[Fil Christof : L'Harmonie jazz vu par les pmistes. Etude 6 opus 10 de Chopin

Théorie, jeu, répertoire, enseignement, partitions
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Ninoff
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz]

Message par Ninoff »

flober a écrit : dim. 05 nov., 2023 10:51 Juste jouer une ou deux notes dans les basses un peu comme dans la musique indienne.
pour faire sonner la fondamentale et eventuellement la quinte, pour signifier le contexte.
Une blanche ou meme une note toutes les deux mesures, voir sans rythme pour explorer les possibilitées mélodiques avec la main droite.
Oui commencer doucement, et s’exercer dans plusieurs tonalités différentes comme des exercices…
👌👌👌
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Christof
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Chronique sur mes cours d'harmonie

Message par Christof »

Chronique sur mes cours d'harmonie (suite)

A force de frapper à coups redoublés sur la même porte, elle finit toujours par s'ouvrir. Ou alors c'est une porte voisine, qu'on n'avait pas vue, qui s'entrebâille, et c'est encore plus beau (Michel Tournier)

Je ne vais pas vous parler dans ce message du cours d'harmonie proprement dit, mais de ce qui s'est passé après. C'était mardi dernier, en toute fin de soirée. Le cours - où on a vu en détail le mixolydien b6 - avait eu lieu dans une salle au sous-sol de la Bill Evans Piano Academy.
En remontant, j'entends une magnifique musique au piano qui sourdait de la porte de la grande salle... Je reste là, à écouter ce "I love You Porgy" en me disant que ce devait être un(e) étudiant(e) de l'école qui répétait et qu'il ou elle était super balèze ! Magnifiques harmonies.
Je n'ai pas pu résister, j'ai frappé et je suis entré. Et là, une jeune femme en train de jouer sur le Yamaha C3. Je lui demande si je peux m'asseoir pour l'écouter. Elle me sourit : "bien sûr, vous pouvez vous asseoir".
- Puis-je vous enregistrer, c'est tellement beau ?
- Oui, sans problème.

Et puis on en est venu à discuter et j'ai alors compris qu'elle était en fait une des profs de piano de l'école. C'était tellement incroyable, elle qui était là pour travailler prenait tout son temps pour moi, parler piano, parler jazz, parler de nos approches, de ce qu'on jouait, me montrant aussi des trucs (j'ai coupé la conversation dans l'enregistrement ci-dessous pour ne pas faire trop long). Et puis quelqu'un a frappé à la porte : c'était le prof d'harmonie que je venais de quitter un bon quart d'heure avant, et qui a cru que j'étais là à prendre un cours avec Pieternel. On lui a expliqué que non, que j'avais simplement entendu de la musique et venais goûter les notes. Là aussi, on a pas mal discuté tous ensemble (j'ai enlevé).
Étienne, le prof d'harmonie avait aussi entendu jouer et à demandé à Pieternel de lui rejouer ce qu'elle travaillait. Puis, Il s'est mis au piano et a montré ce qu'il faisait sur ce morceau. C'est cela aussi que j'aime avec l'enseignement du jazz parce que tout se passe par l'échange, une espèce aussi de "tradition orale" où on doit avoir les oreilles grandes ouvertes. Musique de l'instant, ici et maintenant, improvisée.
Cela m'a fait tellement de bien d'avoir senti cette ferveur qu'ils avaient à jouer, à échanger en toute décontraction, cette simplicité, cette fraternité, cette modestie venant de ces deux pianistes accomplis, cette façon aussi si gentille de me compter parmi eux, comme "étant de la famille".
Pour moi, cela a été un moment magique ; certainement l'une des plus belles leçons d'harmonie de ma vie.

Nul doute que l'âme de Bill Evans est présente au creux de chaque pierre de cette école.

Mon dieu, ce que j'ai bien fait de pousser cette porte ! D'autant qu’Étienne va sûrement me prendre comme élève au piano, mais pas avant avril, lorsqu'il aura fini une tournée qui va beaucoup le prendre jusqu'à fin mars...



Je ne sais si il règne ce genre d'atmosphère, ce grand partage dans les conservatoires ?* Avez-vous eu de votre côté de telles expériences ?
* Une amie à qui j'ai raconté cela m'a dit qu'elle avait entendu une émission à la radio dans laquelle Alexandre Tharaud racontait un peu la même chose, sauf que lorsqu'il a voulu entrer dans la salle d'à côté au CNSMP, il s'est fait jeter.
Modifié en dernier par Christof le lun. 06 nov., 2023 9:57, modifié 1 fois.
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz]

Message par flober »

Merci pour le partage.

Tu as eu une riche idée en allant t'inscrire dans cette école.
Ninoff a écrit : dim. 05 nov., 2023 16:29 Oui commencer doucement, et s’exercer dans plusieurs tonalités différentes comme des exercices…
👌👌👌
Pour completer, je dirais qu'il est important de depasser le point ou on joue des gammes, arpeges ou autre technique pour se placer dans le relachement, l'écoute, ne pas etre acteur mais spectateur du récit.
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz]

Message par Ninoff »

Superbe Christof,
Un partage tout en harmonie…
J’ai vécu tellement de moments comme toi dans le classique, quelque chose de vivifiant ou le temps s’arrête.
L’impression aussi de toucher quelque chose de juste 🙏🙏🙏
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz]

Message par Pos »

Le rêve !
Cette citation de mon livre de chevet actuel m’a fait pensé à ton témoignage :
« J’aime cette idée que notre relation n’est bâtie qu’autour de l’art. Abandonnons aux autres le bas administratif, ne laissons pas le trivial parasiter le beau »
F. Caro

Quand l’art réunit et qu’il n’y a plus ni ego ni temps ni devoirs. L’essence même de la musique.
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz]

Message par Christof »

flober a écrit : lun. 06 nov., 2023 3:32 Merci pour le partage.
Tu as eu une riche idée en allant t'inscrire dans cette école.
Oui, je crois que j'ai trouvé le lieu dont j'ai toujours rêvé. Et je pense que cela tombe au meilleur moment. Avant, cela aurait été peut-être trop tôt.
Ninoff a écrit : lun. 06 nov., 2023 7:02 Superbe Christof,
Un partage tout en harmonie…
J’ai vécu tellement de moments comme toi dans le classique, quelque chose de vivifiant ou le temps s’arrête.
L’impression aussi de toucher quelque chose de juste 🙏🙏🙏
Il faudra que tu nous racontes cela dans ce forum !
Pos a écrit : lun. 06 nov., 2023 21:41 Le rêve !
Cette citation de mon livre de chevet actuel m’a fait penser à ton témoignage :
« J’aime cette idée que notre relation n’est bâtie qu’autour de l’art. Abandonnons aux autres le bas administratif, ne laissons pas le trivial parasiter le beau »
F. Caro

Quand l’art réunit et qu’il n’y a plus ni ego ni temps ni devoirs. L’essence même de la musique.
Merci Pos pour ton message, qui me fait alors penser à un autre livre : "Quand la beauté nous sauve", de Charles Pépin. Le connais-tu ?

Image
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Bernard Maury

Message par Christof »

Je rapatrie ici deux posts que j'avais écrits il y a déjà longtemps sur ce forum, qui ont finalement bien mieux leur place ici dans ce fil "Harmonie jazz" puisque Bernard Maury a été l'un des spécialistes du genre, transmettant notamment son savoir en fondant en 1996 la Bill Evans Piano Academy.

Bernard Maury (28 décembre 1943 - 31 juillet 2005).
bernard_maury.jpg
bernard_maury.jpg (13.68 Kio) Vu 902 fois

On pourrait dire qu'il a été le "Nadia Boulanger" des cours d'harmonie jazz (il avait d'ailleurs suivi les cours de composition et d'écriture qu'elle dispensait). Il a formé en cette matière pas mal de musiciens jazz français parmi les plus connus (on peut citer par exemple Michel Petrucciani, Jacky Terrasson, Laurent de Wilde, Jean-Michel Pilc, et bien d'autres). Maître es harmonie (jazz), il a donné de nombreuses conférences à la célèbre Berklee School de Boston (USA) et animé de nombreuses Masterclasses dans plusieurs universités américaines.
Il était également arrangeur, signant entre autres les orchestrations symphoniques de "Parker with strings", hommage à Charlie Parker auquel participaient notamment le batteur Max Roach, sous la conduite de Frank Morgan et Michel Legrand.

Pourtant, Bernard Maury n'a finalement pas été très connu, si ce n'est des pianistes qui ont croisé sa route et qui ont pris des cours d'harmonie avec lui. C'est également à mon avis terrible qu'on ne lui ait jamais proposé plus tôt de se produire dans des salles ou Festival vraiment dignes de ce nom (ce qu'il fera heureusement dans la fin des années 1980 et années 1990) : concert dédié à la mémoire de Bill Evans pour le dixième anniversaire de sa disparition (Maison de la Radio), jubilé Steinway au théâtre des Champs Élysées, duo avec Toots Thielemans, duo de pianos avec Michel Petrucciani, Trio de pianos avec Michel Grailler et Alain Jean-Marie (France Musique), concert “In Memoriam Michel Petrucciani” avec Didier Lockwood (salle Gaveau janv. 99) et sur la scène internationale avec le Festival “Memphis in May” (USA), Gratz (Autriche), Tel-Aviv (Israël), Copenhague (Danemark), Los Angeles (USA)).

Autodidacte au piano (il a débuté à l'âge de 5 ans), Bernard Maury était un très grand improvisateur, utilisant souvent des renversements inusités d'accords (il a remis aussi au goût du jour le mode majeur harmonique ou le majeur double harmonique). Il a tout d'abord développé sa culture musicale en transcrivant la musique d’Oscar Peterson et d’Erroll Garner, puis a étudié l’harmonie à partir de différents traités et partitions classiques.

C'est alors qu'il rencontra Bill Evans, venu à Paris dans les années 70 pour une série de concerts. Ils deviennent amis et chaque fois que Bill Evans venait à Paris, il rendait visite à Bernard Maury.

Peut-être que de tous les pianistes, c'est lui qui a le mieux compris le langage de Bill Evans (mais bon, on peut aussi citer notamment des pianistes comme Giovanni Mirabassi ou Enrico Pierranunzi, Dick Hindman...). Lorsqu'ils se voyaient, ils se jouaient du piano bien sûr, discutaient harmonie forcément. Bernard Maury avait une passion sans borne pour Bill Evans. Il donnera d'ailleurs à la fin des années 80, une série de concerts en son hommage.

En septembre 1996, il a fondé et dirigé la "Bill Evans Piano Academy", école de jazz située dans le XXe arrondissement de Paris.
J'ai eu la chance de pouvoir récupérer, par un ami musicien, des cours de Bernard Maury, écrits de sa main. Mais comme ça, sans avoir pu assister à ses cours, les lire était alors pour moi un peu difficile, avec finalement le sentiment de ne pas pouvoir à mon niveau en tirer une synthèse vraiment profitable (mais je me rattrape maintenant :D ).

planningducours_maury2.jpg
planningducours_maury2.jpg (29.1 Kio) Vu 902 fois
Planning et plan de son cours, écrit de sa main


Heureusement, Lilian Deriq et Etienne Guéreau, deux de ses anciens élèves, on pu remanier tout cela de façon pour moi plus claire, sortant deux tomes "En harmonie - Fondements de l'harmonie tonale et modale dans le jazz". Tome 1 et Tome 2. Une bible à la gloire de Bernard Maury ou ici chaque notion abordée est accompagnée d'exemples et d'une série d'exercices (avec leurs corrigés).

Image

- Volume 1: intervalles, gammes (et leurs logiques internes), cadences, réharmonisation (avec l’insistance à oser ouvrir son imaginaire sonore, à prendre des risques), et pour finir, l’analyse afin de faciliter la mémorisation et l’interprétation.
- Volume 2 : principes d’horizontalité et de verticalité - l’un et l’autre se complétant, notions modales et des techniques de compositions plus complexes qui viennent en partie du monde classique.
Au cours des pages de ces deux tomes, des pictogrammes invitent à aller sur internet écouter les exemples décrits).
En intro, on peut lire sous la plume d'Enrico Pieranunzi "Grâce à cette méthode, le précieux legs de Bill Evans et de Bernard Maury est désormais accessible à tous."


Dommage, on ne trouve pas tant de choses que cela sur les concerts de Bernard Maury sur internet. Et là, le son est pas super :





J'ai eu la chance de pouvoir discuter pas mal avec lui (c'était au Trois Mailletz en 1985....). Et puis le voir jouer lors d'un festival de jazz à Calvi en 2004, dont je garde un souvenir inoubliable.


"Si le rythme est le corps de la musique, l'harmonie en est l'âme..." (Bernard Maury)
Interview donnée en octobre 1996 où il évoquait notamment l'importance de l'harmonie et de la pédagogie.

Vous dites volontiers que, si le rythme est le corps de la musique, l'harmonie en est l'âme. D'où votre passion pour l'harmonie...
Bernard Maury : A l'époque où, adolescent, j'ai commencé à m’intéresser au jazz, il était quasi impossible de se procurer des partitions. J'avais une formation de pianiste classique mais, n'ayant pas étudié l'harmonie, j'étais incapable de jouer du jazz sans partition. Certes, je pouvais toujours retranscrire d'oreille certaines mélodies, mais il fallait aussi trouver l'accompagnement, et mes accords rudimentaires ne sonnaient pas du tout comme ceux que j'entendais sur les disques d'Erroll Garner ou d'Oscar Peterson, pianistes dont j'admirais les couleurs tonales.
Enfin, avec un peu d'entraînement, je suis parvenu à relever certains solos. mais apprendre des accords isolés de leur contexte ne me satisfaisait pas : je voulais comprendre le pourquoi de certaines configuration harmoniques. Pour moi, un accord n'est pas une entité isolée, mais l'aboutissement d'une progression. En même temps qu'à l'harmonie, je me suis intéressé au contrepoint, qui traite du mouvement des voix. Comme Debussy l'avait bien compris, un accord possède sa couleur intrinsèque, qui crée un climat particulier, et je souhaitais construire les accords comme je l'entendais, en en contrôlant la couleur tonale.

A l'âge de 20 ans, j'ai pris quelques cours d'harmonie assez élémentaires, mais j'ai surtout étudié seul, dévorant de nombreux traités, effectuant des recherches personnelles et analysant des œuvres classiques. Découvrir certains principes essentiels par soi-même est très enrichissant. Ma pratique du jazz m'a ainsi permis d'envisager l'harmonie sous un autre aspect que celui que l'on enseigne généralement dans les conservatoires. L'harmonie est une question de logique et d'oreille, mais il ne faut pas pour autant la réduire à une science trop abstraite : elle doit vivre.

Comment en êtes-vous venu au jazz ?
Bernard Maury :
Vers l'âge de douze ou treize ans, j'ai assisté à une conférence du musicologue Hugues Panassié : ce fut une révélation. J'avais déjà entendu du jazz, mais personne jusque-là n'avait tenté d'en expliquer l'histoire - et il s'agissait d'une culture très différente de la mienne. A Toulouse, où plus tard j'ai fait mes études supérieures, les bals universitaires étaient animés par des orchestres de jazz. J'ai commencé par paraphraser autour des thèmes, puis je me suis jeté à l'eau. Doué d'un esprit assez analytique, j'ai cherché à comprendre comment les phrases étaient construites, j'ai imité les grands musiciens et je me suis choisi des maîtres.

Comment avez-vous rencontré Bill Evans ?
Bernard Maury :
Il était venu se produire en concert à Paris en 1972, avec son bassiste Eddy Gomez et son batteur Marty Morell. Bill était mon idole depuis plusieurs années et je rêvais de faire sa connaissance. Je travaillais alors dans un club parisien, avec le saxophoniste Johnny Griffin. Un soir, après notre prestation, deux Américains, qui se trouvaient au bar, sont venus bavarder avec moi et, de fil en aiguille, j'ai appris qu'il s'agissait de Gomez et de Morell. Le lendemain, un ami m'invitait à déjeuner avec Bill Evans en personne ! Le courant a passé immédiatement entre nous. Par la suite, j'ai eu des moments privilégiés avec lui.

bernard_maury_bill_evans.jpg
bernard_maury_bill_evans.jpg (116.19 Kio) Vu 902 fois
Bill Evans et Bernard Maury

Lorsqu'il s’asseyait au piano, je n'en perdais pas une miette et m'efforçais de tout assimiler. Il était parvenu au firmament du jazz - ce qu'il niait, par modestie. "Je n'avais aucune facilité", m'a-t-il confié un jour, "il a fallu que je travaille beaucoup". Il n'hésitait pas à rejouer certains passages, afin que je les comprenne bien. Il n'a jamais donné de cours, mais s'il sentait que quelqu'un était réceptif à sa musique et susceptible de saisir sa démarche, il prodiguait volontiers des explications. A cette époque j'essayais, depuis quelques temps déjà, d'analyser sa musique. Deux ans plus tôt, je n'aurais peut-être rien saisi de ce qu'il faisait.

Quelles qualités doit-on posséder pour étudier le jazz ?
Bernard Maury :
Il faut être très fortement motivé. Marginale comme l'est cette musique - qui procure rarement richesse et notoriété -, il s'agit d'un apostolat plus que d'une profession. Il convient aussi d'être opiniâtre, de ne pas se laisser décourager par les premiers écueils, et de posséder oreille et sensibilité musicale, encore que l'oreille s'éduque. La rigueur dans le travail est également primordiale, mais il faut aussi savoir laisser sa part à l'imaginaire, être cartésien à certains moments et ne pas l'être à d'autres, et savoir oublier l'aspect scolaire pour s'abandonner à la création.

Et pour l'enseigner ?
Bernard Maury :
Avant tout, il faut aimer la musique. C'est un peu comme la foi religieuse, qui s'accompagne souvent de prosélytisme : c'est un amour vrai que l'on a envie de partager. A enseigner, on apprend beaucoup soi-même, parce qu'on est amené à démonter certains mécanismes qui sont parfois inconscients. On peut parvenir à jouer intuitivement des idées intéressantes, mais il convient de les analyser afin de pouvoir les transmettre aux autres, ce qui ouvre au passage des horizons insoupçonnés. Enseigner est extrêmement enrichissant - mais il s'agit avant tout de donner. Je crois que si je n'avais pas enseigné, il y a des pièces que j'aurais été parfaitement incapable d'exécuter, parce que je ne les aurais pas comprises;

Quels sont vos projets actuels
Bernard Maury :
En hommage à Bill Evans, je viens de fonder à Paris la Bill Evans Piano Academy, où l'on enseigne aussi d'autres disciplines que le piano. Bill a été l'un des pianistes de jazz les plus importants de la seconde moitié du ce siècle - dans la lignée de Bud Powell et de Thelonious Monk. Le jazz contemporain lui doit énormément. Il est aussi l'héritier direct, dans le domaine du jazz, de l'école française, à laquelle appartiennent Fauré, Ravel, Debussy, Lili Boulanger et Henri Dutilleux. Outre la Bill Evans Piano Academy, j'ai deux projets de disques : l'un en solo et l'autre avec des compositions inédites de Bill Evans, que je sélectionnerai avec l'aide de sa famille.



Après un concert au Papa Jazz Club en 2002, instant de partage où Bernard Maury joue dans l'intimité un morceau à son ami et élève Etienne Guéreau :
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Bernard Maury

Message par PianoLuxembourg »

Hello Christophe,

bravo pour ce fil et ce dernier message plein de richesses, de documents et de fils conducteurs.

(la seule chose qui me fait tiquer c'est (ouf hors sujet) le livre de Pépin, mais/et c'est grand public, je comprends qu'on aime, mais Pépin est à la philosophie ce que Rémy Bricka est à Bill Evans, je n'ai rien contre Rémy Bricka, mais j'ai peu de choses pour et j'ai une sensibilité envers Pépin vulgarisateur dans mon domaine professionnel, je dois dire que son dernier livre et ses dernières thèses me font douter de la solidité de l'ensemble mais en philo on peut dire à peut près n'importe quoi ça peut se vendre, au piano on peut jouer n'importe quoi ça peut se vendre aussi, mais bon on voit bien de quoi on parle quand on sait ce que c'est, le livre dont tu parles est peut-être meilleur. Tu as raison ça ne fait pas (toujours) de mal et c'est ce qui motive les vulgarisateurs à le faire, mais souvent ça occupe le marché de vente de papier et de coaching).

Je te réponds ici pour ne pas polluer ton excellentissime fil sur Bill Evans et ta magnifique école d'harmonie.
Modifié en dernier par PianoLuxembourg le mer. 08 nov., 2023 15:32, modifié 2 fois.
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Bernard Maury

Message par Christof »

PianoLuxembourg a écrit : mer. 08 nov., 2023 15:24 Hello Christophe,

bravo pour ce fil et ce dernier message plein de richesses, de documents et de fils conducteurs.

(la seule chose qui me fait tiquer c'est le livre de Pépin, mais/et c'est grand public, je comprends qu'on aime, mais Pépin est à la philosophie ce que Rémy Bricka est à Bill Evans, je n'ai rien contre Rémy Bricka, mais j'ai peu de choses pour).
Merci Pianoluxembourg pour ton message et intérêt pour ce fil.
Oui, tu as raison pour le livre de Charles Pépin, c'est grand public, mais des fois, cela ne fait pas de mal :D
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Bernard Maury

Message par Christof »

Bernard Maury et Sami Abenaïm, les deux fondateurs de la Bil Evans Piano Academy :

bernard et samy à la BEPA.jpg
bernard et samy à la BEPA.jpg (56.05 Kio) Vu 830 fois


Bernard Maury avec des élèves
bernard maury avec élèves.jpg
bernard maury avec élèves.jpg (25.06 Kio) Vu 830 fois


Bernard Maury avec Michel Petrucciani
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bernard mauryavec petrucciani.jpg (27.89 Kio) Vu 830 fois
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Bernard Maury

Message par Ninoff »

Que du beau monde ….🙏🙏🙏
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Re: [Fil Christof : Pour Eusebius : un enregistrement de Stella par Miles, sur un tempo un peu atypique

Message par Christof »

EusebiusLesage a écrit : sam. 28 oct., 2023 23:06 Merci de nous partager tes retours Christof.
Excellent début pour ce fil, il se trouve que j'ai sauté le pas et que j'ai aussi commencé les cours de piano Jazz depuis la rentrée à mon conservatoire et comme premier morceau le prof m'a donné .... Stella :D
Coucou Eusebius
Connais-tu cet enregistrement de Miles en mai 1958, avec ce tempo un peu atypique sur Stella ?
C'était lors de sa formation en quintette avec Miles Davis à la trompette, Cannonball Adderley au sax alto, John Coltrane au ténor, Bill Evans au piano, Paul Chambers à la contrebasse et Jimmy Cobb à la batterie.

Dans ce morceau, Cannonball ne joue pas. On y entend chorusser Miles (sourdine harmon mute), puis John Coltrane (qui reste très sage), puis Bill Evans qui joue toute son impro en accords plaqués aux deux mains, puis retour au thème par Miles.

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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Pour Eusebius : une version de Stella sur un tempo un peu atypique

Message par EusebiusLesage »

Christof a écrit : ven. 10 nov., 2023 10:21 Connais-tu cet enregistrement de Miles en mai 1958, avec ce tempo un peu atypique sur Stella ?
Non je ne connaissais pas cette version, merci pour la découverte. Beaucoup plus posée en effet que la majorité de ce qu'on trouve en effet. Moi j'adore quand un tire un peu plus vers le style ballade pour ce morceau donc c'est tout à fait dans mon goût. Pour la "sagesse" de l'impro de Coltrane, j'en suis pas encore à pouvoir me dire que c'est sage, je serai bien content de pouvoir faire la moitié de ça pour l'instant. Mais je ne doute pas qu'il puisse faire des trucs plus foufou en effet.
Pour l'instant j'ai suivi tes conseils en chantant sur la basse à tempo lent et tout ça. J'arrive en effet à faire des lignes plus intéressantes comme ça mais c'est encore en chantier et je travaille ça quand je peux au milieu d'un programme massif de 40min de musique de chambre à monter là mais c'est tripant de rentrer dans le langage jazz plus sérieusement.

Et j'avais oublié de te répondre plus haut mais oui c'était bien la version de Keith Jarret de l'intro dont je parlais.
Celle là :
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Christof
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Pour Eusebius : Quand Coltrane joue "moins sage"...

Message par Christof »

EusebiusLesage a écrit : ven. 10 nov., 2023 23:33 ...Pour la "sagesse" de l'impro de Coltrane, j'en suis pas encore à pouvoir me dire que c'est sage, je serai bien content de pouvoir faire la moitié de ça pour l'instant. Mais je ne doute pas qu'il puisse faire des trucs plus foufou en effet.
Voici un exemple illustrant le '"quand Coltrane joue moins sage " :D :
ici en 1959 sur le disque Giant Steps, disque qui a marqué toute une époque, « tuant » le bebop en le portant à un degré de complexité jusqu'alors inégalé, en particulie sur ce totre Giant Steps (mais aussi sur le morceau Countdown. C'est le premier album de Coltrane publié en tant que leader. Il est au sax ténor, Tommy Flanagan au piano, Paul Chambers à la contrebasse et Art Taylor à la batterie.
Coltrane chorusse en premier, puis Tommy Flanagan mais on sent bien que ce dernier est un peu à la ramasse et s'épuise très vite, tellement le tempo est infernal, sur cette grille vraiment très difficile à jouer... Quand c'est Coltrane qui joue, ce morceau ne sombre ni dans l'étude ni dans la virtuosité gratuite: c'est le débit hallucinant du discours qui rend la composition fascinante, parce que véritablement habitée... tant que c'est Coltrane qui est aux commandes.

Voilà ce qu'à pu dire Tommy Flanagan une semaine auparavant: « Nous étions voisins, il habitait juste au coin de ma rue. Il est venu et m'a joué ça. Je n'avais besoin d'aucune partition. J'ai dit : « Très bien. Pas de soucis avec ça ! » Je ne savais pas que j'aurais à jouer là-dessus et quel tempo il avait en tête! Non pas que ce soit injouable, mais il fallait être davantage préparé que pour jouer le blues ou je ne sais quoi d'autre. »

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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Utilisation ou pas du dorien dans l'harmonisation sur un thème, dans le II d'un II-V-

Message par Christof »

Chronique sur mes cours d'harmonie (suite)

Aujourd'hui, j'aimerais vous parler d'un truc qui m'a beaucoup turlupiné... C'est un peu technique mais je suis sûr que cela pourra aider pas mal de pianistes qui se confrontent au travail des thèmes jazz à partir de grilles, et sûrement indiquer une direction très importante pour la suite.

Je suis certainement un peu long à la détente, mais ce qui m'a bien turlupiné date d'il y a déjà un mois. C'était lors du premier cours où, lors d'une digression, Etienne Guéreau avait dit que, dans un II - V -I (par exemple la suite d'accord : D-7, G7, C maj7), le dorien n'était pas du tout le bon choix pour l'harmonisation sur le II (c'est à dire sur le D-7), et qu'en fait c'était super rare qu'on fasse cela. Sur le coup, je n'avais pas réagi, bien que j'eusse senti que cela ouvrait un précipice sous mes pieds...
En effet, dans toutes les méthodes, on va trouver que si on a un II - V - I (avec un I majeur 7) on peut improviser sur les trois accords D-7, G7, Cmaj7 dans la gamme de do majeur. Du coup, dans notre tête, quand on commence à improviser sur le ré mineur 7, on va avoir tendance à penser dans notre tête le deuxième degré de cette gamme de do majeur, soit le mode dorien (ré min fa sol la si do ré) et puis, le plus souvent, quand on arrive sur le V on va avoir tendance a associer cela avec le mixolydien (sol la si do ré mi fa sol). Et je suis à peu près sûr que 99,9 % des pianistes jazz pensent de cette façon...
Mais ce qui m'a paru bizarre, c'est qu'alors, personne n'a posé de question, comme si tout le monde dans la salle pensait que ce qu'avait dit Étienne allait de soi.
Petit aparté pour la suite : signalons qu'un mode se caractérise par sa couleur : le dorien est un mode mineur (donc avec tierce mineure) qui se caractérise par sa couleur, la sixte majeure. Donc si on veut suggérer le dorien sur un accord de ré mineur 7, il faudra qu'on entende cette couleur, cette sixte majeure, qui dans ce cas est un si.

Et donc au dernier cours mardi dernier (où on a vu le locrien 2 bécarre), quitte à passer pour une truffe, je suis revenu sur le sujet au tout début en disant au prof que j'avais du mal à vraiment comprendre ce qu'il avait dit sur le dorien lors de son premier cours. Et sa réponse a été : "C'est contre intuitif. Toi, tu associes degré et fonction et mode (...). Je parle ici d'harmonisation du thème, et c'est toujours la mélodie qui décide. Quand on improvise (c'est à dire pendant qu'on chorusse sur les accords), c'est autre chose.
Sauf que la première étape dans un chorus, c'est la variation mélodique, le chorus embryonnaire, qui suppose d'être capable de se balader autour de la structure mélodique. Il faut déjà avoir une bonne analyse mélodico-harmonique, comprendre l'esprit du thème pour éviter justement de tomber dans des clichés. On ne doit jamais être dans la pensée "le thème est accessoire, les cadences sont accessoires". Si tu veux sublimer le thème, il faut vraiment faire une bonne analyse mélodique qui fera justement que tes phrases vont dépendre de la mélodie.

Si on cherche dans toute la littérature du jazz, on ne verra que très rarement la mélodie faire la sixte majeure sur un II. Pourquoi ? Parce que dans la progression II - V - I, l'accord instable est la dominante (V) et pas le II (le II est une sous-dominante et doit être stable). Or ce qui caractérise l'instabilité de la dominante est le triton (les notes fa et si sur le V dans le II -V -I D-7, G7, Cmaj7). Et le dorien contient déjà ce triton, donc marque déjà l'instabilité. Et le la est trop marqué aussi. Les progressions harmoniques sont une suite de détente, tension, détente. On doit bien faire la préparation avant la dominante, pour mieux justement montrer l'instabilité de cette dominante. Et si on utilise le dorien dans cette progression, on casse la transparence.
Il peut bien sûr arriver que la mélodie soit la sixte majeure au moment du II, mais c'est très rare. Et dans ce cas, oui, on pourra mettre le dorien, mais ce qui est commun à tous les compositeurs, par exemple George Gershwin dans le thème "But not for me" ou Cole Porter dans certains thèmes, c'est que lorsqu'ils arrivent ensuite sur le V, il rendent le V stable en jouant l'accord sus 4, comme si ils voulaient compenser justement l'instabilité déjà donnée sur le II (comme une inversion cadentielle). C'est aussi ce que fait le plus souvent Bill Evans.

Il existe un morceau d'exception, "Time remembered" de Bill Evans, mais là, il s'agit justement d'une étude modale du dorien sur l'ensemble du morceau, dans une progression harmonique.

En fait, le dorien s'applique plutôt sur une fonction à valeur de tonique (un I), par exemple un accord mineur 6 (ou mineur 7).
On peut par exemple citer le morceau "So What" (mais qui est un morceau modal) ou le premier accord , le D-7 a valeur de tonique.

Peut-être que mes explications paraissent ici un peu "ardues" ou pas très claires. En tous cas, après avoir entendu Étienne appuyer ses dires avec exemples au piano (fichier audio ci-dessous), tout cela me paraît maintenant évident.





Et ci-dessous "Time remembered" qui là, pour le fait, est absolument une espèce d'étude dorienne dans la progression harmonique, mais cela est dicté par la mélodie où l'on trouve souvent une sixte majeure sur le II.




Et là, So what (Miles Davis), morceau modal en dorien, mais ici le dorien est sur un I (et pas sur un II). Le pont est le même accord, un demi-ton plus haut, dorien aussi.




Et pour finir, les dix commandements de l'harmoniste :

  • Tu partiras de la mélodie
  • Tu ne suivras pas bêtement les indications du Real Book
  • Tu alterneras les positions et les renversements
  • Tu varieras les nuances et les registres
  • Tu veilleras au toucher et à l'équilibre sonore
  • Tu ne réharmoniseras pas comme un sauvage
  • Tu utiliseras différentes techniques de réharmonisation
  • Tu ne feras pas étalage de ton savoir au détriment du thème
  • Tu seras attentif à la cohérence de l'ensemble
  • Tu transposeras

Merci pour votre lecture, en espérant que cela pourra servir.
N'hésitez pas à poser des questions si vous en avez...
Ninoff
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Utilisation ou pas du dorien dans l'harmonisation sur un thème, dans le II d'un II-V-

Message par Ninoff »

Bonsoir Christof,
Merci de tous ces enseignements comme tu le dis plutôt ardus.
So what est un très bon exemple…
Merci de ce partage très Pro 🙏🙏🙏
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Christof
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Utilisation ou pas du dorien dans l'harmonisation sur un thème, dans le II d'un II-V-

Message par Christof »

Ninoff a écrit : sam. 11 nov., 2023 15:50 Bonsoir Christof,
Merci de tous ces enseignements comme tu le dis plutôt ardus.
So what est un très bon exemple…
Merci de ce partage très Pro 🙏🙏🙏
Merci Ninoff. J'espère que ce que j'ai écrit est compréhensible ?
Danaus
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Utilisation ou pas du dorien dans l'harmonisation sur un thème, dans le II d'un II-V-

Message par Danaus »

Christof a écrit : sam. 11 nov., 2023 14:35 Chronique sur mes cours d'harmonie (suite)

Merci pour votre lecture, en espérant que cela pourra servir.
N'hésitez pas à poser des questions si vous en avez...
Merci Christof pour ce post très riche, merci aussi de nous proposer de poser des questions et j'en ai au moins une qui me tarabuste depuis longtemps. Vous y répondez en partie je crois dans l'aparté ci-dessous :
Christof a écrit : sam. 11 nov., 2023 14:35 Chronique sur mes cours d'harmonie (suite)
Petit aparté pour la suite : signalons qu'un mode se caractérise par sa couleur : le dorien est un mode mineur (donc avec tierce mineure) qui se caractérise par sa couleur, la sixte majeure. Donc si on veut suggérer le dorien sur un accord de ré mineur 7, il faudra qu'on entende cette couleur, cette sixte majeure, qui dans ce cas est un si.
Si par exemple j'analyse un choral de Bach en do majeur, sur un accord de ré (degré II) Bach utilisera les notes du mode Dorien de ré sans que l'on puisse dire qu'il utilise un mode Dorien. Il est simplement dans la tonalité de Do.

Qu'est ce qui fait que si j'improvise on puisse dire que je joue le mode Dorien et le mode majeur de Do ?

Ma réponse serait (mais je n'en suis pas sûr) la suivante :

- si je joue les notes de l'accord de ré comme des notes "réelles" (qui ne sont ni des notes de passage, ni des retards ou des appogiatures résolues) sur les temps, alors je suis en Do majeur (mode Ionien). Ces notes sont affirmées comme des notes de l'accord de second degré Ré et, en même temps, comme des notes de la tonalité de Do majeur.

-Si par contre j'affirme la sixte majeure sur un temps (fort ou faible) sans la résoudre alors ce Si, bien que faisant partie de la tonalité de Do majeur Et du mode Dorien,installe le mode dorien car comme vous le dites il est caractéristique de ce mode mais pas de l'accord de ré mineur dans sa forme simple (ré, fa, la, do)

Est-ce juste ?
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flober
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Utilisation ou pas du dorien dans l'harmonisation sur un thème, dans le II d'un II-V-

Message par flober »

Merci Christof de partager tout ça.
Ce qui est beau dans le mot Théorie, c'est que cela concerne certains, d'autres pense différement, il n'y a pas de vérité absolue, à chacun de suivre sa voie.
Je comprends les explications de "pureté" mais je ne comprends pas ce qui motive ton prof avec ce discours ? Choquer le bourgeois ?
Si il dénonce l'utilisation du Dorien sur un accord ii mineur, il ne propose pas non plus de solution et d'exemple autre que "il faut voir au cas par cas". Tout en fustigeant Berklee, qui est tout de meme le foyer de multiples talents et novateurs post 70 ...

à 4'



Si la 13 ne peut etre naturelle, elle serait alors b13 ? donc jouer aeolien sur un ii ? bof bof
Il dit aussi que si on regarde la litterature, on va trouver (rarement) des 13e sur un iim7 ... #-o donc l'inverse de ce qu'il annonce !?

Sur un point de vue purement harmonique, la 13e sur un mineur 7 clashe avec la b7, un choix peu gracieux, que j'eviterai a tous prix, donc je trouve l'info assez peu intéressante.

D'un point de vue mélodique, je ferais quelques remarques :

La 13e du ii devient la tierce du V, et donc un joli moyen d'anticiper l'harmonie aussi appelé "forward motion" ...

J'ai eu l'occasion de transcrire des lignes de basses de Ray Brown et je constate que sur le 1er temps de la mesure d'un accord V il joue souvent la quinte ... le 2.
Donc a ce moment, l'improvisateur joue probablement myxolidien mais comme le bassiste joue le 2, en fait il joue dorien ...(alors oui, dans ce cas on est deja dans le V et donc le choc de la 13e est accepté par Etienne).

Barry Harris, le prof qui a touché le plus de jazzman pendant plus d'un demi siecle, propose d'oublier purement le ii, de suivre Charlie Parker et Bud Powell qui pensaient V et pas ii V ...comme expliqué par un de ses éleves ici :



On pourra remarquer que vers 5' il propose de jouer le mode myxolidien du triton (un B7 en place d'un F7) et d'utiliser un "arpege important", B sur le Cm7 et F7 ! donc l'arpege maj qui commence sur la 13e du Cm7 ...


:wink:
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Christof
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Re: [Fil Christof : harmonie jazz] Utilisation ou pas du dorien dans l'harmonisation sur un thème, dans le II d'un II-V-

Message par Christof »

Danaus a écrit : dim. 12 nov., 2023 18:03 Merci Christof pour ce post très riche, merci aussi de nous proposer de poser des questions et j'en ai au moins une qui me tarabuste depuis longtemps. Vous y répondez en partie je crois dans l'aparté ci-dessous :
Christof a écrit : sam. 11 nov., 2023 14:35 Chronique sur mes cours d'harmonie (suite)
Petit aparté pour la suite : signalons qu'un mode se caractérise par sa couleur : le dorien est un mode mineur (donc avec tierce mineure) qui se caractérise par sa couleur, la sixte majeure. Donc si on veut suggérer le dorien sur un accord de ré mineur 7, il faudra qu'on entende cette couleur, cette sixte majeure, qui dans ce cas est un si.
Si par exemple j'analyse un choral de Bach en do majeur, sur un accord de ré (degré II) Bach utilisera les notes du mode Dorien de ré sans que l'on puisse dire qu'il utilise un mode Dorien. Il est simplement dans la tonalité de Do.

Qu'est ce qui fait que si j'improvise on puisse dire que je joue le mode Dorien et le mode majeur de Do ?

Ma réponse serait (mais je n'en suis pas sûr) la suivante :

- si je joue les notes de l'accord de ré comme des notes "réelles" (qui ne sont ni des notes de passage, ni des retards ou des appogiatures résolues) sur les temps, alors je suis en Do majeur (mode Ionien). Ces notes sont affirmées comme des notes de l'accord de second degré Ré et, en même temps, comme des notes de la tonalité de Do majeur.

-Si par contre j'affirme la sixte majeure sur un temps (fort ou faible) sans la résoudre alors ce Si, bien que faisant partie de la tonalité de Do majeur Et du mode Dorien,installe le mode dorien car comme vous le dites il est caractéristique de ce mode mais pas de l'accord de ré mineur dans sa forme simple (ré, fa, la, do)

Est-ce juste ?
Merci Danaus ! Pour répondre à la question, oui c'est cela. Si tu improvises et que tu veux affirmer le dorien, tu insisteras sur le degré caractéristique du mode, c'est à dire cette sixte majeure dans une gamme mineure. Et la progression harmonique, II V I maj 7, s'inscrit par rapport à la tonique I.
Cela dit, comme je l'ai expliqué dans ma chronique, c'est la note de mélodie qui va décider de la façon d'harmoniser sur le II. Rien n'empêche dans l'improvisation de jouer le si, mais ce n'est pas forcément ce qu'il y a de mieux...

NV : tiens et pour en rajouter une couche : si tu veux vraiment montrer que tu donnes harmoniquement une couleur ionienne sur un accord I (si tu es en do, donc tu as l'accord do maj 7, il faudra absolument que tu fasses entendre le fa dans cet accord (en choisissant donc un renversement qui sonne parce que sinon bonjour les dégâts), afin de lever l’ambiguïté avec le mode lydien (toujours si tu es dans la tonalité de do, qui lui, demande un fa #). Le fa (bécarre) te montreras alors que tu es dans du ionien et pas dans du lydien.

Et pour compléter cette notion de couleur pour les modes, il faut savoir que chaque mode à ce qu'on appelle un DCN, un "Degré caractéristique naturel" et aussi ce qu'on appelle aussi un "fragment modal" qui sont les deux notes où l'on trouve un demi-ton dans la gamme (par exemple en ionien, il y a deux fragments modaux : mi-fa, et si-do, dans le dorien, un seul fragment modal : si-do, dans le phrygien, une seul fragment : mi-fa, etc.

Le DCN du I sont les notes du 4ème et 7ème degré de cette gamme ionienne, donc fa et si , le DCN du II est le VIème degré de cette gamme dorienne, qui est une sixte majeure, le si ; le DCN du III, phrygien, est le bII, c'est à dire le fa, le DCN du IV, prhygien, est le #IV, c'est-à dire le fa ; le DCN du V (mixolydien) est la 7ème mineure (le fa)n ; le DCN du VI (aéolien) est le bVI, c'est à dire le fa; enfin le DCN du VII (locrien) est le bV, c'est à dire le fa.

Modifié en dernier par Christof le lun. 13 nov., 2023 18:31, modifié 4 fois.
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