Le dernier puritain

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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Dirlopiano
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Le dernier puritain

Message par Dirlopiano »

Je viens d'achever la lecture de l'ouvrage "Glenn Gould, les dernies jours d'un puritain" de Kevin Bazzana.
Après avoir nourri quelques inquiétudes face à un début de narration un tantinet soporifique car extrémement factuelle (juxtaposition d'éléments sur la famille et l'enfance de l'artiste d'une précision étonnante parfois, mais d'un intérêt tout relatif), le récit prend rapidement corps pour offrir un portrait passionnant de ce personnage complexe.
La crainte d'avoir à faire face à une hagiographie (l'auteur dirige le magasine "Glenn Gould" depuis 1995) s'estompe également, et c'est sans complaisance que Kevin Bazzana nous renseigne sur toutes les facettes d'un individu à la singularité passionnante. Le travail réalisé est d'une qualité remarquable, paraissant quasimment exhaustif quant au relevé des archives disponible sur la vie de Glenn. Au demeurant, de nombreux interviews ont été réalisés auprès de proches du musicien.
On y découvre un pianiste de génie à la technique surnaturelle (il ne notait que peu de doigtés sur ses partitions, craignant qu'à s'intéresser à sa technique elle disparaisse)... et profondément névrosé. Ses manies font souvent sourire. Ainsi, son rituel de trempage de bras pendant une demi-heure avant de jouer n'était pas sans poser problème lors des séances d'enregistrement... La description de ses relations aux autres ne manque pas non plus d'intérêt. On apprend par exemple q'un jour un technicien Steinway lui a, pour dire bonjour, ldonné une tape amicale sur l'épaule. Ce geste à été à l'origine de nombreuses annulations de concert...et d'un conflit juridique entre la manufacture américaine et le musicien, qui s'est estimé irrémédiablement blessé! Cette hyponcondrie qui le caractérise le suit tout au long de sa vie...et est une promesse de quelques pages savoureuses. L'auteur nous guide en général à travers l'écheveau de ses troubles psychologiques, disposant de capacités remarquables d'analyse à cet égard.
J'ai beaucoup ri au récit des exploits automobilesque de notre héros, véritable chauffard, cette fois-ci sans peur si ce n'est sans reproches... L'homme aimait également beaucoup les animaux, destinataires d'une partie de son leg testamantaire.
On s'attache finalement beaucoup au personnage au fil des (700) pages, et à une époque où l'on déplore souvent le culte de la forme et l'apparence au détriment du fond), on ne peut qu'admirer le détachement de Gould par rapport aux choses matérielles, et à l'apparence donc (suivez mon regard). Voici par exemple l'arrivé de Glenn à un concert dans lequel il va officier en tant que chef d'orchestre: "portant plusieurs épaisseurs de vestons sombres, de chemises et de pantalons de flanelle (au pluriel)) informes malgré la chaleur estivale, et il transporte un énorme sac à ordures vert contenant ses partitions, ses bloc-notes et son attirail. Entièrement voué à la musique et dénué de toute prétention, à l'opposé de tant de chefs d'orchestre, Gould ne se préoccupe pas de pouvoir ni d'image".
J'ai découvert des facettes du pianiste que je ne connaissais pas, ou dont je sous-estimais l'importance. Ainsi, la passion de Gould pour les techniques d'enregistrement en général était prépondérante. Il a notamment été le réalisateur de nombreuses émissions de radio (pour lesquelles il a créé la technique de contrepoint (!)). Comme d'habitude il s'est révélé génial dans cette activité également. Il adorait également l'écriture, même s'il avait une plume souvent détestable (récits prétentieux et incompréhensibles...). Il aimait jouer la comédie... avec un résultat décrit comme fréquemment désastreux et un humour à l'avenant! Il adorait parler, était intarissable en ce qui concerne la musique (faisant autorit dans certains domaines) et les concert-conférence de la première partie de sa carrière étaient souvent ponctués de "tais-toi et joue" émanant d'un public exaspéré!
Ainsi, c'est il s'agit d'un livre hautement remarquable. Un petit bémol concernant la qualité littéraire (c'est une traduction du canadien, ça ne doit pas arranger les choses), la construction du récit laissant souvent à désirer. Elle est sans doute secondaire dans une biographie, mais il m'est apparu tout de même maladroit de consacrer les dernières lignes de l'ouvrage au descriptif de l'autopsie...
Pour finir, je retiendrai que sa tombe est surmontée d'une modeste plaque funéraire déposée sur le sol qui porte les trois premières mesures des variations Goldberg.

"Glenn Gould - Le dernier puritain", Kevin Bazzana, édition Buchet/Chastel, PE=25 Euros, 694 pages.
Dirlopiano
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Message par Dirlopiano »

Voici la couverture:
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yannis
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Message par yannis »

Impressionnant !
Dirlopiano a écrit :Ainsi, la passion de Gould pour les techniques d'enregistrement en général était prépondérante. Il a notamment été le réalisateur de nombreuses émissions de radio (pour lesquelles il a créé la technique de contrepoint (!)).
C'est quoi la technique de contrepoint pour les émissions de radio ? Un journaliste qui commence par un thème, le deuxième qui le reprend à la dominante, un troisième à la basse, et ils parlent tous ensemble ? Les Inconnus ont un sketch de ce type sur la télé belge (qui est bilingue) ;-)

Je rigole, mais sérieusement dis-nous ce que c'est.
Dirlopiano a écrit :Pour finir, je retiendrai que sa tombe est surmontée d'une modeste plaque funéraire déposée sur le sol qui porte les trois premières mesures des variations Goldberg.


C'est un peu réducteur tout de même pour quelqu'un qui a tout joué, de Bach à Berg à Scott Joplin... Il doit bien rigoler là où il est : "même sur ma tombe ils ne m'ont pas épargné de leurs clichés et leurs étiquettes..."
Es gab eine Zeit, wo ich nur ungern über Schubert sprechen, nur Nächtens den Bäumen und Sternen von ihm vorerzählen mögen. [R. Schumann, 1838]
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Gastiflex
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Message par Gastiflex »

C'est peut être lui qui l'avait souhaité ?
Lasciate ogni speranza, voi ch'entrate.
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yannis
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Message par yannis »

Gastiflex a écrit :C'est peut être lui qui l'avait souhaité ?
ALORS QUE LE THÈME FAIT QUATRE MESURES ?!? Condamner cette merveilleuse mesure "la-sol-fa sol-fa-mi miiiiiiii-ré" à l'oubli ??? Il n'aurait jamais fait ça.
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Dirlopiano
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Message par Dirlopiano »

"C'est quoi la technique de contrepoint pour les émissions de radio ?"

C'est la technique qui consiste à juxtaposer différentes sources sonores. Ainsi, à certains endroits des documentaires, plusieurs personnes parlent en même temps, leurs voix se croisent et s'entremêlent.

Concernant les 4 mesures des variations Goldberg, ce sont aussi celles de l'Aria da capo. Peut-être une métaphore de la vie posthume de Gould qui n'est pas prête de se terminer...
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