Concerts ou disques?

[huizinga]

Bonjour,
Je vais trop peu à des concerts et en écoutant un disque hier, je me demandais ce que la dimension "spectacle" pouvait réellement apporter à la musique qu'on vient écouter dans des endroits dédiés (salle, église...), plus particulièrement dans le champ de la musique classique, où le principe de respect de la partition impose une certaine gémellité entre musique de disque et musique de concert . Pensez-vous qu'assister à un concert modifie réellement la perception d'une musique? Que le fait de voir modifie l'écoute? Après tout, les mouvements du pianiste peuvent être en soi un spectacle... Bon, le problème se pose un peu différemment pour l'Opéra, mais qu'en pensez-vous pour la musique de piano par exemple? Et puis comment appréhendez-vous la dimension sociale du concert, avec ce côté cérémonial? Rend-il plus attentif? Plus généralement, quel est votre rapport au concert?

[jean-séb]

[...]Pensez-vous qu'assister à un concert modifie réellement la perception d'une musique? Que le fait de voir modifie l'écoute? Après tout, les mouvements du pianiste peuvent être en soi un spectacle... [...]
Et puis comment appréhendez-vous la dimension sociale du concert, avec ce côté cérémonial? Rend-il plus attentif? Plus généralement, quel est votre rapport au concert?

Oui, c'est totalement différent, l'un et l'autre ayant d'ailleurs des atouts.
D'abord le son perçu en concert est très différent de celui entendu chez soi sur une chaîne, quelquefois à son avantage (un côté spatial mieux rendu, une dynamique parfaite, une atmosphère, etc.), quelquefois à son désavantage (on est tributaire en concert de beaucoup de bruits parasites, la respiration forte des voisins, les programmes qu'on feuillette, les clefs qui remuent dans le sac, les bonbons qu'on met dix minutes à défaire de leur papier, etc., sans compter les éventuels inconvénients olfactifs, l'éventuel inconfort des sièges, surtout dans les églises, etc. ).
Ensuite, tu l'as dit, le fait de voir le pianiste, notamment ses mains, ne peut pas laisser indifférents les pianistes que nous sommes, quelquefois au risque de nous distraire de la musique. Par contre, il y a aussi des pianistes dont le mouvements du corps ou du visage peuvent être parfois gênants, quand ils semblent outrés.
Ensuite, en concert, il y a, on la sent, on l'entend, la communion du public. Sentir tout un public rivé sur le même point de la scène, captivé par ce point, crée un sentiment de bien-être.
Mais les deux grands avantages du concert sont à mon avis la concentration et la découverte.
La concentration, car si je ne suis pas distrait par les inconvénients éventuels mentionnés plus haut, ma capacité de concentration est plus grande en concert que chez moi, où le disque est plus souvent en musique de fond ; chez moi, je bouquine en même temps, ce que je fais pas au concert, je me lève pour aller boire, je regarde par la fenêtre, etc.
La découverte, et là c'est le principal atout d'un bon programme de piano pour moi, c'est de me faire découvrir des œuvres nouvelles que je ne songe pas à écouter en disque.
Je ne suis pas très attiré par un concert où j'entendrais la énième version d'une sonate de Beethoven (même si ce n'est pas désagréable et si je peux pas prétendre les connaître toutes). En revanche, j'ai toujours beaucoup de bonheur à entendre en concert des œuvres très modernes, contemporaines, très atonales, très rythmées, très percussives, qui me parlent très bien quand je les entends en vrai, avec toute la dynamique de leurs sonorités tantôt violentes, tantôt apaisées, alors que je n'écoute pas du tout ce genre de musique chez moi, les conditions d'écoute ne mettant pas du tout ces œuvres en valeur, au contraire d'un morceau de Bach ou de Chopin que je peux écouter sans difficulté même sur un transistor fatigué, car le son y a moins d'importance que la fond.

[katy]

C'est vraiment dommage de ne pas aller aux concerts car il y a parfois des moments de grâce qui constituent ensuite des souvenirs inoubliables et qui n'ont rien à voir avec l'écoute d'un CD si beau soit-il. Personnellement je n'aime les trop grandes salles, j'aime les cadres plus conviviaux et intimes, je pense que ce genre de cadre est plus propice à un "miracle". Je trouve qu'un pianiste ne devrait pas accepter de jouer une sonate de Schubert devant des milliers de personnes, mais bon, cela tient aussi au fait que je suis limite agoraphobe.
Et puis un concert est un moment de vérité, certains artistes tiennent leurs promesses, d'autres pas. Par exemple dans les expériences fortes que j'ai eues récemment, je trouve Adam Laloum absolument bouleversant, c'est un type qui tout jeune sait vraiment jouer Shubert, a avec ce compositeur une intimité qui rend son interprétation absolument évidente.
Ce n'est pas tellement de voir le pianiste qui m'intéresse, c'est de l'entendre en direct, c'est un moment de partage unique, éphémère. J'aime aussi écouter les concerts en direct à la radio. Je n'aime pas trop les pianistes qui gigotent trop, même s'il y a des exemples célèbres, je trouve que c'est un manque d'humilité, ça me dérange.

[Praeludium]

Le problème des concerts c'est qu'il y a plein de gens
Personnellement, je suis partagé. Quelques unes de mes plus fortes expériences d'écoute, c'était chez moi, tout seul (le tout seul est important : pas de bruits ou de personnes parasites).
En suivant avec la partition, par exemple. Ou alors en mettant de la musique jusque quand je viens de me réveiller et que je suis encore dans mon lit (ça c'est génial, on a les perceptions encore vierges quand on vient de se réveiller).
Ou après avoir lu telle ou telle chose. On ne peut pas faire ça en concert, il y a le côté social qui est une contrainte.

En revanche, en concert, il y a le son qui sort directement de l'instrument, et ça ça compte vachement je trouve.
Il y a aussi le/les instrumentiste(s) en chair et en os. Je rappelle du concert de P.L.Aimard au festival de musique de Besançon en 2011 (cette année il y a Zimmerman hahah), l'énèrgie qu'il mettait dans la sonate de Liszt était palpable.
Et puis il y a ces moments de grâce dont Katy parle, mais c'est par définition assez rare.
Il y a des concerts/créations qui ne peuvent exister qu'en direct, qui enregistrés perdraient de leur valeur. Avant hier j'étais à un concert d'orgue, percussion et danse sur le thème de la Danse Macabre, c'était quelque chose. Et ça n'existe pas en disque.

[katy]

Je suis d'accord que l'attitude des gens a de quoi exaspérer mais je trouve que c'est important pour plein de raisons d'écouter de la musique vivante.
Un concert c'est toujours une aventure et les moments où il se passe quelque chose de fort ne sont finalement pas si rares. Et puis l'artiste se présente véritablement à nu, on entend son vrai son, son véritable savoir-faire, il y a une vraie prise de risques...
Par exemple on a l'impression que tout le monde joue la sonate de Liszt vu que tout le monde l'enregistre. Mais tout le monde ne la maîtrise pas en concert, et c'est là qu'on se rend compte de ce que c'est que la sonate de Liszt même pour un pianiste professionnel.
J'ai entendu l'année dernière un pianiste français très connu, qui l'a enregistrée, et qui s'est totalement effondré dedans, le pire plantage que j'ai entendu, pourtant le reste du programme était impec, dans un cadre très sympa et il jouait avec la partition, c'était un désastre absolu de la première à la dernière note. Ca reste un grand pianiste, et en écoutant des CD à longueur de journée on oublie la dimension fragile et humaine de la musique. C'est un aussi un art de l'éphémère, de l'instant présent et si on se coupe de ça on perd un dimension fondamentale de la musique je trouve.

[Franz]

Une chose que j'aime bien, en concert, c'est échanger quelques discussions avec d'autres mélomanes chevronnés qui sont venus l'écouter.

[huizinga]

J'ai entendu l'année dernière un pianiste français très connu, qui l'a enregistrée, et qui s'est totalement effondré dedans, le pire plantage que j'ai entendu, pourtant le reste du programme était impec, dans un cadre très sympa et il jouait avec la partition, c'était un désastre absolu de la première à la dernière note. Ca reste un grand pianiste, et en écoutant des CD à longueur de journée on oublie la dimension fragile et humaine de la musique. C'est un aussi un art de l'éphémère, de l'instant présent et si on se coupe de ça on perd un dimension fondamentale de la musique je trouve.

C'est qui, ce pianiste? (je suis curieux )

[katy]

Par égard pour lui je te le dis en MP !

[Dapj48]

J'ai l'impression que dans les concerts, on accorde plus de place au pianiste qu'à la musique alors qu'avec un disque, on oublie presque le pianiste et on peut vivre la musique sans retenue y compris émotionnelle.
Dans un concerts, on enchaine les œuvres sans transition. Avec un disque, on peut digérer les émotions provoquées par un morceau avant de passer au suivant.
Ma hantise à la fin d'un concert, c'est que quelqu'un me demande ce que j'en pense alors même que j'ai envie de me replier sur ce que j'ai vu/entendu/ressenti. C'est vrai que dans les concerts, il y a parfois des moments d'une très grande intensité personnelle mais on a pas forcément envie de partager avec des gens qui ne sont pas des intimes.
Personnellement, je n'aimerai pas voir un pianiste s'effondrer / se rater sur scène, j'aurai trop mal pour lui. (Sauf ceux qui s'exhibent exagérément au point où j'en viens à ressentir une certaine gêne...).
En fait les concerts c'est bien pour voir et entendre un artiste, et un disque c'est bien pour écouter de la musique (c'est ça une lapalissade ?). En plus le disque permet de continuer d'apprécier la musique délivrée par un artiste disparu ou que l'on a plus envie de revoir sur scène de peur de casser l'image mythique que l'on a de lui.
Et puis dans un concert, on ne peut pas demander au pianiste de s'arrêter cinq minutes le temps d'aller fumer une cigarette... En fait, l'idéal, ce serait un concert rien que pour soi....