bien sûr et heureusement qu'il le pourra ! Je pense pouvoir le montrer de manière assez simple en posant une autre question. Est-ce que la musique de Chopin est moins poétique que celle de Schumann ?nox a écrit :Autre façon de tourner la question peut-être : si on donne à un pianiste quelque chose comme les tableaux d'une exposition, en lui cachant tous les titres, ou en appelant ça bêtement "suite pour piano", pourra-t-il interpréter correctement cette oeuvre ?
Ce que tu dis me fait parfois penser à la vision de Richter, qui semble aussi à des années lumières d'analyse comme celle d'Aimard. Pour lui, ce n'est "que" de la musique. C'est une personnalité fascinante, mais aussi tout à fait unique je crois parmi les monstres sacrés du piano.
Evidemment que non. D'après Chopin lui même, sa musique se suffit à elle-même (je n'ai pas la citation exacte en tête). Aucune pièce n'annonce plus qu'un titre plus ou moins stylisé (Prélude ? quésako ?) et un numéro d'opus. Ballade n°2, Scherzo n°4, Nocturne n°17, Etude n°8 ... oubliez Tristesse, Océan, Révolutionnaire, Sonate Funèbre ... Chopin ne s'en remet toujours pas.
Alors que chez Schumann, on a affaire à une oeuvre imbibée de littérature, de personnages, on ne peut pas l'en séparer. Kreisleriana, Waldszenen, les Carnavals, la moindre des Scènes d'Enfant à son petit titre, et même la Fantasie n'y échappe pas (le "cri d'amour" à Clara...) alors qu'elle ne s'appelle que Fantasie ...
Mais il serait fou de dire que la musique de Schumann est beaucoup plus riche que celle de Chopin. Et pourtant le second ne l'entoure ni de titres, de légendes, de références, de jeux de pistes ...
Souvent même (je ne parle pas de Schumann ou Moussourgsky évidemment), les éléments extérieurs sont invoqués par le compositeur, car il espère peut-être inconsciemment palier l'insuffisance de sa créativité purement musicale en annonçant le sujet. Mais essayons de ne pas terriblement s'éloigner du sujet de départ ...
Modifié en dernier par Okay le mer. 26 févr., 2014 16:26, modifié 1 fois.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Mais pour moi on est en plein dans le sujet de départ, parce que justement la question qu'on se pose est : est-ce que la maîtrise intellectuelle de l'oeuvre est aussi importante pour arriver à cet état de pleine conscience et maîtrise ?
Je ne suis pas en phase sur le comparatif Chopin/Schumann. Chopin donne bien sûr des titres très génériques, mais la question dans son cas serait transposée, et deviendrait : peut-on bien jouer Chopin en ignorant tout de sa vie et de son caractère ? Puisque cette fois ce sont ces caractéristiques qui "font" sa musique.
La question générique est : peut-on jouer correctement une oeuvre en ignorant absolument tout ce qui n'est pas directement indiqué sur la partition ?
Encore une fois, je ne le pense pas, en tout cas pas pour les grandes oeuvres du répertoire, qui ont souvent une dimension extra-musicale très forte, une portée presque philosophique (je ne sais plus où j'ai lu quelque chose comme "si la musique de Beethoven était clairement accessible, il serait considéré comme un des plus grands philosophes de son époque").
Je n'imagine pas une belle interprétation des grandes sonates beethoveniennes sans une maîtrise intellectuelle et une conduite parfaite de l'oeuvre. Et je n'imagine pas cette maîtrise et cette conduite sans une compréhension profonde de l'esprit de Beethoven, et donc sans une connaissance de sa vie et de sa place dans l'histoire de l'art.
Je ne suis pas en phase sur le comparatif Chopin/Schumann. Chopin donne bien sûr des titres très génériques, mais la question dans son cas serait transposée, et deviendrait : peut-on bien jouer Chopin en ignorant tout de sa vie et de son caractère ? Puisque cette fois ce sont ces caractéristiques qui "font" sa musique.
La question générique est : peut-on jouer correctement une oeuvre en ignorant absolument tout ce qui n'est pas directement indiqué sur la partition ?
Encore une fois, je ne le pense pas, en tout cas pas pour les grandes oeuvres du répertoire, qui ont souvent une dimension extra-musicale très forte, une portée presque philosophique (je ne sais plus où j'ai lu quelque chose comme "si la musique de Beethoven était clairement accessible, il serait considéré comme un des plus grands philosophes de son époque").
Je n'imagine pas une belle interprétation des grandes sonates beethoveniennes sans une maîtrise intellectuelle et une conduite parfaite de l'oeuvre. Et je n'imagine pas cette maîtrise et cette conduite sans une compréhension profonde de l'esprit de Beethoven, et donc sans une connaissance de sa vie et de sa place dans l'histoire de l'art.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Je suis en profond désaccord avec l'essentiel de tout ça. Je serais frustré, bien sur, de ne rien connaître des compositeurs et des éléments extra-musicaux, mais juste car ça frustrerait ma curiosité personnelle. Je maintiens : lorsque je travaille (ça implique que j'ai d'abord cloué l'image esthétique dans ma tête avant de m'y mettre), ces éléments ne rentrent entre pas du tout et quasiment pas en ligne de compte. Il ne s'agit pas de présenter les oeuvres oralement au public, il s'git "juste" de jouer du piano.
Si je devais travailler le 2e mouvement de l'opus 111, il faudrait que je commence par le débarrasser de toute son aura métaphysique. Bonjour l'intimidation sinon. Ca reste une pièce de piano, incroyablement complexe, mais c'est du piano. Alors il faut s'y mettre, écouter les accords du thème dès les premières mesures, assurer le suivi, préciser la pédale, timbrer le haut. C'est toujours la même chose, opus 1 ou opus 111. Je ne peux pas me dire attention-je-suis-en-train-de-jouer-la-sonate-d'un-des-plus-grands-compositeurs-de-tous-les-temps-et-si-je-ne-ressens-pas-les-orgues-de-l'au-delà-alors-ce-n'est-pas-la-peine. Je caricature terriblement , mais on comprend l'idée. Le fait d'avoir certaines notions philosophiques liées aux dernières sonates peut à la marge altérer les dernières couches du travail, mais là on ne parle pas des 5 derniers pourcents, voire peut-être le dernier pourcent. Comment intégrer la surdité de Beethoven (élément extra musical colossal) dans une interprétation, et s'appuyer dessus pour induire l'aisance ? Sa surdité me laisse pantois, mais que faire en tant qu'interprète ? Tu vas me dire que c'est le 0.1% qui change tout. Peut-être. Mais ce n'est pas ça qui créé cette aisance au piano. On peut être très fluide pianistiquement et un artiste très ennuyeux.
La maîtrise intellectuelle est importante pour obtenir l'aisance, mais pas vraiment dans ce sens là. En fait, elle est plus importante que tu ne l'entend, car je pense que finalement tu la circonscrit. Je pense que tu évoques quelque chose de très singulier, de noble, voire quasi mystique, mais pour le pianiste, la démarche est beaucoup plus terre à terre. Il a beaucoup de choses d'ordre intellectuel à faire en dehors de toutes ces considérations. Lorsque je parlais du "son Brahms" plein et du "son Liszt" plus direct, je ne pense pas que ça m'aide de savoir que Brahms était plus corpulent que Liszt et que le poids au clavier était d'une nature différente (ce qui est un mauvais exemple, car Brahms a ce son très typique depuis son opus 1 et il n'avait pas cette corpulence à 20 ans).
Lorsque j'écoute ou déchiffrais du Brahms, j'entends cette écriture pleine de basses caverneuses, ce médium qui se veut particulièrement chaleureux, un usage plus limité des aigus, un goût pour la polyphonie plutôt que les grands traits brillants, un stacatto n'allant pas jusqu'au piquant. Tout ça suggère un son précis, sans rien d'extra musical. C'est juste un exemple d'utilisation des indices purement musicaux pour solidement construire l'image esthétique.
Si je devais travailler le 2e mouvement de l'opus 111, il faudrait que je commence par le débarrasser de toute son aura métaphysique. Bonjour l'intimidation sinon. Ca reste une pièce de piano, incroyablement complexe, mais c'est du piano. Alors il faut s'y mettre, écouter les accords du thème dès les premières mesures, assurer le suivi, préciser la pédale, timbrer le haut. C'est toujours la même chose, opus 1 ou opus 111. Je ne peux pas me dire attention-je-suis-en-train-de-jouer-la-sonate-d'un-des-plus-grands-compositeurs-de-tous-les-temps-et-si-je-ne-ressens-pas-les-orgues-de-l'au-delà-alors-ce-n'est-pas-la-peine. Je caricature terriblement , mais on comprend l'idée. Le fait d'avoir certaines notions philosophiques liées aux dernières sonates peut à la marge altérer les dernières couches du travail, mais là on ne parle pas des 5 derniers pourcents, voire peut-être le dernier pourcent. Comment intégrer la surdité de Beethoven (élément extra musical colossal) dans une interprétation, et s'appuyer dessus pour induire l'aisance ? Sa surdité me laisse pantois, mais que faire en tant qu'interprète ? Tu vas me dire que c'est le 0.1% qui change tout. Peut-être. Mais ce n'est pas ça qui créé cette aisance au piano. On peut être très fluide pianistiquement et un artiste très ennuyeux.
La maîtrise intellectuelle est importante pour obtenir l'aisance, mais pas vraiment dans ce sens là. En fait, elle est plus importante que tu ne l'entend, car je pense que finalement tu la circonscrit. Je pense que tu évoques quelque chose de très singulier, de noble, voire quasi mystique, mais pour le pianiste, la démarche est beaucoup plus terre à terre. Il a beaucoup de choses d'ordre intellectuel à faire en dehors de toutes ces considérations. Lorsque je parlais du "son Brahms" plein et du "son Liszt" plus direct, je ne pense pas que ça m'aide de savoir que Brahms était plus corpulent que Liszt et que le poids au clavier était d'une nature différente (ce qui est un mauvais exemple, car Brahms a ce son très typique depuis son opus 1 et il n'avait pas cette corpulence à 20 ans).
Lorsque j'écoute ou déchiffrais du Brahms, j'entends cette écriture pleine de basses caverneuses, ce médium qui se veut particulièrement chaleureux, un usage plus limité des aigus, un goût pour la polyphonie plutôt que les grands traits brillants, un stacatto n'allant pas jusqu'au piquant. Tout ça suggère un son précis, sans rien d'extra musical. C'est juste un exemple d'utilisation des indices purement musicaux pour solidement construire l'image esthétique.
Modifié en dernier par Okay le mer. 26 févr., 2014 16:55, modifié 1 fois.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
C'est une vision qui me plait, mais qui ne colle pas pour moi. Les exemples que tu donnes, timbrer le haut, assurer la pédale etc...ça n'a rien à voir avec la conduite globale de l'oeuvre. Tu peux avoir une interprétation très précise mais horriblement ennuyeuse de la sonate de Liszt. Comment jouer un tel morceau sans une vision macro de l'oeuvre, sans savoir à tout instant où on est et où on va ?Okay a écrit : Si je devais travailler le 2e mouvement de l'opus 111, il faudrait que je commence par le débarrasser de toute son aura métaphysique. Bonjour l'intimidation sinon. Ca reste une pièce de piano, incroyablement complexe, mais c'est du piano. Alors il faut s'y mettre, écouter les accords du thème dès les premières mesures, assurer le suivi, préciser la pédale, timbrer le haut. C'est toujours la même chose. Opus 1 ou opus 111. Le fait d'avoir certaines notions philosophiques liées aux dernières sonates peut à la marge altérer les dernières couches du travail, mais là on ne parle pas des 5 derniers pourcents, voire peut-être pas même pas du dernier pourcent. Alors que l'aisance est nécessaire pour les oeuvres beaucoup plus légères.
Ah mais ça je suis d'accord, et je suis le premier à ne pas me préoccuper de ce genre de chose, sauf pièce ou indication vraiment particulière (on ne peut comprendre les indications de pédales de Chopin qu'en connaissant les pianos de son époque je pense). Ce n'est pas du tout à ce genre de détail que je pensais. Idem pour la surdité de Beethoven, je n'y pense pas du tout.Okay a écrit :Lorsque je parlais du "son Brahms" plein et du "son Liszt" plus direct, je ne pense pas que ça m'aide de savoir que Brahms était plus corpulent que Liszt et que le poids au clavier était d'une nature différente (ce qui est un mauvais exemple, car Brahms a ce son très typique depuis son opus 1 et il n'avait pas cette corpulence à 20 ans).
Mais par exemple quand je joue du Liszt, je tâche toujours de me souvenir que tout ça n'était souvent qu'un jeu pour lui, il jouait du piano comme on parle. Sa maîtrise était absolue. Et la gestuelle est également très importante, on voit dans les caricatures qu'il avait des gestes très amples et très variés. Et surtout, il était pianiste avant d'être musicien, en quelque sorte. La conception de la musique de Brahms ou Schumann est très différente, le piano n'est qu'un support d'expression pour eux, et ils étaient pour le coup musiciens avant d'être pianistes (pas au sens chronologique bien sûr, mais par ordre d'importance).
Bref, ce sont ces éléments là qui me fournissent des clés et m'aident à concevoir le morceau dans sa globalité.
Et je pense qu'il faut aller encore plus loin dans la compréhension des compositeurs et des oeuvres pour bien interpréter les très grandes oeuvres pianistiques, telles que les dernières sonates de Beethoven.
Re: Les sensations psychomotrices au piano
Ces éléments sont bien sûr très importants, mais pas besoin des caricatures ou des témoignages pour sentir que le rapport au piano de Liszt et Schumann est on ne peut plus incomparable.
Tout pianiste comprend ce qu'est de "la musique de pianiste". Je veux dire, rien qu'en déchiffrant Liszt (ou Godowsky, ou Rachmaninov, ou Prokofiev), on voit immédiatement que c'était des pianistes inouis. Lorsqu'on déchiffre Ravel, on comprend qu'on a affaire un pianiste moyen qui n'aurait pas à jouer ses propres oeuvres (elles sont tellement plus difficiles mais ce n'était pas son problème !).
A nouveau, pas besoin de savoir que Liszt est l'inventeur du récital et que Ravel ne s'est quasiment jamais produit pour intégrer ça (il me semble qu'il a seulement créé la sonate pour piano et violon... la violoniste devait alors occuper toute l'attention). Disons que les faits viennent juste confirmer ces impressions, et à nouveau, on est dans le fignolage de l'image esthétique, à ce degré là on est très loin au delà des questions de sensations psychomotrices je pense.
D'autre part, pour la sonate de Liszt en particulier, je dirais au passage que c'est l'une des oeuvres où il s'amusait le moins. Je ne connais pas l'histoire pour le coup... mais s'il y a bien une oeuvre de Liszt où le pianiste doit avoir à l'esprit les aspects formels (notamment motiviques) pour la construire, je suis bien d'accord que c'est celle là. Dante, de construction plus laxe, est beaucoup plus sujet aux élans méphistophéliques
En deux mots (pour une fois), j'estime que les éléments extra musicaux sont très marginaux pour établir une image musicale suffisante pour offrir un canevas de travail abouti.
Tout pianiste comprend ce qu'est de "la musique de pianiste". Je veux dire, rien qu'en déchiffrant Liszt (ou Godowsky, ou Rachmaninov, ou Prokofiev), on voit immédiatement que c'était des pianistes inouis. Lorsqu'on déchiffre Ravel, on comprend qu'on a affaire un pianiste moyen qui n'aurait pas à jouer ses propres oeuvres (elles sont tellement plus difficiles mais ce n'était pas son problème !).
A nouveau, pas besoin de savoir que Liszt est l'inventeur du récital et que Ravel ne s'est quasiment jamais produit pour intégrer ça (il me semble qu'il a seulement créé la sonate pour piano et violon... la violoniste devait alors occuper toute l'attention). Disons que les faits viennent juste confirmer ces impressions, et à nouveau, on est dans le fignolage de l'image esthétique, à ce degré là on est très loin au delà des questions de sensations psychomotrices je pense.
D'autre part, pour la sonate de Liszt en particulier, je dirais au passage que c'est l'une des oeuvres où il s'amusait le moins. Je ne connais pas l'histoire pour le coup... mais s'il y a bien une oeuvre de Liszt où le pianiste doit avoir à l'esprit les aspects formels (notamment motiviques) pour la construire, je suis bien d'accord que c'est celle là. Dante, de construction plus laxe, est beaucoup plus sujet aux élans méphistophéliques
En deux mots (pour une fois), j'estime que les éléments extra musicaux sont très marginaux pour établir une image musicale suffisante pour offrir un canevas de travail abouti.
Modifié en dernier par Okay le mer. 26 févr., 2014 17:33, modifié 1 fois.