Cette interprétation est une interprétation informatique, on ne peut plus, à ce titre, mécanique. (Interprétation qui est l'une de mes préférées pour cette pièce.)
Ceci me donne l'occasion de m'interroger sur le reproche fait à de nombreuses pièces de la musique baroque, jugées a posteriori "mécaniques" au regard des genres musicaux qui lui ont succédé.
Mais la mécanique me semble constituer quelque part une certaine forme de perfection (l'horloge suisse, c'est remarquable). Reprocher que l'on allie au royaume de l'expression phénoménale qu'est la musique une telle rigueur ne revient-il pas à déprécier une émotion, que l'on tiendrait à voir définie par son approximation ?
Bon, bref, je m'arrête, c'est déjà n'importe quoi !
« Il ne cria pas plus devant l’abîme qu’il n’avait crié devant les hommes. » L’Homme qui rit, Hugo
Je n'ai pas le temps en ce moment d'écouter la pièce en question, mais simplement à voir l'image de la vidéo il est possible de dire que vous confondez le mode de reproduction et sa représentation graphique, et l'interprétation. Cette pièce a été le plus probablement jouée au clavier et enregistrée, donc interprétée sur un clavier, et c'est seulement la représentation graphique de la restitution que vous voyez là. Il n'y a absolument rien de mécanique là-dedans.
D'ailleurs, même si la pièce avait été retranscrite sous cette forme directement à la souris d'après une partition, il s'agirait encore une fois d'une interprétation humaine, certes plus abstraite, mais pas du tout mécanique.
Il est intéressant de voir comment les fantasmes relatifs à l'informatique se lient à l'ignorance de la réalité de la MAO (musique assistée par ordinateur) pour former des idées fausses et répondre à des peurs et/ou à des attentes concernant la toute-puissance, la maîtrise, le contrôle, l'inhumain et la spécificité humaine, la virtuosité et le caractère rigide d'une interprétation. Toutes ces peurs et/ou attentes, et nombre d'autres, ne sont pas dans la réalité de l'usage de l'outil informatique, mais dans la réalité de l'esprit qui les éprouve.
Non pas que l'aspect "mécanique" n'existe pas en MAO spécifiquement, mais l'outil informatique est tellement souple et divers qu'il est tout bonnement faux de le qualifier de mécaniste de toute façon.
Quant à l'aspect combinatoire de la musique baroque, je pense que le romantisme, qui a emporté l'Europe à la fin du XVIII°, nous a partiellement obstrué l'accès à sa richesse et a ses subtilités. De là à parler de musique "mécanique", il me semble que c'est une erreur qui témoigne davantage de l'effet d'une éducation musicale que d'une juste appréciation des choses. A moins qu'il ne s'agisse de l'expression d'un jugement de goût, "le baroque je n'aime pas c'est trop mécanique", mais dans ce cas, il pourrait s'agir d'une manifestation de mauvaise foi pure et simple.
(finalement j'aurais pu prendre le temps d'écouter la pièce en question...)
Cordialement
Dans la série des messages que j'aurais préféré ne pas écrire...
Pour moi aussi, les phrases sont bien amenées, il y a des petits rallentis, c'est surement un humain qui joue! Il n'y a rien de mécanique la dedans.
C'est juste une représentation informatique de son jeu.
Pardon d'insister mais : qu'est- que signifie exactement "programmé avec Cubase"?
Quand vous aurez compris cela vous comprendrez que, d'une manière ou d'une autre, cela a été joué ou interprété. Je dis interprété car il se peut que les notes aient été entrées une à une à la souris, en suivant une partition. Quoi qu'il en soit, joué (puis reproduit) ou programmé à la souris (en général, posséder les compétences relatives à la programmation de cette pièce signifie savoir aussi la jouer), il faut bien une notion d'interprétation pour donner un résultat convenable.
Techniquement, ce que vous voyez est le "piano roll" (exactement le même principe qu'un rouleau de piano mécanique en effet) d'un séquenceur quelconque. Cette feuille contient des informations MIDI, notoirement le placement temporel des notes et leur vélocité (les événements MIDI s'échelonnent sur 128 niveaux, de 0 à 127 ; par exemple, il y a 128 niveaux de vélocité pour figurer le ppp au fff. Mais il y a encore de nombreux autres paramètres qui peuvent être transmis de cette façon, dont les fonctions d'un synthétiseur, son filtre par exemple, ce qui, malgré l'étroitesse relative de la fenêtre de 128 pas de programmation, permet d'exprimer énormément de choses). Pour obtenir une telle feuille de piano roll dans un séquenceur comme Cubase, il faut ou bien entrer toutes les notes à la souris, ou bien enregistrer en direct les événements MIDI avec un clavier MIDI. Dans cet enregistrement il n'y a pas de sonorité, simplement les informations relatives à la partition, ce qui permet d'une part les retouches des fausses notes (ou même une quantification selon un découpage rythmique donnée et réglable, qui peut être justifiée si l'on compose des rythmes par exemple), d'autre part de varier les "habillages" sonores, un clavecin, un piano, un orgue, une boite à musique, etc.
Si l'on peut questionner la mécanisation de la musique réalisée avec un séquenceur MIDI, c'est dans le découpage temporel que ces logiciels imposent à toute interprétation, et qui peut éventuellement dénaturer le jeu. Mais il faut garder la mesure de cette finesse du grain temporel imposé, ou définition MIDI, car elle est tout de même très fine : couramment dans mon séquenceur, 960 sous-divisions par quart de note, soit, à 120 battements par minutes, 2 sous-divisions toutes les microsecondes. On peut d'ailleurs augmenter cette définition à loisir mais, est-ce seulement utile? Pour mémoire, le temps de réaction moyen du système moteur chez l'homme est de l'ordre de 10 millisecondes. On se demande lequel des deux, de l'homme ou de l'ordinateur, a le plus de potentiel "mécanisant"...
Mais peu importe, les fantasmes et l'imaginaire l'emportent, et pour certains les ordinateurs (et Cubase donc!) savent jouer (mal) de la musique aussi sûrement que, pour les premiers spectateurs des frères Lumière, les trains fonçaient vraiment sur la salle de cinématographe...
Dans la série des messages que j'aurais préféré ne pas écrire...
Oui programmé, mais celui qui l'a programmé a mis les nuances qu'il voulait, les ralentis où il voulait, les articulations, etc. Donc ça reste une interprétation ( bien qu'elle soit très moche )
aucun jugement de valeur dans ce que j'ai dit, j'ai seulement fait remarquer que ce n'était pas un organiste, derrière son clavier qui avait enregistré la pièce en question,
C'est vrai que ce n'est pas Marie-Claire Alain qui s'exprime... et puis l'orgue, en dehors de l'espace sonore dans lequel il est "programmé" normalement par l'organiste, bof bof.
Mais justement sur les termes : la programmation c'est le travail de l'informaticien qui code le logiciel Cubase, afin que le gentil utilisateur puisse s'en servir sans rien y connaître. On peut toujours dire que l'on programme ses parties MIDI, ça fait vachement style, mais ça ne correspond pas à la réalité. En réalité, l'on compose ses parties MIDI exactement comme l'on écrirait une partition, avec un stylo et une gomme, et l'on corrige ses prises MIDI exactement comme l'on les referait avec un magneto à bandes (parce que l'on ne pourrait pas les corriger.)
A une époque il existait beaucoup de logiciels musicaux qui fonctionnaient avec un système de programmation, on appelait cela des trackers, comme Renoise par exemple ici (attention ce n'est pas du piano...) Il fallait entrer des lignes de code et ces lignes instruisaient le logiciel sur quel événement sonore jouer à chaque instant. On programmait ainsi la musique dans un ordre séquentiel complexe, ce qui a de nombreuses ramifications avec l'Ars Nova et le début de la musique baroque, car les compositeurs de ces pièces sur Renoise, tout comme les "troppeurs" de l'Ars Nova, devaient (doivent) être capables de tenir plusieurs lignes en même temps dans une verticalité synthétique vertigineuse. On peut ne pas aimer les genres de musique qui ont été développées à l'époque des trackers (ou de l'âge baroque), mais si l'on est musicien l'on ne peut que s'incliner devant les solutions novatrices mises en œuvre avec des moyens restreints et des contraintes fortes dans les deux cas. Certaines de ces pièces contemporaines, populaires d'inspiration (la musique contemporaine faisant usage des ordinateurs est une toute autre branche), sont de véritables leçons de musique quant à la composition, et quant à l'instrumentation (car il existe tellement de synthétiseurs différents et de traitements sonores variés, que les choisir est un art sans conteste.), d'autant que l'on comprend comment elles furent réalisées avec cette vision complète, abstraite, synthétique, de la partition.
A une époque antérieure encore il y eut même des programmeurs de ce que l'on a appelé la demoscene, et qui codaient dans des fichiers minuscules des programmes dont la réalisation sur la machine qui les lisait fournissait un clip complet de musique électronique et de création graphique. là encore, il s'agissait d'avoir un esprit de synthèse vertigineux. (On trouve des tas d'exemple sur youtube)
Mais on peut être totalement pianiste et absolument pas musicien du tout, en fait, tout comme il se trouve des tas de "compositeurs électroniques" qui n'ont pas de fibre musicienne du tout. C'est une question d'ouverture d'esprit, pourvu qu'on respire dans son activité musicale et que l'on ne reste pas guindé dans sa morgue romantique...
Je suis certain que Bach aurait été un grand utilisateur de ces technologies, qu'il aurait tout de suite compris les possibilités offertes. Schubert en revanche, je suis ne crois pas qu'il aurait tellement compris cela...
Dans la série des messages que j'aurais préféré ne pas écrire...
Sinon je pense que la piste de réflexion qu'a jeté babaz n'est pas inintéressante. La recherche dans l'égalité du son, l'égalité parfaite des durées, de l'intensité, la neutralité sont des pistes a explorer dans la pratique je pense.
Will you bite the hand that feeds you? Will you stay down on your knees?
Mes remarques ne portaient pas franchement sur les arcanes de la musique informatisée : je m'étais simplement permis de considérer par rapport à celle-ci, et au détour d'une phrase, qu'elle était apte à exemplifier, par sa possible extrême régularité, ce qu'est une interprétation mécanique de telle ou telle pièce.
Mon propos concernait en effet, en premier lieu, l'acception souvent péjorative de ce terme - "mécanique" -, lorsque rapporté à la musique.
Connotation dont vous semblez attester, et qui me paraît au moins en partie dénuée de sens, dès lors que l'on entend par mécanique une impitoyable régularité.
De là à parler de musique "mécanique", il me semble que c'est une erreur qui témoigne davantage de l'effet d'une éducation musicale que d'une juste appréciation des choses.
.
Vavavoum! a écrit :D'ailleurs, même si la pièce avait été retranscrite sous cette forme directement à la souris d'après une partition, il s'agirait encore une fois d'une interprétation humaine, certes plus abstraite, mais pas du tout mécanique.
Bien sûr, je n'entends pas qu'un humain n'y serait pour rien, mais seulement qu'à l'instar des capacités de calcul d'un ordinateur, infiniment supérieures aux nôtres (du moins quantitativement), la précision, l'exactitude temporelle auxquelles peuvent mener l'exécution informatique d'une pièce (préalablement programmée, à l'heure qu'il est : l'IA demain...), dépassent largement nos propres compétences en la matière.
Encore une fois, ceci était implicite, et me paraît vraiment relever de l'évidence : l'interprétation, en tant qu'elle a été programmée par un humain, est bien l'oeuvre d'un humain..., mais se trouve exécutée par un outil l'exécutant plus exactement que les doigts du programmeur - éventuellement concertiste - ne l'auraient pu.
D'ailleurs vous l'insinuiez peut-être vous-même dans votre première réponse, par ce qui suit.
Cette pièce a été le plus probablement jouée au clavier et enregistrée, donc interprétée sur un clavier, et c'est seulement la représentation graphique de la restitution que vous voyez là. Il n'y a absolument rien de mécanique là-dedans.
Sous-entendu, le "mécanique" est bien plus volontiers l'apanage de la machine que celui d'un humain pianotant.
Vavavoum! a écrit :Mais peu importe, les fantasmes et l'imaginaire l'emportent, et pour certains les ordinateurs (et Cubase donc!) savent jouer (mal) de la musique aussi sûrement que, pour les premiers spectateurs des frères Lumière, les trains fonçaient vraiment sur la salle de cinématographe...
Nul besoin n'était donc d'adopter un ton quelque peu railleur, présupposant des fantasmes de vos interlocuteurs.
Bergamotte a écrit :Oui programmé, mais celui qui l'a programmé a mis les nuances qu'il voulait, les ralentis où il voulait, les articulations, etc. Donc ça reste une interprétation ( bien qu'elle soit très moche )
En bref : "ça reste une interprétation" parce qu'"il y a mis les nuances"... etc.
En passant sur le fait que ces nuances ne me paraissent pas ici particulièrement centrales, ta réponse reviendrait à dire qu'une interprétation trop mécanique n'en serait pour toi pas une, et je constate que je n'ai pas du tout la même réaction face à ce type de pièces.
Ce que j'admire ici, c'en est bien la quasi-implacable justesse (en termes de régularité, précision, pour reprendre des mots que j'ai déjà employés vingt fois, j'en suis désolé).
« Il ne cria pas plus devant l’abîme qu’il n’avait crié devant les hommes. » L’Homme qui rit, Hugo
Je vais encore m'attirer les foudres de tout le monde, mais je suis tout même persuadé que non pas la musique baroque, mais celle de Bach se prête le mieux à ce genre d'enregistrement.
C'est le reproche que je ferais principalement dans certaines pièces de Bach : c'est comme une mécanique, et si l'exploit fait par un pianiste est remarquable, est-ce pour autant humain?
Ce que j'aime en musique, ce n'est pas ce côté "débiteur de notes à la perfection", ce sont les respirations, les inflexions, et je dirai même certains défauts tout simplement liés au fait que nos dix doigts ne peuvent être strictement égaux. Chopin l'a parfaitement compris, l'a écrit, et s'en est même servi... tout admirateur de Bach qu'il fut.
Sur ce point particulier Babaz, je ne peux te rejoindre. La mécanique d'une horloge Suisse parfaitement réglée est admirable, mais cela n'exprime rien. Un enregistrement tel que celui que tu donnes en exemple ne dit rien. Ce sont des notes et c'est tout, avec des harmonies bien agencées. Tout cela est propre et parfait et sans aucune profondeur. Les belles harmonies ne peuvent suffire à exprimer quelque chose, elles doivent être magnifiées par une interprétation humaine.
C'est justement le côté fragile de l'humain qui est le plus intéressant en musique. Et quand je dis fragile, je ne veux pas dire romantique ou mièvre ou encore dégoulinant. Non, non, non! Le côté fragile peut se revéler être une colère, une passion, un cri, des larmes, de la joie, du bonheur... tout un panel de sentiments, d'expressions.
Je comprend qu'on puisse être impressionné, voire ému, par une technique absolument impeccable. Mais s'il n'y a aucune valeur qui y est associée, aucune expression, aucun message.... à quoi bon faire de la musique?
Attention tout de même : je ne dis pas que Bach doit être joué comme une mécanique parfaite sans profondeur, mais force est de reconnaître qu'un fichier MIDI hyper basique écrit par un ordinateur rend certaines pièces de Bach de manière moyenne, celle d'Haendel, de Scarlatti, de Chopin (et tout autre compsiteur) de manière exécrable...
Oui j'entends bien votre argumentation, mais je crois que vous vous méprenez sur l'outil informatique, ce que vous confirmez me semble-t-il.
Comment vous expliquer autrement qu'ainsi : cette pièce est certainement jouée par un musicien médiocre, ce qui explique sa médiocrité. Dans la reproduction que l'on voit et entend, l'ordinateur ne musique pas du tout, il ne fait que jouer ce qui a été enregistré. Ici le séquenceur Cubase ou un autre, n'est rien d'autre qu'un magneto qui enregistre puis reproduit fidèlement. Si Marie-Claire Alain (est-elle toujours vivante?) avait joué cette pièce sur ce même ordinateur, l'interprétation aurait été certainement magnifique. Dans cette affaire (et c'est pourquoi je parle de fantasme car il me semble que votre témoignage le montre!), l'ordinateur n'est pas autre chose qu'une bande magnétique (un peu spéciale, qui permet de retoucher les prises, certes) : on ne dit pas qu'un disque altère l'interprétation ; l'interprétation EST sur le disque. Ici, de la même manière, l'interprétation n'est pas due en quoi que ce soit à l'implacabilité de la méthode, mais à la médiocrité de l'interprète, qui a peut-être appliqué une quantification radicale à sa prise.
Il faut aussi bien noter que l'orgue est un instrument très difficile à reproduire, tant il est riche. Il n'est pas dynamique, donc il sonnera froidement et tout à plat. Ce sont là des limitations dues à la prise de son de cet instrument, indépendamment de l'informatique. L'orgue n'est peut-êtr une expérience musicale qu'à la cathédrale!
Mais je pense aussi sincèrement que dans nos éducations musicales il est excessivement porté l'accent sur une période romantique, pendant laquelle l'écriture (et l'instrument même) pour piano s'est beaucoup développée et fixée. C'est une époque qui a correspondu aussi aux débuts de l'industrialisation en Europe et à la croissance d'une bourgeoisie, laquelle, pour combler son manque à être, se réfugia dans toutes les modes de prestige, dont l'expression supérieure des sentiments par la peinture ou la musique, et le rejet ou mépris des richesses combinatoires baroques. Le fait que je décris, illustré par les analyses historiques de Marx à Bourdieu, n'est pas une nouveauté ; il est possible de le contester, mais nous arriverions très vite à des options très premières sur nos visions globales du monde, à nous risquer d'argumenter ainsi. Quoi qu'il en soit, l'héritage aujourd'hui, dans les formations musicales et les pratiques bourgeoises (le terme n'est pas péjoratif, il concerne le style de vie de la classe sociale aujourd'hui dominante, la classe moyenne) de la musique, est très marqué : d'abord le solfège, puis la correction des attitudes du corps et une très forte contrainte, jusqu'à l'achat d'un instrument dit "d'expression" et l'interprétation des partitions nobles du romantisme. Or il faut bien comprendre que la musique savante, de toutes les époques (et à fortiori la musique populaire), ainsi que les autres arts créatifs de leur époque, ne se sont jamais souciés de ces critères bourgeois, en dehors de cette période romantique. Il comptait, il compte et il comptera, de faire du neuf avec les problèmes passés, les moyens présents, sans s'inquiéter du bruit public.
Dans cette optique de renouveler l'art, certaines époques ont été plus foisonnantes que d'autres. Le baroque (au sens large du XII° jusqu'à à la mort de Bach) a considérablement élargi le champ des possibles, songez, entre l'invention de la notation, de la polyphonie, de la polysémie des textes, de l'intertextualité entre les œuvres, de l'orchestration, du spectacle total et de l'opéra, de la combinatoire compositionnelle, etc., cette époque a sacrément bougé les lignes, à l'outrage du siècle bourgeois qui a suivi son enterrement, et qui rêvait de respectabilité et de beaux sentiments.
Ainsi chez Bach il y a un aspect qui nous parait mécanique parce que nous pensons sans nous en apercevoir que "l'interprétation" est une valeur haute en couleur et très remarquable. Elle l'est peut-être, sans doute même. Mais en réalité, Bach ne se souciait pas d'interprétation, il se souciait des possibilités de la composition, de rythme, d'une perfection qui ne tient pas à la "belle forme", mais à l'exploration des voies de l'humanisme naissant. Le romantisme est, sous cet aspect, une séquelle des lumières, sa morgue ampoulée dirais-je avec parti-pris. Et nous, nous prenons le romantisme pour la mère de tous les arts - au détriment de la musique, me semble-t-il.
Puis, des aspects techniques du jeu : voyez comment l'on interprétait Bach avant que Glenn Gould ne fasse exploser tout ça dans un luxe nerveux de sentimentalisme (excellent certes mais si peu baroque justement) : on jouait Bach avec précision, avec méthode, avec rigueur. Et à ce jeu précis travaillé avec le métronome la précision est grande, pas si grande que celle des des 7Bits du MIDI sans doute, mais à s'y méprendre : l'humain est une mécanique de précision. Je ne crois pas que l'informatique apporte une cadence dont l'humain ne serait pas capable, je pense simplement que nous avons perdu le critère d'une certaine précision (ou insouciance quant à l'interprétation disons), au profit d'un "flottement artiste" tout romantique, et dont il nous semble que nous ne pourrions pas revenir. Or regardons le monde : comment la musique s'est-elle jouée de rythmes et d'inventions partout dans le monde où, loin des salons des Madame Verdurin, aucune "petite phrase" nostalgique ne venait brider la fête, la danse ou l'amusement? Moins de morgue, moins de monothéisme, moins de nationalismes et de guerres, mais des couleurs, des rythmes, des instrumentations nouvelles, des variétés réelles.
Finalement, lorsque vous placeriez le mécanique du côté de la machine, je placerais l'interprétation du côté de la mort. Le mécanique en nous, c'est le vivant, l'irrévérence, la parodie, l'échappée désinvolte. On l'entend chez Scarlatti, chez Bach, chez Mozart encore ; on perd sa trace dans les lieder.
Bon ok c'était le bac de philo aujourd'hui, déformation professionnelle!
Dans la série des messages que j'aurais préféré ne pas écrire...
Vavavoum! a écrit : Finalement, lorsque vous placeriez le mécanique du côté de la machine, je placerais l'interprétation du côté de la mort. Le mécanique en nous, c'est le vivant, l'irrévérence, la parodie, l'échappée désinvolte.
Mais non, pas d'accord. Je pense exactement le contraire. L'interprétation, c'est au contraire ce qui fait vivre le morceau. La mécanique en nous n'existe pas dans l'absolu : on peut parler d'allant, de phrasé, de dynamique... tout ce qu'une machine ne sait pas faire.
D'ailleurs lorsque l'on parle, on ne débite pas des mots, on dit des phrases (sauf si c'est une interjection bien sûr).
La musique c'est pareil, ce ne sont pas des notes, ce sont des phrases. Avec des respirations, des intonations, des inflexions.
Les voies du GPS ou des hotline "pour avoir plus d'informations, tapez 1"..."pour péter un câble, taper étoile"...
Une vraie voix humaine certes, mais informatisée comme l'exemple de babaz. Ya des respirations, mais ça n'a rien d'humain!
Bon, alors OK, j'ai eu 7/20 en philo au bac. Ca doit être pour ça que....
Bien sûr nous interprétons, bien sûr l'interprétation existe! Simplement, contrairement à d'autres époques, nous sommes obnubilés d'interprétation, comme un impensé qui nous habite, et nous ne voyons pas qu'à d'autre époques cet élément n'était pas du tout important. Depuis que le piano est devenu un passe-temps des classes moyennes (depuis la fin XVIII°), d'autres valeurs, telle la créativité, l'inventivité, etc., sont devenues des angles morts de la pratique (spécialement) pianistique, au profit de l'interprétation.
Et c'est bien tout le problème (que l'on ne voit même pas tant il nous paraît une évidence!), l'on aborde la pratique du piano selon le seul aspect de l'interprétation, au profit de l'invention, de la spontanéité, de l'amusement, du jeu, du badinage, etc. Et ce dès la toute petite enfance. Un enfant est spontanément très libre face à un piano, et ça dégage! ça invente, ça raconte des tas de choses un enfant pianiste spontané. Mais offrez-lui des cours de musique : fini de rire, il faut la discipline, le solfège d'abord, et c'en est fini du jeu : seul domine l'apprentissage en vue de l'interprétation. Du coup revenez vingt ans plus tard, ces pianistes ne savent pas jouer de leur instrument, mais seulement répéter sans cesse le même corpus de partitions.
Mais le problème c'est que tout est interprétation finalement. Richard Cleyderman interprète beaucoup par exemple. Mais c'est très mauvais évidemment.
A l'exact opposé de cela, James Brown impose une rythmique machinale très cadrée à ses orchestres, et il invente quelque chose d'absolument neuf, de très vivant (les gens dansent.)
eC'est dans ce sens que je dis que l'interprétation c'est une forme morbide d'accès à la musique, une forme figée, morte, patrimoniale. Tandis que la mécanique - par paradoxe - est déjà toujours du côté de l'impertinence, de la singerie, du jeu, de l'humour, du rire et de la vie.
Ce qu'il faut refuser, me semble-t-il, c'est l'opposition entre l'expression dite noble de sentiments dits supérieurs dans l'interprétation, et la spontanéité, la créativité, l'invention que suppose la musique, l'expression vivante d'émotions, si l'on y tient, qui sont celles du pianistes, pas celles du compositeur il y a deux cents ans. Cette opposition nuit à la musique, et elle nous vient directement de ces problématiques de l'époque classique et romantique, que l'on songe à la découverte des peuples exotiques (spontanés et donc "barbares"), ou à l'expression supérieure d'une recherche de Dieu (contenue et donc "civilisée"). En ce sens, le mécanique du baroque (qui est en fait une combinatoire) est du côté de la musique et de la vie, et la belle forme du lied est du côté du musée, de la figure imposée, de l'ennui, du sentimentalisme et, en effet, de l'interprétation (cf. Richard Cleyderman...)
Dans la série des messages que j'aurais préféré ne pas écrire...
Bravo Vavavoum pour cette analyse ! Il y a clairement un problème à ce niveau, et quand je parle avec des gens du plaisir de faire la musique, c'est toujours à cette image que je me butte (sur laquelle j'ai moi-même butée pendant plus de 30 ans)... "La musique, c'est les autres"... (Moi, je n'ai aucun don pour la musique)"... Alors que, j'en suis convaincu, c'est que beaucoup n'ont aucun don pour l'interprétation (ou plutôt "plaisir à interpréter")... À noter que ça ne va jamais sans un auditoire fantôme, comme si on se voyait ne pas savoir faire de la musique devant une salle rempli à craquer (orgueil orgueil)...
Mais pas besoin de don spécial pour s'amuser, ni de public.
Mais offrez-lui des cours de musique : fini de rire, il faut la discipline, le solfège d'abord, et c'en est fini du jeu : seul domine l'apprentissage en vue de l'interprétation.
Sinon pour faire l'avocat du diable, beaucoup de personnes ne jouant qu'à l'oreille sont aussi incapable de "créativité" (je préfère le terme "s'amuser"), donc plutôt que de mettre la faute sur la présence de cours, je dirais plutôt que les cours pourraient offrir une toute autre approche (image) de la musique.
Et je n'ai jamais joué de piano chez moi dans mon enfance, alors qu'il était à libre disposition et qu'on ne m'imposait aucun cours. Je crois que laisser un enfant à lui-même devant un piano ne suffit pas, il faut lui montrer à "dessiner" sur le piano, mais sans lui imposer de sujet.
"Le piano numérique vient du piano acoustique, et mène à lui..." DFU
Vavavoum! a écrit :C'est dans ce sens que je dis que l'interprétation c'est une forme morbide d'accès à la musique, une forme figée, morte, patrimoniale.
t'as des problemes toi. Tu prends plus tes petites pilules bleues ?
« L'inconvénient du piano, c'est que chaque bonne note est située entre deux mauvaises. » A.Schnabel
t'as des problemes toi. Tu prends plus tes petites pilules bleues ?
Quand on en arrive à ce genre d'argumentaire, même pour rire, il est temps de s'éclipser malheureusement...
Aucune importance, les gens qui ont étudié la question comprendront, les autres se cacheront indéfiniment derrière le petit muret...
Une dernière question pour les curieux, à vous de chercher les genres de réponses qui dessinent des mondes tous différents : est-ce que Bach interprétait ses œuvres, autrement dit, est-ce que Bach interprétait Bach?
Dans la série des messages que j'aurais préféré ne pas écrire...