je voudrais vous signaler ce livre passionnant de Marcus du Sautoy, professeur de mathématiques à l'université d'Oxford , pianiste amateur.
Écrire l'histoire des nombres premiers comme on écrirait une histoire de la musique: voilà en peu de mots le propos de Marcus du Sautoy pour son ouvrage la Symphonie des nombres premiers, paru en 2003 sous le titre the music of primes, qui a été récemment traduit en français aux éditions Héloïse d'Ormesson.
Ainsi donc, au lieu d'évoquer la vie et le travail de Bach, Mozart ou Franck, ce mathématicien et musicien amateur nous raconte l'histoire d'Euclide, Diophante, Gauss, Euler, Dirichlet, Riemann, Hadamard, Hilbert, Ramunajan, Weil, Grothendieck, Connes et tant d'autres. Par mille et une anecdotes savoureuses sur les grandes qualités et les petits défauts des mathématiciens, il nous fait ressentir une forme de proximité, d'empathie pour ces hommes et femmes qui par-delà les frontières en tout genre (culturelles, temporelles, politiques) ont chacun apporté leur pierre à ce magnifique édifice intellectuel qu'est la théorie des nombres. A titre d'exemple, voici les "axiomes" que Hardy et Littlewood s'étaient fixées pour leur collaboration:
Peu importait si ce qu'ils s'écrivaient l'un à l'autre était juste ou non
Rien ne les obligeait à se répondre, ni même à lire les lettres qu'ils s'envoyaient
Ils devaient s'efforcer de ne pas penser aux mêmes choses
Tous les articles porteraient toujours les deux signatures, même si l'au ou l'autre n'y avait en rien contribué.
Comme le remarque du Sautoy, il est tout à fait remarquable qu'une collaboration aussi fructueuse soit basée sur des règles en apparence aussi négatives !
Au cœur du livre se trouve l'hypothèse de Riemann, un des Problèmes du Millénaire dont celui qui apportera la preuve gagnera 1 million de dollars et surtout une gloire mondiale. C'est un résultat qui pourrait paraître un brin technique sur l'emplacement des zéros d'une certaine fonction zeta; lesquels zéros donnent la clé d'une formule concernant la répartition des nombres premiers (c'est à dire le nombre de nombre premiers plus petits que N). La plupart des mathématiciens partagent la croyance que cette hypothèse est vraie et même démontrable, mais les avis sont partagés sur le temps qu'il faudra attendre: certains considèrent qu'on en est tout près et d'autres que ce résultat restera un défi pour les mathématiciens pour un siècle au moins.
C'est bien là toute la beauté de cette symphonie des nombres premiers: elle est inachevé. Ses plus belles pages sont sans doute celles qui restent à écrire. La théorie des nombres, qu'on avait longtemps cru le domaine des mathématiques pures, celle qu'on pratique pour le seul plaisir intellectuel, a déjà trouvé des applications on ne peut plus concrète dans la cryptographie, et pourrait en trouver d'autres notamment avec la mécanique quantique.
Ce livre est accessible aux non-mathématiciens ? C'est un peu difficile à juger par l'auteur de ce blog qui a un bac+5 en maths et donc tendance à trouver élémentaire ce que d'autres trouveraient parfaitement abscons. Je note tout de même que Marcus du Sautoy a su avec un certain doigté éviter deux écueils dans ce livre: s'interdire d'écrire la moindre équation d'une part et vouloir tout expliquer d'autre part. Ainsi l'ouvrage reste accessible pour une personne ayant un simple bac scientifique tout en pouvant être lu avec profit par un chercheur en maths.
Jusqu'à quel point l'analogie entre musique et mathématique fonctionne ? C'est naturellement la question qui m'a travaillé en lisant cette Symphonie des nombres premiers. D'une certaine manière, la musique est la mathématique du son, et cela n'a rien de surprenant que tant de chercheurs scientifiques soient mélomanes ou musiciens. Cependant, malgré les formidables progrès de l'éducation en général et l’engouement suscité par les ouvrages de vulgarisation (y compris d'ailleurs ceux qui sont signés par des imposteurs comme les Bogdanoff), les mathématiques restent accessibles à un petit nombre seulement, et les jouissances qu'elles procurent restent purement intellectuelles. Si elle peut également procurer des plaisirs intellectuels, la musique parle avant tout à nos sens: elle nous donne envie de pleurer ou de danser, nous fait littéralement vibrer. Le plaisir qu'on éprouve à jouer du violon par exemple est si intense que j'aurais du mal à le décrire avec des mots; en général il est aussi très communicatif, sauf si l'on joue vraiment trop faux (comme le disait Saint-Saëns, "tous les violonistes jouent faux mais il y en a qui exagèrent"). Composer l'Art de la Fugue ou la Sonate Hammerklavier n'est peut-être pas à la portée de tous, mais la belle musique parle d'elle-même et se passe de toute explication.
Cela étant posé, pour ceux d'entre vous qui ont la chance d'être encore en vacances, le livre de Marcus du Sautoy pourrait avantageusement remplacer le polar norvégien ou le roman historique du moment. Ce qui vous permettrait, chers lecteurs de répondre à quiconque vous demanderait pourquoi vous regardez dans le vide entre deux pages: "à ton avis, le nombre de grain de sable sur cette plage est-il premier ?"
symphonie des nombres premiers
- JPS1827
- Messages : 3426
- Enregistré le : lun. 25 avr., 2011 11:27
- Mon piano : Steinway A, Seiler 122
- Localisation : Bourg la Reine
Re: symphonie des nombres premiers
Merci pour ce résumé !
J'ai toujours adoré les livres sur les mathématiques. Je vais l'acheter et le lire, si ce livre peut me donner une idée un peu plus intuitive de l'hypothèse de Riemann (et donc de la fonction zéta qu'on a bien du mal à se représenter quand on n'est pas mathématicien), je suis preneur !
Je ne suis pas tout à fait d'accord sur l'engouement suscité par les ouvrages de vulgarisation scientifique, au moins en France, j'avais plutôt l'impression que ça avait diminué ces quinze dernières années.
La probabilité que le nombre de grains de sable de la plage soit premier est faible, vu leur raréfaction vers les grands nombres. Mais on pourrait s'intéresser à la probabilité que le nombre de grains attrapés avec une cuillère à soupe le soit.
J'ai toujours adoré les livres sur les mathématiques. Je vais l'acheter et le lire, si ce livre peut me donner une idée un peu plus intuitive de l'hypothèse de Riemann (et donc de la fonction zéta qu'on a bien du mal à se représenter quand on n'est pas mathématicien), je suis preneur !
Je ne suis pas tout à fait d'accord sur l'engouement suscité par les ouvrages de vulgarisation scientifique, au moins en France, j'avais plutôt l'impression que ça avait diminué ces quinze dernières années.
La probabilité que le nombre de grains de sable de la plage soit premier est faible, vu leur raréfaction vers les grands nombres. Mais on pourrait s'intéresser à la probabilité que le nombre de grains attrapés avec une cuillère à soupe le soit.
-
- Messages : 446
- Enregistré le : jeu. 05 août, 2010 20:33
- Mon piano : Pleyel droit et Casio GP310
- Localisation : Versailles France
Re: symphonie des nombres premiers
Livre passionnant en effet qui s'ouvre sur la conférence de Hilbert à la Sorbonne en Août 1900. Hilbert y énonce une liste de 23 problèmes comme autant de défis pour les mathématiciens de XX ème siècle. Le livre suit alors un siècle de recherche autour du 8ème problème : l'hypothèse de Riemann. Le fil conducteur est la fonction zêta de Riemann. On y parle évidemment de nombres premiers et on croise tous les plus grands mathématiciens : Riemann, Gauss, Hilbert, et Connes pour ne citer qu'eux. La quête de tous : existe-t-il une loi, bien cachée, structurant les nombres premiers ? Avec comme angoisse contemporaine que dans le cas d'une réponse positive, tous les systèmes de protection des données utilisés par exemple sur Internet deviendront obsolètes. J'ai apprécié les derniers chapitres où il est question de l'intrusion inattendue de la physique quantique dans ces recherches. Tout ceci est réducteur de ce livre de 500 pages : il y est même question de football ! À lire, donc. À noter que le titre original est : "The music of primes". Et il semble malheureux d'avoir traduit Music par Symphonie.
Albert
Albert
Re: symphonie des nombres premiers


j'ai été séduite aussi par l'analogie avec la musique.... je ressens tellement ce qui est écrit sur la beauté des démonstrations, sur l’esthétisme sans cesse recherché... sur la créativité sous-jascente comme en musique...
Re: symphonie des nombres premiers
pour ceux qui préfèrent écouter : voici une vidéo consacrée à ce livre
http://youtu.be/FSo16cx5Aqo
http://youtu.be/FSo16cx5Aqo