Capriccio op 76 n°1

[Marie-france]

Bonjour,
Que pensez-vous de ces 2 interprétations très différentes de ce Capriccio que je me suis mise à travailler (c'est ma période Brahms):
Pogorelich
http://www.musicme.com/Ivo-Pogorelich/a ... 46021.html
Kempff;
http://www.youtube.com/watch?v=ZtQEuhwcugc
Un Capriccio étant par définition une forme assez rapide, Kempff est davantage dans le vrai. Mais j'aime beaucoup aussi l'interprétation de Pogorelich, et moi-même lorsque je travaille cette pièce, j'aimerais pouvoir m'attarder ou faire resssortir telle ou telle note pour en relever l'importance et la beauté lyrique.
Où se situe d'après vous l'idée de Brahms?
Merci

[katy]

Bonjour,
tout d'abord je trouve que c'est une très bonne idée de s'intéresser à l'op. 76 qui est un cycle assez méconnu, par rapport aux 117, 118 et autres cycles plus tardifs. J'adore le piano de Brahms et je possède un grand nombre de versions des Klavierstücke, dont ce CD de Pogorelich.
Personnellement je pense qu'il ne faut pas trop écouter la version de Pogorelich quand on travaille ces pièces car il fait un peu n'importe quoi : c'est très très lent, il y a de grandes variations de tempos, bref c'est du Pogorelich. Par ailleurs j'adore ce pianiste mais il est quand même un peu dingue, je l'ai vu jouer en concert les moments musicaux de Rachmaninoff, c'était tellement lent qu'on ne percevait même plus la tonalité de la pièce. Pogorelich est un peu un cas, il se livre à des sortes d'expériences depuis quelques années en décomposant à l'extrême ce qu'il joue, je pense qu'il faut le respecter car c'est quand même quelqu'un qui a des moyens prodigieux mais il faut prendre ses interprétations pour ce qu'elles sont, des tentatives, des expérimentations qui tiennent plus ou moins le route, mais rarement des versions de référence.
Je ne pense pas qu'il faille jouer Brahms en s'attardant sur certaines notes, en effet chez Brahms le rythme est très important, il faut garder une certaine rigueur même si cette pièce a un peu l'allure d'une sorte d'improvisation. Enfin c'est mon avis.

Pour ce qui est de la version de Kempf,au moins elle est proche du texte (enfin j'ai pas vérifié mais cela me paraît assez évident), par contre j'imaginerais quelque chose d'un peu plus emporté et contrasté.
Je te conseille la version de Marie-Josèphe Jude, 1er volet de son intégrale Brahms : une interprétation tout en couleurs et en finesse.

[jean-séb]

Je connais mal la musique de Brahms, mais j'ai bien aimé l'interprétation de Pogorelich, très personnelle.
Sinon, je viens d'en écouter un certain nombre sur YouTube, y compris celle d'Adam Laloum, candidat aux victoires de la musique 2012
http://www.youtube.com/watch?v=QDnsCC-CMSM
Pas mal, mais mes deux préférées sont :
celle, assez tendre, de Lucia Barrenechea
http://www.youtube.com/watch?v=_uzWzM6h ... re=related
et une version plus musclée d'Irakly Avaliani, qui correspond probablement mieux à l'esprit d'un capriccio
http://www.youtube.com/watch?v=aZGX8v-r ... re=related
Je ne connais pas ces pianistes.

[Florestan]

Bonjour Marie-France.
J'aime beaucoup l'opus 76, j'ai commencé à travailler le 4ème.
A vrai dire je ne suis vraiment convaincu par aucune des deux versions, avec le bénéfice du doute pour Kempff car le son est vraiment très mauvais. Katy à très bien résumé mon sentiment sur Pogorelich, son disque Brahms est vraiment très expérimental (peut être certaines tentatives "passent" mieux à la scène). J'ai un disque de Tamas Vasary que j'aime beaucoup, très élégant et juste à mon sens.
Plus que le mot de capriccio qui me parait insuffisant pour cerner le caractère de la pièce, l'indication de l'auteur me parait une bonne base de départ, poco agitato, un peu agité. Le début est saisissant, je le prendrais très piano, avec quelque chose de sourd et menaçant, cette phrase qui monte par palier, reprend son élan à chaque fois, enfle et finit par éclater en octaves, je l'entend comme une forme d'angoisse qui finit par déborder la raison. Il y a quelque chose de très douloureux et désemparé dans cette musique, et pour ma part j'éviterais les contrastes trop marqués dans le développement, je trouve que les demi teintes conviennent mieux à cette forme d'agitation inquiète. Mais ce n'est que mon idée, j'espère que tu en feras quelque chose qui t'appartient. Superbe musique en tout cas, je te souhaite beaucoup de plaisir.

[Marie-france]

Merci à tous deux.
@ Katy, j'aime moi aussi beaucoup Brahms. Je n'ai pas trouvé à l'écoute sur internet la version de Marie-Josephe Jude. Quant à Pogorelich, je trouvais qu'il prenait effectivement beaucoup de liberté avec ce "Poco agitato" pas vraiment agitato. par contre j'aime à entendre la beauté sonore du chant des noires dans les mesures 14 et suivantes.
La version proposée par jean-seb de Laloum me plaît beaucoup quoiqu'un peu lente peut-être au départ à mon goût.
Mais je pense que tu as raison, il faut un certain allant à cette musique.
C'est bizarre j'ai cette impression que quelque chose m'échappe. J'ai ma façon de l'entendre intérieurement et pourtant si j'en crois ce que dit Marie-Josephe Jude ici: http://www.qobuz.com/info/Qobuz-info/Re ... Marie13130
je ne suis pas sûre d'être dans le vrai

[Marie-france]

Bonsoir Florestan,

Le début est saisissant, je le prendrais très piano, avec quelque chose de sourd et menaçant, cette phrase qui monte par palier, reprend son élan à chaque fois, enfle et finit par éclater en octaves, je l'entend comme une forme d'angoisse qui finit par déborder la raison. Il y a quelque chose de très douloureux et désemparé dans cette musique, et pour ma part j'éviterais les contrastes trop marqués dans le développement, je trouve que les demi teintes conviennent mieux à cette forme d'agitation inquiète. Mais ce n'est que mon idée, j'espère que tu en feras quelque chose qui t'appartient. Superbe musique en tout cas, je te souhaite beaucoup de plaisir.

Je trouve moi aussi ce départ terrifiant, venant des profondeurs des basses avec cette tonalité de fa# mineur, martelée. Je recherche le pianissimo au départ, mais tumultueux...
J'aurais aimé trouver plus d'indications sur l'intention de Brahms. En fait j'ai peur d'y mettre un peu trop de moi là-dedans.

[Zerom]

J'aurais aimé trouver plus d'indications sur l'intention de Brahms. En fait j'ai peur d'y mettre un peu trop de moi là-dedans.

Mais c'est ça qu'on veut entendre (et aussi le capriccio en si mineur qui a du bien avancer depuis le temps, non ?)

Je m'étais aussi intéressé à cet op76, et je me rappelle que pour ce n°1 il y avait une difficulté à bien faire sonner le thème uniquement avec le pouce droit (mes 42-48).
Le passage suivant est pas mal coton aussi, surtout si on a joué le début du morceau un peu trop agitato (vu qu'on est censé y retrouver la même couleur, alors que la difficulté n'est pas la même)

Après il faudra que tu t'attaques à celui en C# mineur, et au dernier en do majeur, tous les deux sont excellents !

[JPS1827]

Mes préférés ici sont Adam Laloum et Pogorelich. Je ne suis pas très gêné par les différentes vitesses d'exécution, c'est plutôt l'impression générale de profondeur qui m'importe (et sur ce plan je trouve Kempff presque prosaïque ici, sans compter des accords au son raté ; la conception pourrait se défendre, mais la réalisation ne plaît vraiment pas du tout, je ne sais pas pourquoi il joue ça, on a l'impression que cette musique ne l'intéresse pas).
Quant aux intentions de Brahms, on ne les connaît pas. On sait toutefois que Clara Schumann trouvait ce Capriccio extrêmement difficile à jouer, ce qui semble indiquer une certaine vitesse d'exécution, qui puisse motiver cette remarque.
Joue comme tu sens Marie-France, et comme toujours il faut essayer de s'attacher à convaincre l'auditeur par une réalisation minutieuse (ce que font Laloum et Pogorelich). Mon idée (et mon habitude) c'est d'écouter quelques interprétations au début du travail, puis d'oublier tout ça quand je travaille l'œuvre (je n'écoute plus rien une fois que je la sais).

[Marie-france]

Mais c'est ça qu'on veut entendre (et aussi le capriccio en si mineur qui a du bien avancer depuis le temps, non ?)

Je prépare ça pour Beuvray, mais tu ne seras pas là . (J'aurais aimé t'entendre dans tes petits morceaux de jazz très enlevés!)
Le capriccio est fini et je le tiens au chaud. J'ai aussi préparé l'op 117 n°2 et la Ballade op118 n°3.
Mais attendez-vous à quelques accrocs tout de même, car déjà sans le trac ce n'est pas parfait, alors avec l'angoisse de 35 paires d'yeux avertis!
Pour le n°5 et 8, je vais voir.

[Oupsi]

Chouette!!
J'adore ces oeuvres, je me régale d'avance.

[Marie-france]

Je récapitule.
Garder un rythme allant tout de même.
Jouer en demi-teinte (j'aime bien cette image, ni "trop" ni "pas assez"...)
Jouer comme je l'entends (que va dire Brahms)
Je vais donc essayer un compromis de tous ces conseils, en espérant ne pas être aux antipodes de ce qu'il faudrait.
@JPS1827: j'écoute moi aussi diverses versions mais elles sont parfois si différentes... C'est déroutant d'entendre les "grands" s'opposer ainsi sur les interprétations. Mais je vais suivre tes sages conseils, comme je l'ai fait pour le n°2, à savoir, pédale intuitive (enfin presque), et mon petit topo perso sur l'interprétation. (Enfin ce n'est pas Laloum quand même faut pas rêver )
@Oupsi je vais essayer de faire de mon mieux. Et puis cela fait si longtemps que je n'ai pas joué devant un public de connaisseurs. C'est un peu angoissant. Je n'ose imaginer si je me rate! Je m'en voudrais pendant un moment!!!

[BM607]

Surtout Marie-France que maintenant qu'on est prévenus on va t'attendre au coin du bois le 2 Juin, on aura écouté les interprétations de références et on connaitra la partition par cœur.
(bon je rigole hein ?)

BM

[katy]

C'est vrai qu'on entend des choses très diverses. Personnellement j'en reste à Jude pour tout l'op. 76, avec qui j'ai découvert cet opus et je trouve ça magnifiquement chantant, sensible et musical. Une touche de féminité, quoi Je trouve que Pogorelich surjoue la partition, je n'ai pas réécouté là mais j'ai le CD, c'est comme tout ce qu'il fait très lent et dépressif, le résultat est quand même beau car il a une sonorité sublime et des moyens prodigieux.
J'ai essayé de mettre la version de Jude en PJ mais je ne sais pas si c'est bon, je n'ai pas trop l'habitude.
Je me souviens avoir lu de cette pièce que c'est comme le vent qui souffle sur les tombes, mais je ne sais plus qui a dit ça.

[jean-séb]

J'ai essayé de mettre la version de Jude en PJ mais je ne sais pas si c'est bon, je n'ai pas trop l'habitude.

Merci Katy. Ça marche et c'est effectivement très beau. J'aurais quand même du mal à choisir mon interprétation préférée.

[JPS1827]

Merci,
magnifique interprétation effectivement que celle de M-J Jude, j'aime bien cette idée de nimber le début avec la pédale.

[katy]

Comme ça fonctionne, je rajoute la version de Julius Katchen, qui a signé l'intégrale Brahms de référence dans les années 60. Une version assez libre, avec beaucoup de rubato. Ca donne un peu une idée de comment faire respirer tout ça sans les excès de Pogorelich. J'aime beaucoup.

[Marie-france]

Katy, je te remercie beaucoup.
Ces deux enregistrements vont me servir de référence car ils sont plus proches (surtout celui de Marie-Josephe Jude que je trouve très beau) de ce que j'entends.
Bon, je précise que je ne prétends nullement arriver à un tel résultat.
Et puis BM, me mets pas la pression, là! Déjà que je me motive pour le concert en jouant un répertoire que j'aime beaucoup mais difficile d'interprétation! Mais tu plaisantais, hein!
C'est drôle, car au plus je joue Brahms, au plus je m'enfonce dans mes doutes quant au sens à donner aux sons. C'est tellement fourni!
J'ai l'impression qu'on pourrait donner une multitude de significations à ce flot de notes.

[Marie-france]

Autre question sur ce Capriccio:
Il est en 6/8, rythme ternaire de par ses subdivisions, mais binaire, puisqu'à 2 temps
Hors je trouve qu'on entend à l'intérieur de chaque temps a priori ternaire, une division plutôt binaire en 3x2. Suis-je claire?
Jusqu'à présent j'ai travaillé avec, en tête, des temps ternaires, m'obligeant à entendre les subdivisions pour ne pas alourdir les 1ère et 4ème doubles croches. Mais plus j'avance plus je me dis que je devrais peut-être mieux laisser "couler" les notes et entendre une mesure à 2 temps, avec un seul temps fort.
J'ai juste peur dans ce cas d'alourdir ces premières et quatrièmes double croches.
Comment le voyez-vous?
Merci

[Zerom]

Effectivement les doubles croches marchent par 3, et divisent donc les temps en 2. C'est écrit comme ça, je ne pense pas qu'il faille lutter contre leur logique mélodique en cherchant absolument à diviser les temps en 3. Au contraire c'est cette ambiguïté entre l'accompagnement et le thème (mes15) qui met celui-ci en avant.

[Marie-france]

Merci Zerom,
Je vais donc écouter les temps. J'avais effectivement cette impression de contrarier la mélodie.
J'avais souvenir de l'allegretto de la 17è sonate de Beethoven où il faut surtout ne pas se laisser prendre au piège ternaire.